REMERCIEMENTS
Ce rapport a été réalisé à l’Institut des Politiques Publiques (IPP) pour le compte
de la chaire Transitions Démographiques/Transitions Economiques (TDTE) avec un
soutien financier de l’Union Mutualiste Retraites. Il s’appuie sur le modèle PENSIPP
en cours de développement à l’IPP. Les auteurs remercient l’équipe du modèle Destinie
de l’INSEE, dont dérive PENSIPP, sans laquelle ce travail n’aurait pu être mené
à bien et tout particulièrement Marion Bachelet, Malik Koubi, Aude Leduc et Anthony
Marino. Les auteurs remercient aussi de nombreux participants aux travaux
de la Chaire TDTE pour leur soutien, notamment Olivier Davanne, Antoine Delarue,
Jean-Hervé Lorenzi, André Masson, Alain de Villemeur et Hélène Xuan. Les auteurs
restent néanmoins seuls responsables des résultats et des opinions exprimées dans
ce texte.
1
SYNTHÈSE
Y Les réformes des retraites conduites de 1993 à 2013 ont toutes été de type
paramétrique. Selon les dernières projections du COR, elles devraient contribuer
à fortement limiter la croissance de la part des retraites dans le PIB à
l’horizon de 2060, à la fois du fait de leur impact sur les âges de liquidation
et sur le niveau de vie relatif des retraités. Dans ces conditions, on peut se demander
s’il est utile de resoulever la question de la réforme structurelle, telle
que mise dans le débat public en 2008-2010 (Bozio et Piketty (2008) ; Bichot
(2009) ; Conseil d’orientation des retraites (2010)). La position de ce rapport
est que cette question doit continuer à être instruite, soit pour garder ouverte
l’option de réaliser une telle réforme, soit pour donner un cadre de référence
à la poursuite d’aménagements plus graduels du système de retraite.
Y Il y a en effet deux points que les réformes passées laissent non résolus et dont
la solution appelle une réflexion structurelle. D’une part, elles ne rétablissent
l’équilibre financier que sous une hypothèse de croissance assez soutenue :
une croissance plus faible laisse subsister des déséquilibres significatifs à long
terme. La raison de cette propriété est que ces réformes passées ont cherché
une solution indirecte à la montée de la contrainte démographique, consistant
à indexer sur les prix un certain nombre de paramètres du système. Cette
politique ne fonctionne que lorsque la croissance est suffisante. Une croissance
trop faible la rend inopérante, et une croissance rapide se traduit à l’inverse
par des surajustements. Si on part du principe que le problème des retraites
3
Réforme structurelle du système de retraite
est un problème de partage relatif du revenu national entre actifs et retraités,
il parait normal de viser un système dans lequel la trajectoire de ce partage
pourrait être la même quel que soit le rythme de la croissance.
Y En second lieu, les réformes passées n’ont pas amélioré la lisibilité du système,
et l’ont même plutôt réduite, alimentant l’idée que les jeunes générations cotisent
à perte ou que l’effort et les droits seraient très inégalement partagés à
l’intérieur des générations. Ces soupçons fragilisent l’adhésion au système.
Y Pour attaquer ces questions, ce rapport commence par rappeler la nature du
choc démographique auquel est confronté le système de retraite, la façon dont
les réformes passées ont essayé d’y répondre et les points non résolus. On
en déduit ce que pourrait être le cahier des charges d’un système rénové.
Outre la question de la sensibilité aux hypothèses de croissance, une attention
particulière est accordée à la question de la liberté de choix et à la problématique
de l’équité dans ses dimensions intra et intergénérationnelle. En
matière d’équité, le problème est de trouver un équilibre entre logique contributive
et logique redistributive. En intragénérationnel, ceci doit reposer sur
une articulation lisible entre le coeur contributif du système et un ensemble
d’avantages non contributifs compensant des inégalités dûment identifiées.
En intergénérationnel, contrôler le dosage entre contributivité et redistributivité
est beaucoup plus difficile car le retour sur cotisations des générations
successives ne peut s’écarter que transitoirement du rythme de croissance de
l’économie. Il reste néanmoins souhaitable d’avoir un système permettant de
moduler ce taux de retour en agissant sur les taux de cotisation et les taux de
remplacement.
Y On examine alors la mise en oeuvre concrète de ces idées générales à l’aide
d’un modèle de microsimulation dynamique, le modèle PENSipp _
^
. On examine
les transitions vers un système en comptes notionnels et vers un système par
points. La simulation est faite en conservant la forte hausse des âges de li-
4
Synthèse
quidation devant découler du cumul des réformes passées, sans nouvel ajustement
des âges de départ. Pour bien observer les effets de long terme des
deux systèmes, on a pris le parti de simuler des transitions démarrant rapidement,
avec basculement immédiat des flux de nouveaux retraités dans les
nouvelles règles après reconstitution de droits selon les règles du nouveau
système. Même sous ces conditions, la réforme ne produit ses pleins effets
qu’au bout d’une quarantaine d’années. Le système simulé est par ailleurs un
système unifié s’appliquant à l’ensemble de la population. Il ne s’agit évidemment
que d’une première étape visant à mieux cerner les propriétés analytiques
des deux systèmes, sans présager des dispositions plus réalistes qu’il y
aurait à prendre dans le cadre d’une vraie transition qui ne pourrait intervenir
qu’à horizon plus éloigné.
Y Simulés sous leur forme pure, sans avantages non contributifs, les deux systèmes
permettent bien d’avoir un partage du revenu instantané entre actifs
et retraités beaucoup moins sensible aux hypothèses de croissance. Dans le
système en comptes notionnels, ceci découle des mécanismes d’équilibrage
incorporés au système, notamment le fait d’assurer aux cotisations accumulées
un rendement égal au taux de croissance de l’économie. Dans le cas du
système par points, ceci est obtenu en optant pour de nouvelles règles d’indexation
des valeurs d’achat et de service des points : indexation sur les salaires
plutôt que sur les prix pour l’une comme pour l’autre, cette règle plus
généreuse étant compensée par la mise en oeuvre d’un correcteur démographique
spécifiquement dédié à compenser l’évolution du ratio actifs/retraités.
Tout ceci n’impose pas la stabilité automatique du ratio retraites/PIB. Si on
a des marges de financement pour limiter la dégradation relative des pensions,
il est toujours possible de les mettre en oeuvre et d’en faire profiter les
retraités. Ceci est illustré dans le cadre du système par points.
Y On explore alors la possibilité de compléter ces deux systèmes par des avan-
5
Réforme structurelle du système de retraite
tages non contributifs. Ceci est fait dans le cadre du système souvent présenté
comme le plus incompatible avec la mise en place d’avantages non contributifs,
le système en comptes notionnels. En principe, une réforme structurelle
serait l’occasion de rationaliser ces dispositifs non contributifs après
analyse détaillée des types d’inégalités qu’on souhaite compenser et à quelle
hauteur. Ici, pour bien montrer les degrés de liberté dont on dispose, on a
plutôt pris l’option de reproduire au mieux les avantages non contributifs du
système existant, hormis l’harmonisation qui découle du fait de simuler un
système unifié. Sont ainsi reproduits les divers avantages familiaux (bonification
du troisième enfant, majoration de durée d’assurance et AVPF), la prise
en compte des périodes de chômage, ainsi que le minimum contributif et le
minimum garanti destinés aux cotisants à bas salaires. Pour ces deux derniers
avantages, ceci est fait à l’aide d’un système de bonification des faibles cotisations
avec sortie en sifflet à partir d’un certain seuil.
Y L’ensemble de ces avantages est financé en y réservant quatre des 27 points de
cotisations du système contributif pur simulé dans un premier temps. Autrement
dit, dans ce système modifié, seulement 23 des 27 points de cotisation
sont générateurs de droits contributifs, le reste étant affecté au financement
des avantages non contributifs. Cette modification du système n’altère pas sa
capacité d’autoéquilibrage face aux variations du taux de croissance économique,
notamment grâce à l’adoption de règles d’indexation des avantages
non contributifs qui lie leur évolution à celle du pouvoir d’achat moyen.
Y Ces simulations ne sont qu’une contribution à l’expertise sur ce que pourrait
être la mise en oeuvre concrète d’une réforme structurelle, qu’on veuille la
faire en une seule fois ou de manière plus graduelle. De nombreux points
seront à explorer plus avant : réactions à des chocs démographiques et économiques
plus diversifiés, maintien d’un certain degré de différentiation entre
catégories professionnelles, prise en compte des inégalités d’espérance de vie,
6
Synthèse
introduction de comportements de liquidation endogènes, rationalisation du
droit à pension de réversion.
7
SOMMAIRE
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Introduction 11
1 L’apport des réformes passées : efficaces, mais seulement en situation
de croissance assez soutenue 21
1.1 Retour sur le constat démographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
1.2 Une réponse qui dépend fortement de la croissance . . . . . . . . . . . 28
1.3 La dépendance à la croissance : les mécanismes . . . . . . . . . . . . . 31
2 Concilier équité et liberté de choix : les grands principes, les marges de
manoeuvre 41
2.1 Mieux organiser la liberté de choix ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
2.2 L’équité intragénérationnelle : contributivité et redistributivité . . . . 58
2.3 Quelle équité en intergénérationnel ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
2.4 Conclusions d’étape . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
3 Simuler des transitions vers les points et les comptes notionnels : quelle
incidence sur le lien retraites-croissance ? 79
3.1 Les comptes notionnels : mécanismes généraux . . . . . . . . . . . . . 80
3.2 Quel schéma de transition ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
3.3 Les comptes notionnels : résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
3.4 Transition vers un système par points : quels principes d’indexation
des valeurs d’achat et de service des points ? . . . . . . . . . . . . . . . 99
3.5 Une variante à cotisations croissantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
3.6 Principales conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
4 Introduction de mécanismes non contributifs 117
4.1 Traduire les avantages non contributifs dans la logique des comptes
notionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
4.2 Impacts macroéconomiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
9
Réforme structurelle du système de retraite
Conclusion et prolongements 127
Annexe : Variantes de date de transition 133
Références 139
Liste des figures 143
10
INTRODUCTION
Le système de retraite français a été beaucoup réformé au cours des vingt dernières
années. Ces réformes ont toutes été de type paramétrique. Le terme « paramétrique
» est utilisé pour signaler qu’on se contente de modifier les valeurs numériques
des différents coefficients intervenant dans le calcul des retraites mais sans
changer la nature des formules servant à ces calculs. Par exemple, dans les régimes
par annuités, on augmente le nombre d’années de cotisations requises pour obtenir
une retraite dite « à taux plein », on modifie le nombre d’années de salaire sur
la base desquelles sera calculée cette retraite à taux plein, ou encore on modifie
les coefficients de minoration/bonification en cas de départ avant ou après ce taux
plein. On peut aussi modifier les coefficients de revalorisation des salaires passés
ou d’indexation des retraites en cours de service. Dans les systèmes par points, on
modifie les valeurs dites « d’achat » et « de service » des points.
La signification exacte et les effets de ces paramètres seront précisés plus loin,
au fil du texte. Il s’agit de leviers qui peuvent s’avérer très efficaces pour modifier les
droits. Les réformes paramétriques ne sont donc pas toujours de « petites » réformes
à effets limités. Leur vraie spécificité est de laisser inchangés l’architecture et les
principes de fonctionnement du système. Même si elles ont permis d’opérer un
certain nombre d’harmonisations entre régimes, en faisant converger certains de
leurs paramètres, elles n’ont pas remis en cause la structure actuelle du système
de retraite et le fonctionnement de ses différentes composantes : superposition du
régime par annuités et de régimes par points pour les salariés du privé, et un régime
11
Réforme structurelle du système de retraite
fonctionnant par annuités pour les agents de la fonction publique – mais seulement
pour une partie de leur rémunération.
A cette démarche paramétrique, il est courant d’opposer l’idée de réformes dites
« systémiques » ou « structurelles » consistant à remanier beaucoup plus en profondeur
les caractéristiques du système. Cette idée a toujours été plus ou moins
présente dans le débat français sur la retraite.
Au début des années 1990, le scénario de réforme systémique ou structurelle
le plus fréquemment débattu était celui d’un basculement vers un système en capitalisation.
Si ce type de réforme avait eu lieu, on aurait pu véritablement parler
de changement de système, et c’est donc le terme de réforme systémique qui aurait
été le plus approprié. Dans sa version la plus naïve, la promotion de la capitalisation
s’appuyait sur l’idée qu’il s’agit d’un système par nature plus rentable que le
système par répartition et surtout mieux protégé contre les conséquences des chocs
démographiques. Ces deux arguments ont été très contestés et ils ont fini par être
fortement relativisés (voir par exemple Blanchet et Villeneuve, 1997). La moindre
sensibilité aux chocs démographiques est toute relative, en particulier lorsqu’il s’agit
d’augmentation de l’espérance de vie. Le fait que la capitalisation aurait un plus fort
rendement en régime permanent est une hypothèse davantage fondée, au moins en
théorie, mais ce plus fort rendement doit être mis en balance avec la forte sensibilité
de ce système aux chocs financiers. Par ailleurs, même dans un monde qui
serait à l’abri des chocs financiers, la meilleure performance de la capitalisation ne
peut être atteinte qu’au terme d’une période de transition à la fois longue et coûteuse
en raison du problème dit « de la double cotisation » : une fois un système
par répartition mis en place, revenir à un système en capitalisation suppose que les
générations de la transition commencent à préfinancer leur propre retraite tout en
assurant le paiement de celle des générations précédentes. Cette question du coût
de la transition est moins bloquante lorsqu’il s’agit uniquement d’évoluer vers un
système mixte et il existe, de fait, une tendance vers une plus grande mixité entre
12
Introduction
les deux systèmes. Elle peut prendre une forme collective, celle de la répartition
provisionnée, comme on a tenté de le faire avec l’expérience du fond de réserve.
Elle prend aussi une forme plus individuelle, avec une propension croissante des
assurés à se constituer des compléments de retraite préfinancés. Mais le sujet principal
en matière de retraites n’est plus la transition vers un système dans lequel la
capitalisation jouerait un rôle prédominant.
Désormais, ce qui est en débat, c’est la recherche de façons alternatives de structurer
et de gérer la retraite par répartition, ce pour quoi on préférera utiliser ici le
terme de réforme « structurelle ». Deux grandes pistes de réforme structurelle ont
été mises en avant au cours des années récentes. L’une a été inspirée par certains
exemples de réformes étrangères et notamment la réforme du système suédois : il
s’agit du basculement vers le système dits de « comptes notionnels », une piste principalement
explorée par Bozio et Piketty (2008). L’autre piste est la généralisation
du système des points, présenté comme plus souple et plus moderne que le système
par annuités, avec la vertu de mieux garantir la correspondance entre droits
à retraite et effort contributif passés (Bichot, 2009).
Une première expertise de ces deux pistes a fait l’objet d’un rapport du Conseil
d’orientation des retraites voici quelques années (Conseil d’orientation des retraites,
2010). Ce rapport a clarifié les mécanismes et l’intérêt de ces deux systèmes, en
soulignant qu’ils ne répondent pas à tous les problèmes qui se posent aux régimes
de retraite et que la transition vers l’un ou l’autre de ces deux systèmes pouvait
soulever de nombreuses difficultés, à la fois politiques, juridiques et techniques. On
évite certes le problème la double cotisation mentionné plus haut puisqu’on reste
dans le cadre de la répartition, mais modifier en profondeur les règles de calcul des
retraites à partir de systèmes très hétérogènes génère nécessairement des perdants
et des gagnants ce qui rend la transition politiquement et juridiquement difficile.
D’un point de vue technique, la difficulté est de refondre totalement des procédures
de calcul des droits, à partir d’informations qui ne sont pas toujours spontanément
13
Réforme structurelle du système de retraite
disponibles au sein des caisses de retraite. Ce rapport du COR, élaboré dans un
délai extrêmement court, n’avait toutefois pas pu explorer des scénarios complets
de transition vers l’un ou l’autre des deux systèmes qui auraient permis d’évaluer
complètement leur faisabilité et leurs conséquences.
Après ce rapport du COR, la réforme des retraites de 2010 a été conçue dans l’urgence
et toute entière tendue vers un objectif de rétablissement rapide des comptes
qui s’annonçaient fortement dégradés par la crise économique. La piste de la réforme
structurelle n’avait donc pas été reconsidérée, et son réexamen avait été
reporté à la réforme ultérieure. Ce réexamen aurait ainsi pu intervenir en 2013. Les
travaux préparatoires à cette réforme de 2013 ont, de fait, accordé une place significative
à la question du pilotage à long terme (Moreau, 2013), et la question de
la réforme structurelle aurait pu être remise au centre du débat par ce biais, mais
tel n’a pas été le choix retenu, probablement pour deux raisons. La première raison
est que le dossier n’avait guère eu le temps de mûrir depuis le rapport du COR de
2009 et la réforme de 2010, or une réforme structurelle ne s’improvise pas. Elle
doit s’appuyer sur un très long travail préparatoire. La seconde raison a été, comme
en 2010, la prédominance du besoin d’équilibrage à court et moyen terme – l’horizon
2020 – ce à quoi la réforme structurelle ne pouvait toujours pas constituer la
réponse.
Ces ajournements successifs pourraient inviter à refermer définitivement le dossier.
Telle n’est pas la position retenue dans ce rapport. On a considéré que la question
pouvait et devait être instruite plus avant. Elle peut l’être à deux titres. Elle
peut l’être pour garder ouverte l’option d’une réforme structurelle au sens plein du
terme, de type « big-bang », si on pense que l’opportunité ou la nécessité s’en présenteront
un jour. Elle peut aussi se justifier dans le cadre d’une démarche moins
radicale. La réflexion sur des systèmes cibles peut aussi servir à donner davantage
de rationalité et de cohérence à un processus de réforme qui garderait la forme
paramétrique et très progressive qu’il a eue jusqu’à ce jour. Une politique de petits
14
Introduction
pas ou d’inflexions graduelles a tout à gagner à s’appuyer sur une vision d’ensemble
du système auquel on veut finalement aboutir.
Quels sont les besoins non satisfaits qui pourraient être couverts par une refonte
globale du système, qu’elle soit faite en une seule fois ou de manière plus
progressive ?
Un premier élément est le fait que l’efficacité des réformes passées reste très tributaire
d’hypothèses de croissance économique qui n’ont rien de garanties, et tel va
très probablement rester le cas avec la réforme conduite en 2013. Cette propriété
de dépendance à la croissance remonte à des choix effectués dès la fin des années
1980 et consolidés par la réforme de 1993. Les réformateurs de l’époque avaient essayé
de faire au mieux avec les paramètres qu’il leur était le plus facile de modifier,
en l’occurrence des règles d’indexation concernant à la fois les carrières passées et
les retraites en cours de service : ils avaient opté pour des règles d’indexation sur les
prix permettant un découplage partiel entre croissance économique et croissance
des retraites. Or ce levier n’est efficace que si la croissance est suffisamment rapide.
Il cesse de l’être en situation de croissance ralentie et il faut trouver dans ce cas
d’autres modes d’équilibrage du système. Les systèmes en comptes notionnels et le
système par points proposent de tels modes d’équilibrage et leurs propriétés doivent
être explorées : elles peuvent l’être soit dans le but ultime de converger vers l’un ou
l’autre de ces deux systèmes soit, au minimum, pour aider à reformuler la question
des règles d’indexation dans les systèmes existants.
En second lieu, les réformes paramétriques passées ont plutôt réduit la lisibilité
du système pour les assurés. Cette perte de lisibilité alimente le sentiment – erroné
– que les plus jeunes générations contribuent désormais avec de faibles espoirs de
retour sur leurs cotisations et elle alimente la conviction que l’effort ainsi demandé
reste très inégalement réparti entre catégories de cotisants. Ce manque de lisibilité
vaut à la fois pour le coeur du système – les droits directs contributifs – et a fortiori
pour toute sa périphérie, c’est à dire l’ensemble des droits non contributifs, que
15
Réforme structurelle du système de retraite
ceux-ci visent à la compensation des faibles revenus, des accidents de carrière ou
encore à celle des inégalités de situations familiales.
S’agissant des droits directs, c’est l’écart entre un calcul de la retraite sur la
base des vingt-cinq meilleures années de carrière dans le privé et des six derniers
mois dans le secteur public qui est plus spécifiquement en cause. Le différentiel de
taux de remplacement qui en découle est certes beaucoup moins élevé que ce qu’on
affirme parfois, et pas systématiquement à l’avantage du secteur public, comme
l’ont montré les travaux du COR et le rapport Moreau, mais il est très difficile de
faire admettre que de telles différences de règles ne sont pas une source d’inégalités
injustifiées et elles compliquent la mise en place d’un pilotage symétrique des deux
systèmes.
S’agissant des droits non contributifs et dérivés, ils résultent d’un empilement
de règles hétéroclites accumulées au fil des années et qui sont de nouveau fortement
hétérogènes d’une catégorie de cotisants et de retraités à l’autre. On a donc
un système dont l’efficacité redistributive n’est pas garantie – on ne sait pas si les
avantages non contributifs bénéficient réellement à ceux qui en ont le plus besoin –
et dont la complexité alimente une fois encore le sentiment d’inéquités injustifiées.
Face à toutes ces difficultés, penser en termes de réforme structurelle garde toute
sa place. L’objectif est d’aider à faire progressivement sortir la politique des retraites
d’une démarche de réforme à vue, avec les seuls instruments du bord, nécessitant
d’incessants ajustements de trajectoire qui mettent régulièrement à l’épreuve
la confiance des cotisants. Ceci peut se faire en essayant de réfléchir à des systèmes
cibles dont les propriétés auront pu être clairement débattues. L’objectif de ce rapport
est d’explorer diverses options qui sont offertes pour concevoir ces systèmes
cibles et de commencer à en simuler l’impact.
La démarche suivie sera en deux temps principaux.
La première moitié du rapport sera consacrée au bilan des réformes passées,
à la discussion de leurs limites et aux attentes qui peuvent en découler pour une
16
Introduction
réforme structurelle. Deux chapitres seront consacrées à ce thème.
Le chapitre 1 se focalisera surtout sur les aspects macroéconomiques et la question
de la dépendance à la croissance : pourquoi les réformes passées ont-elles
conduit à un système dont l’équilibre est si fortement dépendant de la croissance,
avec tous les problèmes que cela entraîne, notamment en termes de crédibilité des
projections ?
Le chapitre 2 se consacrera pour sa part au thème de la liberté de choix et de
l’équité, cette dernière étant entendue à la fois au sens intra et intergénérationnel.
La liberté de choix est une attente naturelle, mais elle doit-être régulée selon des
principes clairs. L’équité est une attente encore plus forte mais qui manque malheureusement
d’une définition simple. On arguera que la réflexion sur la retraite
ne peut sortir de cette difficulté qu’en assumant explicitement la tension entre deux
conceptions polaires de l’équité : une logique contributive et une logique redistributive,
qui ont toutes les deux leurs raisons d’être et entre lesquelles il importe
donc de trouver le bon compromis. Au niveau intergénérationnel, une autre complication
apparaîtra, qui est que les possibilités de lisser les inégalités naturelles
entre générations sont extrêmement réduites. Pour autant, on verra qu’il est important
de relativiser l’affirmation selon lesquelles les réformes des retraites, par
nature, seraient condamnées à créer de fortes inéquités au détriment des générations
futures. C’est tout spécialement la thèse de la cotisation à perte qu’il importe
de réfuter, pour aider à restaurer la confiance dont le système à besoin.
