À l’approche de la réunion de haut niveau de l’ONU sur l’antibiorésistance,
une campagne internationale exhorte l’industrie pharmaceutique à dépolluer
sa chaîne d’approvisionnement
Jeudi 15 septembre 2016
New York / London / Paris / Berlin: À l’approche de
la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies sur
l’antibiorésistance, qui se tient la semaine prochaine à New York, une
coalition d’associations concernées par la santé publique et la protection de
l’environnement en appelle aux acteurs de l’industrie pharmaceutique et de ses
organismes de contrôle pour responsabiliser les industriels face à la pollution
le long de leur chaîne d’approvisionnement, une cause trop rarement mise en
exergue de l’augmentation de l’antibiorésistance dans le monde.
Cette hausse de la résistance bactérienne aux
antibiotiques est une des menaces les plus sérieuses de ce siècle pour la santé
publique mondiale. Selon le groupe de travail indépendant britannique, l’AMR
Review, la mortalité résultant d’infections par des bactéries résistantes
pourrait atteindre 10 millions de morts à l’horizon 2050, associée à une perte
économique cumulée de 100 000 milliards de dollars[1]. Les experts médicaux s’inquiètent d’un
futur proche où des maladies bénignes ainsi que des interventions chirurgicales
routinières comme la pose d’une prothèse de hanche deviendraient très risquées.
À une semaine de la réunion de l’ONU, le CISS indique
par la voie de sa représentante Claude Rambaud : « Les décideurs mondiaux
vont se réunir pour discuter d’une des plus grandes menaces sur la santé
publique du siècle, l’antibiorésistance. Au moment où une prise de conscience
politique de ce fléau émerge, toutes les causes - sanitaires, agricoles et
environnementales - doivent être prises en compte rapidement au niveau national
et européen si l’on veut avoir quelque chance de contrôler cette menace.
Oublier une de ces causes peut remettre en question les efforts qui commencent
à être faits actuellement, et entraîner des millions de victimes à court terme car
la menace c’est déjà maintenant. »
Alors que l’industrie pharmaceutique demande des aides
financières colossales pour soutenir leurs efforts de recherche de nouvelles
molécules actives pour gérer l’antibiorésistance[2], ce rapport, La face cachée de
l’antibiorésistance: comment l’industrie pharmaceutique fait émerger des
super-bactéries dans sa chaîne de production, qui vient d’être
publié internationalement, montre comment les poids-lourds industriels comme
Pfizer, Teva ou Celesio (filiale de McKesson et propriétaire du grossiste
répartiteur français OCP) alimentent cette antibiorésistance en
s’approvisionnant chez des fabricants d’antibiotiques dont les pollutions
environnementales ont été observées et rapportées, principalement en Chine et
en Inde.
Le rapport de l’AMR Review de décembre 2015
montrait déjà la responsabilité des industriels dans le développement des
impacts environnementaux et sanitaires, et caractérisait cette pollution
pharmaceutique comme étant « un problème le long de la chaîne
d’approvisionnement que les entreprises pharmaceutiques et leurs sous-traitants
doivent résoudre ensemble. » [3] Cependant, la plupart des entreprises
font preuve d‘un manque d’intérêt consternant en ce qui concerne cette
pollution et ne prennent en tout cas pas de mesure efficace, directe ou
indirecte via leurs sous-traitants, pour produire proprement et bien gérer les
déchets. En France, ce sujet n’a jusqu’à maintenant pas été abordé,
probablement à cause d’un sentiment d’éloignement du problème, alors que
l’historique du gène de résistance NDM-1 nous en rapproche[4].
Dans ce contexte, les associations souhaitent que les
prescripteurs d’antibiotiques, dont les structures de santé publiques et
privées, utilisent leurs politiques d’achats pour stimuler l’adoption de
processus de fabrication propres et favoriser le nettoyage des chaînes
d’approvisionnement.
