Editorial
du Professeur Jacques Bringer
Co-président
du Comité d’organisation du Congrès de la Société Francophone du
Diabète
Chef
de service des maladies endocriniennes Hôpital Lapeyronie - Montpellier
ADA / EASD Statement vs Recommandations HAS :
convergences
et divergences ?
Professeur
Bernard Charbonnel
Professeur
d’Endocrinologie, Université de Nantes, reviewer français du Position
Statement
ADA/EASD 2012
Le pancréas artificiel dans le diabète de type 1 :
c'est pour demain ?
Professeur
Éric Renard
Coordonnateur
du département d'endocrinologie-diabétologie-nutrition
CHU
de Montpellier
Co-président
du Comité d’organisation du Congrès de la Société Francophone du
Diabète
La chirurgie bariatrique : un traitement prometteur
du diabète de
type 2
Professeur
David Nocca
Directeur
du Centre Spécialisé obésité Languedoc Roussillon
Chirurgien
digestif au CHU de Montpellier
Focus sur …
Professeur Michel Marre,
Président de la Société Francophone du Diabète
La Société Francophone du Diabète : garante de la
qualité des
pratiques et de la progression des savoirs dans le
diabète
Le Congrès SFD 2013 : un temps fort pour la
communauté
francophone, qui mêle réflexion sur les pratiques
et innovations
autour du diabète
Accueilli en 2013
à Montpellier, le congrès annuel de la Société Francophone du Diabète va
rassembler près de
4 500 participants - cliniciens, chercheurs, soignants, patients - venant
d’horizons divers
de la francophonie : l’Europe (France, Suisse, Belgique), le Canada
français, le
Maghreb, le Liban et l’Afrique subsaharienne. Ils vont confronter leurs
expériences,
mutualiser leurs expertises, soutenir ou créer des réseaux de coopération et
lancer des projets
de formation en direction des professionnels des pays les moins bien
pourvus.
Le diabète : un enjeu humain et sociétal de taille
Le diabète est une
des principales maladies chroniques dans le monde. En France, le
nombre de patients
bénéficiant d’un traitement remboursé par l’assurance maladie s’élève à
2,8 millions de
personnes, pour un coût de l'ensemble des soins aux diabétiques de
17,7 milliards d’euros
en 2010, c’est-à-dire presque le double de celui de 2001. Les
prévisions les
plus pessimistes ont été dépassées. Si la progression annuelle de 5,6 %
observée se
maintient, le nombre de diabétiques en France sera de 4 millions en 2017.
Les causes de
cette augmentation en sont bien identifiées : vieillissement de la population
(la plupart des
diabètes de type 2 sont diagnostiqués à partir de 65 ans), allongement de la
durée de vie des
diabétiques, amélioration du dépistage, augmentation de la population en
surpoids ou obèse
et sédentarité. Cela signifie très clairement que le problème est au moins
autant sociétal
que médical. Infléchir la tendance passe par le déconditionnement d’une
grande partie de
la population à une alimentation trop riche et déséquilibrée, à la pauvreté de
l’activité
physique et aux addictions au tabac et à l’alcool. Ces exigences sont communes
à
la prévention
primaire de presque toutes les maladies chroniques contemporaines.
Le diabète : maladie pionnière de la
personnalisation du traitement
La diabétologie a
toujours montré le chemin sur un point essentiel : la participation active des
malades dans une
prise en charge complexe et pouvant impliquer de nombreux
professionnels. La
première association de patients diabétiques a vu le jour en 1926, bien
longtemps avant
les autres. Aujourd’hui, le diabète fait l’objet d’une approche médicale
personnalisée à
trois niveaux. Certains malades bénéficient de la médecine dite ciblée, qui
oriente le choix
des traitements en fonction de biomarqueurs ; ainsi on sait choisir entre
insuline et
sulfamides hypoglycémiants pour certains enfants diabétiques. La récente
recommandation de
la HAS insiste, à juste titre, sur l’individualisation de la prise en charge,
en fonction des
nombreux facteurs qui tiennent à la maladie elle-même (type de diabète,
ancienneté,
sévérité, présence de complications), aux pathologies associées (obésité,
troubles
cognitifs, maladie cardiovasculaire, arthrose majeure, etc) et à la
personnalité du
malade (âge,
espérance de vie, profession, capacité d’observance, choix de vie, etc).
