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Académie nationale de Pharmacie
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« Épidémies,
vaccinations et société »
Vendredi 6 février 2015 de 14 h 30 à 17 h 00
Salle des Actes
Faculté des Sciences
Pharmaceutiques et Biologiques
Université Paris Descartes 4, avenue de l’Observatoire Paris 6ème
14 h 30 Accueil par Jean-Luc
Delmas, Président de l’Académie
nationale de Pharmacie et
Bruno Delmas,
Président de l’Académie des Sciences
d’Outre-Mer
14 h
40 Introduction
Pierre Saliou, Président Honoraire de l’Académie des Sciences
d’Outre-Mer
14 h 50 « L’élimination
de la rougeole et de la rubéole. Un sujet d’actualité ? »
Liliane Grangeot-Keros, membre de l’Académie nationale de Pharmacie
La rougeole et la rubéole sont généralement
considérées comme des maladies infantiles bénignes, mais de nombreuses
personnes peuvent être affectées quel que soit leur âge ; de plus, ces
deux infections peuvent avoir des conséquences redoutables : en 2013, 147
500 décès liés à la rougeole ont été recensés dans le monde et le nombre
d’enfants naissant chaque année avec une rubéole congénitale malformative est
estimé à environ 100 000. En France, près de 15 000 cas de rougeole
ont été recensés en 2011 et, même si le nombre de cas de rubéole a chuté de
façon significative au cours de ces dernière décennies, des cas sporadiques
sont rapportés chaque année chez la femme enceinte, dans notre pays. Pourtant,
des vaccins sûrs et efficaces contre la rougeole et contre la rubéole ont été
mis au point dans les années 60. Ainsi, au cours des campagnes de masse,
organisées dans la Région OMS des Amériques, qui ont permis de vacciner plus de
250 millions d’adolescents et d’adultes, aucune manifestation post-vaccinale
indésirable grave n’a été constatée. Par ailleurs, la vaccination
anti-rougeoleuse a permis d'éviter 15,6 millions de décès entre 2000 et
2013 et la vaccination anti-rubéoleuse à grande échelle, au cours de la
dernière décennie, a pratiquement permis d’éliminer la rubéole et le syndrome
de rubéole congénitale dans de nombreux pays développés. Cependant, pour
diverses raisons, la couverture vaccinale n’est pas optimale et beaucoup reste
à faire pour éliminer la rougeole et la rubéole au niveau mondial.
En avril 2012, l’Initiative contre la rougeole de
l’OMS– désormais Initiative contre la rougeole et la rubéole – a présenté un
nouveau plan stratégique mondial de lutte contre la rougeole et la rubéole pour
la période 2012-2020. Ce plan prévoit de nouveaux objectifs mondiaux pour 2015
et 2020 :
- d’ici fin 2015 :
· faire baisser le nombre de décès
attribuables à la rougeole dans le monde d’au moins 95% par rapport à
2000 ;
·
atteindre,
au niveau régional, les objectifs relatifs à l’élimination de la rougeole, de
la rubéole et du syndrome de rubéole congénitale.
- d’ici fin 2020
· avoir éliminé la rougeole et la
rubéole dans cinq Régions de l’OMS au moins.
Malheureusement, sur la base des tendances et des
résultats actuels, les experts mondiaux de la vaccination ont conclu que ce
plan ne sera pas atteint dans les délais prévus. Pour atteindre les objectifs
fixés, il faudrait que les pays et les différents partenaires en matière de
vaccination fassent davantage connaître l’objectif de l’élimination de ces
infections, surmontent les obstacles à la vaccination et consentent des
investissements additionnels substantiels et soutenus pour renforcer les
systèmes de santé et parvenir à un accès équitable aux services de vaccination.
15 h 20 « L’éradication
de la poliomyélite. Un sujet d’actualité ? »
Pierre Saliou, Président Honoraire de l’Académie des
Sciences d’Outre-Mer
En 1980, la
certification de l’éradication de la variole avait fait l’éclatante
démonstration qu’il était possible de vacciner toute la population du monde.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) préconisa alors un programme élargi
de vaccination universel (PEV) des enfants contre les 5 maladies les plus
meurtrières dans les deux premières années de vie (tuberculose, tétanos,
diphtérie, coqueluche, poliomyélite et rougeole) qui fut mis en place. Dans les
années 1980, la véritable euphorie entraînée par l’augmentation exponentielle
de la couverture vaccinale dans toutes les régions de l’OMS, incita l’Assemblée
Mondiale de la Santé (AMS) de 1988 à lancer l’Initiative mondiale d’éradication
de la poliomyélite, bien que cette maladie ait des caractéristiques
épidémiologiques qui rendraient cette éradication plus difficile que celle de
la variole.