Sur ces bases, la seconde moitié du rapport explore ce que donneraient différents
scénarios de transition vers un système en points ou en comptes notionnels,
sans a priori sur la supériorité de l’un ou l’autre. Simuler les effets de telles transitions
nécessite des outils assez élaborés et difficiles à manipuler : il faut notamment
qu’ils rendent fidèlement compte de la complexité des règles actuelles si l’on veut
bien apprécier les effets macro et microéconomiques du changement de ces règles.
Il s’agit donc d’un travail de longue haleine. Ceci constitue d’ailleurs un argument
17
Réforme structurelle du système de retraite
additionnel en faveur d’une expertise en continu, plutôt que des demandes d’évaluations
effectuées dans l’urgence à chaque fois que la question de la réforme est
remise à l’agenda.
Suivant une pratique qui s’est plus ou moins systématisée, notre contribution à
cette expertise s’appuiera sur la technique dite de la microsimulation, en recourant
au modèle PENSipp _
^
de l’Institut des politiques publiques (IPP), issu du modèle Destinie
développé et utilisé à l’Insee depuis les années 1990. Le développement de ce
modèle s’est fait parallèlement à la rédaction de ce rapport, ce qui explique le caractère
encore partiel des résultats. Mais, par rapport aux travaux de même nature
qui avaient été réalisés, par la même technique, pour le rapport 2009 du COR , ils
présentent deux avancées 1.
La première est la production de simulations parallèles de la transition vers les
comptes notionnels et le régime en points, en population générale, avec un intérêt
particulier pour la question de la sensibilité des deux systèmes au rythme de la
croissance économique. On verra que les deux systèmes offrent effectivement des
voies pour rendre la prospective des retraites moins conditionnée par la croissance.
Ceci découle des principes mêmes du système dans le cas des comptes notionnels,
et passe par l’adoption de règles d’indexation adéquates dans le régime en points,
qui seront en forte rupture par rapport aux règles actuellement appliquées dans les
régimes complémentaires. Ceci sera l’objet du chapitre 3.
L’autre innovation, toujours en population générale, est l’introduction de dispositifs
non contributifs rénovés dans le cadre d’une réforme structurelle. Ceci aurait
pu être simulé à la fois dans le système en points et en comptes notionnels, avec
des résultats en toute hypothèse assez voisins. Pour alléger le travail de simulation
et la taille du rapport, on s’est contenté de le faire dans le cadre du système des
1. Ces travaux avaient respectivement mobilisé le modèle Destinie (en population générale et
pour les seuls comptes notionnels, sans dispositifs non contributifs) et le modèle Prisme de la
CNAV (points et comptes notionnels avec ajout d’avantages non contributifs, mais uniquement sur
le champ CNAV). Voir respectivement Blanchet (2009b) et Albert et Oliveau (2009b,2009a).
18
Introduction
comptes notionnels, souvent présenté – à tort – comme le moins compatible avec
l’existence de mécanismes non contributifs. Ceci sera l’objet du chapitre 4. Comme
on le verra, les simulations montreront qu’il est tout à fait possible d’adjoindre au
système des dispositifs non contributifs d’ampleur comparable à ceux du système
actuel, sans perte d’efficacité redistributive. Au contraire, dans un tel système, les
mécanismes non-contributifs peuvent s’articuler au coeur contributif d’une manière
qui garantit qu’ils soient « toujours utiles »(Secrétariat Général du COR, 2009).
19
Réforme structurelle du système de retraite
20
CHAPITRE 1
L’APPORT DES RÉFORMES PASSÉES :
EFFICACES, MAIS SEULEMENT EN
SITUATION DE CROISSANCE ASSEZ
SOUTENUE
En amont de toute présentation de scénarios de réforme des retraites, il est utile
de revenir à la fois sur le contexte démographique et les contraintes qu’il génère
pour le système de retraite, puis de voir de quelle manière les réformes passées ont
commencé à nous faire cheminer au sein de cet ensemble de contraintes : quels
sont les problèmes qu’elles ont réglés, et quels sont les problèmes qu’elles laissent
entiers ?
1.1 Retour sur le constat démographique
Le constat démographique est en principe bien connu. Mais certains zones d’incompréhension
subsistent quant à la nature des mécanismes qui le sous-tendent.
On va commencer par revenir brièvement sur cet arrière-plan démographique.
21
Réforme structurelle du système de retraite
S’agissant de retraites, il est naturel de quantifier le vieillissement démographique
par un ratio qui approxime les évolutions potentielles du ratio actifs/retraités.
Dans de nombreux pays, on s’appuie sur le ratio des 65 ans et plus aux 20-64 ans
ou aux 15-64 ans. En France, compte tenu des bornes moyennes de la vie active,
on a plutôt l’habitude de raisonner sur le ratio des 60 ans et plus aux 20-59 ans.
L’augmentation d’un tel ratio peut venir de deux sources, soit la hausse de son
numérateur – le nombre de personnes en âge de retraite – soit la baisse de son dénominateur
– le nombre de personnes qui sont d’âge actif. On parle respectivement
de vieillissement « par le haut » et « par le bas ». L’effet dénominateur joue dans de
nombreux pays, tous ceux où les taux de fécondité sont depuis longtemps passés
en dessous du seuil de remplacement des générations, celui qui assure la stationnarité
des effectifs à long terme. Dans ces pays, une part importante du problème
des retraites vient donc du fait que demain, sauf apports migratoires de grande ampleur,
« il y aura moins d’actifs pour payer les retraites ». C’est aussi dans ces termes
qu’avait été longtemps formulé le problème des retraites en France, avec même
davantage d’insistance que dans beaucoup d’autres pays, en raison d’une tradition
bien française de crainte des effets du déclin démographique.
Cet accent était largement injustifié. Les projections démographiques ont certes
longtemps pronostiqué une décrue de la population d’âge actif, à partir de 2006,
mais celle-ci à toujours été de faible ampleur, en raison d’une fécondité proche du
remplacement des générations facilement contrebalancée par les flux migratoires,
même relativement faibles. C’était déjà vrai dans les projections démographiques
produites au milieu des années 1990, alors même qu’elles ne tablaient que sur une
fécondité de 1,8 enfants par femme et des flux migratoires de 50 000 entrées nettes
par an. Ce phénomène a totalement disparu en hypothèse médiane depuis que les
projections ont pris acte d’une légère remontée de la fécondité et opté pour un flux
migratoire relativement élevé à 100 000 entrées nettes par an (figure 1.1).
22
Les réformes passées
FIGURE 1.1 – Évolutions relatives du nombre des 60 ans et plus et du
nombre des 20-60 ans, telles que projetées en 1995 et 2010, par rapport
aux niveaux observés en année de base (bases 100 en 1990).
LECTURE : Les courbes en pointillés correspondent aux projections publiées en 1995. A cette date, on
anticipait un nombre de plus de 60 ans en 2050 égal à 2,04 fois le niveau de l’année de base qui était
l’année 1990. Les courbes en traits pleins correspondent aux résultats des projections de 2010, toujours
exprimés en année de base 1990.
SOURCE : Insee, Blanchet et Le Gallo, 2013.
Ce rôle mineur du vieillissement par le bas a fini par être bien admis, et l’accent
est alors passé à la mise en avant des progrès de la longévité, cette fois-ci à juste
titre, mais avec là encore un besoin de clarification qui va avoir une certaine importance
pour la recherche de solutions au problème des retraites. Le rôle des gains
d’espérance de vie est souvent réduit à celui des gains d’espérance de vie à venir :
le problème des retraites viendrait de ce qu’on continue à gagner chaque année
plusieurs mois d’espérance de vie. Mais la réalité est plus complexe. La baisse de
la mortalité est sans aucun doute le moteur principal du vieillissement démographique,
mais à deux nuances près (voir figure 1.2). D’une part, les variations de
la mortalité qui sont en jeu ne se limitent pas aux variations de mortalité à venir :
l’effet de la baisse de la mortalité sur la structure démographique ne se propage que
lentement sur l’ensemble de la pyramide des âges. Nous devons donc aussi gérer
23
Réforme structurelle du système de retraite
la montée en régime progressive des effets des baisses de mortalité passées. Supposons
par exemple une baisse ponctuelle de la probabilité de décéder entre 70 et
71 ans en 2013. Sans autre changement des probabilités de décès aux autres âges,
ceci fait croître l’effectif des personnes de 71 ans en 2013, puis celui des personnes
de 72 ans en 2014 et ainsi de suite. Ce n’est qu’au bout de plusieurs décennies que
le plein effet de ce choc finit par se réaliser. Le vieillissement en cours une année
donnée ne découle pas que des variations de mortalité de l’année, il dépend aussi
des baisses de mortalité enregistrées au cours des années et même des décennies
précédentes.
FIGURE 1.2 – Décomposition indicative des sources du vieillissement (ratio
des 60 ans et plus aux 20-59 ans).
LECTURE : La contribution tendancielle de l’allongement de la durée de vie au vieillissement est obtenue en appliquant
les évolutions constatées et prévisionnelles de la mortalité à une population sans migrations et d’effectifs
strictement constants à la naissance (courbe noire supérieure). L’effet propre des gains d’espérance de vie à venir
s’obtient en comparant cette trajectoire à celle d’une population à naissances également constantes et dans laquelle
la mortalité est maintenue constante à compter de 2007 (courbe noire en trait fin). L’effet des autres facteurs
s’obtient par comparaison avec la courbe en bleu des évolutions effectives ou projetées par l’Insee. L’effet en V du
baby-boom s’observe de la fin des années 1970 jusque vers 2035.
SOURCE : Insee, Blanchet et Le Gallo, 2013.
D’autre part, ces effets progressifs de baisses de mortalité passées ont été largement
contrecarrés jusqu’en 2006 par l’effet du baby-boom. L’effet de ce facteur doit
lui aussi être bien compris. L’effet d’un baby-boom sur le ratio retraités/actifs est
souvent décrit comme étant un effet temporaire en dos d’âne : le ratio s’élève tant
que les baby-boomers passent aux âges de retraite, puis il redescend quand ils dé-
24
Les réformes passées
cèdent. Il s’agit là encore d’une représentation erronée. L’effet d’un baby-boom sur
la structure par âge est bien transitoire mais il s’agit d’un effet en V et non pas d’une
courbe en cloche. Les baby-boomers freinent la progression du ratio retraités/actifs
lorsqu’ils passent par les âges d’activité : c’est ce qui s’est passé en France jusque
vers 2006, où ils ont assez largement contrecarré le processus de vieillissement auquel
la hausse de l’espérance de vie aurait dû nous confronter dès cette époque.
Mais cet effet s’inverse quand ces générations de baby-boomers arrivent à la retraite
: le ratio de dépendance ré-augmente ou ré-accélère pour progressivement
rejoindre la trajectoire qu’il aurait spontanément connu si le baby-boom n’avait pas
existé (voir figure 1.2).
Ce constat sur la nature du vieillissement a trois conséquences pour la formulation
du problème des retraites et la recherche de solutions à ce problème :
Y D’une part, dans un pays où le nombre d’actifs n’est pas appelé à baisser, la
solution au problème des retraites ne passe guère par la remontée de la fécondité,
qui serait au demeurant bien incertaine. Au maximum peut-on s’interroger
sur ce qu’il est nécessaire de faire pour éviter qu’une rechute de ce taux
de fécondité ne nous fasse évoluer vers le cas de beaucoup d’autres pays où la
contraction de la pyramide des âges à sa base se surajoute aux conséquences
du vieillissement par le haut.
Y En second lieu, le fait que l’effet des gains d’espérance de vie ne se limite pas
à ceux des gains d’espérance de vie futurs explique pourquoi on ne peut se
contenter de réponses du type partage des gains d’espérance de vie à venir
entre temps travaillé et temps de retraite au prorata du rapport actuel de ces
deux temps de vie. Cette idée de partage homothétique des gains d’espérance
de vie a joué un rôle important dans la conception de la réforme française de
2003 et c’est à elle qu’on résume souvent la logique du système de comptes
notionnels. Ce style de principe peut et doit contribuer à la recherche de solutions
aux problèmes de retraites mais il ne peut y suffire, car il ne gère pas
25
Réforme structurelle du système de retraite
l’effet des hausses d’espérance de vie passées, a fortiori quand ceux-ci ont été
longtemps masqués par les bénéfices du baby-boom.
Y Enfin, le fait que l’impact du baby-boom doive s’analyser en termes de sortie
d’un V plutôt que de passage transitoire d’une bosse (voir encadré 1.1),
implique qu’on ne peut prétendre gérer le problème à l’aide de dispositifs
transitoires qu’on pourrait se permettre de refermer une fois passée la bosse.
L’exemple type de cette vision est l’idée qu’on aurait pu gérer la bosse en accumulant
préalablement des réserves, consommées pendant le passage de la
bosse, avec ensuite retour aux conditions de financement d’avant bosse. Ou
encore, sachant que de telles réserves n’ont pas été constituées, laisser filer
les déficits en période de passage de la bosse, en comptant sur le retour à
des conditions démographiques plus favorables pour éponger la dette héritée
de cette période difficile. Mais ce qui est à gérer n’est pas une bosse. Vu du
point bas d’avant basculement à la retraite des baby-boomers, la sortie du V
s’apparente plutôt au franchissement d’une marche d’escalier, qui appelle des
solutions de financement pérennes et non transitoires. C’est dans une telle
perspective que doivent être conçues les réformes des retraites, qu’elles soient
structurelles ou paramétriques.
Encadré 1.1. L’effet en V du baby-boom : une illustration stylisée
Pour comprendre l’effet en "V" du baby-boom, on peut raisonner sur un exemple très stylisé. On
procède à des simulations d’une population à mortalité constante avec une période de temps élémentaire
de 20 ans (tableau). On suppose une durée de vie fixe de 80 ans, et une vie active comprise
entre 20 et 60 ans. Le ratio retraités/actifs est approximé par celui des 60-80 ans aux 20-60 ans :
il est égal au rapport entre l’effectif de la génération née trois périodes auparavant et celui des
générations nées une et deux périodes auparavant.
26
Les réformes passées
Baby-boom temporaire seul, Chute temporaire de Baby-boom puis chute
Période suivi d’un retour au seuil la fécondité sous le temporaire de la fécondité en deçà
de remplacement des générations seuil de remplacement du seuil de remplacement
Effectif des Ratio Effectif des Ratio Effectif des Ratio
générations 60-80 /20-60 générations 60-80 /20-60 générations 60-80 /20-60
4 100 100 100
5 100 100 100
6 100 100 100
7 100 50 100 50 100 50
8 100 50 100 50 100 50
9 100 50 100 50 100 50
10 150 50 100 50 150 50
11 150 40 90 50 135 40
12 150 33 90 53 135 35
13 150 50 90 56 135 56
14 150 50 90 50 135 50
15 150 50 90 50 135 50
LECTURE : dans un scénario avec baby-boom à la période 10, le ratio 60-80 ans/ 20-60 ans passe de 50 % à 40 % entre t=10 et t=11.
CHAMP : Individus liquidants entre 2015 et 2050 ayant cotisé uniquement au régime général.
SOURCE : Insee, Blanchet et Le Gallo, 2013.
Trois scénarios sont simulés, de gauche à droite sur le tableau :
Y Un baby-boom pur à la période 10 : un choc de fécondité fait passer le nombre de naissances de
100 à 150, puis la fécondité revient au seuil de remplacement et les naissances se re-stabilisent.
Le mouvement qui en découle pour le ratio retraités/actifs est bien un mouvement en " V " : on
part d’un ratio de dépendance de 50 %, il chute à 40 % puis 33 % avant de retrouver sa valeur
d’origine.
Y Une chute de la fécondité à la période 11 au cours de laquelle la génération des 20-40 ans ne se
renouvelle qu’à 90 % après quoi on revient à la fécondité de remplacement. C’est ce type de mouvement
qui conduit à une évolution en cloche du ratio de dépendance : le ratio de dépendance
commence par monter puis on finit par retrouver le ratio initial de 50 %.
Y Le cumul des deux scénarios précédents. Il donne la même évolution initiale, puis une accélération
plus rapide du vieillissement lorsque les baby-boomers passent à la retraite en étant suivis
d’une génération moins nombreuse. Elle est suivie d’une décrue, mais celle-ci est uniquement
le contrecoup de l’accélération due au non-remplacement temporaire des générations du babyboom.
La superposition d’un vieillissement tendanciel dû à l’allongement de la durée de vie et du type de
mouvement décrit par le troisième scénario reproduit à peu près la situation française, au fait près
que la basse fécondité des années 1975 voit ses effets en partie compensés par la remontée des flux
migratoires.
27
Réforme structurelle du système de retraite
1.2 Une réponse qui dépend fortement de la croissance
Ces éléments de contexte démographique ayant été rappelés, quels sont les
ordres de grandeur des ajustements qu’ils impliquaient pour le système de retraite,
avant qu’aucune réforme n’ait encore eu lieu ? Résumé de manière très stylisée, vu
du début des années 1990, le problème auquel faisait face le système de retraite
était d’avoir à servir des retraites à un nombre de retraités à peu près deux fois plus
élevé en 2050 en prélevant des ressources sur un nombre de personnes actives à
peu près constant.
Sur cette base, l’équation des retraites était et reste facile à poser. Si l’on demande
à des actifs en nombre à peu près constant de financer deux fois plus de
retraités, et si on veut le faire sans hausse des cotisations ni de l’âge de la retraite,
il n’y a pas d’autre issue que de diviser par deux le ratio retraite moyenne/salaire
moyen, donc planifier un décrochement massif du niveau de vie relatif des retraités.
Une autre solution extrême est de ne jouer que sur l’âge de la retraite. Dans le
cas limite d’un nombre d’emplois fixé où la hausse de l’âge de la retraite n’a qu’un
impact à la baisse sur le nombre de retraités, c’est à une division par deux de la
durée de la retraite qu’il aurait fallu consentir, donc des hausses de l’âge bien plus
conséquentes que ce qui est communément mentionné dans le débat public. Même
en supposant que l’ensemble des retraités en moins font des actifs en plus, le besoin
d’ajustement restait très substantiel, atteignant facilement 7 à 8 années.
La dernière solution " pure " était la hausse des cotisations. Toutes choses égales
par ailleurs, garantir un même niveau de vie brut à des retraités deux fois plus
nombreux nécessite un doublement du taux de cotisation. Dans la pratique, un
objectif plus normal est la stabilisation du ratio des niveaux de vie nets. La hausse
des taux de cotisation joue alors par les deux bouts : elle abaisse le niveau de vie
28
Les réformes passées
net des actifs en même temps qu’elle remonte celui des retraités. Du fait de ce
double effet, l’ajustement requis est moindre qu’un doublement et il est d’autant
plus faible que l’écart entre salaire net et salaire brut est fort dès le départ, mais il
reste néanmoins très substantiel, de l’ordre de 5 à 6 points.
Ce dernier chiffre se retrouve dans un scénario dit de statu quo qu’avait proposé
le COR dans son tout premier rapport de 2001. Il consistait à la fois à prolonger
la valeur courante de l’âge de la retraite et la valeur initiale du ratio pension
nette/salaire net et à en déduire l’évolution de la masse des retraites en part de
PIB (figure 1.3.A). Elle était ainsi attendue à 18,5 point de PIB en 2040 contre 12,5
point en valeur initiale.
Mais, dès cette époque, cette évolution n’était déjà plus celle qui était projetée
en hypothèse centrale par le COR compte tenu de la réforme déjà intervenue en
1993, avec une part des retraites dans le PIB qui était déjà prévue en décrochement
de 2 points en 2040, à seulement 16,5 points de PIB.
La suite des exercices de projection du COR conduits en 2006, 2007, 2010 et
tout récemment en 2012 font ensuite apparaître trois résultats. Le premier est que
les résultats des projections s’améliorent de plus en plus sur le long terme, du moins
dans les hypothèses économiques les plus favorables. Dans la projection de 2012,
on assiste ainsi à un aplatissement complet de la trajectoire postérieure à 2020 si
on retient le scénario médian dit " B " d’une croissance à 1,5 point par an. On arrive
même à une amélioration très substantielle des comptes dans les hypothèses
plus favorables " A " et " A’ " tablant respectivement sur des croissances de 1,8 et
2 % par an. Le second est que ce bon résultat est néanmoins très tributaire de cette
hypothèse de croissance. Toujours dans les dernières projections, le besoin de financement
reste au contraire substantiel dans les scénarios moins favorables mais
pas du tout irréalistes " C " et " C’ " tablant respectivement sur des croissances de la
productivité à 1,2 et 1 % par an. Enfin, le troisième résultat est que l’amélioration
spectaculaire des comptes dans les scénarios les plus favorables est contrebalancée
29
Réforme structurelle du système de retraite
par une détérioration systématique des comptes à court-terme : à court-terme, les
projections du COR ont été à chaque fois trop optimistes par rapport aux réalisations
des années suivantes et ce résultat est à relier au constat sur la sensibilité à
la croissance à long terme : le problème des projections de court-terme est que,
à cet horizon, la croissance n’a jamais été au niveau anticipé lors de l’exercice de
projection précédent, qu’il s’agisse de croissance de la productivité ou de baisse du
chômage.
FIGURE 1.3 – Projections du ratio retraites/ PIB, selon les rapports successifs
du Conseil d’Orientation des Retraites.
LECTURE : La contribution tendancielle de l’allongement de la durée de vie au vieillissement est obtenue
en appliquant les évolutions constatées et prévisionnelles de la mortalité à une population sans migrations
et d’effectifs strictement constants à la naissance (courbe noire supérieure). L’effet propre des gains d’espérance
de vie à venir s’obtient en comparant cette trajectoire à celle d’une population à naissances également
constantes et dans laquelle la mortalité est maintenue constante à compter de 2007 (courbe noire en trait
fin). L’effet des autres facteurs s’obtient par comparaison avec la courbe en bleu des évolutions effectives
ou projetées par l’Insee. L’effet en V du baby-boom s’observe de la fin des années 1970 jusque vers 2035.
SOURCE : COR et Blanchet, 2013.
Ce biais d’optimisme des projections du COR a souvent été critiqué. Il n’est pas
inutile d’en rappeler les raisons. Dans les premiers temps du débat sur la retraite,
les projections étaient facilement suspectées d’un excès d’alarmisme et l’idée était
répandue qu’une solution naturelle et suffisante au problème des retraites était le
redémarrage de la croissance et le retour de plein emploi. Face à cela, il convenait
de montrer que la force de la contrainte démographique était telle que des réformes
étaient nécessaires même sous des hypothèses économiques particulièrement favorables.
Au demeurant, au tournant des années 2000, cet optimisme semblait avoir
quelque fondement puisque la France avait connu une décrue assez spectaculaire
30
Les réformes passées
du taux de chômage qui faisait croire à la possibilité d’un nouveau plein emploi.
Les conditions ont néanmoins changé : la crise de 2008 est intervenue entre
temps, et il n’est pas possible d’exclure l’hypothèse qu’elle ne débouche sur une
période de croissance très durablement ralentie. L’idée n’est pas de dire que les
scénarios les plus défavorables sont nécessairement les plus probables, mais à tout
le moins faut-il leur donner une place non marginale et commencer à réfléchir à
des systèmes qui prennent bien en compte l’incertitude qui existe en matière de
croissance future.
Ceci suppose tout d’abord de bien préciser quels sont les mécanismes introduits
par les réformes passées et qui expliquent cette dépendance à la croissance.
