LES
DEPENSES DE SANTE
MOTS-CLES : DEPENSES DE SANTE. ASSURANCE MALDIE
Health expenditures
KEY-WORDS : HEALTH
EXPENDITURES. NATIONAL HEALTH INSURANCE.
M. Huguier*[1]
Résumé
Les dépenses de santé peuvent être assimilées
aux dépenses de soins et biens médicaux. Leur montant s’élève à 175
milliards d’euros, financés par
l’assurance maladie (77%), les mutuelles ou les assurances complémentaires
(14%), et directement par les ménages (9%). Ces dépenses, sont constituées par les
hospitalisations (44%), les soins extrahospitaliers médicaux, dentaires et
para-médicaux (28%), les médicaments (20%) et quelques autres prestations (8%).
Leurs augmentations ont comme principales raisons le progrès médical et le
vieillissement de la population. D’autres facteurs sont plus maîtrisables :
l’offre de soins, le coût pour les patients, la formation et l’information du
public, la formation des médecins prescripteurs. La France est le pays d’Europe
qui consacre le plus fort pourcentage de son PIB aux dépenses de soins (9,2%)
alors qu’il se situe entre 7% et 8% en Suède, en Allemagne ou en
Grande-Bretagne, ce qui représente un différentiel d’environ 18 milliards.
L’augmentation du coût des soins et biens médicaux est particulièrement marquée
en France, même si elle s’est un peu atténuée en 2011. Il existe surtout un
déséquilibre chronique entre le financement et les dépenses aboutissant à un
déficit cumulé qui n’est pas loin d’atteindre
100 milliards.
Dans un premier temps nous pouvons et nous devons gagner beaucoup en
efficience. Ensuite, ou bien nous voulons préserver notre système de protection
sociale et il sera nécessaire d’en réformer le financement, ou bien la priorité
sera de maintenir son mode de financement et la protection sociale s’altérera
peu à peu.
Summary
Health
expenditures are care and health goods. Total cost adds up to 175 billions of euros,
financed by public health insurance (77%), friendly or insurance
companies (14%) and individuals (9%) These expenditures are made up of cost of hospitalisation (44%), out hospital
medical, dental and paramedical cares (28%), drugs 20%) and some other
deliveries (8%). The main factors of increasing costs are medical progress and ageing process. Other factors are more easily
controlable : health supply, costs for patients, public education and
information, and training of physicians. Among European countries, France
dedicates the higest percentage of gross national product to health
expenditures (9,2%) while they amount to
7% to 8% in Sweeden, in Germany or in Great-Britain, that account a difference
of about 18 billions. Increasing cost of care and health goods have specially
great effect in Fance. There is almost a chronic imbalance between ressources
and expenditures leading to a cumulated budget deficit of 100 billlions.
For now, we have and we must to get
greater efficience. Afterwards, either we want to preserve our care protection system and it
will be necessary to reform
financial supplies, or priority will be to maintain financial system and care
protection will graduallly deteriorate.
Tous les pays du monde sont
confrontés aux problèmes posés par l’augmentation des dépenses de santé que les
économistes appellent « de soins
et de biens médicaux » [1]. Il convient de les différencier des
« dépenses totales de santé »
qui incluent, en plus, les soins en établissement des personnes âgées, les
dépenses de recherche et de formation, les indemnités journalières en cas
d’arrêt de travail pour maladie ou maternité.
Les objectifs de cette information sont de rappeler 1) comment ces
dépenses sont financées, 2) comment se répartissent les principaux postes de
dépenses (tableau 1), 3) quels sont les facteurs qui influencent la
consommation médicale.
Nous évoquerons ensuite quelques comparaisons avec d’autres pays et les
déficits abyssaux de l’assurance maladie, qui nous paraissent obérer lourdement
l’avenir.
Nous rappellerons enfin quelques propositions de la commission Assurance
maladie de l’Académie pour gagner en efficience [2].
