D’après un entretien
avec le Dr Patrick Rouas/ Maître de Conférences à l’Université Bordeaux
Ségalen, Praticien Hospitalier au CHU de Bordeaux, chercheur permanent, au laboratoire
PACEA, UMR5199, Université de Bordeaux
L’augmentation de la fréquence des caries, et tout
particulièrement de la dégradation des premières molaires, est due à celle de
la précarité, du surpoids et de l’obésité dont la prévalence chez les enfants
de 3 à 17 ans s’élève à près de 18%. La bataille contre les caries de l’enfant
n’est donc pas gagnée. Outre les conséquences des problématiques sociales, le mode
d’alimentation, le grignotage et les boissons sucrées sont les pires ennemis
des dents des enfants. C’est la raison pour laquelle la lutte contre les caries
doit se faire dès le plus jeune âge. Celle-ci se prépare pendant la grossesse
par une bonne information des mamans, s’entretient avec les doses de fluor
adéquates et se gagne avec de bonnes habitudes d’hygiène et une alimentation
équilibrée.
Décryptage de l’état des connaissances de la
femme enceinte sur la santé bucco-dentaire de son futur enfant
80% des caries sont constatées chez 20% des enfants ! Ces
enfants polycariés sont parfois très jeunes. Leurs caries sont agressives et
les traitements sont difficiles. La précarité, l’isolement social, l’éclatement
des familles en sont les causes les plus évidentes. Celles-ci ont des
conséquences négatives sur l’hygiène bucco-dentaire et l’alimentation. Cette distribution
inégale de la maladie carieuse augmente insidieusement année après année malgré
les actions sanitaires, les campagnes d’information et d’éducation à la santé
buccodentaire conduites de concert par les autorités de santé et la profession
dentaire. D’autres facteurs peuvent être responsables des caries de l’enfant
notamment la contamination précoce, entre 6 et 18 mois, de la mère à l’enfant
qui est le plus souvent méconnue et sur laquelle les chirurgiens -dentistes
peuvent agir par une sensibilisation soutenue des femmes pendant leur
grossesse.
En effet, la grossesse est une période où les femmes
peuvent être plus réceptives aux messages d’hygiène bucco-dentaire. Elles sont
attentives à tout ce qui va dans le sens d’une meilleure protection de leur
futur enfant. Mais que savent-elles vraiment sur ce sujet ?
Un décryptage de l’état des connaissances de la femme
enceinte sur la santé bucco-dentaire de son futur enfant a été réalisé par les
chirurgiens-dentistes. Deux études réalisées entre 2012 et 2013, en
collaboration avec le service de maternité du CHU de Bordeaux (en cours de
publication dans la presse scientifique internationale) chez la femme enceinte
permettent de faire le point sur les connaissances de ces dernières concernant
l’éducation à la santé bucco-dentaire de leur futur enfant et de tester le
bénéfice d’une plaquette d’information qui serait délivrée à la maternité. Ces
études ont été élaborées à partir de questionnaires distribués aux femmes
enceintes. Ceux-ci, abordant les différents éléments de la santé
bucco-dentaire, ont permis de mettre en évidence les connaissances ainsi que
les lacunes. « Ce sont ces lacunes qu’il nous faut combattre en informant
ces femmes. Se pose ensuite la question du meilleur moment pour transmettre l’information…
en début de grossesse, l’impact serait faible… la fin de grossesse apparait comme
le moment idéal » explique le Dr Rouas.
Que révèlent ces deux études ?
A partir des 614 questionnaires analysés :
- 23% des femmes donneront un biberon contenant une substance
sucrée pour favoriser l’endormissement de l’enfant (ce comportement se retrouve
significativement chez les jeunes mamans et chez les non actives).
- Seulement 33% des femmes enceintes débuteront le brossage
des dents de leur enfant à l’âge de 6 mois.
