L’Académie nationale de médecine
ne peut rester insensible aux espoirs suscités chez les patients souffrant de
sclérose en plaques par la publicité faite autour d'effets remarquables attribués
au Sativex. Cette association de deux principes actifs du chanvre
indien/cannabis - le tétrahydrocannabinol
(THC) et le cannabidiol (CBD) - agit sur
des symptômes qui, insuffisamment soulagés par les médicaments disponibles, altèrent
gravement la qualité de vie. Toutefois l’Académie met en garde ces patients et
les médecins prescripteurs contre les effets adverses avérés du THC, notamment
au plan psychique.
En effet, l'Académie rappelle
qu'en ce qui concerne l’état des connaissances relatives au cannabis et à
ses constituants, aucun progrès significatif dans le domaine de leurs
intérêts thérapeutiques allégués n’est apparu récemment, alors que les
connaissances de leurs effets adverses se sont précisées et multipliées. L’évolution de la législation en faveur de
leur inscription comme agents thérapeutiques ne
semble pas justifiée pour des raisons pharmaco-thérapeutiques.
Non seulement les bénéfices potentiels du THC sont tous
modestes, sans exception, mais on dispose de vrais médicaments plus
efficaces pour chacun des bénéfices attendus. En revanche, les risques que fait
courir le tétrahydrocannabinol / THC
sont très nombreux, souvent graves et incompatibles avec un usage thérapeutique.
Toutefois, on peut s'étonner, sur le plan pharmacologique, de voir associés le
THC, dans une proportion mal justifiée, et le CBD, au mécanisme d’action
incertain, afin d’amoindrir les méfaits du THC.
L'Académie précise que, sollicitée
pour avis par la Direction Générale de la Santé, le 7 janvier 2013, elle s'était
prononcée contre le projet du décret, néanmoins
adopté le 5 juin dernier, ouvrant la possibilité d'une commercialisation en
France de médicaments dérivés du cannabis ; son opposition était justifiée par les raisons suivantes :
- Ce décret ne fait aucune
distinction entre les très nombreux cannabinoïdes que recèlent, en proportions très différentes, les diverses
variétés de cannabis. Les médicaments
modernes évitent justement les extraits de plantes leur préférant un de leurs
principes actifs, à condition qu’il présente une supériorité par rapport aux médicaments
existants. Le plus documenté, le plus abondant, et le plus puissant des cannabinoïdes est, de très loin, le tétrahydrocannabinol,(THC).
Or, il s’agit d’un agent toxicomanogène, générateur d’une dépendance psychique
et physique.
- La pharmacocinétique très singulière du THC est liée à son stockage intense et très
durable dans les lipides de l’organisme, en particulier cérébraux, ce qui rend
son utilisation complexe parce que ses effets sont prolongés, difficiles à prévoir
d’un sujet à un autre, et qu’ils
favorisent le développement d’une dépendance.
-Une dépendance physique
est avérée, quand bien même le syndrome de sevrage n’est pas bruyant, eu
égard à la persistance très longue du THC dans l’organisme. Après l’arrêt
total d’une consommation régulière de cannabis/THC, il faut attendre près de 8
semaines pour ne plus retrouver de dérivés cannabinoïdes dans les urines du
consommateur, ce qui est une situation exceptionnelle pour un médicament.
- La simultanéité des activités
multiples et imbriquées du THC est incompatible avec une logique thérapeutique qui s’efforce de viser un effet
unique. L’effet analgésique recherché est de puissance moyenne, nettement inférieure
à celle des analgésiques opiacés et opioïdes actuellement disponibles. Il est
en outre de longue durée, ce qui facilite le développement d’une tolérance
ainsi que d’une addiction, incitant à accroître la dose, inconvénient que n’ont
pas les analgésiques les plus récents, sélectionnés pour leurs effets de courte durée, afin éviter le développement
d’une tolérance et d’une toxicomanie.
-Des interactions médicamenteuses
nombreuses et gênantes. Le THC potentialise les effets de
l’alcool, des benzodiazépines et d’autres sédatifs et/ou hypnotiques, y compris
le reliquat matinal de certains de ces derniers. Il est incompatible avec la
conduite automobile, qu’il soit administré isolément ou plus encore en
association aux agents précédents.
- Des effets indésirables graves et créant des
situations à risque. Ses relations avec le développement de troubles
anxieux et dépressifs, lors d’un usage semi-chronique et plus encore chronique,
sont désormais établies et mieux comprises. Son usage chronique aboutit à une
diminution marquée des capacités intellectuelles. En effet, la durée prolongée
de l'action du THC favorise à court et à long terme le développement de
troubles cognitifs. Enfin, il ne faut pas oublier sa responsabilité dans le développement
d’un type agressif de cancers du testicule,
la diminution de la testostéronémie qui perturbe la libido, ses effets
immunodépresseurs et cardio-vasculaires,
et son implication dans la gestation, avec des risques d'anomalies pour l’enfant
à naître.
L'Académie de médecine rappelle
que l'autorisation de mise sur le marché (AMM) qui vient d'être accordée au
Sativex ne constitue nullement une légalisation du cannabis thérapeutique en
France. Utiliser la plante
dans des préparations magistrales, tout comme fumer la plante (marijuana) pour
soulager des douleurs restent interdits.
Enfin, l'Académie met en garde
contre les risques de détournement d'usage du Sativex, malgré les nombreux
garde-fous imposés par l’autorisation de mise sur le marché en matière
d'indications et de conditions de prescription. En effet, si le cannabis en
spray ne devrait pas intéresser les fumeurs de joints, on peut craindre la
multiplication de prescriptions hors AMM à divers usages comme sevrer les
toxicomanes, atténuer les nausées des malades
traités par chimiothérapie, rendre l’appétit
aux malades atteints de SIDA, toutes indications largement plébiscitées dans
l'opinion, mais dont il convient de rappeler qu'elles ne sont pas étayées par des études cliniques indiscutables.