Enfin, le malade
diabétique bénéficie d’une éducation thérapeutique personnalisée, qui
permet son
autonomisation.
Diabète de type 1 : injuste et trop passé sous
silence
Il faut souligner
qu’il n’existe pas un, mais des diabètes. En effet, le diabète de type 1 -
celui
dit de l’enfant et
de l'adulte jeune - est souvent masqué par la fixation médiatique sur
l'épidémie de
diabète de type 2 - celui de l’adulte -, de loin le plus fréquent et à la
progression la
plus rapide en termes épidémiologiques. Il est vrai que les deux sont
caractérisés par
une augmentation chronique du taux de sucre dans le sang (glycémie),
responsable de
complications spécifiques et graves (portant sur les yeux, les reins, les nerfs
et les pieds) et d’une
nette augmentation du risque de maladie cardiovasculaire.
Mais les patients
atteints d’un diabète de type 1 sont vulnérables car victimes d’une injustice
particulière due à
la variabilité glycémique imprévisible. Non seulement la glycémie est
instable et son
contrôle par l’insulinothérapie imparfait et contraignant (il réclame plusieurs
injections et
autocontrôles glycémiques par jour), mais plus celui-ci permet de se rapprocher
des valeurs
prévenant les complications à long terme, plus le risque de survenue d’accidents
hypoglycémiques,
parfois graves, est important, pénalisant au quotidien des malades
observants.
Cet exemple montre
bien qu’en matière de diabète, il ne faut pas raisonner uniquement sur
des critères de
mortalité ou de morbidité à long terme. La qualité de vie du patient et sa
sécurité
quotidienne sont primordiales. C’est tout l’enjeu des progrès biotechnologiques
en
cours et c’est
tout l’intérêt des échanges féconds et stimulants ayant lieu à chaque congrès
de la SFD.
Professeur
Jacques Bringer
Co-président
du Comité d’Organisation du Congrès de la Société Francophone du Diabète
Chef
de service des maladies endocriniennes Hôpital Lapeyronie - Montpellier
ADA / EASD Statement vs Recommandations HAS :
convergences
et divergences ?
Entretien
avec le Professeur Bernard Charbonnel
Professeur
d’Endocrinologie, Université de Nantes, reviewer français du Position Statement
ADA/EASD
2012
Publiée en janvier
2013, la recommandation de la Haute Autorité de Santé sur la « stratégie
médicamenteuse du
contrôle glycémique du diabète de type 2i » paraît peu après une
recommandation
internationale énoncée conjointement en 2012 par l’Association Américaine
du Diabète (ADA)
et par l’Association Européenne pour l’Etude du Diabète (EASD).
La Société
Francophone du Diabète l’avait alors « reprise à son
compte en en assurant la
traduction
et la diffusionii. » précise le Professeur Bernard Charbonnel.
Le maître mot des recommandations : l’individualisation
Pour le Professeur
Bernard Charbonnel, « les deux textes ont beaucoup en commun,
notamment
la distinction faite entre les objectifs thérapeutiques et les moyens pour les
atteindre
et l’accent nouveau mis sur la nécessité d’individualiser les uns et les autres. »
Le but essentiel
du traitement médicamenteux du diabète de type 2 est de retarder, voire
empêcher les
complications à long terme qui font toute la gravité de la maladie : atteintes
de
l’oeil
(rétinopathie pouvant compromettre la vue), des reins (néphropathie pouvant
aboutir à
l’insuffisance
rénale chronique), des pieds (mal perforant plantaire) et neurologiques
(troubles
sensitifs et moteurs des membres inférieurs), surtout les complications
cardiovasculaires,
infarctus du
myocarde, accident vasculaire cérébral…, principales causes de
mortalité du
diabétique de type 2. Son efficacité est évaluée sur le taux de HbA1C
(hémoglobine
glyquée) sanguine, qui est un meilleur marqueur du niveau de sucre dans le
sang au long cours
que le taux de glucose sanguin à jeûn, qui sert à diagnostiquer le
diabète.