1.3 La dépendance à la croissance : les mécanismes
Avant toutes choses, commençons par reclarifier une donnée de base. En principe,
la croissance de la productivité est neutre pour l’équation qui définit l’équilibre
du système de retraite dès lors que cet équilibre est décrit en termes relatifs
et tel est bien ce qu’il convient de faire à long terme. C’est de cette manière que
le problème d’équilibrage a été présenté plus haut, avec les deux angles « financiers
» du triangle des retraites que sont le ratio retraites/PIB et le ratio retraite
moyenne/salaire moyen. C’est également en ces termes que le COR a l’habitude de
présenter son « abaque », le diagramme qu’il met régulièrement à jour depuis son
premier rapport et qui permet de balayer l’éventail des macro-choix possibles, à
différents horizons, en termes de coût global des retraites, de niveau de vie relatif
des retraités et d’âge moyen de liquidation. Les figures 1.4.A et 1.4.B donnent cet
abaque, à l’horizon 2040, pour deux des cinq scénarios macroéconomiques des dernières
projections du Conseil, les scénarios A et C’, le scénario A avec des progrès
31
Réforme structurelle du système de retraite
de productivité égaux à 1,8 % par an et une stabilisation à long terme du chômage
à un taux de 4,5 % et le scénario C’ avec des progrès de productivité de 1 % par an
et un chômage de long terme de 7 %.
FIGURE 1.4 – Trajectoire des dépenses de retraite dans l’abaque du COR,
à l’horizon 2040, selon hypothèses macro-économiques.
A. SCÉNARIO A
B. SCÉNARIO C’
LECTURE : À partir du point z correspondant aux conditions initiales, on lit en abscisse les baisses
à envisager pour le niveau de vie relatif des retraités et en ordonnées les hausses de cotisations des
actifs. La relation entre ces deux paramètres dépend de l’évolution de l’âge de la retraite. Une hausse
d’environ 6,5 ans par rapport à l’âge de 2011 serait nécessaire pour n’avoir à modifier ni le taux de
remplacement ni le taux de cotisation. Si on table plutôt sur une remontée de deux ans de cet âge de la
retraite (droites en trait foncé) l’éventail des possibles s’inscrit entre une baisse de 20 à 22 % du niveau
de vie relatif des retraités (point x) ou une hausse de 5 à 5,5 point des cotisations (point y). Les flèches
indiquent les chemins qui seraient spontanément empruntés, compte tenu des règles actuelles, sous
l’effet des hypothèses de croissance économique (vers les points w et w’, selon scénarios de rendement
ARRCO-AGIRC).
32
Les réformes passées
Rappelons le principe de lecture de ces abaques. Chaque diagonale décrit l’arbitrage
entre hausse du taux de cotisations et baisse du pouvoir d’achat relatif des
pensions pour un âge de la retraite donné. Le point de référence z en bas à droite du
triangle correspond au maintien des taux de cotisation et du ratio pension/salaire à
son niveau initial. On voit que, pour pouvoir rester sur ce point, il faudrait accepter
de passer à la diagonale de niveau de l’âge de la retraite correspondant à une remontée
de +6 ans par rapport à l’âge atteint en 2011. Si on se limite à une hausse
de seulement deux ans par rapport à l’âge de 2011, alors il faut se positionner sur
la diagonale tracée en foncé. On peut par exemple baisser le niveau relatif des pensions,
de 20 à 22 point par rapport à la valeur de 2011 (point x) soit augmenter le
taux de cotisation de cinq points (point y) ou n’importe laquelle des combinaisons
entre baisse des pensions/hausse des cotisations représentées sur cette diagonale
en trait foncé. La position de cette diagonale et des autres diagonales est bien à
peu près la même pour les deux scénarios macroéconomiques : elles se superposeraient
même totalement si les deux scénarios ne différaient que par l’hypothèse
de productivité, la différence qui existe n’étant due qu’à l’écart sur l’hypothèse de
chômage.
Là où la croissance joue, c’est sur la façon dont nous serons amenés à nous
déplacer dans cette abaque sur la base des réformes déjà effectuées, hors réforme
2013. Les points d’arrivée en 2040 sont les points notés sur chaque graphique.
Il y en deux sur chaque graphique, correspondant dans chaque cas à deux soushypothèses
sur les évolutions envisagées dans les régimes complémentaires, dont
la signification apparaîtra plus loin, respectivement les points w (scénarios à rendements
ARRCO/AGIRC constant) et w’ (scénarios à rendement ARRCO/AGIRC
décroissant). Ces points se situent dans les deux cas sur la même diagonale d’âge
de la retraite décalée de deux ans par rapport à l’âge atteint en 2011 puisqu’il s’agit
de l’hypothèse faite par le COR quant aux évolutions des comportements de départ.
Mais les positions des points d’arrivée sur cette diagonale sont totalement à l’op-
33
Réforme structurelle du système de retraite
posé l’une de l’autre. Dans le scénario macroéconomique favorable, le mouvement
est horizontal, avec un faible besoin d’augmenter les cotisations des actifs mais des
baisses importantes du pouvoir d’achat relatif des retraités. Dans le scénario économique
défavorable, au contraire, on se déplace de manière quasiment verticale :
les retraités maintiennent la valeur initiale de leur pouvoir d’achat relatif, ce qui
impose une hausse du taux de cotisation de 5 à 6 points. On voit ainsi que, au final,
avec les règles actuelles, c’est la croissance qui décide du cheminement adopté au
sein de l’abaque et du partage final de l’ajustement entre actifs (les taux de cotisations)
et retraités (le pouvoir d’achat relatif des pensions).
Une autre visualisation de cet effet de vase communicants entre taux de cotisation
ou ratio retraites/PIB et niveau relatif des retraites est obtenue en examinant la
figure 1.5 qui donne l’évolution projetée du ratio retraite moyenne/salaire moyen
dans l’ensemble des cinq scénarios macro-économiques du COR qu’on peut mettre
en regard de la figure 1.3.D qui donnait les trajectoires du ratio retraite/PIB dans
les cinq mêmes scénarios. Il n’y a pas de miracle. A trajectoire donnée de l’âge de
la retraite, le freinage du ratio retraites/PIB ne s’obtient que par une baisse significative
du niveau relatif des pensions.
Pourquoi ce freinage et la baisse associée des pensions sont-ils à ce point dépendant
des hypothèses de croissance ? En quoi ceci découle-t-il des choix retenus lors
des réformes passées ?
De manière très générale, la baisse du ratio pension moyenne/salaire moyen
peut se faire par deux canaux : via la baisse des taux de remplacement, c’est-à-dire
le ratio entre la première retraite perçue après liquidation et le dernier salaire, soit
via un décrochement progressif des retraites en cours de service par rapport aux
salaires courants tout au long de la période de retraite.
Les deux mécanismes jouent pour la retraite de base versée par le régime général.
Depuis la fin des années 1980, les pensions en cours de service n’y sont plus
indexées que sur les prix. Comparé à un régime d’indexation sur les salaires, le ré-
34
Les réformes passées
FIGURE 1.5 – Perspectives du ratio pension moyenne nette/salaire
moyen net, selon les hypothèses de croissance.
SOURCE : COR, 2012 et Blanchet, 2013.
gime d’indexation sur les prix conduit les pensions en cours de service à décrocher
progressivement par rapport aux salaires courants. Prenons l’exemple d’un individu
liquidant à une date t une pension représentant 70 % du salaire moyen du moment.
A n’importe quelle date ultérieure, avec une indexation sur les salaires, sa pension
représentera toujours 70 % du salaire moyen du moment. En revanche, si cette retraite
est indexée sur les prix et si la croissance annuelle des salaires est de 1,5 %
par an, au bout de dix ans, la pension de l’individu, même si elle a été maintenue
en pouvoir d’achat, ne représente plus qu’environ (1-0,015x10)x70 % soit à peu
près 60 % du salaire moyen du moment. Encore 10 ans après, elle n’en représente
plus qu’environ 50 %. Il s’agit là d’un premier levier assez puissant pour réduire le
ratio pensions/PIB mais évidemment à la condition que croissance il y ait. Dans le
cas limite où la croissance est nulle, l’indexation des retraites en cours de service
sur les prix ou sur les salaires conduisent exactement au même résultat.
Cet effet est amplifié si ce phénomène de décrochage progressif s’applique à
35
Réforme structurelle du système de retraite
une première pension qui est elle même plus faible en pourcentage des salaires.
Tel est ou tel devrait progressivement être le cas dans le régime général sous l’effet
du passage d’un calcul de la retraite sur les 25 plutôt que les 10 meilleures années
combiné, là encore, au passage à une indexation prix mais appliquée cette fois à
la séquence de salaires passés, dits " salaires portés aux comptes " et non pas aux
pensions en cours de service. Le principe est ici le suivant, grossièrement stylisé sur
la figure 1.6. Dans un système par annuités, la retraite est proportionnelle à la fois
au nombre d’années de cotisation et à un salaire de référence. Lorsque ce salaire
est le salaire moyen des 10 meilleurs salaires passés revalorisés selon la croissance
passée de salaires, la retraite est donc calée sur un niveau sensiblement plus élevé
que lorsqu’elle est proportionnelle à la moyenne des 25 meilleurs salaires revalorisés
sur la base de la croissance des prix. Là encore, l’ampleur du décrochement
est d’autant plus importante que la croissance est rapide. On peut quantifier l’effet
joint de cette indexation des salaires portés aux comptes et de l’indexation des pensions
en cours de service de la manière suivante. Supposons que la retraite dure
25 ans en moyenne. A un instant donné, le retraité moyen est donc à la retraite
depuis environ 12,5 années, et sa retraite courante se réfère à un salaire moyen des
25 dernières années de sa carrière, soit en moyenne 12,5 années avant sa liquidation.
On peut donc dire que, avec l’indexation généralisée sur les prix, la retraite
est arrimée non pas aux salaires courants mais au niveau des salaires qui prévalait
12,5+12,5=25 ans plus tôt. Supposons alors une croissance plus rapide de 0,3
point. En cumulé, ceci conduit à 0,3x25 soit environ 7,5 % de décrochement : une
accélération de 0,3 point de la croissance conduit à une baisse de 7,5 % de la retraite
moyenne par rapport au salaire moyen, et donc une baisse de même montant
du ratio retraites/masse salariale ou retraites/PIB en régime permanent. Pour un
système de retraite représentant environ 13 points de PIB, ces 7,5 % d’économies
représentent 1 point de PIB. On retombe bien sur l’ordre de grandeur de la sensibilité
des retraites à la croissance obtenue dans les projections du COR puisque,
36
Les réformes passées
dans ces projections, l’écart de 1 point de croissance que l’on avait entre les hypothèses
extrêmes A’ et C’ se traduisait par un écart d’environ 3 point pour le ratio
retraites/PIB de 2060.
FIGURE 1.6 – L’impact de la réforme de 1993 sur le niveau de la retraite
et son évolution après liquidation (représentation stylisée).
LECTURE : En noir est représentée l’évolution rétrospective des salaires nominaux. Dans l’ancienne formule
(courbe en bleu clair), les dix meilleurs d’entre eux étaient retenus (ici les dix derniers), après une revalorisation
favorable sur la base de la hausse des salaires moyens passés. Dans la nouvelle formule le nombre
d’années prises en compte est plus élevé et combiné à une revalorisation moins avantageuse, sur la base des
prix (courbe en bleu foncé). La base de calcul de la retraite est donc plus basse conduisant à un plus faible
taux de remplacement du dernier salaire. Cet effet se cumule avec les conséquences d’une revalorisation
après liquidation également basée sur les prix et non sur la croissance du salaire moyen des actifs après
départ en retraite de l’individu considéré (lignes en bleu à droite de l’âge de départ en retraite).
Ce calcul n’est qu’indicatif car il ne concerne qu’une composante du système
de retraite. Le fait qu’il soit cohérent avec les résultats des projections complètes
du COR vient de ce qu’il existe des mécanismes de même nature dans les autres
régimes.
Dans la fonction publique, le fait que la retraite soit calculée sur les six derniers
mois de la carrière fait sauter la dépendance à la croissance passant par le calcul
du salaire de référence, en revanche, les effets de l’indexation prix après liquidation
sont les mêmes que dans le régime général. Par ailleurs, il faut signaler que d’autres
37
Réforme structurelle du système de retraite
leviers ont généré des baisses des taux de remplacement des pensions de la fonction
publique au cours de la période récente, essentiellement la part croissante des
primes dans la rémunération des agents qui fait mécaniquement baisser le taux de
remplacement, dans la mesure où celles-ci ne sont que très partiellement prises en
compte dans le calcul des droits à retraite (Moreau, 2013).
Dans les régimes par points, le décrochement des pensions par rapport aux salaires
tient aux hypothèses retenues pour les évolutions des valeurs d’achat et de
service des points. Comme on y reviendra plus loin de manière plus systématique,
le mode d’indexation de ces deux grandeurs qui garantirait un ancrage complet
sur la croissance serait une indexation systématique de ces deux paramètres sur les
salaires. Or, depuis les années 1980, on oscille entre des indexations de type dites
« salaires/prix » et « prix/prix » : la valeur de service du point est le plus souvent
indexée sur les prix alors que la valeur d’achat est indexée tantôt sur les salaires et
tantôt sur les prix.
De ces deux combinaisons, c’est la combinaison « salaires/prix » qui a les effets
les plus défavorables sur le niveau relatif des retraites. Si elle est maintenue indéfiniment,
ceci voudrait dire un blocage complet du pouvoir d’achat absolu des
pensions et donc un décrochement indéfini de leur pouvoir d’achat relatif. En effet,
une valeur d’achat des points qui évolue comme les salaires signifie que les
cotisations ne permettent d’acheter que des montants de points constants d’une génération
sur l’autre : si ces points sont ensuite valorisés selon les prix courants, les
retraites font définitivement du surplace, quelle que soit la croissance. C’est à ce
type de scénario que renvoie l’hypothèse dite " à rendement décroissant " des projections
ARRCO/AGIRC du COR qui a été mentionnée plus haut (les points w’ des
abaques).
L’indexation « prix/prix » a des effets moins défavorables puisque, avec une valeur
d’achat indexée sur les prix, les assurés achètent bien des points dont le nombre
s’accroît avec la croissance économique générale. Mais la valorisation de ces points
38
Les réformes passées
sur les prix conduit néanmoins à des pensions moyennes d’autant plus basses par
rapport aux salaires courants que la croissance est rapide, les points achetés en début
de carrière ne bénéficiant d’aucune revalorisation entre leur achat et la date
de liquidation, et la pension après liquidation évolue en fonction des seuls prix,
comme dans l’ensemble des autres régimes.
On peut ajouter à cette liste les effets de l’indexation sur les prix pour les barèmes
des minima de pension et du minimum vieillesse. Ce sont l’ensemble de tous
ces facteurs qui expliquent la forte sensibilité des projections du COR aux hypothèses
de croissance : un point de croissance en plus ou en moins se traduit à long
terme par trois points en moins ou en plus pour le ratio retraites/PIB.
L’ajustement macroéconomique du système de retraite à la nouvelle donne démographique
n’a donc pas été du tout marginal. Il peut se montrer substantiel et
même supérieur aux besoins dans les scénarios de croissance soutenue, mais il n’en
reste pas moins qu’il s’agit d’un chantier inachevé. Avoir un système dont les résultats
soient si dépendants des hypothèses de croissance pose question. Il peut
certes y avoir des raisons d’avoir un système de retraite plus ou moins généreux
selon le rythme de la croissance et le niveau de vie. Historiquement, c’est bien la
croissance qui a permis au système de se montrer de plus en plus conséquent, selon
un mécanisme classique d’arbitrage entre loisir et niveau de vie : les forts progrès
de productivité des trente glorieuses ont été utilisées à la fois pour améliorer le
niveau de vie et pour « acheter » des années de loisir en nombre croissant, avec le
double allongement de la durée de la retraite résultant de l’allongement de la durée
de vie et de l’abaissement de l’âge de liquidation. Sur la base de cette expérience
historique, rien n’impose d’avoir un système de retraite dimensionné de manière
exactement similaire en 2060 selon que la croissance observée d’ici là aura été de
1, 1,5 ou 2 % par an.
Mais le problème est que les réformes passées débouchent sur un lien entre
retraites et croissance exactement inverse de ce lien historique et qui ne découle
39
Réforme structurelle du système de retraite
d’aucun choix social explicite : c’est dans les scénarios de croissance économique
plus rapide que le système voit sa générosité relative décroître et il pèse davantage
sur les actifs en situation de croissance lente où les marges de financement seront
en principe plus restreintes, l’intensité de ce lien négatif entre taille du système et
croissance découlant uniquement des effets mécaniques des règles d’indexation.
Ce à quoi on va s’intéresser plus loin est un mode de fonctionnement très différent,
c’est-à-dire un système qui, par défaut, stabilise la taille et la générosité
relatives du système, quelles que soient la croissance économique ou les perspectives
démographiques et dont on puisse ensuite se permettre d’ajuster la taille « à
la main », compte tenu des contraintes ou aspirations sociales non spontanément
prises en compte par ces mécanismes d’équilibrage automatique.
Mais ce chantier n’est pas le seul auquel pourrait s’attaquer une réforme structurelle.
Deux autres chantiers sont celui de l’équité du système et celui de la liberté
de choix. Là encore, il s’agit de points qui n’ont pas été absents des reformes passées.
La question de la liberté de choix a même occupé une place assez centrale
dans la réforme de 2003 et le thème de l’équité est omniprésent dans les attendus
des différentes réformes. Mais on va voir que la réponse accordée à la question de
la liberté de choix manque encore de lisibilité. Quant au thème de l’équité, force
est de reconnaître que son usage reste souvent très rhétorique, faute de réflexion
structurée sur ce qui est ou n’est pas équitable en matière de retraites.
40
CHAPITRE 2
CONCILIER ÉQUITÉ ET LIBERTÉ DE
CHOIX : LES GRANDS PRINCIPES, LES
MARGES DE MANOEUVRE
Viser un système moins dépendant de la croissance va être l’un des aspects principaux
des réformes structurelles étudiées dans ce rapport mais deux autres thèmes
y occupent une place importante, celui du type de choix qui peut être offert aux
assurés en matière d’âge de liquidation, et celui de l’équité du système. La complexité
de ces deux questions interdit d’y donner des réponses complètes, mais on
va en tenter un premier dégrossissage, consistant à la fois à analyser l’existant et à
examiner les principes selon lesquels on peut le faire évoluer.
2.1 Mieux organiser la liberté de choix ?
L’évolution vers une plus grande liberté de choix a été présentée comme l’un
des grands apports de la réforme de 2003, et elle a effectivement constitué une
évolution significative, mais qui soulève un certain nombre d’interrogations : cette
liberté de choix a-t-elle été bien calibrée, les marges ainsi offertes ne risquent-elles
41
Réforme structurelle du système de retraite
pas d’accroître les inégalités de niveaux de retraites, faut-il que cette liberté de
choix soit encore accrue ou, au contraire, davantage encadrée ?
Commençons par revenir sur les principes de base. Quel type de liberté de choix
peut offrir un système de retraite par répartition ? Au niveau collectif, on a vu que
l’abaque du COR décrit les choix possibles entre les trois paramètres que sont le taux
d’effort en cours de vie active, l’âge de liquidation et le niveau de la retraite avec,
pour ce dernier paramètre, l’arbitrage supplémentaire à envisager entre niveau de
la retraite à sa liquidation et évolution de celle-ci après liquidation. Le choix collectif
entre ces différents paramètres est contraint puisqu’on ne peut avoir plus sur
un des plans sans avoir moins sur au moins un autre plan. Cette contrainte se durcit
progressivement en raison des évolutions démographiques, mais des choix n’en
sont pas moins possibles sur l’ensemble des trois ou quatre paramètres principaux
caractérisant le système de retraite.
Idéalement, on pourrait imaginer que ce soit le même éventail de choix qui
soit offert au niveau individuel. Si tel pouvait être le cas, ceci dispenserait même
de tout arbitrage collectif : chaque individu choisirait la combinaison entre cotisations/
âge de la retraite et niveau de pension qui lui convient le mieux, sous la même
contrainte d’équilibre, et l’arbitrage collectif sur la retraite ne serait rien d’autre que
la résultante de tous ces micro-arbitrages individuels.
Mais le système ne peut malheureusement pas fonctionner de cette manière.
Seule la capitalisation pourrait éventuellement offrir un choix aussi large : en capitalisation
pure, chacun peut en principe accumuler ce qu’il souhaite sous forme
d’épargne individuelle et arbitrer ensuite entre son âge de départ et son niveau
de retraite. Les individus qui souhaiteraient partir tôt avec des grosses retraites les
financeraient avec un effort contributif important sans avoir à se soucier de l’effort
contributif des autres individus. A l’inverse, un individu qui se pense capable
de travailler jusqu’à un âge élevé, ou qui pense qu’il n’aura que peu de besoins
au cours de sa retraite pourrait se permettre de consacrer peu de ressources à la
42
Équité et liberté de choix
préparation de sa retraite. Mais, comme on l’a dit en introduction, cette piste n’est
que théorique. Évoluer vers ce type de système impliquerait des coûts de transition
insurmontables et il n’est pas sûr qu’il présenterait ensuite tous les avantages qu’il
semble promettre. Les retraites « sur mesure » qu’il permettrait de se préparer seraient
en effet soumises aux aléas des rendements offerts par les marchés financiers
et pourraient donc s’avérer bien plus modestes qu’espérées par les individus, sans
parler du risque de sous-estimation de leurs besoins futurs par ces individus, que ce
soit par myopie ou par méconnaissance de leur espérance de vie et de la dynamique
de leurs besoins en biens et services tout au long de la retraite.
Ici, on va supposer que l’on reste dans le cadre de la répartition collective. Cette
répartition collective n’interdit pas aux individus de garder un certain contrôle
sur leur taux d’effort pour la retraite : ceux qui pensent que les choix collectifs
conduisent à des retraites trop tardives ou trop peu généreuses gardent la possibilité
d’accroître leur taux d’effort de manière facultative ou semi-collective, par
exemple dans des systèmes d’entreprise, mais ceci doit justement passer par des
compléments gérés en capitalisation, en dehors du périmètre de la répartition.
Pour ce qui concerne le système par répartition obligatoire, il ne peut y avoir de
libre choix du taux d’effort car les actifs n’acceptent de cotiser pour financer les retraites
du moment que dans la mesure où ils pensent que les générations suivantes
en feront autant et à des niveaux comparables. Ce taux d’effort doit donc être fixé
par la loi. Un système dans lequel les taux d’effort seraient laissés aux arbitrages
individuels ne peut offrir cette garantie. Il faut que les taux d’efforts soient choisis
collectivement et s’appliquent à tous les contributeurs. Dit d’une autre manière, en
répartition, la taille du système – la masse des retraites rapportée au PIB ou à la
masse salariale – est une variable qui doit-être décidée au niveau politique global.
Elle ne peut résulter de choix spontanés et décentralisés.
Ceci n’empêche pas les systèmes par répartition de pouvoir offrir certaines marges
de choix, mais celles-ci seront plus restreintes. A masse globale des retraites don-
43
Réforme structurelle du système de retraite
née, ce qu’il reste possible de faire est de laisser les intéressés arbitrer entre les deux
autres variables du triangle des retraites : on peut laisser aux individus le choix
entre partir plus tôt avec une retraite plus faible, ou plus tard avec une retraite plus
élevée, tant que ceci est neutre pour l’équilibre financier du système.
Quel arbitrage exact faut-il leur proposer si on va dans cette direction ? C’est ici
qu’intervient un concept qui occupe une large place dans les débats sur la retraite
depuis les années 1990, le concept dit de « neutralité actuarielle ». Il en existe deux
versions, dites « en niveau » et « à la marge » (voir encadré 2.1). La première postule
que le lien entre âge de la retraite et niveau de la retraite doit-être tel que la masse
des pensions perçues sur l’ensemble de la retraite soit égale – en espérance – à ce
que l’individu a versé comme cotisations. On reviendra plus loin sur cette version
forte. Mais il en existe une version plus faible, dite de neutralité actuarielle à la
marge, et c’est celle-ci qui est pertinente à ce niveau de l’analyse. Le problème est
celui des compensations à prévoir entre variations de l’âge et du montant de la
retraite autour d’un âge et d’un montant pivots. Le but de la neutralité à la marge
est de faire en sorte que les déplacements des choix autour de ces pivots soient
financièrement neutres pour le système.
