Nora ANSELL-SALLES

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lundi 18 janvier 2016

La chimie au service de la santé...

INNOVATION THÉRAPEUTIQUE et SANTÉ



INNOVATION THÉRAPEUTIQUE et SANTÉ
Le rôle de la chimie reste essentiel


L’apport croissant des biomolécules a pu éclipser la chimie thérapeutique traditionnelle, mais, compte tenu des coûts des médicaments dits « biopharmaceutiques », il est  probable qu’une chimie créative, ouverte sur la physique et la biologie, garde une place prépondérante dans la conception de nouveaux médicaments à l’horizon 2020-2030.
Par ailleurs, si certaines dérives dans la prescription des médicaments ont aussi contribué à se méfier de la chimie en dévalorisant  le  « médicament chimique », il est temps de  démontrer que la chimie reste incontournable comme source de médicaments à la fois très actifs, sûrs et généralement peu coûteux, et donc mieux adaptés aux besoins les plus larges en santé publique.

C'est toujours l'administration de molécules chimiques comme l’aspirine, le paracétamol ou encore la morphine qui soulage bien des patients...Mais, de nouveaux médicaments chimiques prennent le relais ... Les inhibiteurs de kinase en cancérologie, le sofosbuvir pour le traitement révolutionnaire de l’hépatite C, les nouveaux anticoagulants oraux comme le dagibatran et le rivaroxaban, sans oublier les contraceptifs oraux, l’AZT et autres traitement du SIDA utilisés dans les polythérapies, que l’étude de la constitution du virus et de son mode de multiplication a permis de mettre au point. Les immunoconjugués cytotoxiques comme le brentuximab védotine indiqué dans le cancer du sein HeR2 positif, ont également recours à la chimie pour concevoir et mettre au point la liaison adéquate entre l’anticorps monoclonal, ici le trastuzumab, et l’agent cytotoxique.

Les avancées considérables de la recherche en biologie de ces dernières décennies ont fait progresser très rapidement nos connaissances au niveau moléculaire, permettant ainsi aux chimistes d'intervenir de plus en plus aux différentes étapes de la recherche et du développement des médicaments.

Outre l'apport décisif des nanomédicaments dans l'administration mieux ciblée des médicaments, le criblage in silico permet de trouver des structures chimiques pour des cibles dont on ne connait pas de ligands mais aussi par des approches de prédictions ADME-Tox visent à minimiser les effets toxiques avant l’entrée en clinique et permettent aussi d’identifier les faiblesses potentielles des séries sélectionnées par criblage en  vue de leur optimisation

Par ailleurs, la chimie dite thérapeutique n’étant pas une science figée, un nouvel aspect a émergé voici quelques années, celui de la chimie biologique encore appelée chimie bioorthogonale, une chimie biocompatible et hautement sélective, qui peut prendre sa place dans un milieu biologique complexe, sans le dénaturer, afin de répondre à des questions biologiques en analysant les systèmes vivants au niveau moléculaire ou en les modifiant en interférant in vivo (modèle murin) pour bloquer l’activité biologique d’un médicament et favoriser son excrétion.

Autre aspect en pleine évolution, l’intervention des molécules chimiques capables de bloquer l’inflammation en amont d’une réaction immunitaire. un peptide susceptible d’intervenir au niveau du processus vital de la survie de la cellule, l’autophagie, un mécanisme cellulaire autocatabolique où certains composants intracellulaires sont engloutis et subissent une dégradation protéolytique. De ce fait, ce peptide représente un candidat médicament extrêmement prometteur pour traiter le lupus, une maladie auto-immune pour laquelle il n’existe à ce jour, que des traitements symptomatiques.

Enfin, la chimie de l’ADN et les inhibiteurs de télomérase. La télomérase, une enzyme présente dans les cellules souches, ainsi que dans certaines cellules du système immunitaire (les lymphocytes T en particulier) a pour rôle de maintenir, ou de rétablir, la taille des télomères qui assurent la stabilité des extrémités des porteurs de gènes, les chromosomes, eux-mêmes constitués d’ADN et de protéines. Le contrôle de l’activité de la télomérase est un enjeu thérapeutique en cancérologie. Certaines structures de l’ADN substrat et, en particulier, une conformation en quadruplexe, inhibent cette activité. En fixant des petites molécules chimiques sur les structures en G-quadruplexes, les chercheurs espèrent stabiliser ces structures et entraîner la destruction des cellules.