Contre l’empilement des traitements
Les
recommandations évoluent sur un point capital : l’objectif n’est plus d’obtenir
à tout prix
un taux inférieur
ou égal à 6,5 %, valeur cible « la même pour tout le monde » , mais de se
rapprocher du taux
le plus compatible avec les caractéristiques du patient. La valeur de
référence et à 7 %
« pour la plupart des patients », mais
elle peut être inférieure en début de
maladie, ou à l’inverse
entre 7 et 8 % dans de nombreux cas. Il s’agit en particulier des
patients très
âgés, de ceux ayant une insuffisance rénale chronique et de ceux ayant été
victimes d’un
accident vasculaire cérébral. « Comme la
recommandation américaine et
européenne,
la HAS se prononce donc très clairement pour la personnalisation de l’objectif
thérapeutique
et contre l’empilement des traitements pour l’atteindre, » se
félicite le
Professeur Bernard
Charbonnel.
La HAS se déclare
également pour la préférence donnée à la metformine en traitement de
première intention
lorsque les mesures hygiéno-diététiques ne suffisent pas à normaliser le
taux d’HbA1c. Pour
elle aussi, le choix d’un éventuel second antidiabétique doit tenir compte
du risque de prise
de poids et d’accident hypoglycémique associé à certains profils de
patients et à
certains médicaments, essentiellement les sulfamides hypoglycémiantsiii.
Recommandation française : une nette préférence
pour les médicaments moins chers
Mais « la
recommandation de la HAS diverge de la recommandation internationale sur sa
nette
préférence accordée à ces vieux médicaments, c’est-à-dire à des médicaments
beaucoup
moins chers. », et le Professeur Charbonnel regrette que cet aspect
économique
ait primé à ce
point dans la recommandation. Ce primat des impératifs économiques est
clairement
explicité dans l’argumentaire de la recommandation de la HAS. Il est d’ailleurs
dans les missions
de l’agence d’en tenir compte. À cet argument du coût des médications,
s’ajoute l’argument
du recul d’utilisation, en faveur des « vieux médicaments ». « Or
l’intérêt
de
ce recul n’est pas complètement analysé, » poursuit le Professeur
Charbonnel. « En effet,
il
n’y a pas d’études comparant les produits entre eux et il n’y a pas plus d’étude
de
morbimortalité
avec les sulfamides qu’avec les autres médicaments »,
poursuit-il. Ces
derniers sont
représentés par le répaglinide (qui peut lui aussi entraîner des hypoglycémies)
et par la nouvelle
classe des incrétinesiv (analogues du GLP-1 et inhibiteurs de la DPP4), qui
ne provoquent pas
d’hypoglycémies est présente sur les sulfamides un avantage pondéral.
Les résultats des
« grandes études cardio-vasculaires » avec les DPP4-inhibiteurs sont
d’ailleurs
attendus avant la fin de l’année, ce qui devrait faire évoluer l’analyse « du
recul
d’utilisation ».
Un texte satisfaisant, mais un peu rigide
« On
voit tout le poids de l’argument économique quand la recommandation HAS discute
du
passage
à l’insulinothérapie, nécessaire pour de nombreux patients chez qui la bithérapie
reste
insuffisante, » insiste le Professeur Charbonnel. « C’est
l’insuline NPH qui est
privilégiée,
alors qu’elle n’est plus guère utilisée et que les patients préfèrent de loin
les plus
récentes,
du fait de leur moindre risque hypoglycémique. » Il poursuit :
« L’évaluation
médico-économique
est évidemment indispensable. Mais il me semble un peu court de ne la
faire
que sur le prix des médicaments, sans tenir compte de leur impact sur la
qualité de vie,
sur
la fréquence des hypoglycémies sévères, sur la nécessité d’une autosurveillance
glycémique,
qui ont aussi un coût, bref sur une authentique analyse d’efficience, qui
manque
dans
la recommandation de la HAS. »
« En
somme, » conclut-il, « le texte est
dans l’ensemble satisfaisant et tient compte de la
plupart
des cas particuliers rencontrés. Mais il pêche par une grande rigidité,
laissant peu de
marge
à l’expertise du clinicien, aux profils et aux préférences des patients, ce qui
tranche
avec
l’objectif avancé de personnalisation. Nous assistons sans doute à une querelle
des
«
anciens » et des « modernes ». »
Le pancréas artificiel dans le diabète de type 1 :
c'est pour demain ?