Aurèle Clémencin de Changing Markets ajoute: « Le
rôle des grands laboratoires pharmaceutiques dans le développement de
l’antibiorésistance a été ignoré dans les politiques mises en place pour
contrôler cette menace. Nos recherches montrent que l’industrie ne prend aucune
mesure concrète pour contrer cette perspective inquiétante pour l’environnement
et la santé humaine. C’est pour cela que nous en appelons aux acteurs,
prescripteurs et acheteurs, de se détourner des entreprises polluantes et
envoyer un message économique à celles qui ne prennent pas les mesures
nécessaires pour en finir avec les effluents contaminés. L’opacité entourant
les chaînes de sous-traitance doit aussi se lever pour nous permettre
d’identifier facilement l’origine de nos antibiotiques. »
Le rapport recommande d’établir une liste noire des
entreprises pharmaceutiques qui alimentent l’antibiorésistance de par leurs
mauvaises pratiques de production, à commencer par Aurobindo, un fabricant
indien basé à Hyderabad qui possède de nombreuses filiales internationales,
dont Arrow Génériques et Actavis France. Aurobindo est impliqué dans de
nombreux scandales de pollution en Inde et entretient des liens commerciaux
avec certains des plus gros fabricants d’antibiotiques en Chine, dont NCPC, la
plus importante entreprise pharmaceutique détenue par l’Etat chinois, dont la
pollution répétée a été observée et rapportée.
André Cicolella, Président du Réseau
Environnement-Santé ajoute : « La présence de foyers environnementaux de
résistance aux antibiotiques prouve encore une fois que notre environnement
participe à notre santé. Cette pollution environnementale doit aussi faire
l’objet de mesures ici, dans les pays occidentaux de la part des acteurs et des
autorités compétents. »
Notes:
- Récemment, plusieurs rapports ont mis en lumière l’importance de la
pollution environnementale et de ses impacts sanitaires tout au long de la
chaîne d’approvisionnement de l’industrie pharmaceutique. En mars de cette
année, une banque suédoise d’investissement, Nordea, a publié une enquête
concernant les « Impacts de la pollution
pharmaceutique sur les communautés et l’environnement en Inde
», se focalisant sur le centre névralgique indien de la fabrication
d’antibiotiques génériques. Plus tôt en 2015, l’organisation
internationale de mobilisation, SumOfUs, a publié un rapport sur les
centres de production d’antibiotiques parmi les plus pollués en Chine.
- La plupart des antibiotiques mis sur le marché
dans le monde sont issus d’entreprises chinoises et indiennes, qui
agissent en tant que sous-traitants pour d’autres entreprises nationales
ou des multinationales européennes et nord-américaines. La Chine est à présent
le plus gros exportateur mondial d’ingrédients pharmaceutiques actifs
(IPA)[5],
fournissant plus de 50% du marché mondial[6], et le
numéro un de la fabrication de sels de pénicilline[7]. Plus de
80% de ces sels sont exportés vers l’Inde[8] où ils
sont formulés en produit fini et exportés vers les marchés mondiaux.
L’Inde est aussi un important fabricant d’IPA et ses entreprises ont
récemment entamé une conquête des marchés occidentaux avec leurs marques
Aurobindo Pharma et, suite à des investissements récents, Arrow Génériques
et Actavis.
- Plusieurs sites de production pharmaceutique chinois et indiens, dont
ceux qui sont approuvés par les autorités européennes et nord-américaines,
ne disposent pas de systèmes de traitement des effluents contaminés, qui
finissent dans l’environnement autour des usines, et créent des foyers qui
alimentent l’antibiorésistance d’abord à l’échelle locale… mais très vite
à celle de la planète puisque les bactéries résistantes peuvent avoir la
capacité de se répandre rapidement via les échanges internationaux.
- Pour plus d’informations concernant la réunion de haut niveau de
l’Assemblée générale des Nations Unies sur l’antibiorésistance du 21
septembre, voir: http://www.un.org/pga/70/events/high-level-meeting-on-antimicrobial-resistance/
Téléchargez le
rapport « La face cachée de l’atibiorésistance : comment l’industrie
pharmaceutique fait émerger des super-bactéries dans sa chaîne de production »
:
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[1] Soit un coût annuel de
2860 milliards de dollars. En guise de comparaison, les dépenses annuelles de
santé du G20 ont été évaluées à 7000 milliards selon les auteurs du rapport
[4] Ce gène NDM-1, New
Delhi-Métallo-Béta-Lactamase, découvert en Inde en 2008 est désormais présent
dans plus de 70 pays
Contacts presse
:- Changing
Markets : Aurèle CLÉMENCIN, chargé de campagne, 06 77 06 29 60 (informations
spécifiques à la campagne internationale et le rapport La face cachée de
l’antibiorésistance)
- CISS : Marc PARIS, responsable communication, 01 40 56 94 42 / 06 18 13 66 95
(informations générales sur les mesures de lutte contre l’antibiorésistance
en France)
- RES : André CICOLELLA, président du RES, 06 35 57 16 82 (informations sur
l’approche Santé-Environnementale des pathologies)