44
Équité et liberté de choix
Encadré 2.1. Neutralité actuarielle en niveau et à la marge
Neutralité en niveau
La neutralité actuarielle en niveau est la traduction formelle de la notion de contributivité, dans sa
version la plus stricte. On dit que le système est strictement contributif lorsque le bilan actualisé de
la masse des prestations reçues et des cotisations versées durant la vie active est égal à zéro. On va
noter
l’âge de début de vie active, l’âge de liquidation, ! l’âge limite de l’existence au-delà duquel
l’âge de début de vie active, l’âge de liquidation, ! l’âge limite de l’existence au-delà duquel
la survie s(a) sera nulle. On notera p( ) la pension servie compte tenu de l’âge de liquidation, qu’on
suppose ensuite constante sur toute la durée de la retraite. Avec un taux d’actualisation r et des
cotisations par âge c(a), cette condition s’écrit :
S
!
p( )s(a)e−rada − S
c(a)s(a)e−rada = 0 (2.1)
On peut la simplifier en retenant un taux d’actualisation nul et une fonction de survie égale à 1
jusqu’à l’âge de la retraite. Il vient dans ce cas :
p( )S
!
s(a)da − S
c(a)da = 0 (2.2)
qui se réécrit :
p( ) = C( )
e( )
(2.3)
en notant C( ) la masse des cotisations versées sur la totalité de la vie active et e( ) l’espérance
de vie à la liquidation. L’expression (2.3) se comprend très simplement : la pension versée chaque
année est égale à ce que l’individu a contribué au système divisé par la durée moyenne durant
laquelle la pension va être perçue.
Neutralité à la marge
La neutralité actuarielle à la marge ne suppose pas l’égalité à zéro du bilan prestations-cotisations.
Le ratio prestations/cotisations peut-être différent de un. S’il est supérieur à un, cela veut dire que
le système octroie à l’individu des droits supérieurs à son effort contributif. En revanche on suppose
que cette bonification doit rester forfaitaire en excluant que l’individu puisse encore l’accroître en
déplaçant son âge de la retraite : augmenter encore sa durée de pension par rapport à la norme
reste à sa charge.
45
Réforme structurelle du système de retraite
Pour caractériser cette règle, il suffit de réécrire la formule (2.3) sous la forme :
p( ) = k
C( )
e( )
(2.4)
et de la différencier par rapport à pour calculer la variation de la pension à appliquer lorsque l’âge
de liquidation varie. Il vient :
p.( )
p( )
= C.( )
C( )
− e.( )
e( )
= c( )
C( )
− e.( )
e( )
(2.5)
Cette formule indique qu’une augmentation/anticipation d’un an de l’âge de liquidation doit être
compensée par un premier terme c( )
C( ) correspondant au surplus/déficit relatif de cotisations versées
durant l’année de report (typiquement 1/40e si les cotisations sont indépendantes de l’âge et la
durée de vie active égale à 40 ans) et le terme −e.( )
e( ) correspondant à la réduction/augmentation
relative de la durée de service de la retraite (typiquement de 5 à 4 % pour une durée de retraite
de 20 à 25 ans). Lorsque l’année de report est une année sans cotisations, seul doit jouer ce second
facteur.
Que faut-il pour cela ? Si un individu fait le choix de partir un an plus tôt à la
retraite, ceci va avoir deux effets sur l’équilibre financier du système : le fait que cet
individu va lui apporter des ressources durant une année de moins et le fait qu’il va
toucher une retraite durant une année de plus. Ce que va faire un barème neutre à
la marge va consister à amputer la retraite d’un montant correspondant à ces deux
coûts en cas de départ anticipé. Symétriquement, un report d’un an de l’âge de
liquidation s’accompagnera de deux majorations : l’une qui sera la contrepartie du
supplément d’effort contributif, lorsque contribution il y a, l’autre qui compensera
le raccourcissement de la durée de service de la pension.
Ce critère de neutralité actuarielle ne doit pas être lu de manière excessivement
rigide. Il est illusoire de prétendre en donner une traduction numérique parfaitement
stable, car le calcul dépend de paramètres qui varient selon les individus et
46
Équité et liberté de choix
au cours du temps, notamment de l’espérance de vie. Mais, quantifiée de manière
approximative, cette règle définit tout de même une base de référence pertinente
pour la spécification du lien entre âge et niveau de la retraite. Très approximativement,
si la durée moyenne de cotisation est de quarante ans, et si la durée de
la retraite est de vingt ans, un report d’un an doit conduire à une bonification de
1/20e au titre de la compensation de l’année de service en moins, et de 1/40e au
titre de l’année de cotisation supplémentaire, lorsque cotisation il y a, soit en tout
7,5 % de pension supplémentaire lorsque les deux effets se cumulent.
Ce type de règle avait été historiquement présent dans le système de retraite
français. Par exemple, au départ, les régimes de retraite complémentaires étaient
des régimes dans lesquels l’âge normal de liquidation était de 65 ans et qui appliquaient
un abattement de 5 % par année d’anticipation avant cet âge, la compensation
additionnelle au titre des moindres contributions découlant mécaniquement
du fonctionnement en points : dans un système en points, toute année de cotisation
supplémentaire se traduit mécaniquement par un supplément de droits à due proportion
reproduisant la règle des +2,5 %. On était ainsi très proche de la neutralité
actuarielle.
Dans le régime général, avant la réforme de 1983, il y avait aussi une règle de
même type. La retraite normale, « au taux plein » était là aussi atteinte à 65 ans. Elle
était par nature proportionnelle au nombre d’années de cotisation, en application
du principe de l’annuité, et elle subissait un abattement dépendant uniquement de
l’âge, mais dont l’ampleur était supérieure à ce que requiert la neutralité actuarielle,
puisqu’il était de 10 plutôt que de 5 % par année d’anticipation : un individu qui
liquidait à 60 ans plutôt qu’à l’âge normal de 65 ans voyait sa pension divisée par
deux en sus de l’effet du nombre d’années validées. Seules certaines catégories
échappaient à cette pénalité des 10 % : anciens combattants, mères de famille
« ouvrières ».
Globalement, le système combiné base/complémentaire respectait donc l’idée
47
Réforme structurelle du système de retraite
générale de neutralité actuarielle, même s’il ne le faisait pas à la lettre, et le lien
entre âge et niveau de la retraite présentait donc une certaine lisibilité. C’est la
réforme de 1983 qui a rendu le système bien plus complexe. Son objectif était
d’abaisser à 60 ans l’âge « normal » de la liquidation à taux plein, mais ceci a été fait
en contraignant ce droit par une condition supplémentaire, puisqu’il n’a été ouvert
qu’aux individus ayant atteint une condition additionnelle de durée, initialement
fixée à 37,5 années. Pour les individus n’atteignant pas cette condition, la pénalité
d’avant réforme a été maintenue, mais appliquée en se basant sur la plus courte des
deux durées manquantes pour l’atteinte du taux plein : soit la durée manquante
pour atteindre 37,5 années de cotisation, soit la durée manquante pour atteindre
65 ans. En d’autres termes, à la suite de la réforme, il y avait deux façons d’atteindre
le taux plein : avoir atteint 60 ans et 37,5 années de cotisation, ou avoir atteint 65
ans.
Évidemment, un tel système n’aurait pas permis d’offrir des retraites satisfaisantes
à 60 ans sans ajustement parallèle des règles dans les régimes complémentaires.
L’annulation de l’abattement y a donc également été introduite pour les individus
remplissant la condition des 37,5 ans. Simultanément, le système avait exclu
toute forme de compensation financière pour des individus prolongeant leur activité
au delà du taux plein : le but de la réforme était seulement de permettre des
retraites plus précoces, mais il n’était pas d’accorder des retraites plus élevées à des
gens qui auraient continué à partir à 65 ans. On peut même considérer que l’objectif
du législateur était non seulement de permettre ces retraites précoces, mais aussi
d’y inciter. A l’époque, l’idée que ces retraites précoces étaient un moyen de faire de
la place aux jeunes sur le marché du travail était encore très prégnante.
Au terme de tout cela, on est donc passé à un système combinant de façon complexe
les rôles de l’âge et de la durée, cette dernière ayant maintenant un double
effet : l’effet de proportionnalité inhérent à la logique des annuités, et le fait que
la durée affecte le coefficient de proportionnalité lui-même, de façon non linéaire,
48
Équité et liberté de choix
avec une forte pente avant la durée cible de 37,5 ans, et aucune pente au delà de
cette durée seuil.
Comme tout ceci est assez complexe, on peut essayer de l’illustrer sous forme
graphique, comme on l’a fait pour expliquer l’impact du passage des 10 aux 25
meilleures années pour le calcul du SAM. C’est ce qui est fait sur la figure 2.1.A
comparant le droit à retraite du régime général en fonction de l’âge de liquidation
pour un individu n’atteignant la condition de durée que légèrement après 60 ans,
avant et après la réforme de 1983. Avant cette réforme, sa pension présentait un
profil de progressivité régulier sur l’ensemble de la plage 60-65 ans. Après réforme
ce profil devient plus favorable, mais aussi très anguleux. En deçà du point anguleux,
on retrouvait la forte pénalité héritée de l’ancien barème de décote avec de
fortes inégalités potentielles quant à la position de ce point anguleux, puisque sa
position dépendait cette fois du nombre d’années de cotisation atteint à l’âge d’ouverture
des droits. Il n’y avait pas de point anguleux pour un individu atteignant
les 37,5 ans dès 60 ans : il obtenait immédiatement le taux plein et il était logique
pour lui de partir dès cet âge, ne pouvant plus améliorer sa pension par un départ
plus tardif. A l’autre extrême, une personne arrivant à 60 ans avec seulement 32,5
ans de cotisation ne pouvait partir à cet âge qu’avec la décote maximale réduisant
sa pension de 50 % par rapport à la pension du taux plein, atteignable seulement à
65 ans.
Dans un premier temps, ce nouveau système n’avait pas de raison d’être perçu
comme peu lisible. La pénalisation financière de la prolongation excessive de l’activité
était dans l’air du temps, compte tenu de l’argument du « place aux jeunes »,
et la pénalisation excessive des départs avant le taux plein n’était guère un sujet
car une majorité de cotisants atteignait les 37,5 années de cotisation bien avant
l’âge de 60 ans, tout du moins dans la population masculine, le système étant en
revanche bien moins avantageux pour les femmes à carrière courte pour qui la liquidation
avant 65 ans était indûment pénalisante. Pour la population masculine ou la
49
Réforme structurelle du système de retraite
population féminine à carrières complètes, le système était tout simplement perçu
comme un système permettant et imposant de facto la retraite à 60 ans, compte
tenu de ce que, légalement, l’âge d’atteinte du taux plein correspondait également
à l’âge normal de fin du contrat de travail pour l’employeur.
FIGURE 2.1 – Taux de remplacement du régime général selon l’âge de
liquidation et selon les législations successives, pour un individu ayant
commencé à cotiser à l’âge de 23 ans.
NOTE : Les taux de remplacement ne tiennent pas compte des retraites servies par le régime complémentaire.
Les effets des différentes législations sont calculées au terme de leur montée en régime
complètes y compris, dans le cas de la réforme de 2003, le relèvement de la surcote intervenu
en 2005 et la remontée à 41,75 ans de la durée d’assurance requise pour le taux plein telle que
prévue pour 2020.
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
.
C’est à l’usage et sous l’effet des réformes ultérieures que la complexité du système
s’est progressivement révélée et continue à le faire. La séquence des réformes
est représentée pour le même cas-type sur la figure 2.1.B. En 1993 et 2003, les deux
réformes ont joué sur le paramètre de durée mis à la disposition du législateur par
la réforme de 1983, en programmant d’abord son durcissement à 40 ans des générations
1933 à 1943 pour la première réforme, puis un nouveau durcissement à
41 ans appelé à être prolongé ensuite en fonction des gains d’espérance de vie, au
50
Équité et liberté de choix
moins jusqu’en 2020, principe que devrait confirmer la réforme de 2013, en portant
cette durée à 43 ans pour la génération 1973.
Combiné au fait d’affecter des générations entrant plus tardivement sur la marché
du travail, cette évolution a progressivement rendu plus visible et donc plus
problématique le rôle de ce critère de durée. Ceci a conduit en 2003 à combiner
son nouveau durcissement avec un adoucissement de la pénalité induite pour les
individus ne remplissant pas ce critère, suivant en cela les recommandations du
rapport Charpin (1999). Dans le même temps, l’idée qu’il n’y avait plus lieu de
décourager les départs au delà du taux plein ayant fait son chemin, c’est en 2003
qu’on a introduit un nouveau dispositif dit « de surcote » symétrique de la pénalité
appliquée au départ avant le taux plein. Après cela, la réforme de 2010 n’a que peu
remis en cause le niveau et la pente de ce barème, mais elle a en revanche introduit
le changement majeur consistant à déplacer de deux ans la fenêtre de liquidation,
en programmant son décalage de 60-65 ans à 62-67 ans.
L’ensemble de ces réformes conduit désormais à pronostiquer une remontée tout
à fait importante de l’âge de liquidation. C’est ce qui a été fait dans les dernières
projections de population active de l’Insee et qui a été supposé par le COR dans ses
dernières projections. Ceci contribue largement au freinage des dépenses de retraite
que montrait la figure 1.3, conjointement aux évolutions des taux de remplacement
et du ratio retraite moyenne/salaire moyen. Ce redressement commence d’ailleurs
à s’observer sur les taux d’activité et d’emploi des tranches d’âge 55-59 et 60-64 ans
(figure 2.2 et Minni (2012)). La même évolution est prévue par le modèle PENSIPP
qui sera utilisé pour nos simulations, du moins pour la variante de comportement
consistant à supposer un départ systématique au taux plein (figure 2.3). Ce résultat
et le profil de droits donné par la figure 2.1.B peuvent donner l’impression que, au
total, on est bien parvenu à un système combinant assez efficacement incitation à la
prolongation d’activité et latitude de choix, de manière assez conforme au principe
de la neutralité actuarielle « à la marge ».
51
Réforme structurelle du système de retraite
FIGURE 2.2 – Taux d’activité des 55-64 ans.
NOTE : le taux d’activité sous-jacent est un taux d’activité corrigé des effets de structure par âge interne au
groupe des 55-64 ans
SOURCE : Minni 2012.
FIGURE 2.3 – Age moyen de liquidation à taux plein, suite aux réformes
1993 à 2010.
SOURCE : PENSipp
_
^
.
52
Équité et liberté de choix
Mais deux points subsistent : (a) ce que montre la figure 2.1.B est-il général ou
spécifique à ce cas-type et (b) découle-t-il bien de la combinaison normale attendue
pour les effets de l’âge de liquidation et de la durée, c’est-à-dire la bonification de
5 % pour le report d’un an du premier et de 2,5 % pour une année supplémentaire
sur la seconde ? Les réponses à ces deux questions sont en fait négatives, suggérant
qu’il reste des marges de rationalisation ou de clarification du système.
Ces réponses négatives sont illustrées par la figure 2.4.A dans le premier cas d’un
individu travaillant jusqu’à la liquidation de sa retraite, pour la législation issue de
la reforme 2010, qu’on peut comparer au barème approximativement neutre de la
figure 2.4.B. Les variations de pension en fonction de la durée atteinte à 62 ans et
de l’âge de liquidation sont données en écart relatif par rapport au cas d’un individu
qui liquiderait dès 62 ans avec seulement 40 années de cotisation. On retrouve
bien sur la figure 2.4.A le type de progressivité de la figure 2.4.B, à un rythme assez
comparable à celui voulu par la neutralité actuarielle, mais avec deux différences
majeures : d’une part, les niveaux de départ à 62 ans en fonction de la durée atteinte
à cette date ne cadrent pas avec la règle de 2,5 % par année manquante. Soit
ils sont bien plus écartés ; c’est le cas en-deçà de 42 ans, puisque, dans ce cas, joue
la décote de 5 % par annuité manquante pour atteindre la cible qui, pour ce graphique,
a été prise égale à 41,75 ans. Soit il n’y a pas d’écart du tout, comme c’est
le cas au delà de 42 ans de cotisation : les années de cotisation supplémentaires
qui ouvrent droit à surcote ne sont en effet que les années de cotisation au-delà
l’âge du taux plein. Elles sont donc non productives lorsqu’elles sont intervenues
avant 62 ans. La progressivité reprend en revanche quand ces individus à durée
longue prolongent au delà de 62 ans, à rythme à peu près parallèle à celui qui est
observé pour les durées courtes, mais cette progressivité s’interrompt à mi-course,
du fait de la règle du maximum de pension. Si on passe au cas d’individus dont
la carrière s’interrompt avant la liquidation, en supposant que l’interruption intervient
à 62 ans, de nouvelles différences apparaissent. Pour ces individus, le barème
53
Réforme structurelle du système de retraite
actuariellement neutre est un peu moins pentu que celui du premier cas de figure :
les années de report ne sont bonifiées qu’au taux de 5 %, puisqu’elles ne sont pas
génératrices des suppléments de cotisation justifiant la bonification additionnelle
de 2,5 % mais le profil est par ailleurs similaire (2.5.B). En revanche, le profil découlant
du barème réel (2.5.A) est très différent à la fois de celui de la figure2.4.A
et de celui de la figure 2.5.B. Les points de départ à 62 ans sont les mêmes que sur
la figure 2.4.A, par construction, mais, dans un grand nombre de cas, les années de
report ne conduisent à aucune bonification qui compenserait le raccourcissement
de la durée de service de la pension.
FIGURE 2.4 – Variation de la pension, en pourcentage, en fonction de
l’âge de liquidation et du nombre d’années de cotisation atteint à 62
ans, avec poursuite de l’activité jusqu’à liquidation.
LECTURE : Par rapport à un individu liquidant à 62 ans avec 40 ans de cotisation, pris pour référence,
un individu liquidant au même âge avec 35 années de cotisation touche une pension plus faible de 30 %,
selon le barème issu de la réforme 2010. Avec un barème théorique suivant approximativement la neutralité
actuarielle, cette pénalité ne serait que de 12,5 %.
SOURCE : PENSipp
_
^
.
54
Équité et liberté de choix
FIGURE 2.5 – Variation de la pension, en pourcentage, en fonction de
l’âge de liquidation et du nombre d’années de cotisation atteint à 62
ans, avec arrêt d’activité à 62 ans.
LECTURE : Par rapport à un individu liquidant à 62 ans avec 40 ans de cotisation, pris pour référence,
un individu liquidant au même âge avec 35 années de cotisation touche une pension plus faible de 30 %,
selon le barème issu de la réforme 2010. Avec un barème théorique suivant approximativement la neutralité
actuarielle, cette pénalité ne serait que de 12,5 %.
SOURCE : PENSipp
_
^
.
Cette singularité s’explique de la manière suivante. En principe, la progressivité
de la pension selon l’âge de liquidation devrait passer par la réduction progressive
de la décote. Mais celle-ci est calculée en fonction du minimum des nombres
d’années manquantes pour atteindre soit 41,75 années de cotisation, soit 67 ans.
Supposons un individu arrivant à 62 ans avec 40 années de cotisation. Il ne lui
manque que 1,75 années. S’il retarde sans cotiser, cet écart ne se réduit pas : seul
se réduit son écart à l’âge de 67 ans, qui est beaucoup plus grand et ne joue pas sur
la décote. Sa pension fait donc du surplace, jusqu’à ce que cet individu se retrouve
à moins de 1,75 années de l’âge d’annulation de la décote, ce qui explique que la
pension reprenne un bref mouvement ascendant entre 66 et 67 ans.
55
Réforme structurelle du système de retraite
Toute cette analyse ne vise pas à défendre l’idée qu’il faut un passage intégral
vers un système de neutralité pure tel que celui décrit par les profils des figures
2.4.B et 2.5.B. Il peut y avoir de nombreuses raisons de ne pas s’y conformer intégralement.
Par exemple, on peut juger que des surcotes trop généreuses pourraient
être anti-redistributives car profitant plutôt à des individus cumulant grosses retraites,
facilité à se maintenir longtemps sur le marché du travail et espérance de
vie longue. A l’inverse, on peut vouloir limiter l’ampleur des décotes pour éviter
que soient pénalisés des individus qui sont contraints de partir tôt. Ceci peut se
faire soit par une modulation de la décote appliquée identiquement à l’ensemble de
la population ou en annulant ces décotes pour certaines catégories de population.
Limitation des surcotes et des décotes sont d’ailleurs deux mesures liées : protéger
certaines personnes contraintes de partir précocement nécessite une redistribution
en leur faveur qui peut se faire en prélevant sur les individus qui ont la possibilité
de partir plus tard : c’est la logique même d’un système d’assurance contre le risque
de fin de carrière anticipée, tout le problème étant ensuite de définir le bon profil
pour cette redistribution.
Mais force est de reconnaître que le système actuel ne découle en rien d’une
analyse approfondie de ce que devraient être les bonnes déviations par rapport
au principe de neutralité. Il faut plutôt y voir un héritage de l’histoire, amendé
par retouches successives, avec des objectifs souvent légitimes, mais sans logique
d’ensemble. Par exemple, l’argument le plus souvent évoqué pour justifier le rôle
complexe que le système français fait jouer au couple (âge, durée) est le fait que
la durée est un proxy de la catégorie sociale et des différentiels d’espérance de vie
qui y sont associés. Ainsi, le fait que les taux de remplacement à 62 ans soit aussi
fortement écartés en fonction de la durée de cotisation serait une juste compensation
du fait que les individus à durée élevée sont des individus peu qualifiés ayant
commencé à travailler de bonne heure et à espérance de vie faible. Ceci est en partie
exact, mais les individus à faible qualification et faible espérance de vie ne sont
56
Équité et liberté de choix
pas tous des individus à longue durée de carrière, et certains individus à carrière
longue peuvent être des individus assez, voire très, qualifiés. Même de ce point de
vue, le système ne répond donc pas forcément bien à ce qui est attendu de lui.
Cette surpondération de la durée dans le système français est rendue encore
davantage problématique du fait de la complexité du mode de calcul de cette durée.
Pour faire fonctionner un régime par annuités, il faut se poser la question de savoir
à partir de quel volume d’activité on considère qu’une année ou un trimestre sont
validés. Le critère comporte nécessairement une part d’arbitraire. Dans le régime
général, la règle appliquée jusqu’à la réforme de 2013 était de valider autant de
trimestres au cours d’une année que l’individu avait perçu de fois 200 heures de
Smic. La réforme en cours devrait baisser ce seuil à 150 heures. L’avantage est
que, pour beaucoup d’individus, l’accumulation de trimestres démarre bien plus
tôt qu’ils ne le croient. Elle ne démarre pas au moment, de plus en plus tardif,
où ils accèdent à l’emploi stable à temps complet. Mais aucun droit n’est généré
pour des individus qui n’atteignent pas ce seuil de durée. Or une règle minimale
d’équité pour un système de retraites serait bien que chaque euro de cotisation soit
générateur de droits. A l’inverse, d’autres individus plutôt favorisés peuvent valider
d’un seul coup plusieurs trimestres avec des périodes de travail très courtes s’il s’agit
de travaux très bien rémunérés.
En résumé, sur cette question de la liberté de choix, le système français s’est
certes rapproché du type de menu qu’il est logique d’offrir dans le cadre d’un système
de retraite par répartition, celui de la neutralité actuarielle ou de la contributivité
« à la marge », mais avec encore de nombreuses anomalies. Qu’il y ait des déviations
vis-à-vis de cette règle est tout à fait légitime, mais il faut qu’elles puissent
être justifiées. Elles devront en général l’être au nom de principes d’équité, ce qui
conduit à ouvrir le débat sur ce qu’on qualifie d’équité du système de retraite.
