Le progrès médical à la lumière de l’amélioration de la sécurité de l’angioplastie coronaire
Mots-clés : Angioplastie
coronaire, progrès médical.
The medical progress according to the progress of coronary angioplasty
safety
Key-words (index medicus) : Coronary
Angioplasty. Medical Progress.
Jean-Philippe METZGER*
RESUME
La forte diminution des complications de la procédure
d ’angioplastie coronaire constitue
un modèle permettant d’individualiser une typologie du progrès médical
contemporain. Le progrès par rupture est dû à l’initiative individuelle. Le
progrès incrémentiel est le produit d’améliorations ponctuelles et anonymes.
Les deux formes de progrès sont complémentaires. Elles avaient été déjà
décrites par Claude Bernard en 1864.
SUMMARY
Significant decrease of
complications in the procedure of coronary angioplasty is a pattern that
reveals a specific typology of contemporary medical progress. Breakthrough
advance is induced by individual initiative whereas incremental progress is a
result of occasional, one shot and anonymous improvements. Those two kinds of
progress are complementary. They had already been described by Claude Bernard
as early as 1864.
INTRODUCTION
…………
A la suite d’Andréas Gruentzig
(1), en vingt cinq ans, une discipline médicale nouvelle, la Cardiologie
Interventionnelle, est née ex nihilo, s’est développée et a démontré sa
capacité à fournir une prestation sûre
et efficace dans un domaine de Santé
Publique essentiel, celui de la pathologie coronaire. Désormais, le concept de
revascularisation myocardique repose sur deux techniques complémentaires, le
pontage coronaire disponible depuis 1967 et l’angioplastie percutanée. A cette
fin, de nombreux obstacles ont dû être surmontés, le principal étant
l’occlusion coronaire aigue en cours de procédure, génératrice d’infarctus du
myocarde expérimental. La multiplicité
de ces obstacles, leur caractère imprévisible au sein d’une entité
thérapeutique entièrement nouvelle, autorisent la description d’une typologie du progrès médical
contemporain.
*Institut de Cardiologie,
Hôpital Pitié-Salpêtrière, 47/83 Bd de l’Hôpital, 75013 PARIS
Tirés à part : Professeur Jean-Philippe METZGER, même adresse
Vaincre l’occlusion coronaire aigue
L’inflation d’un ballonnet
endocoronaire destinée à réduire la masse de la plaque d’athérome obstructif
réalise un modèle expérimental susceptible
de provoquer une occlusion coronaire aigue. L’arrêt du débit dans un tronc
coronaire entraîne une douleur angineuse prolongée, un sus-décalage du segment
ST à l’électrocardiogramme, avec troubles du rythme ventriculaire et un
collapsus si le territoire myocardique concerné est important. Ces
complications engagent le pronostic vital. Elles expliquent la nécessité de
disposer au début de la technique d’angioplastie d’un stand-by chirurgical
permettant un pontage en urgence. Le tableau (1) objective la gravité de cet accident occlusif. Réalisé environ une fois
sur deux, le pontage en urgence n’évite l’infarctus que dans moins de 50% des
cas. La mortalité péri-opératoire y est élevée, atteignant environ 5%.
Eviter l’occlusion
coronaire aigue en cours d’angioplastie
exige de comprendre son mécanisme. Celui-ci associe la dissection coronaire avec « flap intimal » et
la thrombose aigue.
La dissection est favorisée par
le recours à de fortes pressions d’inflation
sur une sténose longue et éventuellement calcifiée. La lésion de bifurcation,
l’occlusion coronaire chronique exposent particulièrement au phénomène. Une classification
radiologique a été proposée au début des années 80 individualisant en
particulier dissection spiroïde et dissection avec occlusion complète. Le
traitement de cette dissection a d’abord fait appel au ballon de perfusion autorisant une
inflation endocoronaire prolongée, dans le but de recoller les trois tuniques de l’artère.
Cette technique a été rapidement supplantée par l’usage du stent. Car le
déploiement de l’endoprothèse sur la fracture intimale est capable de restituer
dans les meilleurs délais le flux coronaire. Mais l’endoprothèse permet en
outre, par le « direct stenting », où la sténose est franchie par un
stent fixé sur le ballon en déflation,
d’assurer la prévention de la dissection pariétale.
La thrombose est le second
phénomène responsable d’occlusion coronaire aigue. Un thrombus endocoronaire
refermant l’artère de façon itérative ou permanente est une éventualité banale
en salle de cathétérisme au début des
années 80. La formation de ce thrombus est favorisée par le contexte général de
syndrome coronaire aigu, où le phénomène
thrombotique préexiste au geste interventionnel, par la présence d’un diabète
ou d’une intoxication tabagique ou lorsque
la fibrinémie est supérieure à 5g/l. Un résultat incomplet sur la lésion à
traiter, une hypotension, peuvent également être en cause. L’amélioration de
l’environnement pharmacologique a permis de limiter considérablement la
thrombose coronaire en cours de procédure. Les progrès s’égrènent sur plus de
vingt ans : 1986 héparine non fractionnée à fortes doses, 1987
prescription d’aspirine préalablement au geste, 1989 héparine de bas poids
moléculaire, 2001 anti-agrégants plaquettaires de nouvelle génération avec les anti GP2B3a et le Clopidogrel. L’étude
Cure prouve sur plus de 2 600 patients l’efficacité de celui-ci (2)
L’intérêt des doses élevées de Clopidogrel est démontré chez les patients
résistants au traitement (3). 2009 voit l’apparition du Prasugrel.