- 22% iront consulter un chirurgien-dentiste au cours de la
première année, 53% s’en remettront à l’avis du pédiatre, 21% attendront la
première convocation au bilan buccodentaire de la sécurité sociale qui s’effectue
seulement à 6 ans, et 4% attendront l’apparition de douleurs…
- 83% des femmes ignorent le caractère transmissible de la
maladie carieuse ce qui engendrera des comportements à risque si aisément
évitables (gouter la soupe dans la cuillère de l’enfant, nettoyer la tétine de
l’enfant avec sa bouche…).
« On voit avec ces chiffres qu’il est
nécessaire d’informer, de sensibiliser et de motiver les femmes enceintes.
Elles ont un rôle essentiel vis à vis de leurs enfants en terme d’hygiène bucco-dentaire.
La maternité est le lieu idéal pour atteindre le maximum de femmes et avoir une
bonne écoute. Ensuite, il est presque trop tard… Les parents seront occupés par
l’arrivée du nouveau-né à la maison et l’aspect bucco-dentaire sera souvent
traité de manière secondaire » assure le Dr Rouas.
A savoir, quelques
informations utiles…aux mamans
_ Dès l’apparition des premières dents, un nettoyage
bi-quotidien devrait être réalisé par les parents, d’abord avec des compresses
puis au fur et à mesure de l’apparition des molaires de lait, à l’aide d’une
petite brosse à dent.
_ La contamination bactérienne précoce par streptocoque se
fait le plus souvent selon une transmission mère/enfant appelée transmission
verticale. Celle-ci est consécutive à certains comportements comme le partage d’une
brosse à dent, d’une cuillère, le rinçage de la tétine avec la bouche…
_ La consommation fréquente de biberons contenant des
liquides sucrés tels que les jus de fruits, les sodas ou le lait, y compris le
lait naturel qui contient du lactose, ainsi que l’allaitement tardif, dit « à
la demande », (l’enfant s’endormant au sein de sa mère) augmentent le risque de
développer des caries.
_ Le grignotage et les prises alimentaires ou
médicamenteuses fréquentes sous formes de sirops sucrés ou de granules
homéopathiques notamment, représentent un danger pour les dents de l’enfant.
Apparition d’une
nouvelle pathologie sur la dent de 6 ans : la MIH
La dent de 6 ans (première molaire permanente), pilier de l’arcade
dentaire fait son éruption dans la cavité buccale dans un contexte délicat :
elle apparait au fond de la bouche alors qu’aucune dent de lait n’est encore
tombée, son émail n’est pas totalement mature et se trouve donc plus
vulnérable. Trois années seront nécessaires pour qu’il atteigne sa maturité adulte.
Il est donc important de prendre soin de cette première dent définitive par une
bonne hygiène bucco-dentaire. Une anomalie de structure de l’émail dentaire,
appelée MIH, est constatée de plus en plus fréquemment (3 à 25% d’enfants
atteints) sur cette dent de 6 ans de manière plus ou moins sévère, associée
parfois à des stigmates sur les incisives permanentes. La cause en est à ce jour
inconnu…
Ainsi, de plus en plus de premières molaires permanentes
abîmées sont observées chez l’enfant. Cela pose des problèmes de stratégies de
prise en charge. Extraire ou conserver, d’autant plus si cette pathologie
participe à détériorer les autres dents définitives qui feront leur apparition
par la suite.
L’odontologie pédiatrique, en collaboration avec l’orthodontie,
peut alors permettre d’offrir une solution face au délabrement précoce de ces
dents de 6 ans. Néanmoins, le diagnostic précoce et la prévention des lésions
sont des actions plus efficaces. « Mieux vaut intervenir en amont et éviter
les dégâts » explique, le Dr Rouas On le voit à travers cet exemple, la
précocité de la prise en charge de l’enfant par le chirurgien-dentiste
conditionne son avenir bucco-dentaire. Malheureusement, c’est encore trop
tardivement, et dans le contexte d’une urgence, que s’effectue le premier
contact !