Entretien
avec le Professeur Éric Renard
Coordonnateur
du département d'endocrinologie-diabétologie-nutrition
CHU
de Montpellier
L’objectif du
traitement du diabète sucré est de corriger l’hyperglycémie de manière
permanente afin d’éviter
les complications graves qu’elle entraîne à long terme. Dans le
diabète de type 1,
elle est due à l’absence de l’insuline, suite à la destruction des cellules ß
des îlots de
Langerhans pancréatiques qui la produisent. Le traitement consiste à fournir
l’insuline
manquante grâce à des injections sous-cutanées. La difficulté du choix des
doses
vient du fait que
le taux de sucre sanguin varie considérablement au cours de la journée en
fonction de
nombreux facteurs (état de santé, repas, activité physique, stress, etc).
Idéalement, la
dose d’insuline administrée devrait être adaptée en continu face aux besoins
changeants d’insuline.
Une avancée importante a été réalisée par la mise au point de
l’insulinothérapie
fonctionnellev, qui consiste à assurer les besoins de base au moyen
d’insuline retard,
complétée par des injections d’insuline à action rapide en fonction des
besoins accrus,
notamment à l’occasion des repas.
Un pancréas
artificiel complet associerait un capteur sensible aux variations de la
glycémie,
une pompe à
insuline qui délivrerait l’hormone immédiatement et strictement en fonction des
besoins, et un
système de calcul et de transmission entre les deux. « Ce
système en boucle
fermée
n’existe pas encore pour le traitement courant du diabète, » tient
à souligner le
Professeur Éric
Renard, « mais les progrès réalisés depuis trente ans nous en
rapprochent
peu
à peu. »
Un progrès majeur : les pompes à insuline
Faire plusieurs
injections par jour est une contrainte forte (en moyenne, 1 500 injections par
an pour un même
patient !). Elle a été levée par les pompes portablesvi qui délivrent l’insuline
en continu par
voie sous-cutanée au moyen d’un cathéter et disposent d’un bouton
permettant l’administration
d’une dose supplémentaire (un bolus) en fonction des besoins.
De la taille d’un
téléphone portable et rechargées tous les 3 ou 4 jours par des cartouches
d’insuline, elles
ont considérablement amélioré la prise en charge, tant en efficacité qu’en
tolérance. « Les
pompes à insuline sont devenues la méthode de référence pour le contrôle
glycémique.
En France, leur remboursement à 100 % par l’Assurance Maladie a permis
l’essor
de leur usage : 25 000 patients en bénéficient, principalement des enfants
atteints de
diabète
de type 1, » précise le Professeur Renard.
Chez certains
patients au diabète très instable et dont la peau résorbe mal l’insuline, la
pompe est
implantée dans l’abdomen et perfuse l’insuline dans le péritoine, ce qui
nécessite
un geste
chirurgical. Mais les contraintes d’entretien et de recharge du dispositif sont
notables, ce qui
explique qu’actuellement, seuls 350 malades environ en bénéficient.
Le combat actuel de la diabétologie : le
remboursement des capteurs de glycémie
Quelle que soit la
méthode (injections sous-cutanées et pompes), les doses d’insuline
administrées sont
déterminées par ajustements progressifs sur la base de mesures de la
glycémie sur une
goutte de sang recueillie par piqûre au bout des doigts. Malgré
l’indispensable
participation active du patient à son traitement, il est presque impossible
d’éviter les
accidents hypoglycémiques, très déstabilisants, qui surviennent à la suite d’un
excès provisoire d’insuline.
Pour tenter d’y remédier, la glycémie peut à présent être évaluée
en continu par des
capteurs sous-cutanés : le patient peut lire la valeur estimée toutes les
cinq minutes et
adapter sa dose d’insuline en conséquence. Pour le Professeur Renard, « il
s’agit
d’un progrès considérable, mais qui n’est pas à la portée de toutes les
bourses. En
effet,
les capteurs ne sont pas remboursés par l’Assurance Maladie. C’est le combat
actuel
de
la diabétologie. »
Un système automatique de surveillance nocturne
Réaliser un
système reliant capteur et pompe demande de régler de très nombreuses
contraintes
techniques, par la mise au point des algorithmes liant mesure sous-cutanée du
glucose et
perfusion d’insuline de manière fiable et avec un minimum de délai. Mais la
solution à ce
problème commence à devenir une réalité. Dans certains dispositifs, le capteur
permet de
commander l’arrêt de la perfusion d’insuline par la pompe pendant deux heures
lorsqu’il détecte
une hypoglycémie non perçue par le malade. C’est particulièrement utile
pour contrer les
hypoglycémies nocturnes tant redoutées chez les jeunes enfantsvii. Il s’agit
là d’une première
approche du pancréas artificiel.