Certes, il
existait deux excellents vaccins, le vaccin inactivé injectable (VPI de Salk)
et le vaccin vivant atténué oral (VPO de Sabin) qui fut choisi pour cette
initiative. La stratégie adoptée fut bien sûr la vaccination systématique des
nourrissons dans le cadre du PEV complétée par des journées nationales de
vaccination contre la poliomyélite, une surveillance biologique de tous les cas
de paralysies flasques aiguës et des campagnes d’immunisation « par
ratissage » autour des nouveaux cas confirmés. Les débuts de la campagne
furent spectaculaires. De 35 000 cas notifiés (35 0000 estimés) dans
125 pays endémiques en 1988, on passa à 784 cas notifiés dans 7 pays en 2003.
Deux évènements
vinrent alors entraver le bon déroulement de cette campagne : d’une part,
en 2004, l’appel à la suspension de la vaccination dans l’État de Kano au nord
Nigeria par des autorités irresponsables, entraînant une forte poussée épidémique
qui diffusa dans 14 pays africains n’enregistrant plus de cas et, d’autre part,
l’apparition dès 2000, mais surtout à partir de 2005, de formes paralytiques
dues à des poliovirus résultant de la recombinaison dans la nature de virus
vaccinaux avec d’autres entérovirus.
Lors de l’AMS de
2007, une résolution demandant l’intensification des efforts d’éradication a
été adoptée, sans date précise pour atteindre l’objectif. Cette intensification
a porté ses fruits. En 2012, il ne restait plus que 3 pays d’endémie, le
Nigéria, le Pakistan et l’Afghanistan contre 125 en 1988. Fin 2014, seulement
416 cas au total ont été déclarés à l’OMS.
Mais pour
atteindre l’éradication plusieurs arguments militent pour un abandon progressif
du VPO, en particulier afin d’éviter l’émergence de nouveaux virus pathogènes
dérivés des souches vaccinales, et son remplacement progressif par le VPI
partout dans le monde, parfaitement immunogène, pouvant être incorporé dans des
vaccins combinés et dont le coût est devenu très abordable.
Malgré toutes les difficultés, l’éradication de la
poliomyélite est possible. De nouveaux engagements financiers ont été pris
récemment et la date de 2018 pour atteindre l’objectif est maintenant avancée
par l’OMS.
15 h 50 « D’où
viennent les maladies émergentes ? »
François Rodhain, membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, 4ème section
(Sciences)
Les émergences de maladies
infectieuses paraissent, à nos yeux, plus fréquentes qu'autrefois ; elles
constituent aujourd'hui, pour les responsables de santé publique humaine ou
animale du monde entier, une préoccupation majeure. Aussi est-il important d'en
comprendre l'origine et les mécanismes, ainsi que le rôle joué par l'homme dans
la survenue brusque et généralement imprévue de ces phénomènes épidémiologiques.
Toute discussion sur les
facteurs en cause suppose que soit, au préalable, défini ce qu'il convient
d'entendre par "maladie émergente". Pour la plupart – pour toutes
peut-être – les maladies infectieuses émergentes trouvent leur origine dans le
monde animal, notamment dans la faune sauvage. Dès lors, un certain nombre de
conditions doivent être réunies pour qu'une émergence potentielle
"réussisse" : présence préalable ou introduction de l'agent
infectieux dans la région considérée, possibilités de franchissement de
barrières d'espèce, conditions bioclimatiques favorables, présence d'hôtes
adéquats réceptifs, éventuellement présence de vecteurs, etc. pour que puisse
se réaliser un cycle de transmission. Ceci nous amène à replacer la maladie
infectieuse dans son contexte naturel ; il s'agit avant tout d'une question
d'écologie.
À l'origine d'une émergence
se trouve un évènement biologique ponctuel et localisé, concernant soit un
micro-organisme infectieux (apparition d'un variant par mutation, franchissement
d'une barrière d'espèce, bio-invasion, …), soit un éventuel vecteur
(apparition d'un variant par mutation, bio-invasion, …), soit encore un hôte
vertébré amplificateur ou réservoir (pullulation soudaine, bio-invasion
naturelle ou anthropique, …).
Si, à cet endroit et à ce
moment, les conditions s'avèrent favorables, on peut assister à une
amplification et à une circulation de l'agent infectieux ; un foyer de
transmission s'installe, plus ou moins localisé. Peut ensuite survenir une
dissémination régionale, voire mondiale. Il est heureusement rare que ces trois
étapes soient franchies (les échecs, nombreux, nous demeurent généralement
inconnus) mais on perçoit bien l'importance d'une détection aussi rapide que
possible pour que l'on puisse intervenir avec des chances de succès.
Il existe certainement de
nombreux virus, parasites, bactéries circulant à notre insu dans la nature, en
attente de circonstances permettant leur émergence ; le plus souvent, ces
circonstances résultent des activités humaines (altérations des milieux
naturels, urbanisation, développement des transports et des échanges
commerciaux, accroissement démographique et changements de mode de vie, etc.),
aboutissant à des écosystèmes nouveaux. Nous nous trouvons là dans un contexte
bioclimatique mais aussi dans un contexte social, économique et politique.
