Résumé
Le lupus néonatal regroupe des manifestations liées à la transmission
passive des anti-Ro/SSA et anti-La/SSB maternels. Il se traduit diversement,
selon les cas, par une éruption cutanée qui disparaît avec la clairance des
anticorps maternels, une atteinte hématologique ou hépatique, ou des
complications neurologiques. La complication majeure est la constitution d’un
bloc auriculo-ventriculaire congénital (BAVc) qui survient sur un cœur indemne
de cardiopathie malformative. Les anticorps anti-Ro/SSA sont nécessaires mais
néanmoins insuffisants pour entraîner un BAVc. La fréquence du BAVc chez les
femmes porteuses d’un anticorps anti-SSA/Ro est estimée à 1 à 2 % et le
risque de récurrence est de 10 à 17 %. Les mères de ces nouveau-nés sont
soit asymptomatiques, soit atteintes de lupus érythémateux disséminé (LED) ou
de syndrome de Sjögren (SS) .L’hypothèse physiopathologique qui prévaut
actuellement fait intervenir une translocation des antigènes SSA/Ro et SSB/La à
la surface des cardiocytes fœtaux apoptotiques où ils sont liés par les
anticorps anti-SSA/Ro maternels. Ces cardiocytes recouverts par les anticorps
anti-SSA/Ro sont phagocytés par les macrophages qui produisent en réponse des
cytokines telles que le TNF et le TGFβ. Ce relargage de TGFβ favorise la
transdifférenciation des fibroblastes en myofibroblastes qui sont des cellules
capables d’entraîner un phénomène de fibrose, et par voie de conséquence la
destruction du tissu de conduction. Le BAVc complet est définitif et est
associé à une morbidité (nécessité d’implanter un pace maker dans 2/3 des cas)
et une mortalité (16 à 19 %) faisant toute la gravité de ce syndrome.
Summary
Neonatal lupus includes clinical manifestations
due to passive transfer to the fetus of maternal anti-SSA/Ro and anti-SSB/La antibodies. Its
clinical spectrum includes transient skin lesions and/or hematological and
hepatic disorders, and/or neurological manifestations. Congenital heart block
(CHB) is the main complication which occurs in the absence of severe cardiac
malformation. Presence of anti-SSA/Ro antibodies is a necessary but not a sufficient condition to provoke a CHB
.The prevalence of CHB in newborns of anti-SSA/Ro positive women ranges from 1
to 2% and the risk of recurrence is estimated at 10 to 17%. Mothers of newborns
with CHB are asymptomatic or have systemic lupus erythematosus or Sjogren’s
syndrome. The first pathophysiological step is the translocation of
intracellular SSA/Ro-SSB/La antigens to the surface of cardiomyocytes
undergoing apoptosis where they can be bound by anti-SSA/Ro antibodies. These
apoptotic cardiocytes bound by antibodies are phagocytosed by macrophages that in
turn secrete pro-inflammatory cytokines such as TNF and TGFβ. Events subsequent to
this inflammatory cascade result in a major alteration of the fibroblast
phenotype, which ultimately leads to fibrosis of the conducting system. While non-cardiac lesions are transient, CHB is definitive. The latter is associated with significant
morbidity (a pacemaker must be implanted in 2/3 of cases) and mortality (estimated at 16-19%).
* Service de Médecine Interne 2, Centre
National de Référence Labellisé Lupus,
Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris,
France
Tirés à part : Professeur Zahir Amoura , même adresse
Introduction
Le lupus néonatal (LN) regroupe les
manifestations liées à l’exposition in
utero aux anticorps anti-SSA maternels. C’est une maladie hétérogène qui peut
se traduire selon les cas par une éruption cutanée, une atteinte cardiaque, une
atteinte hématologique ou hépatique, ou exceptionnellement des complications
neurologiques. Cette entité clinique est considérée
comme un exemple de maladie maternofœtale autoimmune transmise. L’incidence du
BAVC est estimée à 1/17000 naissances, avec une augmentation depuis le début
des années 1990. La mère est le plus souvent asymptomatique ou atteinte d’une
connectivite indifférenciée ; plus rarement d’un lupus systémique
ou d’un syndrome de Sjögren primitif.