Le financement des dépenses de santé
En France, les dépenses de santé en 2010 se sont montées à 175 milliards
d’euros, soit près de 2 700 euros par personne. Leur financement se
répartissait ainsi : assurance maladie 77%, mutuelles ou assurances
complémentaires 14%, et directement les ménages 9%. Ceci ne représente qu’une
moyenne. Les affections de longue durée, par exemple, sont prises en charge à
100% par l’assurance maladie[2]. Il en est de même de la
plupart des hospitalisations en dehors du forfait hospitalier, ce qui explique
que, si l’hospitalisation constitue 44% des dépenses de santé, elle représente
près de 50% des dépenses de l’assurance maladie. A l’inverse, certains
médicaments à service rendu faible, les soins dentaires, l’optique, sont
peu remboursés par l’assurance maladie, mais plus ou moins par les mutuelles ou
les assurances selon les termes du contrat qui a été souscrit. Quoi qu’il en
soit, des pays de l’OCDE, la
France est celui dans lequel le niveau de prise en charge
publique des dépenses de santé est le plus élevé.
Les principaux postes de dépenses
Ces dépenses, sont constituées par les dépenses d’hospitalisation (44%),
les soins extrahospitaliers médicaux, dentaires et para-médicaux (28%), les
médicaments (20%) et quelques autres prestations (8%).
Les facteurs qui déterminent les coûts de la « consommation
médicale »
Dans l’évolution des dépenses deux facteurs ont un rôle majeur: le progrès
médical et l’âge.
Le progrès médical est le facteur qui influence le plus la
progression des coûts. Il a plusieurs composantes.
1) Les innovations diagnostiques et thérapeutiques élèvent le coût
unitaire de traitement des maladies. Ainsi les chimiothérapies plus efficaces
et mieux supportées dans le traitement des cancers sont de plus en plus
onéreuses[3]. De façon générale, les
industries biomédicales et pharmaceutiques développent des offres
technologiques toujours plus sophistiquées, mieux diffusées et plus coûteuses.
Mais les coûts unitaires des nouveaux traitements a tendance à diminuer avec le
temps comme le montre l’exemple des médicaments génériques.
2) L’amélioration du pronostic des maladies prolonge la durée de leurs
traitements et des coûts qu’elle suscite[4].
3) Les progrès médicaux sont de mieux en mieux connus et, de ce fait,
l’ensemble de la population y a de plus en plus largement recours. Par exemple,
en Grande-Bretagne, de 1990 à 2006 les opérations pour cataracte pour
100 000 habitants sont passées de 200 à 600. La même évolution a été
observée en France sur une période très limitée, ce qui prouve que le phénomène
n’est pas seulement lié au vieillissement de la population.
En effet, l’âge est un second facteur d’augmentation de la consommation
médicale, surtout au-delà de 60 ans. Cela s’explique par le cumul
des affections avec les ans. A un problème cardiaque, vient s’ajouter un
trouble endocrinien ou respiratoire, puis une affection neurologique, maladie
d’Alzheimer ou accident vasculaire cérébral, etc. En 2 000, les dépenses
de santé annuelles étaient de l’ordre de 1 000 euros entre 10 ans et 40
ans, de 1 500 euros vers 50 ans, de
2 500 à 60 ans, pour s’élever à 3 500 euros à 70 ans [3].
Age et progrès médical se conjuguent souvent[5].
D’autres
facteurs jouent un rôle sur le volume et le coût des soins, et sont mieux
contrôlables.
L’offre. Plus
l’offre est importante, plus la consommation médicale s’élève. Une étude de la Caisse nationale
d’assurance-maladie, publiée en 2009, comparant les régions en France, a montré
que, dans les régions où les densités médicales étaient les plus fortes, les
consommations de soins y étaient également les plus élevées, mais sans que
l’état de santé de la population y soit meilleur. Cela est aussi vrai pour les
examens biologiques ou radiologiques : une offre importante favorise la
surconsommation.
Les
coûts et le financement. Les modalités de financement jouent, elles aussi, un rôle
déterminant dans la consommation médicale. Deux exemples sont démonstratifs à
cet égard : 1) Une mutuelle a comparé, à âge et sexe similaires, deux
sous-groupes, l’un remboursé à 70%, l’autre à 100%. Le nombre d’actes médicaux
a été supérieur dans ce dernier, de 17% par rapport au premier. 2) Un deuxième
exemple est plus récent. En 2003, l’augmentation du tarif de consultation à
domicile a fait baisser leur nombre de 22,5%.
Enfin, la formation et l’information du public sont essentielles.
