L'Académie nationale de médecine a pris
connaissance de la proposition de loi déposée au Sénat en vue de
créer un « statut » de lanceur d'alerte1. Tout en
adhérant à la demande de nos concitoyens en faveur de davantage de débat public
et de transparence dans la décision en santé publique élargie aux questions
environnementales, l'Académie tient à formuler des réserves sur une telle
initiative dans le contexte actuel de l'information en matière de santé en
France.
Le droit d'alerter doit être reconnu à
tout citoyen, plus particulièrement aux
scientifiques dont c'est une des missions essentielles. L'Académie de médecine
est elle-même un « lanceur d'alerte » institutionnel, de par ses
statuts qui lui permettent de s'auto-saisir de toute question susceptible de
mettre en danger la santé publique2.
La science a des implications sociétales
qui dépassent le domaine traditionnellement réservé aux scientifiques et qui
devraient pouvoir être débattues sereinement sur la place publique. Cependant,
l'alerte tend trop souvent à en rester au stade médiatique, au risque de
réduire le débat à une polémique stérile, sans apporter au citoyen les réponses qu'il est en droit
d'attendre.
Le lanceur d'alerte a le droit d'être
« protégé » contre
d'éventuelles représailles, et la loi, dans ce cas, lui offre déjà suffisamment
de possibilités de recours. Mais, dans la mesure où la médiatisation peut créer
une confusion avec de véritables expertises3, un « statut » légaliserait la
dérive actuelle qui, sans
contrepartie de responsabilité et sous prétexte
d'expression
dite citoyenne, en vient à tromper le public et les décideurs,.
Créer une « Haute Autorité de
l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement »
reviendrait à nier la valeur de l'expertise scientifique, et la
légitimité des agences et des académies à l'assurer, tout en rendant
encore plus complexe un dispositif d’expertise officielle qui gagnerait au
contraire à être simplifié et clarifié4.
Légitimer
l'alerte au détriment de l'expertise risquerait de faire passer la prise de
décision politique avant l'évaluation scientifique5. Si l'Etat en
arrivait à prendre des décisions majeures sans s’appuyer sur les
évaluations conduites par les structures
d’expertise dont il dispose, il s'exposerait aux pressions, idéologiques,
partisanes et lobbyistes.
L'Académie demande la reconnaissance de la primauté de
l'expertise scientique :
- l'évaluation des alertes, qu'il faut bien distinguer de leur gestion par les pouvoirs
publics, doit pouvoir être menée sereinement, en amont de la décision et sur
des bases scientifiques validées ;
-
l'expertise collective doit
être privilégiée afin d'éviter une personnalisation médiatique abusive ;
-
la déclaration des conflits d'intérêts, passés et présents, est certes une mesure nécessaire afin de conserver à une
expertise de qualité toute sa valeur, mais elle doit s'imposer de la même façon
à tous ceux qui interviennent, à titres divers,
dans le débat public ;
- la suspicion qui entache trop souvent
l'expertise altère l'information scientifique. L’Académie de médecine
réitère donc la demande qu’elle a faite, conjointement avec cinq autres
académies, en faveur de la création d’un Haut comité de la science et de la
technologie qui, auprès du Président du
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, serait chargé de rendre compte régulièrement de la manière dont les
questions scientifiques sont traitées par les acteurs de la communication
audiovisuelle.
L'Académie
met en garde contre une légalisation d'un statut de lanceur d’alerte non
seulement injustifiée mais dangereuse, qui risquerait, de la même façon que
l'inscription dans la Constitution du principe de précaution, d’assujettir notre avenir scientifique et
technologique à la pression d’une opinion souvent mal informée
Elle
dénonce cette initiative qui, si elle aboutissait, loin d'aller dans le sens de
l'intérêt général, risquerait de brouiller l'information de nos concitoyens et
de les détourner des véritables questions de santé
publique.
NOTES
1- « Proposition
de loi relative à la création de la Haute Autorité de l'expertise scientifique
et de l'alerte en matière de santé et d'environnement ». Rapport n° 24
(2012-2013) de M. Ronan DANTEC, au nom de la commission du développement
durable du Sénat, déposé le 9 octobre 2012
2- 12 ans après avoir publié un
article hautement controversé qui suggérait un lien entre le vaccin contre la
rougeole et l'autisme, la prestigieuse revue The Lancet a dû se
rétracter. Mai le mal était fait … Aussitôt publiés, ces résultats avaient
suscité un véritable vent de panique dans le monde anglo-saxon, les taux de
vaccination chutant radicalement à 81% en Angleterre. Ainsi, en un an, de
1999 à 2 000, en Irlande, on est
passé de 148 à 1603 cas de rougeole. La
même année, trois enfants sont morts de la maladie, jusque-là quasi éliminée.
Et l'épidémie s'est propagée dans toute l'Europe, notamment en France :
depuis le 1er janvier 2008, près de 23 000 cas de rougeole ont été déclarés en
France, en trois vagues épidémiques. 2011, 14 966 cas ont été notifiés en 2 011, dont 714 pneumopathies graves, 16 complications neurologiques et 6 décès (InVS)
3- « EXCLUSIF.
Oui, les OGM sont des poisons ! » - Le Nouvel Observateur du 18 septembre
2012
4 – Un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) du
17 septembre 2012 constate que les quelque 1 244 agences répertoriées en France
engendrent des coûts importants, ne correspondant pas toujours à une
amélioration de la qualité du service public
5- Des parlementaires ont
diffusé dans les médias un communiqué annonçant une proposition de loi sur
l'interdiction des adjuvants dans les vaccins, au nom de l'Assemblée nationale,
sans l'accord des autorités de l'Assemblée. (« moratoire
sur l'aluminium utilisé comme adjuvant dans les vaccins », recommandé par
un groupe d'études des vaccinations de l'Assemblée nationale le 13 mars
2012)
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