Manifestations cliniques
La fréquence relative des différentes atteintes du LN est mal connue. Le registre américain incluant 166 enfants sur 142 mères permet d’avoir une idée des fréquences
relatives des différentes manifestations du LN [1]: 106 enfants avaient un BAVC isolé, 35 avaient une atteinte
cutanée pure, 22 enfants avaient un BAVC associé à une atteinte cutanée et 3
une atteinte hépatique et/ou hématologique.
Manifestations cutanées
Il est probable que les atteintes cutanées sont moins fréquemment signalées.
Dans 2 séries prospectives de femmes enceintes porteuses d’anticorps anti-SSA
et/ou SSB, la fréquence des manifestations cutanées était respectivement de 7%
[2] et de 16% [3]. Il
s’agit d’une éruption annulaire ou elliptique, érythémateuse, maculo-papuleuse,
qui peut siéger sur tout le corps, avec une nette prédominance pour le visage,
notamment la région péri-orbitaire, et le cuir chevelu, parfois recouverte de
fines squames. Elle survient en moyenne
vers la 6ème semaine de vie (dès la naissance dans un quart des cas)
[4]. L’éruption est marquée par sa photosensibilité et peut être déclenchée ou
aggravée par la
photothérapie. L ’histologie cutanée est évocatrice de lupus
cutané avec un infiltrat mononuclée superficiel peu marqué et une atteinte
annexielle minime avec des dépôts d’IgG, d’IgM, d’IgA ou de C3 à la jonction
dermo-hypodermique évoquant la « lupus band test ». Cette éruption est
transitoire et disparaît sans séquelles avant le 6ème mois (en
moyenne vers la 17ème semaine) [4]. Les manifestations
cutanées du LN présentent des similitudes avec le lupus cutané subaigu de l’adulte qui est le plus souvent associé à la
présence d’anticorps anti-SSA, expliquant pourquoi ce terme a
été consacré. La disparition de
l’éruption correspond, au moins sur le plan chronologique, à l’élimination des
anticorps maternels. Devant un enfant
avec un lupus cutané néonatal, le risque de récurrence lors des grossesses
ultérieures est de 36% pour le lupus néonatal, 23% pour le lupus cutané et 12%
pour le BAVc [5].
Manifestations
cardiaques
Responsables d’une morbidité sévère et d’une mortalité importante, les
complications cardiaques du LN font toute la gravité de ce syndrome.
Bloc auriculo-ventriculaire congénital
Le BAVc est la complication cardiaque la plus fréquente du LN.
Contrairement à l’atteinte cutanée du LN qui est transitoire et apparaît dans
la période néo-natale, le BAVc est le plus souvent définitif et se manifeste in utero, ce qui rend in fine les termes « lupus
néonatal » impropres. Le BAVc du LN apparaît généralement sur un cœur
indemne de cardiopathie malformative. La recherche d’anticorps anti-SSA/Ro ou
anti-SSB/La doit donc être pratiquée systématiquement chez la mère d’un enfant
porteur d’un BAV sans malformation cardiaque majeure. L’incidence du BAVc chez
des femmes porteuses d’un anticorps anti-SSA, primigestes ou ayant eu des
grossesses antérieures sans anomalies, est de 2 % [2, 6, 7]. Dans la cohorte
italienne prospective, 2 des 112 enfants de 100 femmes porteuses d’anticorps
anti-SSA/Ro ont eu un BAVc du 3ème degré [7]. Dans l’étude prospective multicentrique américaine PRIDE (PR
interval and dexamethasone evaluation in CHB) un BAV du 3ème
degré a été observé au cours de 3 des 98 grossesses issues de 95 mères avec anti-SSA/Ro et/ou anti-SSB/La [2]. En cas d’antécédent
de BAVc, le risque de récurrence du BAVc est de 15 à 20 % [8, 9].
Il s’agit le plus souvent d’un BAV du troisième
degré irréversible ; plus rarement du deuxième ou du premier degré [7].