Elles rendent compte des attentes de la
population. Le rôle des médias (presse, télévision, internet), informant
des progrès médicaux développe la demande des patients. Les articles qui
vantent l’apport de tel ou tel examen biologique, radiologique, ou de telle
nouvelle technique de soins sont inflationnistes. Si nos concitoyens sont
aujourd’hui beaucoup plus informés que par le passé, c’est un fait heureux. Néanmoins
ils sont souvent mal informés, voire désinformés.
Un autre facteur de consommation ou de surconsommation médicale est, dans
le domaine médicamenteux, l’abaissement du seuil de tolérance des patients
(douleurs peu intenses, troubles du sommeil etc.). C’est ce qui a été appelé,
de façon générale, les non-maladies (non-diseases : ennui,
lassitude, tristesse etc.) [4]. Ainsi, le recours aux soins s’est peu à peu
transformé en consommation médicale, le patient en usager et le médecin en
prestataire de service.
Les
médecins prescripteurs ne sont pas toujours assez
conscients de leurs responsabilités. Ils prescrivent largement en raison d’une
demande de plus en plus exigeante des patients pour se faire faire des examens
biologiques ou radiologiques au moindre symptôme [5]. Ils le font encore pour
ne pas passer à coté de quelque chose de grave en oubliant parfois que,
derrière chaque acte, il y a un coût.
Le surdiagnostic et la non-qualité contribuent aussi à l’escalade des
dépenses de santé. C’est le cas, par exemple chez des malades âgés, de petits
cancers de la prostate qui ne mettent pas en jeu le pronostic vital. Mais si la qualité a un coût, la non-qualité
coûte encore plus cher sous le double aspect humain et économique : par
ses errances diagnostiques et le déploiement aveugle d’examens inutiles,
coûteux, parfois dangereux [6] ; mais aussi par le fait de traitements
inappropriés et d’accidents thérapeutiques évitables.
Les aspects
positifs du coût des soins et biens médicaux
Il ne faut cependant pas perdre de vue les aspects positifs des dépenses
de santé. Elles contribuent largement, dans les pays qui ne sont pas en
conflits et qui ont atteint un certain niveau d’hygiène et d’alimentation, à
augmenter l’espérance de vie. Cette espérance de vie en bonne santé, est de 75
ans au Japon, de 73 ans en France et en Australie, de 70 ans aux USA.
Par ailleurs, les dépenses de santé participent à l’activité économique.
En France, elles rémunèrent 350 000 médecins, pharmaciens, dentistes,
sages-femmes, 500 000 infirmières, 70 000 kinésithérapeutes,
100 000 personnes dans l’industrie pharmaceutique.
Quelques comparaisons internationales
L’augmentation du coût des soins et biens médicaux est particulièrement
marquée en France, en moyenne de 4,4% par an de 1999 à 2004, alors qu’elle
n’était que de 2,7% au Japon et de 1,9% en Allemagne. De 2005 à 2009, elle a
encore progressé de 3,7% par an.
Des déficits abyssaux
Les dépenses de santé augmentent proportionnellement plus vite que les
ressources de l’assurance maladie, principal financeur, ressources basées sur
l’évolution des salaires et de la richesse nationale. Ainsi, le déséquilibre
est d’autant plus marqué en période de chômage et de stagnation
économique.
Cela explique qu’en 2006, la dette cumulée de
l’assurance maladie se soit montée à 76 milliards auxquels s’ajoutent près de
20 milliards pour les trois années suivantes et autour de 15 milliards par an pour
les deux dernières années.
Un éditorialiste économique a pu écrire « la
rétrospective est atterrante, la prospective est terrifiante »[6].
Que faire ?
Le fait que nous consacrions aux dépenses de
santé au moins 1% de PIB (environ 18 milliards) de plus que nos voisins, qui ne
se portent sensiblement pas plus mal que nous, prouve que nous pouvons beaucoup
gagner en efficience. Cela a fait l’objet des propositions concrètes de la
commission Assurance maladie de l’Académie[7].
Elles concernaient essentiellement les affections de longue durée,
l’hospitalisation, le médicament, le service médical des caisses, l’institution
d’un ticket modérateur modulé d’ordre public, le contrôle des moyens affectés à
la santé, et la santé publique [2]. Le
bon usage des explorations et des traitements a fait l’objet de propositions[8]
dont la portée est limitée, notamment par le fait qu’elles ne soient pas
opposables.