D'autre part, le phénomène de l'émergence est par essence multifactoriel ; il
est le résultat d'une conjonction de facteurs.
Il faut reconnaitre que nous
sommes face à des systèmes biologiques extrêmement complexes et que,
malheureusement, un grand nombre de ces facteurs nous sont encore inconnus tant
est grande notre ignorance en matière d'écologie et de génétique des
micro-organismes infectieux. Parmi les facteurs d'émergence identifiés,
certains demeurent hors de notre portée ; d'autres, en revanche, nous sont
accessibles et devraient nous guider dans l'élaboration de plans de prévention.
L'attitude à adopter face
aux émergences de maladies infectieuses consiste à associer une surveillance
épidémiologique permanente, sensible et fiable, une communication rapide grâce
à des réseaux d'alerte mondiaux performants et l'élaboration de plans d'action
pré-établis pour des interventions ciblées. Pour ce faire, il est indispensable
de renforcer notre effort de recherche, en particulier dans les domaines de
l'écologie et de la génétique
16 h 30 « La vaccination, créatrice de lien social »
François Chast,
Président Honoraire de l’Académie
nationale de Pharmacie
La notion de
lien social est aujourd’hui inséparable de la conscience que les sociétés ont
du lien solidaire qui peut se créer entre les citoyens. La protection sociale
fondée sur la solidarité est ainsi devenue le pendant d’une approche
individuelle, la protection sanitaire et correspond à un contrat tacite qui lie
l’individu à la société comme un tout, notion aujourd’hui présentée comme le
« vivre ensemble ».
De ce point de
vue, aucun chapitre de la thérapeutique n’a tant fait pour harmoniser les
rapports entre l’individu et la société que la vaccination, non seulement parce
qu’elle réduit la morbidité et la mortalité, notamment infantiles, mais aussi
parce qu’elle place l’individuel et le collectif au centre d’un débat de
responsabilité réciproque.
Le développement
scientifique et industriel des vaccins, imaginé par Louis Pasteur fut, à la fin XIXème
siècle, prémonitoire d’une interaction sociale déterminée. La souscription
nationale destinée à « créer un établissement vaccinal contre la
rage », permit d'établir sans aucune ambiguïté, un lien fort
entre une nation prompte à s’enflammer et un objectif sanitaire
décrit avec simplicité. La survie des premiers rescapés de la
rage suffit à la République naissante pour "Panthéoniser" Pasteur et donner à la vaccination une
image populaire de réussite de la science mise au profit des plus humbles. La
République, déterminée à s’engager dans ce qu’on appelait encore la santé
publique, s'autorisa, sans se poser d'inutiles questions, à rendre
obligatoire le vaccin antivariolique, en 1902.
La découverte
des anatoxines diphtériques, tétaniques a permis à la pédiatrie
moderne de fonder, avant la Seconde Guerre mondiale, le principe de
la prévention des maladies infectieuses par une vaccination extensive
des enfants à un moment où les antibiotiques n’avaient pas encore
fait leur apparition. Mais alors que ceux-ci voyaient le jour au
milieu du XXème siècle, de nouveaux vaccins
entreprenaient, à partir des années
1950, une fructueuse croisade contre les maladies
virales : poliomyélite, rougeole, oreillons, rubéole et grippe.
La IVe République, marquée par la
reconstruction d’un pays fragilisé par Guerre, inscrivit
l’obligation de vacciner dans une politique globale de santé publique dont
la source légale pourrait être l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de
1946 : « garantir à tous, notamment à l’enfant,
à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé. »
Ces dernières
années, une communication officielle parfois défaillante, des
professionnels de santé souvent hésitants, des médias prompts à dénoncer
un « système de lobbys industriels », se conjuguent pour égratigner
l’image de la vaccination, comme les spéculations autour des adjuvants
ou d’hypothétiques effets indésirables. Cette contestation
bruyante contraste singulièrement avec la recherche (vainement attendue) de
nouveaux vaccins permettant l’éradication des maladies ayant émergé ces
dernières décennies : VIH, hépatite C, et plus récemment Ebola. Aucune
approche pharmacologique n’aura autant fait que les vaccins pour traiter ou prévenir les maladies
infectieuses et gommer les inégalités sociales ou culturelles face à
certaines maladies. Malheureusement, il n'existe pas de
vaccination pour prévenir les opinions publiques de la bêtise ou de
l'obscurantisme, et les guérir des attitudes irrationnelles ou
idéologiques face à la prévention des maladies infectieuses
16 h 50 Conclusions
17
h 00 Clôture
par Bruno Delmas, Président de l’Académie des Sciences
d’Outre-Mer et
Jean-Luc
Delmas, Président de l’Académie
nationale de Pharmacie