Ce BAVc complet et définitif se manifeste sur
l’échographie fœtale par une dissociation auriculo-ventriculaire complète (rythme
atrial normal et fréquence ventriculaire inférieure à 100 bpm). En
l’absence de renseignements sur le statut anti-SSA de la mère, le BAVc est le
plus souvent découvert entre la 20ème et la 24ème semaine
d’aménorrhée [1] à l’occasion d’une échographie fœtale systématique ou du bilan
d’une bradycardie fœtale. Dans le registre américain, aucun BAVc n’a été
détecté avant 17 SA et 82 % des BAVc étaient détectés avant
30 SA [1]. Parfois le BAVc n’est découvert qu’à la naissance. Ces BAVc
sont la conséquence d’une réaction inflammatoire myocardique, ce qui explique
leur découverte tardive. Certaines morts foetales
inexpliquées entrent probablement dans ce cadre, le BAVc et a fortiori la myocardite pouvant être
méconnus si la mort foetale survient avant la réalisation de la deuxième
échographie.
La mortalité du
BAVc a été récemment analysée dans 2 grandes études rétrospectives
[10, 11]. Dans le registre américain [10], 57 (17.5%) des 325 enfants atteints de BAVc sont
décédés, parmi lesquels 18 (31%) in utero
(probabilité de décès in utero de
6%). Pour un enfant né vivant, la
probabilité cumulée de survie à 10 ans
était de 86 %. La mortalité était d’origine cardiaque dans 70 % des
cas (n = 40) en rapport avec les complications d’une cardiomyopathie dans
37 cas, le rejet de la transplantation cardiaque dans 1 cas et les complications
du pacemaker dans 2 cas. Les autres décès étaient dus à
une infection dans 5 cas (8,8%) (virus respiratoire syncitial et pneumonie
bactérienne) et arrêt de grossesse en rapport avec une anasarque dans 4 cas
(7%). La cause du décès était
indéterminée dans 8 cas (14%). Dans cette série [10], Les
facteurs associés à la mortalité, quelle que soit la période envisagée, étaient
la présence d’une fibroélastose endocardique et d’une anasarque sur
l’échocardiographie fœtale ; cette dernière cause était également retrouvée
dans l’étude européanno-brésilienne [11]. Les facteurs de risque de mortalité in
utero, étaient l’anasarque et la précocité du diagnostic [10]. Ceux associés à un décès post-natal étaient l’anasarque et
un rythme ventriculaire bas [10]. Dans l’étude
multicentrique rétrospective européanno-brésilienne [11], 91% des 175 enfants sont nés vivants. Les facteurs
de risque de mortalité étaient un âge gestationnel de moins de 20 semaines au
diagnostic, un rythme ventriculaire inférieur à 50 battements/min, une fonction
ventriculaire gauche altérée et une anasarque [11].
La morbidité du BAVc est également sévère. Dans
le registre américain [10], à 1 an, 50% des enfants ont
eu l’implantation d’un pacemaker et 71% dans la
série européanno-brésilienne [11]), essentiellement dans le 1er mois de
vie, et 70% à 10 ans. Quatre enfants ont eu une transplantation cardiaque [10].
Autres manifestations cardiaques
-
Des BAVc du 1er ou du 2e degré ont été
rapportés chez les nouveau-nés avec parfois progression post-natale du degré du
BAVc [12], justifiant un ECG systématique chez les enfants nés de mère avec
anticorps anti-SSA/Ro.
-
Des allongements du QT corrigé et une bradycardie sinusale de résolution
spontanée chez des enfants sains par ailleurs, nés de mères avec anticorps
anti-SSA/Ro ont décrits [13] restent controversés [14].
-
Des
myocardiopathies dilatées tardives associées au BAVc de mauvais pronostic, ont
été rapportées avec une incidence variant de 5 à 11 % des cas de BAVC [15,16].
Ces myocardiopathies sont survenues malgré l’implantation précoce d’un
pace-maker chez des enfants qui avait une fonction ventriculaire normale à la naissance. Les
biopsies myocardiques ont montré une hypertrophie des myocytes et une fibrose
interstitielle [15]. Les
deux tiers des patients développent une insuffisance cardiaque congestive et
dans une série 50 % ont subi une greffe cardiaque. La mortalité dans une
autre série est de 60 %.Cette évolution péjorative justifie une
surveillance régulière de la fonction ventriculaire des enfants ayant un BAVc.