« La chimie au service de la santé »

Séance bi-académique


Mercredi 20 janvier 2016 de 14 h 00 à 17 h 00
Salle des Actes
Faculté des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques
Université Paris Descartes
4, avenue de l’Observatoire Paris 6ème

14 h 00     Accueil par      Claude Monneret, Président de l’Académie nationale de Pharmacie et
                                             Bernard Meunier, Président de l’Académie des Sciences
14 h 15         Introduction
Daniel Mansuy, membre de l’Académie des Sciences, membre associé de l’Académie nationale de Pharmacie
14 h 30     « Nanomédicaments et innovation thérapeutique »
Patrick Couvreur, Institut Galien, UMR CNRS 8612, Université Paris-Sud, membre de l’Académie nationale de Pharmacie
De nombreux médicaments ou candidats médicaments présentent des caractéristiques physico-chimiques peu favorables au passage des barrières biologiques qui séparent le site d’administration du site de l’action pharmacologique. Ces barrières mécaniques, physico-chimiques ou enzymatiques réduisent l’accès des principes actifs vers la cible biologique et provoquent des déperditions importantes de molécules actives vers d’autres tissus générant ainsi des effets toxiques parfois rédhibitoires. Ces problèmes peuvent être résolus par l’utilisation des nano-objets, d’une taille de quelques dizaines à quelques centaines de nanomètres, capables d’encapsuler les molécules pharmacologiquement actives.
C’est pour toutes ces raisons que le développement de nanomédicaments a pris un essor considérable au cours des dernières années. S’appuyant sur de nouveaux concepts physico-chimiques et sur le développement de nouveaux matériaux, la recherche galénique a permis d’imaginer des systèmes sub-microniques d’administration, éventuellement fonctionnalisés par des ligands spécifiques, capables : (i) de protéger la molécule active de la dégradation et (ii) d’en contrôler la libération dans le temps et dans l’espace. En associant un principe actif à un nanovecteur, le franchissement de certaines barrières peut aussi être facilité, le métabolisme et l’élimination du médicament freinés et sa distribution modifiée pour l’amener à son site d’action.
Les progrès réalisés dans le domaine de la conception de matériaux « intelligents » permettent enfin de préparer des nanosystèmes capables de libérer le principe actif en réponse à un stimulus endogène ou exogène : modification de pH, de force ionique, variation de température ou application d’un champ magnétique extracorporel, d’ultrasons ou de photons. Il est également possible de concevoir des nanomédicaments dotés d’une double fonctionnalité : thérapeutique et diagnostique (imagerie), par exemple, en rajoutant dans le cœur du nanovecteur un agent d’imagerie (gadolinium, particules ultrafines d’oxyde de fer etc.). Cette approche dite de « théranostique » ouvre la voie à une médecine plus personnalisée. Enfin, le concept de nanoparticules « multimédicaments » associe dans le même nanovecteur plusieurs molécules ayant une activité pharmacologiques sur des cibles biologiques différentes mais complémentaires.
15 h 00     « Intégration d’approches bio- et chemoinformatiques dans le processus de développement des médicaments de demain »
Bruno Villoutreix, Inserm, Université Paris Diderot
La développement d’un médicament est un processus complexe, extrêmement coûteux et risqué, caractérisé par un taux d’échec en phases cliniques d’environ 90%. Cette recherche nécessite une approche pluridisciplinaire et l’intégration de nombreuses technologies ; elle s’organise en plusieurs étapes : recherche de cibles potentiellement thérapeutiques, identification de petites molécules chimiques agissant sur ces cibles, études précliniques et essais cliniques. Plusieurs variantes à cette approche séquentielle sont aussi utilisées, mais, indépendamment du protocole choisi, le processus global reste à ce jour un véritable défi. 
Afin de faciliter la recherche de molécules innovantes, de nouvelles technologies ont été développées ces dernières années. Parmi elles les concepts issus de la bio-informatique et de la chémoinformatique sont devenus incontournables pour de nombreuses raisons : une réduction des coûts (estimée pour certaines étapes à environ 50 %-80 %), un gain de temps ou encore une génération rapide d’hypothèses novatrices en traitant des millions d’informations en seulement quelques heures.