Implanter des cellules fabriquant l’insuline sans
phénomène de rejet
« Pompes
et capteurs sont des systèmes purement techniques, faisant notamment appel à
l’informatique.
On peut également imaginer des systèmes biotechniques, »
explique le
Professeur Renard.
« Il s’agirait d’implanter dans une poche mise en place sous
la peau du
ventre
des îlots de Langerhans capables de sécréter l’insuline de manière quasi
physiologique.
Pour éviter les réactions de rejet, les îlots seraient encapsulés dans une
membrane
laissant passer les petites molécules de glucose et d’insuline, mais bloquant
le
transfert
des grosses molécules de l’immunité. » C’est le projet européen
Biosidviii, auquel
participe à
Montpellier le Professeur Eric Renard.
La chirurgie bariatrique : un traitement prometteur
du diabète de
type 2 ?
Entretien
avec le Pr David Nocca
Directeur
du Centre Spécialisé obésité Languedoc Roussillon
Chirurgien
digestif au CHU de Montpellier
Une amélioration constante du rapport
bénéfices/risques
Chez de nombreux
patients, la chirurgie bariatrique traite non seulement l’obésité sévère
(IMC ≥ 35ix), mais
les maladies associées qu’elle favorise, dont le diabète de type 2. D’abord
destinée aux
patients en échec thérapeutique de leur obésité, elle a connu un grand essor à
partir du milieu
des années 90 avec l’amélioration des techniques chirurgicales (coelioscopie
qui autorisent des
gestes moins invasifs) et la diminution progressive des risques postopératoires
(respiratoires,
emboliques principalement). Le taux de mortalité est actuellement
compris entre
moins de un pour mille pour la gastrectomie longitudinale et moins de trois
pour mille pour le
Gastric Bypass. « Le rapport bénéfices/risques s’est amélioré au point que
pour
de nombreux obèses, » précise le Pr David Nocca, « il
est aujourd’hui plus risqué de ne
pas
se faire opérer que de se faire opérer lorsque l'on est atteint d'obésité
massive. C’est ce
qui
explique en grande partie l’explosion récente du nombre d’interventions. »
Actuellement,
trois techniques sont privilégiées : la réduction du volume gastrique par
gastrectomie en
manchon (ou longitudinale, ou « sleeve » en anglais), qui connaît un essor
certain depuis
2011, où elle a été réalisée 13 500 fois ; la réduction du volume gastrique par
anneau (7 500
interventions en 2011) ; le court-circuit gastro-intestinal par « by pass »
(9 500
interventions) associé à une réduction du volume gastriquex. Elles sont
réservées aux
obésités graves
(IMC ≥ 40) ou massives (IMC ≥ 35) et compliquées d’une comorbidité
favorisée par l’obésité,
dont le diabète de type 2xi.
Amélioration rapide et durable du diabète de type 2
Cette chirurgie
est extrêmement efficace non seulement sur l’obésité, entraînant une perte
de poids comprise
entre 45 et 70 % de l’excès pondéral, mais souvent sur les pathologies
associées. Ainsi,
l’apnée du sommeil régresse intégralement dans 4 cas sur 5, permettant au
patient de se
passer de son appareillage nocturne et d’améliorer ses risques de mauvaise
santé à long
terme. Il en va de même pour de nombreux patients diabétiques, en particulier
avec les
techniques de gastrectomie en manchon et de by pass. « Les
patients récupèrent
un
équilibre diabétique satisfaisant leur permettant de se passer de tout
traitement
médicamenteux, »
commente le Pr David Nocca. « L’étonnant est que
cette récupération se
produit
très rapidement, en un ou deux mois, et persiste au long cours : l'étude menée
au
CHU
Montpellier avec un suivi de 5 ans le montrent (64% de rémission du diabète de
type 2
après
Sleeve). La perte de poids joue certainement un rôle favorisant, mais ne rend
pas
compte
de la rapidité du phénomène, qui a sans doute une origine hormonale. »
Quand intervenir ?
« Plusieurs
facteurs prédictifs d’efficacité ont été mis en évidence, »
poursuit le Pr David
Nocca. « Ce
sont un diabète diagnostiqué récemment, un taux d’HbA1c plutôt bas et
l’absence
de traitement insulinique. En somme, ça marcherait mieux pour les diabètes
récents.