-
Des cas de fibroélastoses sans BAVc associés à des anticorps anti-SSA
maternels ont été décrits [17].
Manifestations
hépatiques
A l'aide du registre américain, Lee a colligé
19 cas d’atteinte hépatique du LN, probables ou possibles [18]. Trois formes
sont décrites :
-
une forme sévère (6 cas /19 dans
le registre américain) qui se traduit par une insuffisance hépatocellulaire entraînant
le décès in utero ou dans les
premiers jours [18]. Dans 4 cas, l’étude anatamo-pathologique évoquait celle de
l’hémochromatose néonatale. Dans 1 cas, il s’agissait d’une nécrose
hépatocytaire massive de coagulation.
-
Une forme essentiellement
cholestatique (5 cas/19), avec élévation de la bilirubine conjuguée, sans ou
avec une élévation modérée des transaminases. Elle est détectée dans les
premières semaines de vie et régresse spontanément.
-
Une forme cytolytique modérée
(transaminases à 2-3 N), isolée, découverte à 2-3 mois de vie avec une
évolution spontanément favorable.
Dans plusieurs cas l’atteinte hépatique était
isolée, le diagnostic de LN ayant été évoqué du fait de l’antécédent de BAV au
cours d’une grossesse antérieure. Cela suggère que l’atteinte hépatique du LN
est probablement sous-estimée. La recherche d’anticorps anti-SSA pourrait être
proposée en cas d’hémochromatose néo-natale. Une atteinte hépatique, conséquence
de l’atteinte cardiaque, doit être éliminé notamment dans les formes bénignes.
Manifestations
hématologiques
Il s’agit pour l’essentiel d’une neutropénie d’une
thrombopénie ou d’une anémie dont l’évolution se fait vers la régressions
spontanée et ne nécessite pas de traitement le plus souvent [3, 19]. La
fréquence des anomalies biologiques est très variable, 27% dans l’étude
prospective de Cimaz [3] et 13% dans celle de Motta [19]. Ces différences sont
probablement liées au moment de l’évaluation hématologique, vers 2-3 mois pour
Cimaz [3] et à la naissance pour Motta [19].
Manifestations neurologiques
Elles sont exceptionnelles et doivent être
acceptées avec réserves. Prendiville [20]
a exploré par tomodensitométrie systématique 10 enfants avec LN – un seul avait
des signes neurologiques et aucun n’avait de BAVc - et a retrouvé des anomalies
de la substance blanche dans 6 cas et des ganglions des ganglions basaux dans 2
cas.
Physiopathogénie
L’essentiel des études physiopathologiques
concerne le BAVc. Les données issues du modèle cardiaque ne sont pas forcément
extrapolables à toutes les manifestations cliniques du LN. Les observations cliniques suggèrent qu’il
existe in utero une progression des
lésions atrioventriculaires dans le temps avec constitution initiale d’une réaction inflammatoire myocardique qui se
complique ensuite par la fibrose du tissu de conduction, responsable de
l’installation d’un bloc auriculo-ventriculaire.
Pathogénicité des anticorps anti-SSA et/ou
anti-SSB
Le LN est considéré comme un modèle
d’auto-immunité passive acquise, les autoanticorps maternels étant présumés
responsables de l’atteinte fœtale [21]. Plusieurs éléments sont en faveur
de cette hypothèse :
-
association
quasi-constante entre la présence des anticorps maternels anti-SSA et anti-SSB,
parallélisme chronologique entre l’évolution des manifestations cutanées du LN et
celle des auto-anticorps,
-
élution
d’anticorps anti-SSA du coeur d’un
foetus atteint de BAVc [22],
-
mise en
évidence d’anticorps anti-SSB à la surface des fibres myocardiques d’un fœtus
atteint de BAVc [23],
-
induction
de BAVc du premier, deuxième ou troisième degré chez les souriceaux nés de
souris immunisées contre SSA/Ro et SSB/La [21, 24].
-
Induction
de BAV dans des modèles animaux par transfert passif d’anticorps dirigés contre
certains épitopes de SSA ou SSB [21, 25].