Parmi les approches bio-informatiques, on note par exemple des méthodes qui vont permettre d’une part de prioriser une liste de cibles potentiellement thérapeutiques via des prédictions de « druggabilité » et d’autre part d’identifier des régions favorables à la fixation des petites molécules chimiques. Ces zones pourront ensuite être criblées par des approches de criblage virtuel, évitant ainsi certaines expérimentations et analyses longues et coûteuses. L’identification de petites molécules qui modulent l’activité d’une cible macromoléculaire dans un but thérapeutique intervient généralement après l’identification des cibles et va généralement faire appel à un criblage expérimental d’une chimiothèque comprenant plusieurs milliers de composés (entre 20 000 et 50 000 euros pour 50 000 composés testés). Cependant, dans de nombreux cas, ce criblage expérimental peut être réalisé in silico, particulièrement dans ces périodes de contraintes budgétaires, en utilisant des chimiothèques contenant plusieurs millions de molécules chimiques, permettant ainsi de balayer plus largement l’espace chimique (quasiment infini) pour ne tester expérimentalement au final que quelques centaines de composés. Comme dans environ 20-30 % des cas les produits chimiques seront abandonnés en raison de problèmes de biodisponibilité et de pharmacocinétique et dans 30-40 % des cas, en raison de la toxicité des composés ou à cause d’effets secondaires, le chercheur de médicament devra utiliser des approches de prédictions ADME-Tox expérimentales, et ce, très en amont du processus, or ces méthodes sont elles aussi particulièrement coûteuses et souvent de très bas débit. À ce stade aussi, les approches chémoinformatiques peuvent aider le processus et faciliter la préparation des chimiothèques en sélectionnant des molécules de qualité et en annotant les molécules probablement problématiques pour le développement, diminuant ainsi le nombre de tests expérimentaux à réaliser et dans certains cas réduisant l’expérimentation animale. Dans la même logique, les approches in silico peuvent faciliter la génération de chimiothèques enrichies en molécules possédant certaines propriétés physicochimiques et structurales et ainsi permettre la modulation de nouveaux mécanismes moléculaires comme par exemple les interactions protéine-protéine longtemps considérées comme impossibles à bloquer avec une petite molécule chimique. Ces interactions étant impliquées dans de nombreux processus cellulaires, ainsi que dans leur dysfonctionnement, moduler ces contacts protéine-protéine devrait permettre le développement de médicaments novateurs et plus abordables pour les systèmes de Santé que les produits biologiques utilisés actuellement ou en développement. Les approches bio- et chémoinformatiques vont aussi contribuer au repositionnement rationnel de médicaments existants. Ainsi, les approches in silico utilisées en combinaison avec les approches expérimentales vont aider à mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans les pathologies et contribuent à accélérer le développement de molécules thérapeutiques innovantes tout en diminuant les coûts.
15 h 30     « Le vivant comme milieu réactionnel. Vers le développement d’agents thérapeutiques chémo-activables » 
Alain Wagner, Université de Strasbourg
Le développement de réactions chimiques compatibles avec les constituants biologiques a connu un engouement croissant ces dix dernières années. Ces réactions peuvent être considérées comme bioorthogonales lorsqu'elles peuvent avoir lieu dans un milieu biologique complexe sans le dénaturer et bio-spécifiques lorsqu'elles ne modifient qu'une partie précise du milieu biologique. En intégrant des techniques chimiques, photophysiques et biochimiques, ces réactions biocompatibles ont rapidement ouvert la porte à de nouvelles méthodes d'exploration des phénomènes biologiques participant à la naissance et au développement de la biologie-chimique (chemical biology). Les progrès récemment réalisés dans le contrôle de ces réactions ont permis d’accroître la complexité des milieux d’étude, de la solution (in vitro) vers des milieux cellulaires puis des organismes vivants (in vivo), et d’étudier ainsi des processus biologiques jusqu’alors inexplorables
Les exemples d'approches chimiques pour intervenir directement sur ou dans le vivant se sont ainsi multipliés ces dix dernières années. Parmi eux, on peut citer plus particulièrement la modification site sélective de protéines, l'utilisation de sondes moléculaires pour l'étude ciblée de sous-protéomes, l'activation in vivo de composés toxiques pré-ciblés et le marquage in vivo de protéines mutées.
Dans le cadre de l'étude qui sera présentée nous avons pu montrer qu'il était possible, par le biais d'une réaction chimique, de modifier in vivo la structure moléculaire d'un médicament après son administration. Cette modification, réalisée sur un modèle murin (ou animal vivant) à l'aide d’un réactif chimique non toxique, a permis de neutraliser l'activité biologique de ce médicament et d'accélérer son excrétion. Cette étude illustre l'intégration dans le cœur de métier du chimiste d'une large palette de savoir-faire et de technologies nécessaires aux études de chimie in vivo (chimie analytique, chimie médicinale, pharmacologie, études métabolomiques, biologie cellulaire, développement de modèles animaux).
16 h 00     « Un rhéostat moléculaire pour corriger les états inflammatoires chroniques »