D’où, la question en débat parmi les endocrinologues et les chirurgiens :
faut-il
attendre
que le diabète se soit aggravé pour intervenir ou faut-il le faire relativement
tôt pour
améliorer
le pronostic à long terme ? » Plusieurs études
internationalesxii plaident même en
faveur d’une
intervention chez des patients dont l’IMC est compris entre 30 et 35.
Il est probable
que la réponse apparaîtra progressivement avec l’amélioration du rapport
bénéfices/risques
de l’intervention. Celle-ci n’a en effet rien d’anodin : elle est préparée par
plusieurs
consultations auprès de divers spécialistes (chirurgiens, anesthésistes,
endocrinologues,
nutritionnistes, psychiatres), qui font un bilan exhaustif de l’état de santé
du
patient et pèsent
soigneusement l’indication au cours d’une réunion pluridisciplinaire. Elle
doit faire l’objet
d’un suivi rigoureux au long cours, auquel les patients ont souvent du mal à
se plier
(dépistage de carences nutritionnelles, surveillance du dispositif
chirurgical). Elle doit
souvent être
complétée par une chirurgie réparatrice, la perte de poids entraînant un
affaissement
important des parties molles.
« La
chirurgie de l’obésité n’est pas une chirurgie esthétique, mais une chirurgie
fonctionnelle,
préventive et curative, » conclut le Pr David Nocca. « C’est
pourquoi la Société
Française
de Chirurgie de l’Obésité s’associe pleinement aux recommandations de prudence
émises
par les Académies Nationales de Médecine et de Chirurgiexiii. »
Focus sur …
Entretien
avec le Professeur Michel Marre,
Président
de la Société Francophone du Diabète
Quelle insuline privilégier : l’insuline NPH ou les
insulines analogues ?
L’insuline est une
hormone absolument indispensable au maintien de la vie. Son manque
caractérise le
diabète sucré, de type 1 quand il est absolu, de type 2 quand il est relatif
(une
sécrétion insulinique
persiste souvent, mais insuffisamment pour couvrir totalement les
besoins). Elle
peut être remplacée par l’administration d’une molécule identique combinée
avec une protéine
qui en assure une diffusion semi-lente (insuline NPH) ou d’une molécule
semblable mais
légèrement modifiée qui permet une diffusion lente, semi-lente ou rapide
(insulines
analogues). Due à la découverte géniale d’un médecin danois, il y a près de 80
ans, l’insuline
NPH est la plus ancienne et la moins chère.
« Je
ne vois que la raison du coût pour que la HAS mette celle-ci sur le même plan
qu’une
insuline
analogue lente en première intention chez les patients avec un diabète de type
2
ayant
besoin d’une insulinothérapie, » s’étonne le Professeur
Michel Marre. « Il ne peut pas
s’agir
du recul invoqué pour les traitements oraux. Malgré celui-ci, il n’y a pas d’étude
de
sécurité
à long terme pour l’insuline NPH, comme pour les autres, à l’exception de l’insuline
analogue
lente Lantus®, pour laquelle il a été prouvé l’année dernière qu’elle n’est
associée
à
aucun risque de cancer. La HAS a ici une vision janséniste des soins, d’autant
plus
surprenante
que les insulines analogues sont largement plébiscitées par les patients et
leurs
médecins,
du fait de leur meilleur rapport efficacité/tolérance au quotidien. »
Blancs, noirs : tous égaux devant le diabète ?
La prévalence du diabète est plus élevée dans les populations non
caucasiennes (d’origine
africaine ou
asiatique) que dans les caucasiennes (de peau blanche). Classiquement, cette
différence est
expliquée par la sélection : ayant vécu dans des situations de privation
alimentaire plus
fréquentes et plus rudes, les premières auraient privilégié dans leur
patrimoine
génétique les gènes de l’épargne en sucre. Avec l’introduction du mode
d’alimentation
occidental, ces gènes se seraient surexprimés, favorisant le stockage de
sucres et l’hyperglycémie.
