Lettre ouverte à la directrice générale
de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris des trois praticiens hospitaliers
du service de médecine interne de l’hôpital Saint-Antoine ayant décidé de démissionner
de leurs fonctions et de quitter l’AP-HP.
Il suffit de se rendre dans leur service pour
comprendre : il est dans un état de vétusté inadmissible.
Les causes de
cette démission collective sont multiples et bien expliquées dans cette lettre.
C’est un exemple supplémentaire des dysfonctionnements qui touchent notre
institution depuis trop longtemps et des conséquences qui en résultent pour les
patients et les soignants.
Lettre ouverte à madame Mireille Faugère, directrice
générale de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris
Madame la directrice générale,
Madame la directrice générale,
Suite à la constatation subie sans accord de notre part, du
relais médiatique donné à notre démission de l’hôpital Saint Antoine, hôpital
de l’Assistance Publique- hôpitaux de Paris, nous ressentons l’obligation de
vous en exprimer publiquement les raisons, espérant que notre attitude pourrait
permettre de réfléchir à des modifications qui nous apparaissent comme
salutaires et indispensables dans le mode de fonctionnement actuel de l’hôpital
public.
Nous sommes trois praticiens hospitaliers dans le service
de Médecine Interne de l'Hôpital Saint-Antoine, ayant toujours exercé au sein
de l’hôpital public auquel nous avons toujours été très attachés et que nous
n'avons jamais quitté depuis le début de notre internat il y a plus de 20 ans.
Nous exerçons dans des conditions difficiles que les restrictions budgétaires
liées au déficit financier chronique et les décisions prises sans concertation
n’ont fait qu’accentuer.
Nous travaillons au quotidien en Médecine Interne, médecine
globalisante s’intéressant au malade dans son intégralité à l’heure de
l’hyperspécialisation nécessaire par ailleurs pour faire face aux progrès
médicaux. Aussi nous nous sommes attachés à développer une médecine de
proximité privilégiant les relations directes avec les médecins de ville
auxquels nous essayons d'apporter notre expertise et, de par notre spécialité,
nous recevons en priorité des malades des Urgences toutes pathologies
confondues. Mais ce projet de service
public hospitalier s'est heurté à de nombreuses difficultés, en particulier
deux majeures, qui n'ont pas trouvé de solution en dépit des nombreuses alertes
que nous avons exprimées tout au long des années au travers de la voie
hiérarchique habituelle.
1) Augmentation de
l'activité et dérive de notre prise en charge du médical vers le social
exclusif sans moyens adéquats
Nous sommes, de par la
polyvalence de notre spécialité, en première ligne, en aval des Urgences pour
l'accueil des patients ayant une polypathologie, une maladie rare ou ceux pour
lesquels un diagnostic difficile doit être posé. Au cours des dernières années,
nous avons vu changer le profil des patients qui nous étaient adressés, dans un
contexte de pression croissante sur notre service corollaire de l'augmentation
progressive et continue de l'activité et d'une exigence de rentabilité. Ainsi
nous accueillons de plus en plus de personnes relevant presque exclusivement
d'une prise en charge sociale ou sociétale, auxquelles nous avons le sentiment
d'avoir bien peu de choses à apporter avec pour résultat une démotivation
grandissante. Notre activité quotidienne se bornant alors à effectuer des
heures durant avec le service social, les démarches nécessaires pour les
diriger sur une autre structure bien loin de notre cœur de métier à tous dans
le service. Inutile de préciser que cette augmentation de l'activité n'a pas
été accompagnée d'une augmentation des moyens humains et matériels qui nous
aurait permis de faire face tout en continuant à réaliser le projet auquel
notre vocation nous destinait.
2) Des locaux inadaptés
et vétustes
Nous
exerçons dans le plus ancien des bâtiments de l'hôpital. Le chauffage est
souvent défaillant ou excessif. Les dégâts sont fréquents lorsque les
intempéries sont de la partie et que la pluie traverse notre toiture. Les
ascenseurs sont fréquemment en panne. La ventilation (VMC) est inadaptée et les
désodorisants sont une arme dérisoire face à l'inconfort résultant de cette
situation. Nous disposons d’une douche pour 12 lits dans un couloir sordide et
2 douches pour 36 lits dans un couloir où seule l’intervention du CHSCT a
permis de cimenter quelques-uns des nombreux et périlleux trous du linoléum
alors que ce dernier méritait purement et simplement d’être changé depuis 10
ans. Le bricolage n'a pas tenu et les mêmes trous sont réapparus depuis....