Sylvie Muller, Directeur de recherche CNRS, Professeur à l’Institut d’Études Avancées, Université de Strasbourg. Chaire Immunologie Thérapeutique, Directeur de l’UPR CNRS Immunopathologie et chimie thérapeutique, Institut de Biologie moléculaire et cellulaire, Strasbourg
Dans la très grande majorité des maladies autoimmunes et inflammatoires, il n’existe souvent aucun autre traitement possible que celui consistant à abaisser de manière générale l’ensemble des processus de la réponse immunitaire qui s’avère excessive. Il est fait appel à des corticoïdes et immunosuppresseurs qui, s’ils s’avèrent efficaces, engendrent aussi des effets secondaires néfastes. Les stratégies plus ciblées basées notamment sur des anticorps thérapeutiques ciblant des cytokines pro-inflammatoires restent également globales, non dénuées d’effets délétères à longs termes, contraignantes et chères. Les solutions d’avenir s’orientent dès lors vers le développement d’autres familles de médicaments, notamment des petites molécules  chimiques ou des peptides, davantage capables de bloquer l'inflammation en amont de la réaction immunitaire et qui sont en général très bien tolérées et sont non immunogènes. C’est l’illustration qui sera donnée en décrivant les effets du peptide P140/Lupuzor™ qui représente un candidat médicament extrêmement prometteur pour traiter le Lupus. Dans un essai de phase IIb incluant près de 150 patients lupiques, son efficacité a été démontrée en termes de répondeurs sur le plan biologique et clinique (62 % dans le bras actif contre 38% dans le groupe placebo). Aucun effet secondaire indésirable notable n’a été observé et un essai multicentrique de phase III vient de débuter en Amérique du Nord et en Europe.
Le mécanisme d’action du peptide P140 que nous venons d’élucider au laboratoire, touche un processus vital de la survie de la cellule, l’autophagie. Cet effet du P140 rompt le déroulé de la cascade cellulaire et moléculaire aboutissant à la production d’autoanticorps dont certains se déposent dans les tissus et déclenchent l’inflammation. Dans ce mécanisme très ciblé, le peptide P140 joue un véritable rôle de «rhéostat moléculaire». Nos efforts se portent à présent sur d’autres conditions pathologiques inflammatoires chroniques dans lesquelles ce processus d’autophagie est anormalement activé et dans lesquelles le P140 ou des analogues de ce peptide nominal, pourraient exercer une activité thérapeutique efficace, spécifique et sans risque. 
16 h 30     « Chimie des inhibiteurs des télomérases »
Marie-Paule Teulade-Fichou, CNRS, Institut Curie, Paris
À l’heure actuelle cibler l’ADN pour des thérapies anticancéreuses pourrait sembler au mieux relever du manque d’imagination au pire un combat d’arrière-garde considérant le  développement massif des thérapies dites ciblées via les inhibiteurs de kinases et les anticorps monoclonaux. Cependant l’efficacité des inhibiteurs de kinases est restreinte à certains cancers (GIST, leucémie myéloide chronique) pour des raisons largement inconnues. Par ailleurs la progression des cancers est un processus multi-étape complexe dont la pathogénèse moléculaire n’est pas liée à la modification d’une seule cible. Enfin il existe une grande diversité génétique dans les tumeurs humaines qui module la réponse aux traitements et induit une variabilité très importante d’un groupe de patients à un autre.  En conséquence les agents ciblant l’ADN, en combinaison avec les  anticorps, constituent toujours le traitement de première ligne des cancers.
Au niveau moléculaire, il semblerait que l’ADN, un récepteur « trop accommodant » du fait de sa structure polymérique répétitive n’ait pas livré tous ses secrets. En effet des observations récentes indiquent que la répartition des molécules sur le polymère ADN n’est pas aléatoire, [1]  qu’elle est fortement influencée par le contexte chromatinien et sa dynamique, qu’il existe des modes d’interactions inattendus,[2] ou encore que des ligands de haute affinité n’atteignent pas toujours l’ADN nucléaire en cellule vivante.[3] Ces observations résultent d’une part de l’utilisation de sondes chimiques performantes, des avancées en génétique moléculaire et d’autre part de la révolution technologique que représentent les séquenceurs de nouvelle génération (NGS). [4]
Dans ce contexte et à l’aide d’exemples récents les questions débattues seront les suivantes : Peut-on cibler régiosélectivement les séquences répétées d’ADN en utilisant des structures secondaires dites quadruplexes ? Quel est le potentiel thérapeutique de ce type de stratégie ?
[1]- R. Rodriguez, K. Miller Nature Review Genetics 2014, 15, 783-796.
[2]- M. Jourdan et al. Nucleic Acids Res. 2012, 40, 5115-5128.
[3]- a) B. Dumat et al. J.Am.Chem.Soc. 2013, 135, 12697-12706 .b) R. Chenouffi et al., Chem Comm. 2015, 51, 14881.            
[4]-a) L. Anders et al. Nature Biotechnol. 2014, 32, 92-96. b) C. Andhakumar et al. ; ChemBiochem. 2015, 16, 20-38.

17 h 00                             Conclusion par Claude Monneret, Président de l’Académie nationale de Pharmacie