Même si tous les profils d’anticorps anti-SSA/Ro
ou anti-SSB/La ont été décrits en association avec le BAVc, des données
épidémiologiques et expérimentales suggèrent que seule la sous-population
d’anticorps anti-SSA dirigée contre la protéine SSA /Ro 52 kDa serait pathogène [21],
permettrait d’expliquer pourquoi seuls 2% des fœtus exposés développent un
BAVc. Salomonsson [26] a étudié 93 mères d’enfants atteints de BAVc et a
retrouvé des anti-Ro52 dans 95% des cas (88 ⁄ 93), des anti-Ro60 dans 63% (59 ⁄
93) des cas et des anti-La/SSB dans 58% des cas (54 ⁄ 93). La même équipe a montré [27] une association du BAVc avec des anticorps reconnaissant le peptide
200–239 de SSA 52kD appelé peptide p200, montrant, par ailleurs, que les
anticorps anti-p200 avaient la capacité de se fixer sur des cardiocytes de rat
en culture et d’entraîner des modifications des flux calciques. Ces auteurs ont
récemment décrit un modèle dans
lequel le transfert passif d’anticorps monoclonaux dirigés contre le peptide p200 induisait des BAV du 1er degré dans
100% des cas, contrairement à des anticorps dirigés contre d’autres peptides de
la même protéine [25]. Les sous populations d’anticorps prépondérantes pourraient être différentes
en fonction du type des manifestations viscérales [27].Ces données sont
cependant controversées. Les
analyses quantitatives des taux d’anticorps anti-SSA ou SSB n’ont donné lieu qu’à des résultats
contradictoires et on ne peut se baser sur les quantités d’anti-SSA 52kD ou
60kD et SSB 48kD pour prédire un BAVc ou un LN. Récemment
le groupe de Buyon a évalué la fréquence et le titre des anticorps anti-RO et
anti-p200 dans le sang de cordon ombilical de mères d’enfants avec un BAVc et
n’a pas trouvé de différence avec une population témoin [28].
Autres facteurs
Les anticorps anti-SSA/Ro, s’ils sont nécessaires,
ne sont cependant pas suffisants pour entraîner une atteinte cardiaque fœtale ;
puisque seuls 2 % des fœtus dont la mère a des anticorps anti-SSA/Ro sont
atteints et plusieurs paires de jumeaux discordants pour le BAVc ont été
décrites, suggérant l’intervention de facteurs supplémentaires maternels ou fœtaux,
intrinsèques ou extrinsèques.
Les études génétiques maternelles ou foetales
n’ont pour l’instant pas mis en évidence de prédisposition génétique non
controversée. Un polymorphisme du gène codant le TGFβ avait été rapporté
mas les résultats n’ont pas été
répliqués dans une étude de plus grande échelle [21]. Récemment,
Clancy et al. ont mis en évidence 2
loci de susceptibilité (6p21 and 21q22) par Genome Wide Association Study [29].
Dans l’attente d’une réplication, ces résultats, doivent être interprétés avec
précaution. De nombreux autres facteurs ont été proposés comme le polymorphisme des
récepteurs Fc, les infections virales, l’âge maternel lors de la
grossesse (le risque d’avoir un enfant atteint augmenterait avec l’âge) et
un taux diminué de vitamine D [21] .
Hypothèses physiopathogéniques
Les mécanismes par lesquels les anticorps
maternels entraînent une altération des voies de conduction chez l’embryon
restent incomplètement élucidés. Un modèle physiopathologique cohérent a
cependant émergé permettant d’expliquer comment les anticorps anti-SSA peuvent
induire un bloc de conduction.
La voie de l’apoptose
Les protéines SSA/Ro 60 kDa, SSA/Ro 52 kDa, et
SSB/La 48 kDa sont des protéines intra-cellulaires, nucléaires et/ou
cytoplasmiques. Leur liaison directe in
vivo par les anticorps anti-SSA et/ou SSB est donc en théorie impossible.