« Cette
explication n’est pas absolument correcte, » commente le
Professeur Marre. « Mais
ce
qui importe et qu’il faut souligner, c’est que les populations noires sont
également plus
sensibles
à l’hypertension artérielle (HTA), qui s’ajoute ainsi au diabète comme facteur
de
risque
cardiovasculaire. De fait, elles développent plus d’accidents vasculaires
cérébraux et
de
complications rénales. Cette tendance à l’HTA provient certainement de leur
habitat
originel
en zones très chaudes, qui leur a fait épargner le sel. Quoiqu’il en soit, la
surveillance
de la tension est aussi importante que celle du diabète chez ces populations.
Les
gens des DOM-TOM le savent bien. Il n’est pas rare qu’un patient vienne me
consulter
parce
qu’un examen systématique a révélé chez lui une tension à 12/8,5, donc une
diastolique
déjà haute, comme chez l’un ou plusieurs de ses parents qui ont été traités
pour
une
maladie cardiovasculaire. »
Diabète et intestin : une relation intriquée ?
Au moment d’un
repas, l’intestin sécrète des hormones qui stimulent la sécrétion d’insuline
par les cellules ß
de Langerhans (pancréas) et inhibe celle de glucagon par les cellules á,
contribuant ainsi
fortement à diminuer la forte hyperglycémie post-prandiale due à l’ingestion
de sucres. Ce sont
les incrétines. La principale d’entre elles est le GLP-1 (glucagon-like
peptide
1), dégradée par une enzyme nommée DPP-4 (dipeptidyl
peptidase 4). Deux types
de médicaments
récents en tirent parti pour les patients ayant un diabète de type 2 : les
agonistes des
récepteurs GLP-1 (ou incrétino-mimétiques) reproduisent l’action de la GLP-
1 en se fixant sur
ses récepteurs cellulaires (cellules pancréatiques á et ß de
Langerhans)
sans être dégradés
par la DPP-4 ; les inhibiteurs de la DPP-4 freinent la dégradation du
GLP-1, augmentant
ainsi sa durée d’action. Les deux classes médicamenteuses ont le grand
avantage de ne pas
avoir de risque hypoglycémique puisque comme pour les incrétines, leur
action s’arrête
dès que la glycémie est revenue à la normale.
« La
régulation de la glycémie par l’intestin est aujourd’hui une vaste question de
recherche, »
remarque le Professeur Marre. « Il existe de
nombreuses autres hormones
d’origine
intestinales capables de diminuer la sécrétion d’insuline. De plus, il est
possible que
l’intestin
lui-même produise du glucose, comme le foie et le rein, dans des proportions
beaucoup
plus importantes que ce qu’on imaginait.xiv »
La Société Francophone du Diabète : garante de la
qualité des
pratiques et de la progression des savoirs dans le
diabète
Auparavant appelée
« Association de Langue Française pour l’Etude du Diabète et des
Maladies
métaboliques », la SFD - Société Francophone du Diabète - a changé de nom en
2009 mais conservé
un intitulé qui dépasse les frontières de l’Hexagone. Comme toute
société savante,
la SFD a pour vocation essentielle de garantir la qualité des pratiques et la
progression des savoirs
dans le domaine du diabète, mais aussi des maladies métaboliques,
de l’obésité et de
la nutrition.
Référence sur ces
thèmes dans le monde francophone, la SFD organise des réunions
scientifiques,
soutient la recherche et a octroyé un label à la revue de langue française
Médecine et
Maladie Métaboliques. L’anglais étant cependant la langue internationale de la
science, la SFD
édite la revue Diabetes & Metabolism afin de pouvoir échanger et partager
les connaissances
avec les spécialistes du monde entier. La SFD travaille en partenariat
étroit aussi bien
avec les associations de patients qu’avec les interlocuteurs institutionnels et
privés. Elle
organise deux rendez-vous annuels majeurs : le Congrès et la Journée
Thématique.
Bourses, Allocations et Prix : une priorité pour la
SFD
La SFD apporte son
soutien à la recherche pré-clinique et clinique à travers une aide
financière
conséquente. Elle attribue seule ou en partenariat avec des firmes
pharmaceutiques
des allocations et bourses de recherche pour de jeunes chercheurs, des
équipes
hospitalières ou des cliniciens et chercheurs confirmés. Il peut également s’agir
de
financer des
séjours à l’étranger pour de jeunes chercheurs ou inversement le séjour d’un
médecin étranger
dans un laboratoire d’une équipe française. Les aides octroyées
concernent les
recherches physiopathologiques, épidémiologiques, diagnostiques ou
thérapeutiques,
mais portent également sur les innovations en matière de soins et
d’accompagnement
qui peuvent avoir un impact favorable sur la santé et la qualité de vie
des patients.
