đ„ Interview exclusive de Olivier Falorni*, dĂ©putĂ© et PrĂ©sident du groupe dâĂ©tudes parlementaires sur la fin de vie
đ Monsieur le DĂ©putĂ©, depuis votre Ă©lection en 2012 vous avez engagĂ© un combat sur la fin de vie afin que chaque ĂȘtre humain ait le choix de mourir dans la dignitĂ©. Vous avez mobilisĂ© votre Ă©quipe afin de bien recenser les choix des français tout en respectant les professionnels de santĂ©. CâĂ©tait lâengagement N° 20 du candidat François Hollande. Quel est le motif personnel de votre engagement sur ce thĂšme ?
Mon engagement, câest le fruit de convictions qui se confrontent au rĂ©el. En lâoccurrence, mes convictions ont Ă©tĂ© confortĂ©es (hĂ©las) par la rĂ©alitĂ© de la fin de vie en France. Je vais vous citer un exemple marquant Ă mes yeux, parmi tant dâautres.
En avril 2005, Paulette Guinchard, qui fut secrĂ©taire dâĂtat chargĂ©e des personnes ĂągĂ©es, que jâai bien connu au Parti socialiste et avec qui nous avions des dĂ©saccords sur le sujet, signait une tribune dans le Monde pour dĂ©fendre le choix de la France dâĂ©carter la lĂ©galisation de lâaide active Ă mourir.
Le 4 mars 2021, quelques jours avant que je ne dĂ©fende ma proposition de loi sur la fin de vie dans lâhĂ©micycle de lâAssemblĂ©e nationale, elle dĂ©cidait de mettre fin Ă ses jours en recourant au suicide assistĂ©. Elle Ă©tait atteinte dâune maladie neurodĂ©gĂ©nĂ©rative. Sa maladie et ses souffrances lâon amenĂ©es Ă prendre une dĂ©cision quâelle nâaurait sans doute pas imaginĂ©e prendre quelques annĂ©es plus tĂŽt. Jâavais beaucoup dâestime et dâamitiĂ© pour Paulette Guinchard et son choix, quâelle a souhaitĂ© que lâon connaisse pour faire bouger les choses, a confirmĂ© Ă mes yeux la nĂ©cessitĂ© de faire Ă©voluer la loi.
Jâai reçu tant de tĂ©moignages comme le sien ces derniĂšres annĂ©es, connu tant de parcours douloureux, quâil me semble maintenant nĂ©cessaire que soit enfin reconnu le droit Ă une aide active Ă mourir pour toute personne capable, majeure, en phase avancĂ©e ou terminale dâune affection grave et incurable. Affection lui infligeant une souffrance physique insupportable qui ne pourrait ĂȘtre apaisĂ©e. Le malade exprimerait sa demande de maniĂšre libre, Ă©clairĂ©e et rĂ©itĂ©rĂ©e.
đBeaucoup de tĂ©moignages de personnalitĂ©s sur leur choix de fin de vie, Charles BiĂ©try, dâartistes, Françoise Hardy, Line Renaud vous soutiennent dans votre combat pour permettre de mourir dans la dignitĂ©. Avez-vous espoir dây arriver cette annĂ©e ?
Oui, lâouverture dâun grand dĂ©bat public sur la fin de vie a amenĂ©, depuis quelques annĂ©es, beaucoup de personnes, connues ou inconnues, Ă tĂ©moigner sur le sujet et câest trĂšs prĂ©cieux. Mon amie Line Renaud est particuliĂšrement impliquĂ©e dans cette cause et je la remercie du fond du cĆur pour lâĂ©nergie et la dĂ©termination quâelle y met. Je lâadmire profondĂ©ment pour son humanisme et son attention aux autres. Dâautres personnalitĂ©s ont aussi pris la parole, je pense ainsi au Dr Marina CarrĂšre dâEncausse qui sâest exprimĂ©e de façon absolument remarquable sur ce sujet.
Je suis confiant, tout en restant vigilant, concernant lâavancĂ©e de ce texte qui devrait ĂȘtre dĂ©battu au dĂ©but de lâannĂ©e 2024 Ă lâAssemblĂ©e nationale. Et je continuerai bien sĂ»r plus que jamais Ă mây impliquer fortement.
đ La convention citoyenne a terminĂ© ses travaux le 2 avril 2023 et sâest dĂ©clarĂ©e trĂšs majoritairement favorable Ă lâouverture dâune aide Ă mourir dans la dignitĂ© et Ă lâamĂ©lioration de lâaccompagnement de la fin de vie. Quelle est votre analyse sur les travaux de cette commission et leurs conclusions ?
184 citoyens tirĂ©s au sort ont travaillĂ© pendant 27 jours sur la fin de vie. Dans le rapport quâils ont rendu public, ils appellent Ă des « changements profonds » de la lĂ©gislation en vigueur. Ils ont produit un travail absolument remarquable. Ils ont dit clairement, Ă 76 %, quâils voulaient une loi sur lâaide active Ă mourir. Câest pour moi la lettre de mission donnĂ©e par la convention citoyenne au Parlement.
đ Comment poser les bases dĂ©licates dâun dĂ©bat ordonnĂ©, serein, et Ă©clairĂ©, tant les positions peuvent ĂȘtre Ă©loignĂ©es entre ceux qui dĂ©fendent la lĂ©galisation de lâeuthanasie ou du suicide assistĂ©, et les partisans dâune mort « naturelle » quâils appellent Ă accompagner grĂące aux soins palliatifs ?