Le problème de leur accessibilité a été résolu par les travaux de
Casciola-Rosen sur les kératinocytes montrant la redistribution vers la surface
cellulaire de ces antigènes lors de la mort cellulaire par apoptose [30]. Cette translocation
à la surface des antigènes SSA/Ro et SSB/La existe également lors de l’apoptose
physiologique des cardiomyocytes fœtaux nécessaire au développement cardiaque
fœtal et permet la fixation des anticorps
anti-SSA et SSB à la surface des cardiomyocytes fœtaux [31]. Cette
liaison des anticorps anti-SSA et SSB
aux antigènes fœtaux a été démontrée in
vitro sur des cardiomyocytes en culture [31,32] et in vivo sur des modèles murins [33,34]. L’apoptose
des cardiomyocytes étant maximale lors du développement cardiaque, cela expliquerait
la chronologie du BAVc et pourquoi la
mère n’a pas de complications cardiaques alors qu’elle est porteuse des
anticorps pathogènes. La liaison des anticorps anti-SSA/Ro et anti-SSB/La aux antigènes fœtaux
initie une cascade inflammatoire caractérisée notamment par la sécrétion de TNF
par les macrophages [32]. Ces macrophages sont également susceptibles via la sécrétion de TGFb d’induire la transdifférentiation des cardiomyocytes en
myofibroblastes, avec formation d’un tissu cicatriciel [35]. La fixation
des anticorps anti-SSA sur les cardiomyocytes fœtaux apoptotiques entrave
également leur clairance par les cardiocytes « normaux » ce qui
amplifie la réaction inflammatoire et l’apparition d’un tissu fibrotique
[36]. Les
données autopsiques sont en faveur de cette hypothèse [37]. Dans le cœur des fœtus atteints de BAV, il existe une apoptose extensive
notamment dans les régions riches en tissu de conduction [37]. Les anticorps sont déposés autour des cellules apoptotiques avec des
macrophages et des cellules géantes à proximité [37]. Le tissu septal est parcouru par des travées de fibrose et des
microcalcifications contenant des myofibroblastes [37].
Réactivité croisée des anticorps anti-SSA
L’hypothèse
de la voie de l’apoptose ne permet pas d’expliquer l’effet très rapide
des anticorps anti-SSA sur la conduction cardiaque de cœurs perfusés. Des
hypothèses de réactivité croisée avec des antigènes du tissu conductif ont été
proposées. Eftekhari et al. ont montré que les anticorps dirigés contre les acides
aminés 365 à 382 de RO52 reconnaissaient également le peptide 165 à 185 du
récepteur sérotoninergique 5-HT4 cardiaque [38] et que des anticorps anti-5HT4
purifiés inhibaient l’activation induite par la sérotonine des canaux calciques
des cellules atriales [39]. Les souriceaux nés de souris immunisés par les
peptides issus de R052 ne développent cependant pas de BAV ce qui rend cette
hypothèse peu relevante [39] et les anticorps
anti-récepteurs sérotoninergiques cardiaques 5HT4 ne sont que rarement
retrouvés chez les nouveau-nés atteinte de lupus néonatal [40].
Une réactivité croisée vis à vis des canaux calciques de type L perturbant
ainsi localement l’homéostasie calcique a également été évoquée [41]. Dans un
modèle murin [41], les souriceaux transgéniques chez lesquels a été induite une
surexpression des canaux calciques de type L développent moins fréquemment une
bradycardie sinusale et un BAV que les souriceaux non mutés, lorsqu’ils sont
exposés à aux anticorps maternels anti-SSA/Ro-SSB/La. A contrario, les souriceaux dont le gène du canal calcique de type
L n’est pas exprimé développent une bradycardie sinusale et un BAV, suggérant
un rôle important de ce canal ionique.
Ces 2 hypothèses ne sont bien sur pas exclusives l’une de l’autre.
Traitement du lupus néonatal
Traitement du Lupus cutané
Le lupus cutané
néonatal régresse le plus souvent sans séquelles. Les dermocorticoïdes sont
suffisants ; il n’y a pas d’indication à une corticothérapie par voie
générale. L’éviction solaire pour les enfants de mère avec des anticorps anti-SSA/Ro
est conseillée et la photothérapie doit être utilisée avec précaution.
Traitement du Bloc auriculo-ventriculaire
Le BAVc justifie une approche thérapeutique double : prophylactique
et curative [42].