Mais en tout état de cause, les coûts des soins et des biens
médicaux continueront à augmenter plus vite que les ressources de l’assurance
maladie, essentiellement du fait des progrès de la médecine et du
vieillissement de la population. Le dilemme sera alors le suivant : ou
bien nous tenons à préserver notre système de protection sociale auquel nous
sommes, à juste raison, très attachés et il sera nécessaire d’en réformer le
financement ; ou bien la priorité sera de maintenir son mode de
financement et la protection sociale s’altérera peu à peu. La part des
mutuelles et des assurances complémentaires s’amplifiera progressivement. Cela entraînera,
de façon bien compréhensible, à la fois des contraintes pour les usagers comme
en Grande-Bretagne et des exigences de rentabilité pour les assureurs comme aux
Etats-Unis.
Références
1. Prieur C. Financer nos dépenses de santé. Que faire ?
Paris : L’Harmattan, 2011:283 pages.
2. Milhaud
G, Huguier M, Rossignol C, Tillement JP, Ambroise-Thomas P, Lagrave M, Denoix
de Saint Marc R. Propositions pour une réforme de l’Assurance maladie. Bull
Acad Natle Med 2011;195:1121-32.
3.Dormont B, Grignon M,
Huber H. Health expenditure growth : reassessing the threat of ageing. Health Economics 2006;15:947-63.
4. Carli P, Graffin B, Gisserot O, Landais C, Paris JF. Les
non-maladies : un autre domaine de l’interniste. Rev Med Int 2008;29:122-8.
5. Palfrey S. Daring to practice
low-cost medicine in a high-tech era. New England J Med ; 2 mars 2011.
6. Mornex
R. Pour une stratégie des examens paracliniques. Nouv Presse Med 1977;6:1725-8.
Tableau 1. Financement
et répartition des dépenses de santé (175 milliards en 2010).
Financement des soins et biens
médicaux
Assurance maladie * 76%
Mutuelles, assurances 14%
Ménages 10%
* Ce financement par
l’assurance maladie est une moyenne. Il va de 100% pour les affections de
longue durée à 55% pour les soins de ville et à 0% pour certains médicaments.
Financement de l’assurance
maladie
Cotisations
sociales 63 %
CSG 37 %
Taxes 10 %
Prestations
Hospitalisation
44 %
Soins ambulatoires
28 %
Médicaments 20 %
Divers 8 %
|
[1] Membre de l’Académie
nationale de médecine.
[2] Sauf
les franchises instituées en 2008 sur les boîtes de médicament, les actes
para-médicaux, et les transports sanitaires
[3] Par exemple, Une étude de l’Institut Curie a montré
que, pour les cancers du sein dans les années 80, le coût de six mois de
traitements était d’environ 150 euros ; au début des années 90, il était
estimé à 760 euros ; et en 2002, avec les traitements par un anticorps
monoclonal, il s’élevait en moyenne à 18 000 euros, toujours pour une
durée de six mois.
[4] Par exemple, après un infarctus du myocarde la
diminution de la mortalité a pour conséquence l’institution de traitements à
vie de type divers : antiagrégant plaquettaire, bétabloquant, inhibiteur
calcique, antagoniste des récepteurs de l’angiotensine, hypocholestérolémiant
et l’association des uns et des autres.
[5] Un exemple caractéristique est celui de la
dégénérescence maculaire de la rétine. Elle atteint un million de Français.
Liée à l’âge, ce chiffre devrait doubler d’ici 2030. Il n’y avait aucun
traitement il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, une injection
intra-orbitaire d’anti-VEGF coûte près de 2 300 euros. Mais, autre
conséquence du progrès, des traitements moins onéreux sont sur le point
d’apparaître.
[7] Rappelons que ces
propositions ont résulté de 32 séances de travail et de l’audition, inter
alii, de deux anciens premiers ministres et de cinq anciens ministres de la
santé.
[8] Par
trois structures successives, mises en place depuis 1980 : l’Agence
nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM), l’Agence
nationale d’accrédiation et d’évaluation en santé (ANES), et la Haute autorité de santé
(HAS).