57
Réforme structurelle du système de retraite
2.2 L’équité intragénérationnelle : contributivité et
redistributivité
Avec la liberté de choix, l’équité est une autre demande majeure adressée aux
réformes des retraites. Mais ce terme peut revêtir des significations très variables.
Cette situation n’est en rien spécifique à la retraite. Il n’y a pas une mais au moins
deux conceptions polaires de la justice à considérer et entre lesquelles il va s’agir
de trouver un équilibre.
La première est celle de la justice dite « commutative ». Elle consiste à considérer
qu’un système juste est un système qui rémunère équitablement les efforts de
chacun. En matière de retraite, si l’effort est l’effort contributif, cette logique plaide
pour l’égalisation des retours sur cotisation ou l’égalisation des bilans individuels
prestations-cotisations sur cycle de vie. On est ainsi renvoyé à la logique de neutralité
actuarielle qu’on vient de discuter, mais cette fois-ci dans sa version forte, « en
niveau ». Le système juste est celui qui égaliserait ces retours ou ces bilans à la fois
entre générations et à l’intérieur des générations (voir encadré 2.2).
Ce premier principe de justice ne peut évidemment pas être ignoré. La soutenabilité
du système suppose que chacun ait l’impression de bénéficier d’un retour
raisonnable sur la forme d’épargne forcée que constitue la contribution au système
de retraite. Les cotisations versées à un système dans lequel la pension ne serait
absolument pas liée aux cotisations passées seraient vécues comme un impôt pur
et, en toute hypothèse, la population ne consentirait qu’à un faible montant de
prélèvement pour un tel système.
Mais se limiter à ce principe de justice reviendrait à mettre en place un système
privé de toute dimension redistributive. Or à la demande de justice commutative
fait face une demande de justice distributive, du type « à chacun selon ses besoins »
qui impose de donner à certains d’avantage qu’à d’autres à effort contributif iden-
58
Équité et liberté de choix
tique. Concevoir un système de retraite, c’est trouver le bon équilibre entre ces deux
logiques a priori antinomiques. La question se pose à la fois au niveau intragénérationnel
et au niveau intergénérationnel. C’est par l’intragénérationnel qu’on va
commencer.
En intragénérationnel, il n’y aurait pas d’impossibilité pratique à avoir des systèmes
qui se conforment à la logique contributive et à la neutralité actuarielle en
niveau. Ce sera le cas des versions « pures » des systèmes en comptes notionnels
et par points, celles qu’on va simuler dans un premier temps. Du même coup, ces
systèmes respecteraient mécaniquement la neutralité actuarielle à la marge et autoriseraient
la liberté de choix qui va avec. Mais on a vu qu’un certain nombre de
distorsions pouvaient déjà être envisagées vis-à-vis de cette neutralité à la marge,
par exemple pour éviter de pénaliser des individus pour qui le départ en retraite
précoce est une obligation et pas un choix. Des distorsions sont a fortiori nécessaires
vis-à-vis de la neutralité en niveau. Elles peuvent l’être à divers titres, auxquels il
arrive d’ailleurs de se recouper.
Tout d’abord, on peut souhaiter que l’inégalité entre retraités soit plus faible
que celle qui est constatée entre les actifs, on peut surtout souhaiter qu’elle ne soit
pas plus élevée or un problème que pose la contributivité stricte est qu’elle peut
avoir tendance à amplifier les inégalités constatées durant la vie active. Ce sera le
cas si les carrières courtes ou instables sont associées à des salaires plus bas : une
retraite actuariellement neutre cumulera ces deux formes d’inégalité puisqu’elle lie
la retraite à la masse des revenus globalement perçus durant la vie active. Des
dispositifs non contributifs peuvent chercher à limiter ces inégalités. Ceci vaut à la
fois pour les inégalités selon la catégorie sociale et selon le genre.
On peut tout aussi bien justifier cette redistribution au nom d’un argument d’assurance,
puisqu’elle permet d’atténuer le risque qu’une carrière instable fait peser
sur le revenu de retraite. C’est l’un des cas de figure où la visée redistributive et la
fonction d’assurance se recouvrent assez fréquemment. Ne pas respecter la neutra-
59
Réforme structurelle du système de retraite
lité actuarielle à la marge pour éviter de pénaliser les individus qui sont contraints
de quitter précocement le marché du travail en est une autre illustration : d’un premier
point de vue, ceci implique une redistribution au profit d’individus à carrière
écourtée mais c’est tout aussi bien, d’un autre point de vue, une assurance contre
un risque de perte d’emploi en fin de carrière
De la même manière, le fait que le système offre les mêmes retraites à des
individus à durée de vie courte et à durée de vie longue peut à la fois être vu comme
redistribution des premiers vers les seconds et comme contrepartie du fait que le
système assure contre le risque de longévité, ce qu’on qualifie de risque viager. Ce
raisonnement s’étend à la réversion, qui est à la fois une redistribution au profit des
conjoints survivants et une assurance contre le risque de chute de revenu à la suite
du décès du conjoint. Le système de retraite combine donc bien un grand nombre
de dispositifs qui sont à la croisée des objectifs redistributifs ou d’assurance.
Enfin, la distorsion à la contributivité ou à la neutralité actuarielle strictes peuvent
se justifier par un type d’argument très différent, qui est la compensation de certaines
contributions au système ou au fonctionnement de la société prenant d’autres
formes que les cotisations : c’est un argument classique en faveur des avantages
familiaux, à savoir le fait qu’ils sont une forme de rémunération d’un effort d’éducation
des enfants qui profite en retour au système de retraite. C’est cette fois-ci la
frontière entre redistributivité et contributivité qui apparaît plus floue qu’elle n’en a
l’air a priori. La redistributivité apparente serait la contrepartie de contributions cachées
: elle serait elle aussi une forme de rétribution d’une certaine forme d’effort,
dans un esprit de justice commutative.
Objectifs redistributifs, assurantiels et « incitatifs » de conjuguent ainsi pour exclure
un alignement étroit sur la logique actuarielle ou strictement contributive.
Pour définir le bon degré d’écart à cette contributivité stricte, il faut se poser trois
questions qui se recoupent souvent : quelles inégalités souhaite-t-on compenser ?
quels risques liés à la retraite souhaite-t-on couvrir ? quels comportements autres
60
Équité et liberté de choix
que d’offre de travail souhaite-t-on rémunérer voire encourager indirectement à
travers le système ? Mais il faut aussi, dans chaque cas, se poser la question du
degré auquel on pense possible de pousser la fourniture de ces différents services
puisqu’il n’est jamais possible et pas forcément souhaitable de compenser toutes
les inégalités et de couvrir l’intégralité de tous les risques, ni même de rémunérer
intégralement tous les comportements qu’on pense nécessaire d’encourager.
Dans le système actuel, toutes ces fonctions sont assurées à travers un empilement
de règles variables d’un régime à l’autre et dont les principes directeurs et les
conséquences ne sont pas toujours aussi claires qu’on le souhaiterait. On peut en
donner quelques exemples :
Y La règle des vingt-cinq meilleures années dans le régime général constitue une
première distorsion bien connue par rapport à la contributivité puisque cette
dernière impliquerait de plutôt prendre en compte l’ensemble de la carrière.
Cette distorsion est supposée corriger les effets sur la retraite de parcours salariaux
heurtés, mais elle le fait avec une efficacité très variable (elle sera nulle
pour les personnes ayant travaillé moins de vingt-cinq ans) et en continuant
d’avantager des personnes à carrière régulière mais ascendante, même si elle
le fait moins que l’ancien système des dix meilleures années et a fortiori que
les systèmes de fin de carrière.
Y L’attribution des pensions de réversion dépend dans certains régimes d’une
condition de ressource et pas dans d’autres. La version avec condition de
ressource peut se justifier en termes d’assurance contre un risque de chute
dans la pauvreté à la suite du veuvage, mais elle se traduit par une discontinuité
des droits qu’on peut juger inéquitable : un conjoint survivant ayant
travaillé toute sa vie peut se retrouver avec des droits après veuvage à peine
différents de ceux d’un conjoint n’ayant jamais travaillé et, contrairement au
modèle qui prédominait dans l’après guerre, on n’accepte plus guère l’encouragement
implicite à l’inactivité féminine que ceci implique. La réversion sans
61
Réforme structurelle du système de retraite
conditions de ressource évite cette discontinuité de traitement : c’est celle
qui prévaut dans la fonction publique et les régimes complémentaires et elle
est souvent justifiée au nom d’une logique contributive élargie dite encore
« patrimoniale » : la cotisation-retraite s’apparente à une épargne et on considère
équitable et conforme à la logique patrimoniale que le conjoint survivant
continue à bénéficier du fruit de cette épargne. Mais, ce faisant, on procède à
une redistribution des célibataires ou des couples non mariés vers les couples
mariés voire, au sein des couples mariés, entre couples mariés pendant des
durées plus ou moins longues, redistributions dont la légitimité peut poser
question. Au total, on a deux systèmes aussi problématiques l’un que l’autre,
et dont la coexistence ou la superposition conduisent à des effets encore plus
problématiques : dans le privé, la variation de niveau de vie à la suite d’un
veuvage varie de façon très heurtée en fonction de l’écart de pension des
deux conjoints avant veuvage et ce profil n’a rien à voir avec celui qui s’applique
à des couples de retraités du secteur public ou à des couples mixtes
« public-privé ». On a clairement affaire à un système qui a fini par perdre
toute cohérence.
Y Les avantages familiaux superposent également divers mécanismes : bonifications
de pension, majoration de la durée d’assurance, reconstitution de
pseudo-années de carrière avec introduction aux comptes de salaires forfaitaires
fictifs. Des bonifications de pension conduisent à valoriser différemment
une naissance selon le niveau de pension du parent concerné, les majorations
de durée d’assurance peuvent, selon le cas, jouer à plein ou être totalement
sans incidence sur le niveau de pension, la reconstitution de pseudo-années
de carrière peut avoir des effets contraires aux attentes sur la pension via
une baisse du SAM. Là encore, le cumul de dispositifs conçus à des époques
différentes avec des objectifs différents conduit à un système générateur de
nombreuses micro-inégalités difficiles à justifier.
62
Équité et liberté de choix
Remettre à plat le fonctionnement de ces différents dispositifs est bien sûr envisageable
dans le cadre d’une succession de réformes paramétriques qui retoucheraient
chaque dispositif l’un après l’autre. Mais il est souvent difficile de toucher à
un élément du système sans créer d’interactions mal contrôlées avec d’autres éléments
du système. C’est un des avantages d’une réforme structurelle que d’obliger
à une remise à plat globale en forçant à repenser chaque dispositif en fonction des
objectifs qu’il poursuit et en essayant de traduire ces objectifs par des mécanismes
dont on arrive à facilement contrôler les effets.
2.3 Quelle équité en intergénérationnel ?
La demande d’équité est également forte dans le domaine intergénérationnel,
avec la montée en force du thème des générations sacrifiées. Ces générations payent
actuellement des retraites élevées pour des générations qui ont cumulé les bienfaits
d’une forte croissance et du plein emploi, et elles le font sans bénéficier du même
espoir de retour sur les cotisations qu’on leur réclame actuellement. Mais quelle
équité veut-on et peut-on viser dans ce domaine ? Quel dosage entre l’équité commutative
– à chaque génération selon ce qu’elle a versé au système – et l’équité
distributive – donner plus aux générations qui ont moins ? Dans ce domaine intergénérationnel,
on a la même tension potentielle entre logique contributive et
distributive mais il va falloir tenir compte du fait que les marges disponibles pour
arbitrer entre l’une et l’autre sont beaucoup plus faibles qu’en intra-générationnel.
63
Réforme structurelle du système de retraite
Encadré 2.2. Le rendement actuariel du système de retraite :
définition et usages
Définition
Le concept de rendement actuariel du système de retraite peut être introduit en repartant de la
définition de la neutralité actuarielle stricte, en niveau, donnée dans l’encadré 2.1. L’expression
(2.1) de cet encadré avait été utilisée à taux d’actualisation r donné, qu’on avait même ensuite
supposé égal à zéro, pour simplifier la suite des calculs. Mais on peut utiliser cette condition de
neutralité dans l’autre sens, pour calculer la valeur de r qui égalise à zéro le bilan prestationscotisations.
Cette valeur correspondra au taux auquel devraient être placés les cotisations pour
obtenir le même niveau de prestations dans un système en capitalisation pure. C’est ce taux qu’on
qualifie de rendement actuariel du système de retraite.
Entre générations, lors de la mise en place du système, ce rendement du système est très élevé,
même quand les premières générations touchent peu, car les prestations qui ont été versées le
sont en échange de très faibles durées de cotisation. On peut donc dire que le système opère une
redistribution au profit de ces premières générations : celle-ci peut-être tout à fait justifiée si elle
profite à des générations par ailleurs défavorisées par l’histoire et/ou qui ont consenti à d’autres
formes de transferts jouant dans l’autre sens, par exemple le financement, pour leurs enfants, d’un
système éducatif dont elles n’ont pas profité à la même hauteur.
Ensuite, progressivement, le rendement du système est forcément appelé à décroitre pour rejoindre
le rendement d’équilibre d’un système mature, qui est égal au taux de croissance de l’économie.
En régime permanent, une fois stabilisée la part des retraites dans le PIB, et si celui-ci croit à taux
constant, les retraites que touche une génération correspondent aux flux de cotisations versées par
la génération de ses enfants, qui correspond à ce qu’elle a elle même versé comme cotisations, augmentée
du cumul de la croissance économique qui est intervenue entre temps. Toutes les réformes
des retraites doivent tôt ou tard se plier à cette contrainte.
Cette contrainte d’égalité à la croissance ne vaut toutefois qu’au niveau macro. Au niveau micro, les
rendements peuvent être variables d’un individu à l’autre. Ils le sont au minimum lorsqu’on compare
des individus qui ont la chance ou la malchance de vivre plus ou moins longtemps ce qui traduit la
fonction de couverture du risque viager.
64
Équité et liberté de choix
Quels usages ?
Une première façon d’utiliser cet indicateur est justement d’en faire un outil de comparaison des
performances de la capitalisation et de la répartition. La répartition est beaucoup plus rentable que la
capitalisation à son lancement, et elle devient moins favorable en régime permanent, si on considère
que, en régime permanent, le taux de croissance économique est inférieur au taux d’intérêt ou au
rendement des placements sur les marchés financiers. Mais utiliser cette comparaison en faveur
d’un retour à la capitalisation serait trompeur à plusieurs titres. D’une part ce retour en arrière
serait coûteux, puisqu’il faudrait honorer les engagements pris par le système (ce qu’on appelle
sa dette implicite) en même temps qu’on commencerait à contribuer au nouveau système. D’autre
part, la comparaison des rendements en régime permanent doit prendre en compte des éléments
supplémentaires : les frais de gestion – en général supérieurs en capitalisation – et les facteurs de
risque propres à chaque système – également plus élevés en capitalisation.
Une deuxième façon de l’utiliser est d’en faire une norme d’équité pour le système de retraite par
répartition : un système par retraite « juste » serait un système qui donne exactement le même
retour sur cotisation à tous les individus, quelles que soient leurs caractéristiques individuelles ou
leur génération. Mais cet usage est problématique. D’une part cette égalisation n’est pas toujours
possible – elle ne l’est pas en intergénérationnel – ni souhaitable – on peut vouloir que le système
soit redistributif, à la fois en inter et en intragénérationnel.
Les indicateurs de rendement trouvent alors une troisième raison d’être : ils servent à bien identifier
les formes de redistribution qu’opère le système et à vérifier si elles se conforment bien à ces objectifs
distributifs qu’on veut lui donner. En intergénérationnel, une fois admis que le rendement doit
tendanciellement converger vers le taux de croissance économique, on peut examiner s’il ne présente
pas d’autres variations indues au profit de générations déjà bien avantagées par l’histoire. En intragénérationnel,
on peut examiner si les plus forts taux de rendement bénéficient bien aux populations
que l’on souhaite avantager, en veillant en même temps à éviter des rendements trop faibles aux
catégories les plus avantagées qui pourraient leur faire souhaiter une sortie du système.
On rencontre parfois l’idée que, dans ce domaine, c’est la logique commutative
qui devrait totalement prévaloir. Elle sous-tend par exemple les calculs dits de
comptabilité intergénérationnelle, ou tout au moins d’une certaine utilisation de
ces travaux. Ces travaux consistent à calculer des bilans globaux des transferts sur
cycle de vie et semblent souvent postuler que la norme d’équité intergénération-
65
Réforme structurelle du système de retraite
nelle devrait être l’égalité parfaite de ces bilans d’une génération sur l’autre. La
justice serait que chaque génération autofinance ses besoins. Et telle serait nécessairement
la philosophie du système en comptes notionnels, selon ses détracteurs.
Cette vision du système en comptes notionnels est en fait restrictive : on peut imaginer
des façons de le gérer qui préservent une certain degré de redistribution entre
générations. Mais ceci montre toute l’importance de bien se positionner par rapport
à ce premier principe d’équité.
D’un côté, le principe commutatif ne peut être totalement ignoré, pour les raisons
qu’on a déjà mentionnées. Il faut éviter de trop grands écarts de retour sur
cotisations entre générations successives, sans quoi le soutien pour le système finirait
par s’effondrer. Mais son application stricte rencontre deux objections majeures.
D’une part cette égalisation des retours sur cotisation est de toute manière
impossible. D’autre part, quand bien même elle le serait, elle n’a pas de fondement
éthique. Ce principe revient en effet à écarter par principe toute forme de redistribution
entre générations, ce qui serait aussi absurde que d’exclure toute forme
de redistribution en intragénérationnel. La question est plutôt de savoir quelles seraient
les bonnes redistributions entre ces générations successives, et de voir jusqu’à
quel point elles peuvent être mises en place.
L’argument d’impossibilité tout d’abord, qui permettra du même coup de préciser
quelles sont les contraintes qui pèsent sur la redistribution entre générations.
Il est en fait commun au système par capitalisation et au système par répartition,
mais pour des raisons différentes.
En capitalisation, il y a une inégalité inévitable des retours sur efforts contributifs
entre générations successives qui découle des fluctuations des taux d’intérêt
ou du rendement des placements financiers. Ces fluctuations peuvent être de très
grande ampleur, même si une partie d’entre elles sont amorties quand on raisonne
en moyenne sur cycle de vie. En répartition, le même problème apparaît du fait des
fluctuations de la croissance. Dans un régime par répartition à taux de cotisation
66
Équité et liberté de choix
stabilisé, ce qu’une génération reçoit sur l’ensemble de sa retraite correspond en
gros à la masse des cotisations versées par la génération de ses enfants, c’est-à-dire
la masse des cotisations qu’elle a elle-même versée quand elle était active, augmentée
de la croissance économique qui a eu lieu dans l’intervalle. Cette croissance
globale combine effet de la croissance démographique et effet de la croissance de
la productivité et aussi du taux d’emploi.
Ces inégalités inhérentes aux deux systèmes sont d’ailleurs en partie corrélées.
Les rendements des placements financiers sont liés à la croissance et c’est un argument
qui joue à l’appui de la thèse de l’équivalence entre les deux systèmes. Là où
les deux systèmes différent c’est que le premier ne peut rien faire pour gommer ces
inégalités entre générations, puisque son principe est de ne pas interférer avec le
jeu des marchés, alors que le second peut en contrôler partiellement l’ampleur. Il
peut augmenter le rendement rétrospectif du système de retraite pour les générations
actuellement retraitées en augmentant les cotisations des actifs du moment.
Il peut à l’inverse diminuer ce rendement rétrospectif en diminuant les droits courants.
Vis-à-vis des actifs du moment, il peut diminuer le rendement prospectif du
système en demandant des efforts contributifs supplémentaires non générateurs de
droits, ou au contraire faire cotiser en deçà de ce qui sera ultérieurement nécessaire
pour financer les engagements : les évolutions du taux d’appel des régimes
complémentaires en France sont illustratives de ces deux politiques.
Pour un régime par répartition, la question est donc de savoir jusqu’où et au
nom de quels principes intergénérationnels faire jouer ces instruments. Les utiliser
pour forcer l’égalisation des rendements entre générations serait à la fois non justifié
et voué à l’échec. Non justifié car un système doit autoriser qu’il y ait certaines
redistributions aux générations, quand elles sont en faveur de générations défavorisées
par l’histoire, et quand ces redistributions sont possibles. Voué à l’échec car
les ajustements de la taille ou de la générosité du système ne peuvent avoir que
des effets temporaires sur les écarts naturels qui découlent des fluctuations ou des
67
Réforme structurelle du système de retraite
ruptures de la croissance.
Prenons l’exemple d’un changement durable du rythme de la croissance qui
passerait de 3 à 1 % par an. Les assurés ont été habitués à un retour de 3 % sur
leurs cotisations retraites. A court terme, on peut maintenir ce rendement malgré le
freinage du PIB en augmentant la part du PIB dédiées aux retraites. Il suffit en fait
de laisser la masse des retraites continuer sur sa trajectoire initiale de croissance
à 3 % par an en demandant aux actifs de payer davantage en proportion de leur
revenu. Mais, si l’on veut que ces actifs à qui on demande davantage bénéficient
à leur tour du rendement de 3 %, il faut demander un effort encore plus grand à
la génération d’actifs qui suit. De proche en proche, ce qui est requis est de laisser
la masse des retraites continuer à croître indéfiniment de 3 % par an dans une
économie qui ne croît plus qu’à 1 % par an, si bien que la masse des retraites
finirait par absorber tout le revenu national. Ceci n’est pas possible : se réaligner
sur le nouveau rythme de croissance est un jour ou l’autre inévitable.
Les marges de manoeuvre sont donc assez étroites, que ce soit en termes de
lissage de taux de rendement ou, a contrario, de modulation de ces taux de rendement
au profit délibéré de telle ou telle génération. La figure 2.6 essaye d’illustrer
ce que sont ces marges. Il s’agit de simulations de trajectoires de rendement à la
fois rétrospectives et prospectives pour une économie et une démographie représentant
de manière stylisée la situation française depuis l’après dernière-guerre,
et sous trois hypothèses d’ajustement global du système au vieillissement : via la
baisse des droits des retraités, via le décalage de l’âge de la retraite ou via la hausse
des cotisations. L’hypothèse est ici celle d’une économie qui tend tendanciellement
vers une croissance de 2 % par an, uniquement due aux progrès de productivité, du
fait d’une population qui se stationnarise.
Le graphique montre plusieurs choses. D’une part, au lancement du système, il
existe un cas où on arrive effectivement à fortement distordre les rendements au
profit de certaines générations. C’est même un effet mécanique de la mise en place
68
Équité et liberté de choix
FIGURE 2.6 – Trajectoires du rendement actuariel des cotisations par
génération sous trois scénarios stylisés d’ajustement au vieillissement
démographique.
LECTURE :Le rendement actuariel des cotisations au système de retraite serait de 3 % pour la
génération 1975 dans un scénario fictif et stylisé dans lequel l’équilibre du système est assuré par
la seule hausse du taux de cotisation. Les données démographiques sont celles des projections 2006
de l’Insee. Les trois scénarios décrivent les trois modalités extrêmes de réponse au vieillissement
d’après 2006. Les données rétrospectives sont calées sur les paramètres du régime général et des
régimes ARRCO-AGIRC. L’hypothèse de croissance en projection est de 2 % par an.