Traitement curatif
Lorsqu’un BAVc est détecté, il justifie une prise en charge
multidisciplinaire hautement spécialisée. Le traitement fait appel aux drogues
visant à accélérer le rythme cardiaque fœtal dont l’efficacité est modérée et
aux corticoïdes fluorés, dexaméthasone ou bétaméthasone, qui ont un passage
transplacentaire. En cas de bloc
auriculo-ventriculaire du second degré les données combinées des études du registre américain [10] et de l’étude
européanno-brésilienne [11] indiquent une tendance à l’amélioration du bloc [10,
11, 42]. Sept des 20 fœtus (35%) avec un
BAV du second degré exposés aux corticoïdes fluorés ont eu une régression complète
ou une évolution vers un bloc du 1er degré, contre 1 sur 16 (6,25%,
p = 0.053) pour ceux qui ne recevaient pas de corticoïdes [42].
Les BAVc incomplets, notamment ceux associés à une
myocardite ou à une fibroélastose, constituent pour beaucoup d’auteurs une
indication des corticoïdes fluorés.
La prise en charge des BAV du troisième degré
est beaucoup plus controversée. La régression du BAVc complet est
rarissime ; un seul cas de réversion d’un BAV a été publié [43]. Compte
tenu des complications liées à l’utilisation des corticoïdes pendant la
grossesse (diabète, hypertension, retard de croissance intra-utérin, oligoamnios) beaucoup d’auteurs préconisent l’abstention
thérapeutique ou un traitement de très courte durée. Une équipe canadienne a
cependant montré qu’un traitement par dexamethasone initié dès la découverte du
BAV complet jusqu’à la fin de la grossesse améliorait la survie à 1 an, et la
morbidité (moins de transplantation cardiaque et diminution du nombre de
myocardite, de fibroélastose et d’hépatite) [44]. Dans tous les cas de figures, une prise en charge spécialisée,
obstétricale et cardio-pédiatrique est indispensable, avec mise en place d’un
pacemaker si nécessaire. Un suivi régulier est indispensable compte tenu du risque de progression du BAV et
d’apparition d’une cardiomyopathie tardive.
Traitement préventif
Le traitement préventif s’adresse aux femmes porteuses d’un anticorps
anti-SSA dont seulement 1% d’entre elles (en l’absence d’antécédent de BAVc)
aura cette complication et surtout aux patientes avec un antécédent de BAVc
pour qui le risque de récurrence est de 20%. Le traitement prophylactique doit
de ce fait être parfaitement toléré. Pour cette raison, les corticoïdes fluorés
ne peuvent pas être proposés aux patientes sans antécédents de LN. En revanche,
une surveillance régulière du rythme cardiaque fœtal est indispensable pour
détecter le plus tôt possible les blocs auriculo-ventriculaire de faible degré
(surveillance échographique fœtale tous les 15 jours de la 16ème à
la 24ème semaine d’aménorrhée) et optimiser l’efficacité du
traitement curatif. La prednisone et la prednisolone sont inactivées par la 11βhydroxylase placentaire et
n’ont pas d’effet démontré sur le risque de BAVc ; elles sont souvent
prescrites pour la pathologie maternelle. Récemment, le rôle possiblement
protecteur de l’hydroxychloroquine a été souligné [45]. Enfin, un taux faible en vitamine D ayant été retrouvé pendant la
période de développement du BAV [46], il est raisonnable de proposer une
recharge en vitamine D dès le début de la grossesse. En cas d’antécédent de
LN, la surveillance échographique doit être hebdomadaire. L’hydroxychloroquine
pourrait également être intéressante pour diminuer le risque de récurrence [47].
En revanche, les immunoglobulines intra-veineuses n’ont pas d’intérêt [48]. Dans tous les cas
de figures, un ECG systématique doit être effectué à la naissance puis répété
dans les 3 jours.
Le suivi à long terme des enfants nés avec un LNN cutané
et/ou cardiaque montre qu’ils ne développent pas de maladie auto-immune.
Conclusion
Maladie rare mais sévère, le lupus néonatal est
mieux pris en charge en 2012. Sa physiopathologie est mieux appréhendée et
permettra à terme l’utilisation de nouveaux traitements.
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