Ainsi, l’éducation thérapeutique est aujourd’hui au coeur des enjeux.
Actions en francophonie
En Europe bien
sûr, mais aussi au Québec, Moyen-Orient, Maghreb, et demain plus encore
en Afrique
Subsaharienne et en Asie du Sud-Est, les actions de la SFD visent à favoriser
l’émergence ou le
renforcement d’une médecine de qualité. Soutien à la recherche clinique,
actions de
formation, soutien logistique à l’organisation des soins en synergie avec les
responsables
locaux et les ONG, les actions sont multiples. Des réunions francophones
délocalisées sont
programmées en Afrique, Asie du Sud-Est ou au Québec, ainsi que des
sessions
spécifiquement francophones lors du congrès mondial du diabète (IDF). La SFD
s’est dotée en
2009 d’une commission « Actions en Francophonie » pour mettre en place
des actions
concrètes et initier des projets prometteurs. Parmi ces actions : la création d’un
Diplôme d’Etudes
Spécialisées de Diabétologie-Nutrition-Endocrinologie et d’un Diplôme
Universitaire de
Diabétologie en Afrique Subsaharienne, une formation à l’Education
Thérapeutique pour
les personnels soignants à Oran (Algérie), ou l’organisation de la 1ère
Rencontre
Franco-Algérienne de Diabétologie à Alger.
Références bibliographiques
i HAS-ANSM.
Stratégie médicamenteuse du contrôle glycémique du diabète de type 2. Méthode
« Recommandations
pour la pratique clinique ». janvier 2013.
ii Société
francophone du diabète. Présentation de la traduction par la Société
Francophone du
Diabète de la
prise de position émise par l’Association Américaine du Diabète (ADA) et l’Association
Européenne pour l’Étude
du Diabète (EASD) sur la prise en charge de l’hyperglycémie chez les
patients
diabétiques de type 2 : une stratégie centrée sur le patient.
iii Anne-Sophie
Arbay, Alfred Penformis. Diabète sucré de types 1 et 2 de l’enfant et de l’adulte.
Complications. La
Revue du praticien, vol 62. Juin 2012.
iv Bruno Guerci,
Charles Halter. Nouveaux hypoglycémiants dans le diabète de type 2. La Revue du
praticien, vol 60.
Avril 2010.
v Claude Sachon. L’insulinothérapie
fonctionnelle. La Revue du praticien, 2003. 53, 1169-74.
vi Eric Renard.
Traitements innovants du diabète. La Revue du Praticien Médecine Générale,
2012.
26;852, 410-412.
vii Moshe Phillip, M.D. et al. Nocturnal Glucose Control with an
Artificial Pancreas at a Diabetes Camp.
N Engl J Med 2013;
368:824-833
viii Centre
européen d’étude du diabète. Dossier de presse. European BIOSID Project : 5.5
million
Euro from the European Commission for the clinical validation of the
MAILPAN® bioartificial pancreas.
http://www.ceed-diabete.org/public_files/prodyn_img/dp-lancement-biosid-en-final.pdf
ix IMC = indice de
masse corporelle. C’est le rapport entre le poids et la taille au carré,
exprimé en
kg/m2. Au-delà de
40, il signe une obésité massive.
x Point d’information
de l’Assurance maladie du 21 février 2013. Chirurgie de l’obésité : analyse des
pratiques et de
leur pertinence.
http://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/21022013_DP_ChirurgieBariatrique.pdf
xi HAS.
Recommandations de bonne pratique. Obésité : prise en charge chirurgicale chez
l’adulte.
Janvier 2009.
http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_765529/obesite-prise-en-charge-chirurgicalechez-
l-adulte
xii
Lee et al., Boza
et al
xiii Académie
nationale de chirurgie. Académie nationale de médecine. Recommandations
communes.
Chirurgie
métabolique et diabète de type 2. Octobre 2012. http://www.academiemedecine.
fr/Upload/chirurgie%20metabolique1.pdf
xiv Ronan
Roussel. Production endogène de glucose : sans le foie, même pas mal. Site de
la SFD,
décembre 2011.
http://www.sfdiabete.org/sites/default/files/files/Pdf/Biblio/BiblioSFD-1112-
RRoussel.pdf