Parallèlement, l’agression endothéliale mécanique tend à se réduire avec
l’usage de ballons de bas profil, de guides hydrophiles plus souples et avec
l’apparition du système « monorail » en 1992. Ce système permet en
cas d’occlusion aigue de maintenir la portion distale du guide en aval de la
lésion ce qui permet son traitement sans recourir à un guide d’extension. Mais
c’est
l’endoprothèse coronaire, le
stent, qui va assurer le progrès le plus décisif. Aussi y a-t-il véritablement
en Cardiologie Interventionnelle coronaire, une ère avant et une ère après le
stent.
La révolution du stent
L’introduction de l’endoprothèse
ou stent par Jacques Puel et Ulrich
Sigwart en 1987 (4) a le mérite de transformer l’angioplastie coronaire en une
technique « prédictible ». Le stent
prévient la dissection par le « direct stenting », possible
dans un cas sur deux. Il la corrige si
elle survient. Ultérieurement il réduit de 50% le taux de resténose, dont le
chiffre est inférieur à 5% avec les stents à libération de drogues anti-mitotiques. L’emploi du stent
sera limité initialement par le risque de thrombose sub-aigue dans les heures suivant
son implantation. Lutter contre cette
complication fait d’abord appel à l’augmentation des doses d’Héparine et
d’anti-vitamines K, d’où des complications hémorragiques graves au site de ponction artérielle fémorale. Mais c’est à Paul Barragan, proposant
l’administration d’une dose anti-agrégante simultanée d’Aspirine et de Ticlopidine
que l’on doit la disparition de la
thrombose sub-aigue (5). Publiée en 1996
dans le New England Journal of Medicine, l’étude de Schömig et collaborateurs (6)
confirme la validité de l’intuition. Elle confère le sceau de la preuve
randomisée aux données prometteuses des registres publiés antérieurement par
les équipes françaises. Dés lors le recours au stent endocoronaire va se
généraliser. Progressivement on osera l’utiliser dans le contexte spontanément thrombotique de la phase aigue
de l’infarctus comme le prouvent les études Admiral (7) et Cadillac (8).
Celle-ci montre qu’assurer un résultat optimal en terme des surface et donc de débit par un déploiement complet
du stent est le facteur décisif protégeant
de la thrombose in situ. Ainsi le stent endocoronaire largement diffusé après
1992 permet-il de séparer deux périodes dans le développement de la
revascularisation myocardique percutanée
avec réduction de moitié des évènements coronaires majeurs en cours de
procédure interventionnelle et
disparition du pontage en urgence.
L’hypotension en cours d’angioplastie coronaire
Eventualité relativement
fréquente durant la procédure, l’hypotension, détectée par le monitoring continu de la pression sanglante, doit être immédiatement
rapportée à sa cause et traitée car elle un est un facteur d’occlusion
coronaire aigue. Outre l’hématome au point de ponction artériel fémoral, elle
doit faire discuter quatre éventualités : l’occlusion aigue et le
« no reflow », arrêt du flux coronaire sans lésion décelable à
l’angiographie, affirmés par l’injection intra coronaire, la perforation
coronaire avec tamponnade par l’échographie d’urgence, le syndrome vagal devant
la nausée et la bradycardie, le choc allergique enfin. Celui-ci se manifeste
par une urticaire, un érythème, le collapsus sans bradycardie. Evité par le
traitement prophylactique il relève de
l’Adrénaline intra veineuse et sous cutanée associée aux corticoïdes intra veineux.
Le rôle d’un personnel infirmier
entraîné à la détection et au traitement de ces complications contribue de façon éminente à la sécurité de
la procédure.
Enfin, la contre-pulsion par
ballonnet intra-aortique ou l’assistance circulatoire peuvent permettre une
évolution favorable si l’hypotension est
dûe à une insuffisance ventriculaire aigue.
Les complications de la voie d’abord artérielle
La ponction artérielle fémorale
a été le seul accès possible au réseau coronaire jusqu’en 1999. Elle expose à
des complications potentiellement létales par hématome rétro péritonéal dans le
contexte des traitements anti-coagulants et anti-agrégants actuels. Moins
exceptionnelle la correction chirurgicale d’un faux anévrysme peut s’avérer
nécessaire. C’est dire l’intérêt d’une alternative dans l’abord artériel. Introduite
par Keimeneij en 1997 (9), la voie radiale est utilisée aujourd’hui dans 80%
des cas. A l’ère des traitements anti-agrégants puissants, cet
abord artériel raréfie à
l’extrême les complications hémorragiques et le faux anévrysme. L’ischémie de
la main initialement redoutée est exceptionnelle du fait de la suppléance de
l’artère cubitale. La voie radiale est aujourd’hui utilisée systématiquement de première
intention sauf chez les femmes de petite taille où le vaso spasme est fréquent
et lorsqu’une procédure antérieure a entraîné la disparition du pouls. Elle
permet l’accès artériel dans le contexte
d’un traitement anti-coagulant au long cours (10). Elle est en partie
responsable de la diminution des hémorragies chez les patients traités pour syndrome coronaire aigu (11).