SOURCE : Blanchet (2009a).
d’un système de répartition. On peut y voir le cas extrême de découplage rendement/
croissance sous l’effet d’un système croissant plus vite que le PIB : mettre en
place la retraite par répartition, c’est en effet passer brutalement d’un système représentant
0 % du PIB à un système qui en représente une part positive. A la limite,
si peu généreux que soit le système à son lancement, c’est un rendement infini qu’il
offre à ces premières générations de retraités qui touchent sans avoir cotisé.
Une telle redistribution déroge évidemment à la justice commutative. Elle l’aurait
également fait vis-à-vis de la justice distributive si ce très fort rendement avait
profité à des générations spécialement favorisées par l’histoire. Mais tel n’a pas été
le cas : il a bénéficié à des générations défavorisées à la fois par la grande crise
et la deuxième guerre mondiale. On peut donc plutôt y voir un cas de mise en
oeuvre du principe de justice intergénérationnelle distributive, permis par la répar-
69
Réforme structurelle du système de retraite
tition, et non pas un avantage indu. Au demeurant, il faut rappeler que l’avantage
ainsi concédé est resté très relatif car le système de retraite mis en place en 1946
était très loin de la générosité du système actuel. De plus, si on regarde au delà
de la retraite, une partie de ces générations ont à l’inverse consenti à des efforts
contributifs pour d’autres postes de dépenses sociales dont elles n’ont pas profité, si
bien qu’une comptabilité faisant masse de l’ensemble des efforts contributifs et des
prestations en nature ou en espèces reçues par ces générations conduirait aussi à
relativiser l’ampleur de l’avantage dont elles ont bénéficié. En bref, concernant ce
démarrage de la courbe, il ne constitue en rien une entorse à la logique d’équité
intergénérationnelle.
A l’autre extrême du graphique, les rendements sont exactement les mêmes
quelle que soit la politique retenue et tendent vers les 2 % garantis par l’hypothèse
de croissance de la productivité. Ce point est particulièrement important pour le
débat actuel. Il réfute la thèse fréquente de la cotisation à perte pour les jeunes
générations de cotisants. Non seulement le rendement reste positif et il le resterait
tant que la croissance le sera, mais il est le même quelle que soit la politique des
retraites qui est adoptée. Il n’y a pas de politique qui soit plus confiscatoire ou plus
pénalisante qu’une autre vis-à-vis de ces plus jeunes générations. La seule politique
qui pourrait conduire à des cotisations à perte serait une politique qui réduirait la
masse globale des retraites, à la fois en part de PIB et dans l’absolu. A la limite, une
fermeture du système nous conduirait effectivement à l’exact symétrique de ce qui
s’est passé pour les premières générations, c’est-à-dire des individus contribuant à
un système dont ils ne profitent pas, avec un rendement tendant vers moins l’infini.
Mais rien de tel n’est à l’agenda et la thèse de la cotisation à perte ne peut en
aucun cas être opposée aux politiques visant simplement à stabiliser la part des
retraites dans le PIB ; sauf évidemment si le PIB lui même se mettrait à décroître,
mais la question des retraites ne serait alors qu’une question parmi d’autres face à
un problème d’inéquité intergénérationnelle bien plus sévère.
70
Équité et liberté de choix
Ces simulations stylisées aident ainsi à clarifier quel est le véritable enjeu intergénérationnel
: le seul vrai enjeu est de savoir quel sentier de transition on pourrait
ou aurait pu adopter entre le point initial haut et le point final bas. Les trois options
ne sont pas intergénérationnellement neutres, mais il n’est pas évident a priori de
dire laquelle des trajectoires est la plus ou la moins équitable.
Commençons par le scénario d’ajustement des droits représenté en noir. Répondre
au choc du vieillissement en baissant le montant des retraites au fur et
à mesure que le vieillissement s’accélère conduit à rejoindre plus vite l’asymptote
basse. En ce sens, l’équité commutative est plus vite atteinte, au sens de nivellement
des rendements vers leur valeur minimum. Ceci va aussi dans le sens de la justice
distributive si on pense que les générations à qui on impose cette accélération de
la baisse du rendement sont des générations qui ont été favorisées par l’histoire,
mais ceci dépend du critère utilisé pour juger des inégalités primaires entre générations.
Ces générations qui sont celles dont l’essentiel de la vie active s’est déroulée
durant les trente glorieuses ont sans aucun doute profité du plein emploi et du
sentiment d’aisance relative qu’a pu produire une période de croissance continue.
En revanche, jusqu’à nouvel ordre, au sens du PIB/tête, le niveau de vie dont elles
ont bénéficié durant leur vie active est resté inférieur à celui dont on bénéficie aujourd’hui,
malgré l’ampleur de la rupture de croissance intervenue au milieu des
années 1970, et il est aussi inférieur à celui qui prévaudrait au milieu de ce siècle
si la croissance de la productivité retrouve un niveau suffisant. On voit au passage
le lien qu’entretient cette question de l’équité intergénérationnelle avec celle des
indicateurs à l’aune desquels évaluer le bien-être. Par ailleurs, d’un point de vue
intergénérationnel « instantané » consistant uniquement à comparer les individus
d’âge différents à un instant donné plutôt que sur l’ensemble de leur durée de vie,
l’effet de cette politique est de conduire à creuser l’écart entre actifs et retraités, or
le système de retraite ne peut-être totalement indifférent à un trop faible niveau de
vie relatif courant des retraités, même quand il reflète leur effort contributif passé.
71
Réforme structurelle du système de retraite
A l’extrême inverse, répondre au vieillissement par la hausse des cotisations
retarde sensiblement l’alignement sur le rendement d’équilibre à long terme, en
exonérant de tout ajustement les premières générations dont l’arrivée à la retraite
nourrit ce vieillissement. Par exemple, dans une telle politique, un allongement
ponctuel de la durée de vie est payé in fine par la hausse des cotisations, et les
générations financent donc au final leur durée de vie plus longue par un effort
contributif supplémentaire, sans incidence sur le rendement de cet effort, mais les
générations de la transition restent exonérées de cet effort : elles profitent de la
durée de vie plus longue sans avoir eu à la financer comme elles auraient eu à le
faire en capitalisation.
Là encore, la redistribution qui en résulte n’est pas choquante si elle profite à
des générations qui n’ont pas été avantagées par l’histoire. Elle est en revanche un
peu plus problématique si les générations du retour à l’équilibre sont des générations
défavorisées par les évolutions socio-économiques ultérieures. Cette politique
apparaîtra acceptable à ceux qui pensent que ce qui reste de croissance à venir sera
suffisant pour donner aux générations futures un sentiment d’amélioration significative
de niveau de vie. A l’inverse, si on considère que le bien-être dépend fortement
de l’accès à l’emploi, et si on pense qu’un système de retraites avec des taux
élevés de cotisations pénalise l’emploi, alors on trouve un des arguments souvent
utilisés pour demander qu’on contienne cette progression des cotisations
Enfin, la voie médiane du relèvement de l’âge de la retraite a des effets intermédiaires.
Elle ne met pas à contribution les gens qui sont déjà à la retraite quand le
vieillissement s’accélère, mais elle met à contribution les individus qui liquident à
cette période, sans toutefois leur faire endosser les conséquences des gains de mortalité
qui interviennent une fois qu’ils sont partis à la retraite et dont ils continuent
à être pour partie bénéficiaires.
Cette troisième option présente des atouts, notamment l’argument bien connu
que, face à une durée de vie qui s’allonge, un accroissement proportionnel de l’âge
72
Équité et liberté de choix
de la retraite ne pénalise aucune génération en termes de rapport entre durées
de vie en activité et en retraite. Mais cet argument ne suffit pas à justifier une
politique qui ne joue que sur l’âge de la retraite. Comme le vieillissement courant
traduit davantage que les gains d’espérance de vie courants, ne jouer que sur l’âge
de la retraite signifie davantage que l’indexation de l’âge sur l’espérance de vie du
moment. Ceci ne conduit pas forcément à faire baisser la durée de vie en retraite,
mais peut conduire à des âges très élevés, pas forcément praticables. Si ces âges
apparaissent trop extrêmes, il faut soit accepter des hausses de cotisations ou des
baisses de niveau de vie relatif des retraités et donc se rapprocher en partie de l’une
ou l’autre des courbes haute et basse du graphique. Comme on l’a vu au chapitre
1, les politiques suivies à ce jour ont plutôt été dans le sens de la baisse à venir du
pouvoir d’achat relatif des retraités et les scénarios qui vont être étudiés ci-après
vont essentiellement tabler sur le même policy mix, mais sans exclure a priori que,
dans certains cas, une partie de l’ajustement passe par les cotisations. Au contraire,
on s’attachera à rappeler que, contrairement à une affirmation fréquente, ni les
points ni les comptes notionnels n’orientent de manière complètement inéluctable
vers cette politique.
Ces trois scénarios ne couvrent certes pas l’ensemble des choix possibles, mais
ils résument bien l’espace de contraintes dans lequel on se trouve. On aurait pu
par exemple explorer ce que donnerait la transition vers un système combinant
durablement la répartition et la capitalisation, qui implique davantage d’effort de
financement immédiat en échange d’un retour ultérieur éventuellement plus élevé,
si on pense que la rémunération du capital peut être durablement supérieure au
taux de croissance de l’économie. On peut aussi distordre la répartition des charges
entre les générations en jouant sur l’alternance d’excédents ou de déficits. Laisser
filer les déficits pendant un certain temps, c’est dispenser d’ajustement les individus
aussi bien actifs que retraités à la date où se produisent les déficits, en reportant
cette charge vers les retraités ou les actifs d’une date ultérieure. On freine donc à
73
Réforme structurelle du système de retraite
nouveau la baisse du rendement mais il ne peut s’agir là encore que d’un remède
temporaire puisque les déficits ne peuvent se cumuler indéfiniment. Les grandes
lignes de l’enjeu intergénérationnel sont donc inchangées.
En définitive, sur cette question de l’équité intergénérationnelle, on doit au plus
plaider pour une approche pragmatique et modeste qui tient compte du caractère
très contraint du problème. On savait d’entrée de jeu qu’aucun système ne peut
égaliser simultanément les taux de cotisation, les taux de remplacement et les âges
de la retraite d’une génération sur l’autre. On se doutait a fortiori que le système ne
peut pas égaliser les niveaux de vie globaux des générations successives sur cycle
de vie. Mais on a vu aussi qu’il ne peut pas davantage assurer l’égalité des retours
sur cotisation entre toutes les générations successives et que, quand bien même il le
pourrait, il n’y a pas forcément lieu de le faire. Il faut donc éviter de se focaliser sur
l’égalisation entre générations d’aucun de ces paramètres et plutôt prévoir des systèmes
qui autorisent potentiellement leur modulation d’une génération sur l’autre,
mais d’une façon dont les effets puissent être contrôlés pour s’assurer que, lorsque
modulations il y a, elles vont bien dans le sens de la compensation des inégalités
primaires entre générations, pour autant qu’on sache les identifier correctement.
Et cette attention portée aux écarts entre générations à travers le temps ne peut
non plus faire oublier l’objectif plus limité de contrôle des écarts de niveau de vie
selon l’âge à date donnée, que ce soit entre actifs et retraités ou, parmi les retraités,
entre retraités d’âge différents. Là encore, compte tenu de la contrainte démographique,
l’objectif d’égalisation parfaite apparaît difficilement tenable à long terme,
sauf remontée très forte des âges de liquidation. Mais les choix en matière de retraite
doivent aussi tenir compte de ce besoin de contrôler les inégalités intergénérationnelles
à date donnée. Ce point fera l’objet d’une attention particulière dans le
chapitre 3, à travers les règles d’indexation des pensions après liquidation.
74
Équité et liberté de choix
2.4 Conclusions d’étape
Au terme de ce survol des effets des réformes passées et de leur confrontation
à ce qui peut être légitimement attendu d’un système de retraite, que retenir pour
orienter le choix de scénarios de réforme structurelle ? Ce qui va être présenté dans
la suite du rapport ne se présente pas sous forme d’une solution fermée et ne prétend
pas apporter des réponses à tous les objectifs qui viennent d’être identifiés,
mais cette discussion préliminaire aide à introduire et bien situer les options que
nous proposons comme point de départ.
Commençons par la question de la liberté de choix. Sur ce point, la suite des
simulations se rangera à l’application systématique du principe de neutralité actuarielle
à la marge. Ceci découlera de la nature même du système dans le cas des
comptes notionnels puisque, par principe, la pension à la liquidation y est calculée
sur la base d’un coefficient de conversion respectant ce principe. Lorsqu’on simulera
des systèmes par points, on transposera cette règle en appliquant le type de formule
approchée utilisée pour la construction des figures 2.4.B et 2.5.B, c’est-à-dire la bonification/
pénalisation de 5 % par année de report/anticipation uniquement liée à
l’âge de liquidation, autour d’un âge pivot qui sera fixe, compensant les variations
de la durée de service de la pension. La compensation complémentaire du supplément
d’années cotisées, elle, interviendra mécaniquement puisque la retraite est
fonction du nombre de points accumulés.
Dans un cas comme dans l’autre, ces règles seront appliquées sur une plage
d’âges de liquidation assez large a priori, allant de 55 à 67 ans. Dans la pratique,
une plage aussi étendue serait peu réaliste, car il y a des arguments pour ne pas
offrir une liberté de choix trop large. Une trop grande liberté de choix risque de
se retourner contre des assurés qui, sous estimant leur besoin de ressources à la
retraite, opteraient pour un départ trop précoce. Mais cette plage très large a été
maintenue à ce stade car, pour cette première exploration, l’objectif a été d’étu-
75
Réforme structurelle du système de retraite
dier les effets de ces réformes sans modification des âges de départ en retraite par
rapport aux comportements spontanément attendus du fait des réformes déjà effectués.
Analyser l’effet des réformes avec des âges de liquidation endogènes sera pour
des travaux ultérieurs. Dans l’attente, il fallait offrir une marge de choix qui rende
admissible le maintien des âges de liquidation actuellement prévus sans réforme
structurelle.
Par ailleurs, cet aspect de notre travail fera une impasse provisoire sur les déviations
qu’il pourrait convenir de mettre en oeuvre par rapport à cette règle de
neutralité actuarielle à la marge, déviations que l’analyse économique peut tout à
fait justifier. Cette question est aussi laissée pour des travaux antérieurs. En bref,
sur ce volet, on se borne à ce stade à une application relativement sommaire de
la règle de neutralité actuarielle, mais qui a au moins l’avantage de remettre les
compteurs à zéro par rapport aux anomalies mal justifiées qu’on a vu exister dans
le système actuel.
S’agissant de l’équité, séparons à nouveau la problématique intra et intergénérationnelle.
Au niveau intragénérationnel, dans un premier temps, c’est la logique d’équité
contributive qu’on fera primer, et tout particulièrement entre les différentes catégories
socio-professionnelles, à travers la simulation de systèmes totalement unifiés,
sans dispositifs non contributifs. Le choix d’une convergence totale entre régimes
est un parti pris délibéré, même si on sait que, dans la pratique, elle ne pourra être
que très progressive. Les inégalités entre les régimes actuellement existants ne sont
certes pas forcément aussi marquées que certaines présentations caricaturales qui
en sont parfois faites, mais il est difficile de lever le soupçon d’inéquité qui découle
mécaniquement de l’hétérogénéité des règles. Ceci vaut à la fois pour les règles
s’appliquant aux coeurs des différents systèmes et pour les modes de calcul de leurs
avantages non contributifs, eux aussi très hétérogènes, qu’il s’agisse des minimas
de pension, des avantages familiaux ou des réversions. De même que l’étude d’une
76
Équité et liberté de choix
règle simple de neutralité actuarielle à la marge est une façon de remettre les compteurs
à zéro sur le sujet de la liberté de choix, s’intéresser dans un premier temps
à un système contributif homogène est une façon de repartir à zéro en matière de
redistribution intragénérationnelle.
Néanmoins, cette fois-ci, nous essaierons dès cette étude d’aller au delà de cette
remise à zéro en essayant de voir comment de nouveaux avantages non contributifs
unifiés pourraient être remis en place sur des bases plus rationnelles que l’empilement
de règles existant. On ne le fera pas pour la réversion qui est un sujet à part
entière qui nécessiterait un outil simulant de façon satisfaisante la formation et
la survie des couples, ce dont nous ne disposions pas à ce stade. En revanche, la
reconstruction, dans le cadre d’une réforme structurelle, des autres types d’avantages
non contributifs sera abordée, dans le cas particulier du système en comptes
notionnels, dans le chapitre 4 de ce rapport.
Sur la dimension intergénérationnelle de l’équité, la brève discussion qu’on a
faite de ce concept a montré qu’il serait vain de chercher à le définir de manière
unique et partagée. Nous écarterons de ce fait la prétention parfois prêtée aux
réformes structurelles d’être les seules façons de respecter cette équité intergénérationnelle.
Entre autres, on n’affirmera pas que les comptes notionnels sont spontanément
plus justes du seul fait qu’ils autorégulent la masse des retraites en part
de PIB, car la stabilité parfaite de celle-ci ne peut constituer une norme absolue
d’équité.
En fait, on a vu que ce qui est en jeu en matière de répartition intergénérationnelle
des efforts est le partage global que l’on souhaite opérer entre âge de la
retraite, niveau moyen des pensions et taux de cotisation, dans l’esprit de l’abaque
du COR et de ce que montrait la figure 2.6. Dans les simulations qui vont être
faites, on va majoritairement rester dans l’esprit de ce que les réformes passées ont
cherché à réaliser, à savoir de jouer sur un mix âge de la retraite/baisse des taux
de remplacement en considérant que la faiblesse des perspectives de croissance
77
Réforme structurelle du système de retraite
ou l’incertitude sur le véritable contenu en bien-être de cette croissance sont trop
marqués pour justifier d’imposer a priori des efforts de cotisation supplémentaires
aux générations futures. Mais on admettra que d’autres choix seraient possibles et
on l’illustrera même par une simulation d’un scénario en points à cotisations croissantes.
En fait, plus qu’un plaidoyer pour ou contre telle ou telle modalité d’ajustement
global au choc démographique, l’apport principal de la réforme structurelle qu’on
essaiera d’illustrer est le fait qu’elle devrait rendre plus facile le pilotage du système
une fois défini le cap retenu à l’intérieur du triangle de l’abaque. L’idée est surtout
d’avoir des systèmes évitant les déviations permanentes de trajectoire induites par
les aléas de la croissance et les correctifs répétés que ceci impose. Ceci va être le
thème dominant du chapitre suivant.
78
CHAPITRE 3
SIMULER DES TRANSITIONS VERS LES
POINTS ET LES COMPTES NOTIONNELS :
QUELLE INCIDENCE SUR LE LIEN
RETRAITES-CROISSANCE ?
Ce chapitre est donc destiné à examiner comment les systèmes en comptes notionnels
ou par points peuvent aider à se conformer à des cibles données de ratio
retraite/PIB et de niveau de vie relatif des retraités, de manière relativement autonome
par rapport à la trajectoire suivie par la croissance économique.
Quelques grandes lignes des systèmes qui vont être simulés ont été indiquées à
la fin de la partie précédente : on se place dans la perspective radicale d’unification
totale de l’ensemble des systèmes, et on le fait d’abord dans une logique totalement
contributive, l’introduction de mécanismes non contributifs n’étant faite qu’au chapitre
suivant. Dans le cadre des comptes notionnels, la liberté de choix se fait par
nature sous contrainte de neutralité actuarielle et on émule approximativement ce
genre de règle dans le système par points par une règle de bonification/pénalité de
5 % par année de report/anticipation de départ en retraite. On va ici se concentrer
79
Réforme structurelle du système de retraite
sur celles des règles des deux systèmes visant plus spécifiquement la question du
lien retraites/croissance, en examinant tour à tour les propriétés des deux systèmes.
3.1 Les comptes notionnels : mécanismes généraux
Pour rééquilibrer le système de retraite face aux ruptures de croissance, les
comptes notionnels mobilisent un outil principal : le taux de rendement servi sur
les cotisations en phase d’accumulation des droits. Mais le rôle de cet instrument
doit-être re-situé dans une présentation d’ensemble du mode de fonctionnement de
ces comptes notionnels.
Ce système est un système dans lequel les cotisations sont accumulées au fur et
à mesure de leur versement sur un compte fictif. Elles le sont en euros, sans faire appel
à une unité de compte fictive comme c’est le cas dans le système par points. Tout
au long de cette phase d’accumulation, elles bénéficient d’un rendement, comme en
bénéficieraient les sommes versées sur un compte en capitalisation. Plusieurs possibilités
sont envisageables pour déterminer ce rendement mais la logique est d’offrir
une rentabilité égale au taux de croissance de l’économie dont on a vu qu’il correspond
au rendement naturel du système par répartition.
Ensuite, une fois atteint l’âge de liquidation, le « capital » ainsi accumulé est
converti en rente. Le coefficient de conversion en rente se calcule en égalisant le
capital accumulé et l’espérance du flux de prestations à percevoir, compte tenu de
l’âge de liquidation et de la mortalité attendue. On s’inspire donc du principe de
neutralité actuarielle stricte discuté longuement dans la partie 2, dans sa version
dite « en niveau », selon laquelle chaque génération doit récupérer en moyenne
l’équivalent de ses cotisations passées, quel que soit l’âge auquel elle aura liquidé.
En pratique, le calcul du coefficient de conversion fait intervenir davantage que
l’espérance de vie (voir encadré 3.1) : il doit aussi prendre en compte le niveau
du rendement servi sur les cotisations, s’il diffère du taux de croissance, ainsi que
80
Simulation de réformes structurelles
la règle d’indexation suivie pour les pensions après leur liquidation. Un rendement
plus élevé ou une indexation plus favorable doivent être contrebalancés par des
coefficients de conversion plus bas, toujours en raison du principe de neutralité
actuarielle en niveau.
Si on fait l’hypothèse d’un rendement égal au taux de croissance de l’économie,
ce système contient par nature une double force de rappel qui ramène le flux de
prestations vers le montant de cotisations perçues, quel que soit le type de choc
auquel il est soumis :
Y Si le choc est un choc de longévité, l’ajustement passe par la baisse des coefficients
de conversion. Les assurés gardent le choix entre partir au même âge
avec une pension annuelle plus faible ou partir plus tard pour garder le même
niveau de pension, mais le flux global de prestations qu’ils percevront tout au
long de la retraite restera inchangé
Y Si le choc est un choc de croissance, l’ajustement passe surtout par le taux
de rendement. Une croissance plus lente se traduit par un capital plus faible
à la liquidation et des pensions réduites d’autant, que le fléchissement de la
croissance découle du ralentissement de la croissance démographique ou du
ralentissement de la productivité. C’est ce mécanisme qui fait que les écarts de
croissance se répercutent tels quels sur les niveaux de pension absolus et sont
donc neutres, in fine, pour les niveaux de pension relatifs. L’ajustement peut
aussi passer secondairement par le coefficient de conversion : si par exemple
on a prévu une indexation des retraites sur les prix et si la croissance ralentit,
il faut que le coefficient de conversion prenne en compte l’effet de ce ralentissement
de croissance sur le coût relatif des pensions en cours de service.
81
Réforme structurelle du système de retraite
Encadré 3.1 : Équilibrage du système en compte notionnel via
le taux de rendement et le coefficient de conversion
Le calcul du coefficient de conversion d’un système en comptes notionnels est un calcul complexe
mais qui donne l’occasion de bien comprendre les mécanismes du système. Le calcul est présenté en
notation continue, qui est plus synthétique que la version discrète.