La protection de l’émail
par le fluor : les recommandations en 2013
L’utilisation quotidienne et à petites doses du fluor est
recommandée. Celui-ci a un effet protecteur vis à vis des caries. Le fluor
topique comme le dentifrice, favorise la résistance de l’émail. Ainsi, un
dentifrice fluoré peut être utilisé quotidiennement. Mais la quantité de fluor
doit être adaptée à l’âge.
Avant 7 ans des dentifrices dosés à 500 ppm sont indiqués,
entre 7 et 12 ans, à 1000 ppm, et à partir de 12 ans un dentifrice adulte est
conseillé. Le fluor par voie systémique sous forme de gouttes ou de comprimés
peut s’avérer nécessaire en complément du fluor topique dans les cas de hauts
risques carieux. Mais attention, un excès de fluor chez l’enfant peut causer
une pathologie appelée la fluorose. Celle-ci détériore l’émail sur lequel
apparaissent des colorations plus ou moins disgracieuses. Il ne faut donc pas
dépasser 1mg/24h. Pour plus de sécurité, un bilan fluoré doit être réalisé
avant toute prescription de produits fluorés.
Les acides : les
vrais ennemis des dents
La déminéralisation de l’émail génère la carie. Cette
déminéralisation produite par des acides survient quand le pH salivaire buccal
descend au-dessous de 5,5 (pH critique). Une nourriture trop riche en glucides
et des prises alimentaires trop fréquentes dans la journée sont en grande
partie responsables de la maladie carieuse. Le grignotage peut prendre diverses
formes. Par exemple, l’adolescent qui boit quelques gorgées de cola toutes les
heures a son pH buccal en permanence en dessous du seuil critique. Cela a pour
effet de rompre l’équilibre entre déminéralisation et reminéralisation au
profit de la déminéralisation.
« Aujourd’hui, tout est fait pour que nous soyons
exposés à de mauvaises habitudes alimentaires. Les canettes de cola sont
remplacées par des bouteilles de 50cl que l’on peut refermer et, par
conséquent, rouvrir régulièrement. La nourriture rapide est un phénomène de
société. Le sucre est omniprésent dans les produits alimentaires. Des
distributeurs de nourriture ou de boissons sont installés partout …
Conséquences, nous constatons de plus en plus souvent chez des jeunes, les
stigmates de l’érosion dentaire »
Ce sont les aliments renfermant du saccharose (jus de fruit,
sodas…) qui favorisent cette dégradation tissulaire. Les sodas ont un fort
potentiel érosif. Ils contiennent des additifs (E338 : acide phosphorique, E330
: acide citrique, E334 : acide tartrique), également présents dans les
confiseries. La plupart des sodas et des jus de fruits ont un pH compris entre
2,4 et 3,6, c'est-à-dire très acide. Il en est de même pour les boissons light.
Ce qu’il faut savoir
pour protéger les dents toutes neuves des enfants
_ Quatre repas par jour suffisent à l’enfant et entre les
repas, seule l’eau est bienfaitrice.
_ De nombreux sucres se cachent (le goût d’un aliment ne
suffit pas pour dire s’il contient
du sucre ou non). Les céréales, les chips ou le ketchup par
exemple contiennent de l’amidon
qui se décompose en sucre.
_ Limiter les apports en sucre et les consommer plutôt au
cours des repas.
_ La consistance des aliments est à prendre en compte. Une
nourriture molle et collante reste plus longtemps en contact avec les dents, ce
qui majore le risque de caries.
_ Le lait contient du lactose : par conséquent, il est
cariogène.
_ Consommer des aliments cariostatiques* comme le fromage
plutôt en fin de repas.
*Exemples d’aliments cariostatiques : le fromage, le
beurre, le cacao, l’eau, les céréales, certains fruits ou légumes comme la
pomme ou la carotte, etc.
En savoir plus
catherine.gros@prpa.fr
/ sophie.matos@prpa.fr
NDLR : MGEFI et
dentaire
Rechercher un professionnel de santé