Chacun pourra choisir sa libertĂ© ultime. Il sâagit de mettre en place cette possibilitĂ© pour celles et ceux qui le souhaitent. Câest un droit qui nâen retire aucun, Ă personne ! Dâailleurs, au sein de lâopinion publique, les choses sont trĂšs claires. De nombreuses Ă©tudes dâopinion faites depuis quelques annĂ©es font Ă©tat du mĂȘme rĂ©sultat. Plus de 3/4 des Français sont favorables Ă lâautorisation dâune aide active Ă mourir dans un cadre lĂ©gal prĂ©cis.
đ Dans le cadre de la loi, quelle diffĂ©rence faites-vous entre sĂ©dation, euthanasie et suicide assistĂ© ?
La sĂ©dation profonde et continue maintenue jusquâau dĂ©cĂšs consiste Ă endormir dĂ©finitivement les malades en trĂšs grande souffrance, si leur pronostic vital est engagĂ© « Ă court terme » par leur maladie ou leur dĂ©cision dâarrĂȘter les traitements. Un produit est injectĂ© en intraveineuse en combinaison avec lâarrĂȘt de lâalimentation et de lâhydratation. La mort peut intervenir en quelques heures mais cela peut durer parfois plusieurs jours voire plus.
Le suicide assistĂ© signifie que la personne elle-mĂȘme accomplit le geste, en absorbant un produit lĂ©tal prĂ©alablement dĂ©livrĂ©.
Lâeuthanasie est un acte pratiquĂ© par un mĂ©decin, destinĂ© Ă mettre fin Ă la vie dâune personne atteinte dâune maladie grave et incurable, Ă sa demande, afin de faire cesser une situation quâelle juge insupportable.
đ Plusieurs lois existent dĂ©jĂ : la loi du 9 juin 1999, « droits dâaccĂšs pour tous au soulagement de la douleur et Ă des soins palliatifs en fin de vie » ; La loi du 4 mars 2002 « droit au refus de traitement et droit Ă dĂ©signer une personne de confiance » ; La loi 2005 « Leonetti » introduit lâinterdiction de lâobstination dĂ©raisonnable ; La loi 2 fĂ©vrier 2016 « Claeys-Leonetti », les directives anticipĂ©es sont revalorisĂ©es, rĂŽle de la personne de confiance renforcĂ©e ; possibilitĂ© pour le patient de demander lâaccĂšs Ă une sĂ©dation profonde et continue jusquâau dĂ©cĂšs . Une nouvelle loi, quel intĂ©rĂȘt et pour quoi faire ?
Jâai prĂ©sidĂ© la mission dâĂ©valuation de la loi Claeys-Leonetti qui a rendu son rapport en avril dernier. Plusieurs constats ont Ă©tĂ© faits et de nombreuses recommandations ont Ă©tĂ© proposĂ©es. JâespĂšre voir ces derniĂšres reprises dans le futur projet de loi qui sera soumis au Parlement.
LâaccĂšs aux soins palliatifs demeure insatisfaisant car lâoffre demeure insuffisante malgrĂ© leur dĂ©veloppement progressif. Des disparitĂ©s territoriales sont persistantes. 21 dĂ©partements ne disposent toujours pas dâunitĂ©s de soins palliatifs.
Les directives anticipĂ©es et la personne de confiance constituent des avancĂ©es mais leur portĂ©e est limitĂ©e dans les faits. Lâenjeu est donc dâinformer et de sensibiliser pour mieux faire connaĂźtre ces droits auprĂšs de tous nos concitoyens.
Par ailleurs, si la sĂ©dation profonde et continue jusquâau dĂ©cĂšs sâavĂšre une Ă©volution lĂ©gislative nĂ©cessaire, elle est en rĂ©alitĂ© trĂšs peu utilisĂ©e. Pourquoi ? Parce quâil faut en clarifier les modalitĂ©s dâapplication et accompagner au mieux les professionnels de santĂ© dans sa mise en Ćuvre.
đ Comment articuler lâexistence et le dĂ©veloppement des soins palliatifs avec votre projet de loi sur la fin de vie ?
Il y a beaucoup de choses Ă faire !
Il faut poursuivre le dĂ©veloppement de lâoffre palliative dans les Ă©tablissements sanitaires et mĂ©dico-sociaux ainsi quâĂ domicile, afin de garantir lâaccĂšs aux soins palliatifs Ă tous les malades.
Nous devons aussi revoir le modĂšle de financement des soins palliatifs (supprimer la T2A), gĂ©nĂ©raliser les formations Ă la fin de vie et Ă lâapproche palliative pendant les Ă©tudes des professionnels de santĂ© et pendant leur carriĂšre, en associant cultures palliative et curative, mais aussi dĂ©velopper et valoriser la filiĂšre palliative comme discipline autonome (crĂ©ation dâun DES).
Il nây a aucune opposition Ă mes yeux entre soins palliatifs et aide active Ă mourir. Au contraire, ils doivent sâinscrire dans un parcours dâaccompagnement de fin de vie le plus adaptĂ© Ă la situation diffĂ©rente de chaque malade.
âïž "Monsieur le dĂ©putĂ©, permettez-moi de vous remercier de mâavoir consacrĂ© beaucoup de temps malgrĂ© votre activitĂ© dĂ©bordante, jâespĂšre sincĂšrement que vous rĂ©ussirez dans votre projet de loi sur la fin de vie" Serge RochĂ©
* Olivier Falorni
est Député de la Charente-Maritime & Président du groupe d'études parlementaire sur la fin de vie
Contact đ§ ofalorni@assemblee-nationale.
Propos recueillis par Serge Roché auprÚs du député Olivier Falorni.
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