On raisonne en valeurs réelles et on note :
a,t : l’âge et la date
s(a) : la fonction de survie
: l’âge d’entrée dans la vie active
: l’âge de retraite
! : la durée de vie limite
n : le taux de croissance démographique
g : la croissance des salaires réels
: le taux de cotisation
c( ) : le coefficient de conversion à appliquer à l’âge
r : le rendement servi sur les cotisations en phase d’accumulation
r. : le coefficient de revalorisation appliqué à la pension après sa liquidation
En régime permanent, les salaires et les pensions réelles par âge à la date t se décomposent tous
deux en un effet d’âge fixe et un effet de période croissant exponentiellement au taux g, soit
w(a; t) = w(a)egt et p(a; t) = p(a)egt.
La pension à l’âge a en t va être le produit de trois termes : le coefficient de conversion qui a été
appliqué au moment de la liquidation, la masse des cotisations passées revalorisées au taux r à la
date de la liquidation et enfin la revalorisation appliquée depuis cette liquidation. Elle s’écrit donc :
p(a; t) = c( ) R
w(u; t − a + u)er( −u)du er.(a− )
= c( ) R
w(u)eg(t−a+u)er( −u)du er.(a− )
= c( )egte(r.−g)ae(r−r.) R
w(u)e(g−r)udu
dont on tire :
p(a) = c( )e(r.−g)ae(r−r.) S
w(u)e(g−r)udu = c( )F(a)
82
Simulation de réformes structurelles
La valeur de c( ) se déduit de la condition d’équilibre instantané du régime. Avec une structure par
âge en e−nas(a), cette condition s’écrit :
S
w(a)e−nas(a)da = S
!
p(a)e−nas(a)da = c( )S
!
F(a)e−nas(a)da
Elle conduit à :
c( ) = R
w(a)e−nas(a)da
e(r−r.) R !
R
w(u)e(g−r)udu e(r.−g−n)as(a)da
= R
w(a)e−nas(a)da
R
w(a)e(g−r−a)da
e(r−r.)
R
e(r.−g−n)as(a)da
La formule apparaît donc particulièrement complexe dans ce cas de figure où l’ajustement repose
uniquement sur ce coefficient de conversion. On voit notamment que c’est ce coefficient qui se
charge de compenser l’intégralité des effets du changement de rythme de croissance g, puisque le
taux de rendement r et l’indexation r. sont exogènes.
La formule se simplifie si on commence par égaliser r au taux de croissance économique g + n,
qui est le rendement naturel d’un régime par répartition stabilisé à cotisations constantes. Notons
s(aSa.) = s(a)~s(a.) la survie en a conditionnelle à la survie en a., il vient :
c( ) = R
w(a)e−nas(a)da
R
w(a)e−nada
1
R
e(r.−g−n)(a− )s(a)da
1
s( Sam)
1
R
e(r.−g−n)(a− )s(a)da
où am est l’âge moyen en activité. On voit dans ce cas que le coefficient de conversion n’a plus qu’un
seul effet de la croissance à contrebalancer, celui qui découle du différentiel de dynamique de la
pension et des salaires après liquidation. A règle d’indexation donnée, le coefficient de conversion
doit baisser quand la croissance ralentit pour compenser ce phénomène.
On peut éviter cela si les pensions sont à leur tour indexées sur la croissance. Il est logique qu’elles
ne le soient que sur la croissance du salaire, et pas sur la croissance globale, soit r. = g, auquel cas
la formule devient, en négligeant la mortalité avant l’âge :
c( ) = 1
R
e−n(a− )s(a)da
qui se réduit à l’inverse de l’espérance de vie en quand la croissance démographique est nulle.
83
Réforme structurelle du système de retraite
Dans ce cas de figure, la réponse du système aux différents types de choc est finalement partagée de
la manière suivante :
Y Un choc négatif sur la croissance de la productivité est intégralement géré via la baisse du rendement
r en phase d’accumulation. Les cotisations déjà acquises au moment du choc génèrent
moins de droits à terme du fait de la rupture de croissance.
Y Un choc positif sur la longévité est géré par une baisse du coefficient de conversion
Y Un choc négatif sur le taux de croissance démographique est géré par les deux canaux : à la
fois par la baisse du rendement en phase d’accumulation et via une baisse supplémentaire du
coefficient de conversion.
Ces mécanismes d’ajustement sont toutefois plus ou moins progressifs, ce qui explique que l’équilibre
du système ne soit jamais assuré en permanence.
On dispose donc d’un système qui satisfait dans ses grandes lignes à l’objectif de
neutralisation des effets de la croissance sur les différents paramètres du système
exprimés en ratios, mais avec deux principales limites.
La première limite est que, en première analyse, ceci s’accompagne d’une restriction
de l’espace des réponses au choc démographique. Tel que décrit à l’instant,
ce système est un système à taux de cotisation fixe. A long terme, la réponse aux
changements démographiques s’y fait donc uniquement par décalage de l’âge et/ou
l’ajustement du niveau relatif des pensions, avec un arbitrage qui est d’ailleurs laissé
entre les mains des assurés puisqu’on est dans une logique de retraite à la carte.
Cette propriété est considérée comme plutôt souhaitable par ceux qui considèrent
que le niveau de prélèvement pour les retraites a désormais atteint un niveau à ne
plus dépasser, mais il est jugé restrictif par d’autres.
Cette limite apparente des comptes notionnels est cependant toute relative. Rien
n’interdit d’envisager des hausses de cotisations, entraînant une hausse des droits
à la retraite et donc des dépenses de retraite. Il est par ailleurs aussi possible d’envisager
une hausse de prélèvements ne donnant pas lieu à des droits à la retraite
84
Simulation de réformes structurelles
pour financer une partie de droits acquis non couverts par l’équilibre du système,
l’équivalent en points du système de « taux d’appel ».
La seconde est que l’équilibrage automatique de ces systèmes n’est pas immédiat.
Les forces de rappel qui équilibrent le système n’ont que des effets progressifs.
On peut en donner deux exemples :
Y Quand le choc est un choc de croissance économique, la baisse du rendement
sur les cotisations accumulées n’affecte que les droits des nouveaux retraités,
sans effet sur les droits en cours de service sauf si, comme dans le système
suédois, les retraites en service sont elles mêmes accrochées à la croissance,
en l’occurrence par une règle d’indexation de type salaires- x %.
Y Quand le choc est un choc de longévité, la modification des droits ne porte là
encore que sur les nouveaux retraités, et les coefficients de conversion calculés
sur la base de la mortalité instantanée sous estiment en général la durée de
vie effective à la retraite puisqu’elle ne prend pas en compte les baisses de
mortalité à venir dont les individus continuent à bénéficier jusqu’à leur décès.
A la limite, un système en comptes notionnels avec des coefficients calculés
sur l’espérance de vie du moment est en déséquilibre permanent s’il y a des
gains continus pour cette espérance de vie.
Dans la gestion à la suédoise, ces déséquilibres sont gérés en puisant dans les réserves
dont le système dispose, qu’on essaye ensuite de reconstituer en faisant temporairement
baisser la générosité du système en-deçà de son évolution normale.
Dans le contexte français, il est peu probable qu’on parvienne à mettre en place
un système dont les réserves seraient suffisamment conséquentes. D’autres mécanismes
seraient donc à trouver : laisser temporairement filer les déficits est risqué
s’ils s’avèrent assez durables. Il faudrait donc envisager des réactions plus rapides,
soit des hausses de recettes non génératrices de droits, soit des freinages plus brutaux
des droits en cours de service, soit encore des durcissements des coefficients
85
Réforme structurelle du système de retraite
de conversion du moment au-delà de la prise en compte des variations courantes
de l’espérance de vie.
3.2 Quel schéma de transition ?
Ces caractéristiques du système ayant été rappelées, comment le simuler en pratique.
Une partie des propriétés peuvent s’étudier à l’aide de maquettes agrégées ou
semi agrégées, sans ou avec des mécanismes additionnels d’équilibre économique
général (Secrétariat Général du COR (2009) ; Chojnicki et Magnani (2010)) mais
ces maquettes ne permettent pas, ensuite, d’analyser les effets redistributifs de la
transition à niveau fin. Pour ce faire, l’instrument privilégié est la microsimulation
dynamique. Elle consiste à projeter individu par individu un échantillon représentatif
de la population française, avec trajectoires d’emploi et de salaires individualisées,
et auquel on applique les règles détaillées soit du régime de retraite initial
soit du nouveau système dont on étudie la mise en place. Le recours à ces modèles
est désormais bien établi dans le champ de la retraite.
L’outil qui est mobilisé dans ce rapport est le modèle de microsimulation PENSipp _
^
qui
est développé depuis 2012 à l’Institut des politiques publiques et qui est étroitement
dérivé du modèle Destinie développé et utilisé à l’Insee depuis les années 1990 (voir
encadré 3.2).
Ce type de modèle offre une grande flexibilité pour la construction de scénarios
de transition, mais la difficulté est de les définir. De manière générale, un changement
de système de retraite peut s’envisager de trois manières, en allant de la
moins progressive à la plus progressive.
86
Simulation de réformes structurelles
Encadré 3.2 :Le modèle PENSipp _
^
Le modèle PENSipp
_
^
est un modèle de micro-simulation dont l’objectif principal est la projection des
retraites sur le long terme. Le modèle est en cours de développement, dans le cadre d’un partenariat
scientifique entre l’IPP et la division Redistribution et politiques sociales de l’Insee qui a développé
le modèle de micro-simulation Destinie, dont s’inspire PENSipp
_
^
.
De fait, le modèle reprend l’architecture globale du modèle Destinie (Blanchet, D., Buffeteau, S.,
Crenner, E. et S. Le Minez, 2011), et il est organisé en deux blocs. Un premier bloc est constitué
des biographies familiales (unions, séparations, naissances et décès) et professionnelles (périodes
d’emploi, de chômage, d’inactivité, salaires). A partir d’un échantillon représentatif de la société,
les trajectoires individuelles sont projetées jusqu’à horizon 2060. Ce premier module est en
cours de développement à l’IPP, dans le cadre du projet TAXIPP-LIFE, qui génère des trajectoires
biographiques à partir des données de l’enquête Patrimoine appariées statistiquement avec les
données administratives de l’Échantillon interrégime des cotisants (EIC). Dans la version actuelle
de PENSipp
_
^
, le bloc biographie est le même que celui utilisé dans le modèle Destinie, dans
lequel les carrières sont estimées à partir de l’enquête Patrimoine 2009. Un second module est
consacré à la modélisation du départ en retraite des individus du module biographique. Le modèle
prévoit différentes hypothèses de comportement de départ en retraite (départ au taux plein,
taux de remplacement cible, niveau de pension cible, modèle de type Stock and Wise). A partir
des décisions individuelles de départ à la retraite, le modèle calcule le montant des pensions en
appliquant les barèmes prévus par la réglementation.
PENSipp
_
^
intègre une grande partie de la législation du régime de retraite, et les principaux régimes
de retraite français sont modélisés : régime général (regroupant tous les salariés du secteur privé et
les contractuels du secteur public), régimes complémentaires Agirc et Arrco, régime de la fonction
publique (regroupant tous les fonctionnaires), et régime des indépendants. Il exclut cependant les
régimes complémentaires des indépendants, le cas des militaires ainsi que les pensions de réversion.
La simulation de réformes structurelles est particulièrement aisée à l’aide de PENSipp
_
^
. La trajectoire
professionnelle de chaque individu y est caractérisée par une séquence de codes indiquant le ou
les régimes d’affiliation. Il suffit d’introduire des codes additionnels correspondant aux nouveaux
régimes que l’on souhaite introduire, programmer les règles de calcul des droits correspondantes,
87
Réforme structurelle du système de retraite
puis modifier les carrières rétrospectivement ou prospectivement selon le scénario de transition
retenu : une mise en place avec effets rétroactifs se fera en révisant l’ensemble de la séquence de
statuts passés des nouveaux liquidants, une mise en place progressive avec gestion de carrières
mixtes tout au long de la phase transitoire se fait en révisant ces codes uniquement à partir du
début de la réforme. Enfin, une réforme limitée aux nouveaux entrants conduit à ne revoir les codes
que de ceux-ci. C’est la première option de la simulation à effets rétroactifs qui est présentée ici.
En sus de son utilisation comme modèle de microsimulation standard sur échantillon représentatif,
PENSipp
_
^
peut aussi être utilisé comme outil de génération de cas types. C’est sous cette forme qu’il
a été utilisé plus haut en section 2 pour l’évaluation des écarts du système actuel à la règle de
neutralité actuarielle.
La description précise du modèle sera présentée dans un Guide méthodologique IPP (Blanchet, D.,
Bozio, A. et S. Rabaté (à paraître)) qui accompagnera l’archivage de la première version du modèle.
La moins progressive consiste à n’appliquer les nouvelles règles qu’aux nouveaux
cotisants. Elles ne produisent donc leurs pleins effets que quand décèdent les
derniers représentants des générations qui viennent juste d’entrer sur le marché du
travail, soit au bout de 80 ans. L’avantage est que de telles réformes ne remettent
en cause aucun droit acquis mais la longueur de la phase de montée en régime pose
problème : si bénéfices on peut attendre d’une réforme structurelle, il est normal
de vouloir qu’ils se concrétisent plus rapidement. On a donc exclu ce genre de scénario
qui, de toute manière, aurait nécessité de pousser le modèle très au delà de
son horizon de projection standard. En l’état, PENSipp _
^
, comme Destinie, se limitent
à l’horizon 2060 qui est l’horizon limite des projections du COR. A cet horizon de
2060, le modèle n’aurait pu offrir qu’une vision très tronquée des effets finaux de
la réforme.
Le scénario intermédiaire revient à supposer que les personnes en activité à la
date de lancement conservent les droits acquis dans l’ancien système sur la partie
88
Simulation de réformes structurelles
de carrière qu’ils y ont déjà effectués, et commencent ensuite une nouvelle carrière
dans le nouveau régime. Formellement, ce type de réforme n’introduit donc
aucune rétroactivité. La contrepartie est de conduire à une phase transitoire particulièrement
complexe durant laquelle la lisibilité du système est détériorée plutôt
qu’accrue puisqu’on crée ainsi, pendant une quarantaine d’années, une nouvelle
catégorie de polypensionnés combinant carrières à l’ancienne et carrières dans le
nouveau régime, avec les problèmes d’interférences mal contrôlées entre les règles
de ces deux régimes. Par ailleurs, du point de vue de la durée de la transition,
même si elle est plus rapide que dans le cas précédent, elle ne s’achève à nouveau
complètement qu’avec le décès des dernières personne à avoir cotisé au moins une
année dans le système initial, soit toujours au bout de 80 ans.
A ce stade, on a donc plutôt choisi la troisième option qui n’est sans doute pas
la plus réaliste en termes de faisabilité politique ou institutionnelle, mais qui a l’intérêt
de permettre d’observer plus rapidement les propriétés pleines du nouveau
système, sans interférence avec le système précédent. On a évidemment exclu de
réviser les pensions des personnes ayant déjà liquidé, qui continuent à toucher leurs
retraites avec les règles d’indexation prévalant dans le système actuel. En revanche,
l’ensemble du flux de nouveaux liquidants est supposé relever immédiatement du
nouveau régime, avec application rétroactive de ses règles. De la sorte, l’ensemble
des retraités ont des retraites relevant du nouveau système au bout de « seulement »
quarante ans, ce qui donne le temps d’en observer les effets à peu près complets
avant la fin de l’horizon de projection.
Ce troisième scénario peut cependant faire à son tour l’objet de trois variantes,
et c’est à nouveau celle à effets les plus rapides qui a été privilégiée ici.
Y La sous-option à effets les moins rapides consiste à tout de même garder
une certaine trace des droits acquis dans l’ancien système en essayant de les
89
Réforme structurelle du système de retraite
convertir approximativement dans les principes du fonctionnement du nouveau
système. Si un individu a déjà cotisé 20 ans au régime général et aux
régimes complémentaires ARRCO-AGIRC, on essaye de convertir les droits
ainsi acquis sous forme d’un capital servant à initialiser son compte dans le
nouveau régime. Cette démarche reproduit ce qui est fait lorsqu’on procède
à des calculs d’engagements implicites des systèmes de retraite (Blanchet, D.
et S. Le Minez, 2012) et cette solution aurait donc été techniquement envisageable.
L’atout de cette façon de procéder est qu’elle ne remet pas en cause
les avantages (mais aussi les désavantages) initiaux des uns et des autres.
Mais, ce faisant, on décale à nouveau la date d’observation des propriétés du
nouveau système puisqu’on garde pendant plus longtemps la mémoire des
anciennes règles d’une façon qui, au final, présente une grande parenté avec
le scénario gérant des carrières mixtes sur toute la période de transition.
Y A l’autre extrême on peut décider de faire totalement abstraction du système
existant et de démarrer par une initialisation des comptes réalisée en faisant
comme si le système avait toujours été en place. Plus précisément, puisque ce
qu’on simule est un système à taux de rendement égal à la croissance économique
courante et avec un taux de cotisation fixe, on reconstitue pour chaque
individu la séquence de cotisations passées fictives qu’il aurait versée sur la
base de ce taux et de ses salaires passés, qu’on actualise en valeur courante
sur la base de la chronique passée de taux de croissance. Une fois ceci fait, la
simulation du nouveau régime peut se faire en poursuivant sans changement
l’application des nouvelles règles, appliquées cette fois de façon prospective.
Y Une troisième solution consiste à n’aligner les taux de cotisation qu’à compter
du lancement du système et à initialiser les comptes sur la base des taux
de cotisations effectifs passés. Par exemple, un individu ayant jusqu’ici cotisé
dans un système à faible taux de cotisation ne verrait pas ses droits artificiellement
majorés par l’application rétroactive de taux de cotisations moyens
90
Simulation de réformes structurelles
plus élevés. Ils ne profiterait des conséquences de ces nouveaux taux que pour
la partie de la carrière après réforme, celle sur laquelle il aura effectivement
acquitté ses cotisations plus élevées.
Aucune de ces solutions ne serait simple à mettre en oeuvre en pratique : soit il
y a remise en cause des droits acquis, et la difficulté est politique, soit on essaye
de respecter ces droits acquis, et le problème est un problème technique, celui de
la reconstitution des droits. Ici, en phase d’exploration et toujours avec le souci
de tester le mieux possible les propriétés du nouveau système dans l’intervalle de
temps courant jusqu’en 2060, on a privilégié l’option qui est à la fois techniquement
la plus simple à programmer et à effets les plus rapides, donc la deuxième.
3.3 Les comptes notionnels : résultats
Au total, on simule donc un basculement total pour les nouveaux retraités à
compter de la date du démarrage du nouveau système. Des variantes de date de
démarrage en 2020 et 2025 sont présentées en annexe mais, dans le corps du
texte, on considérera le cas extrême d’un basculement quasi immédiat, dès 2015.
Ce basculement se fait sur la base du taux de cotisation rétrospectif de 27 % qu’on
applique également en projection et qu’on a calibré de sorte à reproduire à peu
près la masse initiale des pensions du scénario de statu quo. Néanmoins, les droits
initiaux reconstitués de la sorte peuvent s’avérer plutôt trop élevés par rapport à
ce qui assurerait un bon équilibre initial du système, puisque, dans la pratique, les
taux historiques ont été plutôt inférieurs cette valeur. On teste donc également une
variante dans laquelle seuls 95 % de ces droits acquis fictifs sont effectivement pris
en compte lors du lancement du système.
Ensuite, les droits s’accumulent de manière permanente sur la base du taux de
27 %. On ne s’écarte donc pas de l’esprit de la mise en oeuvre « à la suédoise » ou
91
Réforme structurelle du système de retraite
les comptes notionnels sont utilisés pour suivre au plus près une trajectoire à taux
de cotisation fixe, mais, comme on l’a indiqué antérieurement, il aurait été tout à
fait possible d’imaginer des règles d’évolution à cotisations variables. Elles auraient
pu être de deux natures, avec le type de propriétés redistributives entre générations
qu’on a discuté à la section 2.3 :
Y Soit des hausses de cotisations génératrices de droits. Dans ce cas, elles assurent
des rentrées nettes au système mais elles conduisent ensuite à un alourdissement
de ses charges. Dans ce cas, la hausse des cotisations n’est pas un
instrument de rééquilibrage du système à long terme. Elle vise seulement à
en accroître la taille.
Y Soit des hausses de cotisations non génératrices de droits du type de ce que
produit un taux d’appel supérieur à 100 % dans les régimes complémentaires
ARRCO-AGIRC. Le système suédois ne prévoit pas ce genre de mécanisme car
il gère ses déséquilibres transitoires d’une autre manière mais rien n’interdirait
d’en introduire dans une version « à la française » de ces mêmes comptes
notionnels.
Les principaux résultats sont fournis sur les figures 3.1, 3.2 et 3.4. Les deux
premières donnent respectivement les ratios pensions/masse salariale et pension
moyenne/salaire moyen en fonction du temps. La troisième donne le profil du ratio
pension/salaire moyen par âge en 2060. Dans chaque cas, trois graphiques sont
fournis correspondant respectivement, de gauche à droite, à la projection du système
actuel, à la projection du système en comptes notionnels décrit précédemment,
et enfin au système en comptes notionnels avec réduction de 5 % des droits
acquis au moment de la transition. Ces résultats sont croisés avec trois hypothèses
macroéconomiques contrastées correspondant à peu près aux scénarios A’, B et C’
des dernières projections du COR, soit des croissances des salaires à 2, 1,5 et 1 %
par an, le but étant de tester en quoi le nouveau système parvient effectivement à
92
Simulation de réformes structurelles
résorber l’éventail de résultats entre ces différents scénarios de croissance.
Les deux graphiques de droite de la figure 3.1 confirment la capacité du système
en comptes notionnels à bien réduire le phénomène de dépendance à la croissance,
en resserrant presque totalement l’éventail de trajectoires généré par le système
actuel, montré sur le graphique de gauche, dont l’amplitude reproduit celle des
scénarios du COR qui était montrée par le graphique 1.3. Dans le scénario avec
faible croissance, le ratio masse des pensions/masse salariale monte à 29,7 % de
PIB au maximum en comptes notionnels quand il pointait à 32,5 % en 2060 avec le
système actuel.
Néanmoins, le système en comptes notionnels tel que simulé à ce stade laisse
subsister une certaine dose de sensibilité aux variations de la démographie et de
l’économie.
Lorsque c’est le taux de croissance économique qui varie, c’est-à-dire lorsqu’on
passe des scénarios A à C, le rééquilibrage se fait par le freinage de l’accumulation
de droits, dû à la baisse du rendement servi sur les cotisations. Cet effet modifie
rapidement les droits des nouveaux retraités, mais il ne change pas les droits des
retraités du moment qu’on a supposé indexés sur l’inflation, a contrario du système
suédois qui lie retraites en cours de service et salaires selon du règle d’indexation du
type « salaires-x % ». Dans notre simulation il s’y ajoute le fait que, en phase transitoire,
les pensions servies sont au départ des pensions issues de l’ancien système et
ce n’est que progressivement que s’y substituent les pensions du nouveau système.
Il faut attendre plus d’une dizaine d’années pour que ces dernières deviennent majoritaires.
Une partie de l’effet d’éventail du graphique de gauche se retrouve donc
naturellement sur les débuts de trajectoires des deux graphiques de droite.
A plus long terme, au delà de 2035, la sensibilité à l’hypothèse de croissance
économique disparaît presque complètement, puisque cela fait alors une trentaine
d’années que la croissance de la productivité s’est stabilisée.
93
Réforme structurelle du système de retraite
FIGURE 3.1 – Transition vers deux formes de régime en comptes notionnels :
Impact sur le ratio retraites/masse salariale.