C'est ainsi que semble se constituer un véritable cercle
vicieux entre la vétusté et l'inadéquation des locaux toujours croissantes et
une réduction de notre champ d'intervention à la prise en charge des patients
qui n'ont pas d'autre choix, ceux qui sont les plus fragiles ou dépendants pour
lesquels le véritable motif d'hospitalisation est essentiellement social, au
prétexte de raisons médicales secondaires voire inexistantes. L'accueil d'un
plus grand nombre de patients des Urgences ayant des troubles cognitifs,
agités, incontinents ou en fin de vie, ainsi que les procédures d'isolement,
progrès notable vis-à vis du risque nosocomial, requièrent de disposer de plus
en plus de chambres seules en nombre insuffisant dans notre service (16 sur 48
lits). Bien que les conditions d’accueil de notre service se soient dégradées
d’année en année, nous avons toujours accompli avec les membres de l’équipe
paramédicale les soins sans discrimination à l’ensemble de la population. Hiver
comme été depuis plusieurs années, le maintien de la totalité des lits du
service ouverts pour l’aval des Urgences ne fait qu’accélérer la dégradation
des locaux occupés qui ne peuvent être jamais lessivés de ce fait. Notre
service, abandonné à ce cercle vicieux de dégradation inéluctable, est devenu
un tel repoussoir que l’ensemble de l’équipe médicale et paramédicale a honte
des conditions d’accueil que nous proposons. Depuis ces deux dernières années,
il arrive régulièrement que des malades refusent l'hospitalisation après avoir
vu nos locaux. Il arrive également que des malades ayant accepté
l'hospitalisation demandent la sortie après plusieurs nuits sans sommeil, ayant
partagé la chambre avec l'un de ces patients que nous n'avions pu isoler faute
de chambre seule adéquate. Il est également arrivé que certains de nos
correspondants de ville se soient excusés d'avoir eu à adresser des malades
dans d’autres structures d’hospitalisation, au même motif. Des travaux que nous demandons depuis des
années seraient enfin entrepris ? Nous en sommes heureux mais le projet
semble encore une fois bien modeste au regard de la situation. Et sa mise en œuvre est déjà sacrifiée sur
l'autel de la sacro-sainte « activité » : au prétexte qu’on ne
peut pas fermer des chambres pour créer des douches, où qu'il est impossible de
fermer un secteur le temps d'y réaliser les travaux.
Nous comprenons parfaitement les difficultés que traverse
l'Assistance Publique ainsi que les contraintes auxquelles elle est soumise
pour répondre à la demande de la population. Les moyens sont donc faibles mais
leur allocation ne semble pas reposer assez sur les besoins des patients ou
répondre à un réel souci d'efficacité. Le regroupement pyramidal de nos services
en pôles puis de nos hôpitaux en Groupes Hospitaliers, ont multiplié les degrés
décisionnels si bien que le rôle de nos interlocuteurs directs, chef de service
et chef de pôle, semble de plus en plus se limiter à la seule transmission des
doléances assortie d'un aveu d'impuissance sans capacité opérative à mettre en
œuvre des solutions. Plutôt que prendre en considération les besoins réels des
malades, l'habileté à naviguer dans les méandres de cette gouvernance
serait-elle le principal déterminant de l'arbitrage des budgets ? Au vu de
la situation vécue dans notre service,
nous avons le sentiment que la politique mise en œuvre a déjà pour effet une
différentiation des conditions de prise en charge pour certains malades parmi
l’ensemble des patients accueillis au sein d'un même hôpital.
Nous estimons que les conditions minimales ne sont plus
réunies pour que nous puissions continuer à prendre en charge nos patients,
tous, sans discrimination, dans la dignité.
Nous fondons néanmoins l'espoir que ce courrier puisse témoigner en
faveur de ceux parmi nos collègues qui resteront dans le bâtiment de l'Horloge
afin qu'ils puissent enfin bénéficier d'un renouveau légitime.
Veuillez agréer Madame l'expression de nos sentiments
respectueux.
Adrien Kettaneh Kiet
Phong Tiev Cécile Tolédano