Les complications de l’angioplastie selon les données du registre Cardio-Arsif
2001-2010
La meilleure gestion
prophylactique et thérapeutique des complications de l’angioplastie coronaire
permet d’observer aujourd’hui des chiffres de mortalité en forte diminution. En
2010 dans le Registre de l’Ile-de-France
(ARSIF) consacré à la Cardiologie Interventionnelle, sur une cohorte de
24 300 angioplasties coronaires les
résultats en terme de mortalité sont les suivants. Dans la population à faible
risque : 0,6%, dans le syndrome coronaire aigu avec sus-décalage de ST ou
sans sus-décalage de ST à Troponine positive : 2,4%. Le choc
cardiogénique avec un chiffre de 49%
constitue une entité à part. Ces chiffres témoignent du bon contrôle actuel des
complications en cours de procédure. Les progrès nécessaires concernent
le bon choix entre stents nus et stents à
élution, ainsi que la généralisation de l’abord radial dans les derniers
sites encore réticents à cette pratique.
Une typologie du progrès médical
La remarquable maîtrise des
complications de l’angioplastie
coronaire constitue, parmi d’autres, un
archétype du progrès médical contemporain. La technique constitue une entité
bien définie. Son risque initial était élevé, attesté par la forte incidence de décès et d’infarctus obligeant à la
réalisation de pontages en urgence dans un contexte de risque opératoire accru malgré
le recours à la contre-pulsion.
La multiplicité des mesures
adoptées pour améliorer le succès et la sécurité de la prestation peut
autoriser une réflexion sur une typologie du progrès médical. A la lumière des
améliorations successives des vingt cinq dernières années il nous semble possible
de distinguer deux grandes formes de progrès, le progrès par rupture et le progrès
incrémentiel.
L’introduction du stent, le
recours aux anti-agrégants ou l’approche artérielle par la voie radiale
constituent un saut radical de la stratégie thérapeutique réalisant une véritable rupture. Cette
nouveauté relève de l’initiative individuelle d’un clinicien identifiable, tel
que A. Gruentzig, J. Puel, P. Barragan, F. Keimeneij. Il aura fallu convaincre
la communauté des cardiologues
interventionnels, initialement sceptique voire hostile.
La seconde forme du progrès se
démarque nettement de la première. Le progrès incrémentiel ne saurait être
rapporté à un individu isolé. Il respecte l’anonymat de ses acteurs et se
définit par une multitude d’initiatives, dont la somme a un impact cumulatif
positif sur le résultat. Recours aux héparines de bas poids moléculaires,
identification immédiate des causes d’un
collapsus par une équipe entraînée, amélioration du matériel avec cathéter
« soft tip », introduction des
guides hydrophiles, abandon du système coaxial au profit du type monorail,
amélioration des caractéristiques mécaniques des stents.
Les deux types de progrès sont
complémentaires. Leur impact respectif sur les résultats de la technique
interventionnelle est difficile à évaluer.
Il est remarquable d’observer
que Claude Bernard en 1864 dans son
ouvrage « Principes de la médecine expérimentale » avait pressenti la
dualité des formes revêtues par le progrès en
médecine. Il écrit en effet : « dans les sciences
expérimentales, le respect mal entendu de l’autorité personnelle serait de la
superstition et serait un véritable
obstacle au progrès de la science. En effet les grands hommes sont précisément
ceux qui ont apporté des idées nouvelles
et détruit des erreurs. » C’est le
progrès par rupture. Et plus loin :
« dans l’investigation scientifique, les moindres procédés sont de la plus
haute importance. Le choix heureux d’un animal, un instrument construit d’une
certaine façon, l’emploi d’un réactif ou
bien d’un autre suffit souvent par résoudre les questions générales les plus
élevées ». C’est là le progrès incrémentiel.
BIBLIOGRAPHIE
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Tableau (1) : morbi-mortalité
de l’occlusion coronaire aigue en cours de procédure d’angioplastie coronaire
Centres
|
Date
|
N
|
Occlusion
|
Décès
|
Infarctus
|
Pontage
|
EMORY
|
1982-86
|
4772
|
4,4 %
|
2,9 %
|
46 %
|
55%
|
NHLBI
|
1985-86
|
1801
|
6,8 %
|
4,9 %
|
40 %
|
40 %
|
THORAL
CENTER
|
1986-88
|
1423
|
7,3 %
|
6 %
|
36 %
|
31 %
|
SAN FRANCISCO
HEART CENTER
|
1990- 91
|
553
|
4,9 %
|
0 %
|
33 %
|
41 %
|
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