LECTURE :de gauche à droite : (a) maintien du système actuel, (b) transition vers un régime en comptes notionnels
avec un taux de cotisation retroprospectif et prospectif de 27 % (c) transition vers un régime en comptes notionnels
avec une réduction de 5 % des droits acquis au moment de la transition. Sur chaque graphique, la courbe en bleu
correspond au scénario macroéconomique médian (croissance des salaires de 1,5 % par an) et les courbes noires
en traits fins et épais correspondent aux hypothèses macroéconomiques resp. défavorable (1 % par an) et favorable
(2 % par an).
SOURCE : Modèle PENSIPP 0.0.
On observe par ailleurs dans tous les scénarios en comptes notionnels une augmentation
du ratio masse des pensions/masse salariale en début de projection. Cela
s’explique par les pensions élevées servies aux générations partant en retraite dans
les années 2015-2025. La figure 3.3 montre que les pensions à liquidations dans le
nouveau système sont plus élevées par rapport au système actuel. Cela s’explique
par le taux de cotisation initial élevé (27 %) et un coefficient de conversion qui
reste assez haut. Au fur et à mesure que l’espérance de vie augmente, les pensions
à liquidation dans le nouveau système repassent sous les niveaux observés pour le
système actuel.
94
Simulation de réformes structurelles
FIGURE 3.2 – Transition vers deux formes de régime en comptes notionnels :
Impact sur le ratio pension moyenne/salaire moyen.
LECTURE : voir figure 3.1.
SOURCE : Modèle PENSIPP 0.0.
Tous les scénarios partagent ensuite, en fin de projection, une phase de surajustement,
par rapport à un vieillissement qui ralentit significativement. Les coefficients
de conversion continuent de jouer en faveur de la baisse des taux de remplacement,
puisque l’espérance de vie continue à progresser, mais sans que le reste du
système intègre tout de suite le fait que, temporairement, le vieillissement est moins
rapide que ce qui découlerait normalement de ces seuls gains d’espérance de vie.
En toute hypothèse, ce surajustement ne doit-être que transitoire, ce que confirmerait
une projection de contrôle poussée au delà de 2060, mais il se traduit par une
absence de stabilisation en fin de projection des ratios pension moyenne/salaire
moyen, comme le montre la figure 3.2.
Pour finir sur ces premiers résultats du système en comptes notionnels, il est
intéressant d’analyser plus finement ce qu’il génère comme profil des niveaux de
95
Réforme structurelle du système de retraite
FIGURE 3.3 – Transition vers deux formes de régime en comptes notionnels :
Impact sur la pension à liquidation (croissance à 1,5 %).
LECTURE :Le graphique présente les pensions moyennes à liquidation par années, dans le système
actuel (courbe noire), dans le système en comptes notionnels avec un taux de cotisation rétrospectif
et prospectif de 27 % (courbe verte continue) et dans la variante transition vers un régime en
comptes notionnels et dans la variante avec réduction de 5 % des droits acquis au moment de la
transition (courbe verte en pointillés).
SOURCE : Modèle PENSIPP 0.0.
vie par âge des retraités en fin de projection, ce qui est l’objet de la figure 3.4. Le
graphique de gauche de cette figure illustre particulièrement bien les mécanismes
qui créent la sensibilité à la croissance du ratio pension moyenne/salaire moyen.
Il y a un premier effet qui joue dès la liquidation : le taux de remplacement est
d’autant plus bas que la croissance est rapide, notamment en raison de l’effet « 25
meilleures années réévaluées selon les prix » pour les retraites du régime général.
Ensuite, à partir de ces niveaux initiaux, les niveaux de pension divergent encore
davantage au fur et à mesure qu’on s’intéresse à des retraités de plus en plus âgés :
plus les retraités sont âgés, plus leurs pensions ont décroché pendant longtemps
par rapport à un salaire moyen qui a continué à progresser, d’une manière qui est
d’autant plus marquée que la croissance est rapide.
96
Simulation de réformes structurelles
FIGURE 3.4 – Transition vers deux formes de régime en comptes notionnels :
Impact sur le profil par âge du ratio pension moyenne/salaire moyen courant
en 2060.
LECTURE :(a) maintien du système actuel, (b) transition vers un régime en comptes notionnels avec un taux
de cotisation retroprospectif et prospectif de 27 % (c) transition vers un régime en comptes notionnels avec
une réduction de 5 % des droits acquis au moment de la transition. Sur chaque graphique, la courbe en
bleu correspond au scénario macroéconomique médian (croissance des salaires de 1,5 % par an) et les
courbes noires en traits fins et épais correspondent aux hypothèses macroéconomiques resp. défavorable
(1 % par an) et favorable (2 % par an).
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
Ce second effet est conservé en comptes notionnels, puisqu’on a choisi de supposer
une indexation prix après liquidation. En revanche, la dépendance à la croissance
est inversée pour ce qui concerne la pension à la liquidation. Les premières
pensions sont systématiquement plus basses en proportion du salaire courant que
dans le scénario de statu quo, car c’est entièrement par ce biais que se fait l’ajustement,
mais elles sont liées positivement à la croissance. La raison tient au mécanisme
d’équilibrage. Il intègre le fait qu’une croissance plus rapide couplée à une
indexation prix dégage une marge pour réaugmenter légèrement les coefficients de
conversion à cible de masse des pensions données. C’est ce mécanisme qui explique
le lien positif entre taux de remplacement et taux de croissance, bonus relatif qui
97
Réforme structurelle du système de retraite
FIGURE 3.5 – Profil par période et âge quinquennal du ratio pension/salaire
moyen courant dans le régime en compte notionnel avec réduction des droits
acquis (scénario économique médian.
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
se réduit ensuite et s’inverse en deuxième moitié de retraite.
La figure 3.5. donne une autre visualisation de ce lien entre âge et niveau de
vie relatif du retraité, en évolution au cours du temps, à l’aide d’une représentation
à trois dimensions. Ceci est fait pour le scénario de croissance médian B : à partir
d’un profil initial à taux de remplacement élevé et fort décrochement selon l’âge, on
passe à un profil à taux de remplacement plus bas, suivi d’un décrochement selon
l’âge plus modéré qu’il ne l’est qu’au départ, mais qui reste prononcé.
Toutes ces propriétés ne sont pas intrinsèquement attachées au système en
comptes notionnels. On peut notamment y choisir d’autres règles d’indexation après
liquidation, et la façon d’y limiter le phénomène de surajustement des taux de remplacement
fera l’objet d’explorations complémentaires. Ici, on a préféré confronter
ces premiers résultats à ceux qui peuvent être générés par le système en points.
98
Simulation de réformes structurelles
3.4 Transition vers un système par points : quels principes
d’indexation des valeurs d’achat et de
service des points ?
Les simulations précédentes ont confirmé que le système en comptes notionnels
offre des forces de rappel qui rétablissent l’équilibre entre cotisations et prestations
face à des changements du rythme de croissance de l’économie. Des mécanismes
d’équilibrage jouent aussi vis-à-vis des changements des conditions démographiques,
mais avec des limites que les travaux ultérieurs tacheront de mieux
comprendre et corriger.
Qu’en est-il dans le système alternatif en points et, tout d’abord, comment se
situent les deux systèmes l’un par rapport à l’autre ?
Le trait commun des deux systèmes est le principe d’accumulation de droits au
fur et à mesure et en proportion des versements de cotisations. Dans le système par
points, les droits ainsi accumulés ne sont pas comptabilisés en euros mais en points.
On peut y voir une perte de lisibilité – les points sont une notion plus abstraite pour
l’assuré – mais ceci offre un instrument supplémentaire de pilotage. En modulant
la valeur d’achat des points, on peut moduler très en amont les droits que l’assuré
se constitue par ses versements de cotisations. A l’inverse, il n’y a pas de rendement
explicitement servi sur les cotisations en cours de liquidation. Ce qui va déterminer
le retour sur cotisations va être la valeur de service du point, dont l’évolution va
déterminer à la fois le taux de remplacement à la liquidation et le profil temporel
de la retraite après sa liquidation.
Pour gérer les points d’une façon qui respecte la stabilité du ratio retraites/PIB,
il existe une première solution radicale. Il suffit de calculer à chaque date la valeur
de service du point comme ratio entre la masse des ressources du système et la
masse des points détenus par les retraités du moment. Ce mode d’ajustement peut
99
Réforme structurelle du système de retraite
servir aussi bien à l’équilibrage du système sous hypothèse de constance du taux
de cotisation que de croissance de ce taux si on considère qu’un ajustement limité
aux pensions en cours de service serait trop pénalisant pour les retraités. Si hausse
de cotisations il y a, il faut évidemment éviter qu’elle ne soit génératrice de droits
supplémentaires, sauf à devoir compenser plus tard cette hausse par de nouvelles
baisses de la valeur de service du point. On peut le faire de deux manières, soit par
le système du taux d’appel, c’est-à-dire une majoration du taux de cotisation non
génératrice de droits, soit en combinant hausse du taux de cotisation et hausse du
même pourcentage de la valeur d’achat du point .
Gérer la valeur du point de cette manière pose cependant deux problèmes. Restons
en au cas où on cherche à stabiliser la masse des retraites en part de PIB.
Fixer chaque année la valeur du point comme ratio entre cette masse des retraites
et le nombre de points détenus par les retraités du moment expose les plus vieux
d’entre eux aux conséquences d’une inflation du nombre de points possédés par les
plus jeunes. Pour éviter ce risque, il faut réguler l’accumulation de points entre les
générations successives et donc se donner une règle pour l’évolution de la valeur
d’achat des points. D’autre part, un équilibrage automatique via la valeur de service
du point peut poser des problèmes particulièrement aigus au cours de la phase
transitoire qu’on va avoir besoin de simuler. Au cours de cette période où coexistent
des versements de retraites de l’ancien système et des retraites du nouveau système
par point, quelle cible donner à la masse des retraites gérées par le second ? Utiliser
la valeur du point pour équilibrer l’ensemble des deux systèmes conduirait à faire
peser l’ajustement sur les seuls nouveaux retraités, ce qui n’est pas souhaitable.
Il est donc préférable de se fixer des règles complètes d’évolution a priori des
valeurs d’achat et de service du point, qui pourront redonner in fine la propriété
d’équilibrage souhaitée, mais sans forcément chercher d’entrée de jeu un équilibre
annuel des comptes. Quelle règle choisir ? Il faut à la fois qu’elle rende la dynamique
du système indépendante de la croissance, et qu’elle gère la contrainte démogra-
100
Simulation de réformes structurelles
phique.
Considérons d’abord le premier problème. Actuellement, on a vu que les régimes
de retraite complémentaires oscillent entre deux règles, soit l’indexation des deux
valeurs sur l’inflation, soit l’indexation de la valeur d’achat sur les salaires et celle de
la valeur de service sur les prix. L’un comme l’autre de ces deux modes d’indexation
génèrent une dépendance à la croissance. Dans le schéma salaires/prix, le fait que
la valeur d’achat du point soit indexée sur les salaires implique, à taux de cotisation
constant, des achats de points en volume fixe d’une génération sur l’autre. Chaque
génération arrive donc à l’âge de la retraite avec à peu près le même cumul de
points. Comme la valeur de service de ces points est elle-même indexée sur les prix,
cela signifie des pensions stationnaires en valeur réelle pour toutes les générations
successives. Si la croissance des salaires est continue, la pension moyenne est ainsi
amenée à décrocher de manière indéfinie par rapport aux salaires, ce qui n’est
évidemment pas acceptable. Hors choc démographique, la norme est plutôt une
évolution parallèle de la retraite moyenne et du salaire moyen. On exclura donc
sans hésiter cette solution.
L’indexation prix/prix redonne du lien entre salaires courants et pensions courantes.
En effet, même si la valeur de service du point est fixe, la fixité de sa valeur
d’achat permet d’en acheter de plus en plus au fur et à mesure que le salaire s’élève.
Mais il subsiste des effets qui distendent ce lien entre salaires courants et pensions
courantes : à la liquidation, le nombre de points accumulés sur l’ensemble de la
carrière reste d’autant plus faible par rapport au salaire courant que la croissance a
été rapide, et après liquidation, il y a le même phénomène de creusement progressif
de l’écart entre pension indexée sur les prix et salaires indexés sur la croissance.
101
Réforme structurelle du système de retraite
Encadré 3.3 : Système par points avec une double indexation
sur les salaires pour les valeurs d’achat et de service des points
On analyse les propriétés de ce système dans le cas le plus général d’un environnement économique
non stable. En revanche, on suppose dans un premier temps la structure par âge stationnaire avec A
actifs et R retraités, l’objectif étant de d’abord se concentrer sur la réponse du système aux ruptures
de croissance. On suppose que le salaire de l’individu i d’âge a à la date t combine de manière
multiplicative un effet période, un effet d’âge et un effet fixe individuel et que ces deux derniers
sont centrés sur l’unité. L’effet période correspondra ainsi au salaire moyen du moment, ce qui
s’écrit :
w(i; a) = w(t):f(i):g(a)
On choisira cette fois de compter l’âge à partir de l’entrée dans la vie active, avec D la durée de
carrière. Le taux de cotisation est fixe et toujours égal à . Puisqu’elle est fixée à un facteur près, on
peut choisir une valeur d’achat du point égale à w(t) impliquant que, à la date t, les cotisations
d’un individu qui gagne juste le salaire moyen lui permettent d’acheter exactement un point.
Avec ces hypothèses, lorsque l’individu i arrive à la retraite à la date t, son cumul de points est
K(i) = S
D
0
(w(i; t −D + a)
w(t −D + a) da = S
D
0
(w(t −D + a)f(i)g(a)
w(t −D + a)
= f(i)S
D
0
g(a)da = Df(i)
c’est-à-dire sa durée de carrière multipliée par la position relative qu’il a occupée, toute sa vie, dans
la distribution des salaires de sa tranche d’âge. En moyenne, le nombre de points d’une génération
qui liquide est donc juste égal à D et ce montant est en fait le même pour l’ensemble des retraités
quel que soit leur âge, aux effets prêts de mortalité différentielle qu’on néglige ici ou qu’on pourrait
supposer stables.
Dans ce cas, si la valeur de service du point est de la forme aw(t), la pension moyenne est aw(t)D,
le taux de remplacement du dernier salaire est aD~g(D), il correspond donc exactement à ce qu’on
attend en général d’un système en annuités. Le ratio pension moyenne/salaire moyen est pour
sa part égal à aD et il s’applique non seulement en moyenne mais pour chaque groupe d’âge de
retraités.
102
Simulation de réformes structurelles
Il en découle aussi la stabilité du ratio pensions/masse salariale DRaw(t)~Aw(t) = DRa~A, quelle
que soit la chronique passée du salaire moyen. Le système réagit ainsi automatiquement à un choc
de croissance. Supposons notamment une crise sévère qui fait décrocher w(t) de ?x % à la date t.
Dans ce cas, ceci ne change rien au cumul de points aussi bien des personnes en cours de retraite que
de celles qui liquident l’année courante. Pour ces dernières, les cotisations en baisse de la dernière
année de carrière achètent un nombre de points qui reste en moyenne centré sur g(D), puisque
la valeur d’achat des points baisse comme w(t), et leur cumul de points moyen reste égal à D,
comme pour les autres générations. Comme le nombre de points en circulation est valorisé sur la
base du salaire moyen courant, la stabilité du ratio pensions/masse salariale et du ratio de niveau
de vie relatif des retraites est donc préservée, malgré le choc. On a un mécanisme qui partage
instantanément les conséquences du choc entre l’ensemble des catégories de population.
Lorsque c’est la démographie qui se modifie, si l’objectif est toujours la stabilité des cotisations,
on compense la variation de R~A par une évolution en sens inverse de la valeur de service du
point, autrement dit, son taux de croissance devient dw~w − (dR~A)~(R~A) au lieu de dw~w
à démographie inchangée. On gère la stabilité du ratio pension/masse salariale par la simple
combinaison de l’indexation salaires et de ce facteur de correction démographique.
Bien évidemment, si choc démographique il y a, la stabilité du ratio pension/salaire n’est plus garantie.
On ne peut pas stabiliser à la fois le ratio pension/salaire et le ratio masse des pensions/masses
des salaires, sauf à contrer les effets de l’évolution démographique par une remontée de l’âge de la
retraite suffisante pour annuler la croissance ex ante de R~A. Ceci peut d’ailleurs découler en partie
des comportements eux mêmes. Si le système offre un libre choix de l’âge de liquidation et si les
individus ont une cible de taux de remplacement correspondant à aD~d(D) ils réagiront à la baisse
de la valeur de service du point par une décalage de leur âge de départ qui compensera totalement
cette dégradation du rendement du système. Ceci appelle néanmoins deux remarques :
Y Ceci ne veut bien sûr pas dire qu’on pourra se dispenser du décrochage de la valeur de service du
point, ou du moins de la valeur de service du point à âge de liquidation donné. Il y aura besoin de
ce décrochage à âge de liquidation donné pour provoquer cette modification de comportement.
Y Il peut d’autre part en résulter des dynamiques transitoires qu’il conviendrait d’expertiser plus en
détail. En effet au cours d’une telle transition, les cumuls de points détenus par les différentes
générations de retraités cessent en effet d’être identiques, puisque les retraités plus jeunes en
accumulent davantage suite à leur report. Ceci peut affecter l’équilibre de court terme et appeler
des facteurs correctifs supplémentaires.
103
Réforme structurelle du système de retraite
De manière générale, même s’il apparaît relativement puissant, l’équilibrage automatique par
l’indexation salaire/salaire et le facteur de correction démographique n’est probablement pas totale
et peut appeler des ajustements supplémentaires. Le besoin d’ajustement supplémentaire peut
aussi venir de fluctuations dans la structure par âge des salaires, ou de la distribution des effets
individuels f(i). L’ajustement peut nécessiter des correctifs supplémentaires à la règle d’indexation,
ou bien des ajustements de cotisations, à la condition que ceux-ci soient sans incidence sur les
droits futurs ce qui est le principe du taux d’appel.
Pour finir, on mentionne qu’il existerait dans le cadre du système par annuités un mode de gestion
qui reproduirait à peu près ces propriétés. Avec des salaires portés aux comptes revalorisés sur les
salaires plutôt que sur l’inflation, le salaire de référence à la liquidation se retrouve naturellement
ancré sur le salaire moyen du moment d’une façon qui ne dépend plus de la croissance économique
passée. On peut ensuite appliquer à ce salaire de référence un taux de remplacement qui dépend
explicitement du ratio courant entre actifs et retraités. Ensuite, on indexe la pension sur les salaires
moins l’évolution du même ratio démographique. Par rapport à ce qui a été fait depuis 1993, ceci revient
à rétablir complètement les règles d’indexation antérieures, en compensant ce rétablissement
par une gestion explicite de la contrainte démographique, au lieu de la gestion par l’indexation prix
qui ne répond au problème que sous une hypothèse de croissance particulière.
Que l’on soit en points ou en annuités, ces règles se contentent de transcrire l’équation d’équilibre
fondamentale du système des retraites. Avec les mêmes notations et la pension moyenne, l’équation
d’équilibre s’écrit :
wA = R
soit en variation :
d
= d
+ dw
w
−
dR
A
R
A
Elle redonne bien la règle d’indexation proposée si d ~ = 0 et en l’absence d’effet noria, c’est-à-dire
si les niveaux de pension sont identiques entre liquidants et retraités âgés qui décèdent. Dans les
formules proposées, cet effet noria est de fait neutralisé par l’indexation salaire de la valeur d’achat
du point ou du salaire porté aux comptes qui permet de neutraliser les écarts de pension entre jeunes
et vieux retraités. Si on se donne le degré de liberté d’augmenter le taux de cotisation, il suffit de
rajouter cette augmentation à la formule d’indexation.
104
Simulation de réformes structurelles
La seule façon de sortir totalement de ce lien négatif entre croissance et niveau
relatif des pensions est d’opter pour une double indexation sur les salaires à la fois
pour la valeur d’achat et la valeur de service du point. Les conséquences de cette
règle sont décrites formellement à l’encadré 3.3 et elles peuvent se comprendre facilement.
Dans ce régime, comme avec l’indexation salaires/prix, chaque génération
arrive à la liquidation avec à peu près le même cumul de points mais, ces points
étant valorisés en proportion des salaires du moment, ils offrent un pouvoir d’achat
relatif à la liquidation qui est totalement indépendant des hypothèses de croissance
et qui est ensuite intégralement préservé jusqu’à la fin de la retraite.
Cette règle résout de ce fait le problème de la dépendance à la croissance. Mais
elle ne résout évidemment pas le problème de l’ajustement à la démographie. On
peut choisir de gérer le problème démographique par la hausse des cotisations –
toujours avec un mécanisme de type taux d’appel évitant qu’elle ne soit génératrice
de droits – ou par le décalage de l’âge de la retraite, ou enfin par une sousindexation
temporaire de la valeur de service du point par rapport à sa norme
d’augmentation parallèle aux salaires. Si on veut exclure toute hausse du taux de
cotisation ou tout besoin de financement, il faut temporairement faire évoluer la
valeur de service du point moins rapidement que les salaires. Ce décrochage doit
comptablement correspondre à l’écart entre taux de croissance de la population en
âge de retraite et taux de croissance de la population d’âge actif. Si la valeur de service
du point fixe le niveau de retraite servi à un âge pivot immuable, par exemple
60 ans, la correction à appliquer correspond à l’écart de croissance entre population
retraitée potentielle située au dessus de cet âge pivot et population active située en
dessous de cet âge pivot.
C’est ce système qui va être simulé, moyennant un certain nombre d’hypothèses
additionnelles. Tout d’abord, à l’instar de ce qui a été fait pour les comptes notionnels,
le système simulé est dans un premier temps un système à taux de cotisation
fixe, toujours égal à 27 % du salaire brut et on simule une transition complète dès
105
Réforme structurelle du système de retraite
la date de lancement du niveau régime pour l’ensemble des nouveaux flux de liquidants,
en 2015 1, avec reconstitution artificielle de cumuls de points passés sur
la base des règles du nouveau système. Pour convertir ces cotisations en points, on
a évidemment besoin d’une trajectoire passée de la valeur d’achat des points mais
ceci ne soulève pas de problème technique puisqu’on choisit l’hypothèse d’indexation
de la valeur d’achat sur les salaires. Le seul paramètre à choisir est un paramètre
de niveau, mais il est purement conventionnel : un niveau élevé impliquera
un faible nombre de points qui sera compensé par une valeur de service élevée pour
ces points, et vice versa. Pour simplifier, on a simplement égalisé valeur d’achat du
point et niveau de cotisation versée par un individu rémunéré au plafond la sécurité
sociale, évoluant à peu près comme le salaire moyen courant et ceci est appliqué
aussi bien rétrospectivement que prospectivement 2.
Sur cette base, on simule deux sous-variantes.
Y Un premier sous-scénario n’applique pas intégralement la logique de double
indexation salaire/salaire. Son idée est de faire en sorte de bien garantir l’indépendance
entre croissance et taux de remplacement à la liquidation. Pour
ce faire, à la liquidation, on applique une valeur de service du point elle aussi
indexée sur les salaires et calée sur un niveau offrant, à la première génération
de bénéficiaires, un taux de remplacement du salaire brut de 55 %, pour
préserver la continuité avec les taux de remplacement du scénario de statu
quo. Ensuite, cette valeur de service à la liquidation évolue d’une génération
sur l’autre en fonction du salaire courant et avec le facteur de correction démographique
décrit à l’instant. En revanche, chaque génération qui a déjà
liquidé voit ensuite sa pension maintenue en valeur réelle jusqu’à son décès.
1. Comme pour les comptes notionnels, des variantes à démarrage plus tardif sont présentées en
annexe.
2. Une telle logique ramène au principe initial de fonctionnement des régimes par points français,
dans lesquels c’est le terme de salaire de référence qui était utilisé pour qualifier ce qu’on
appelle désormais valeur d’achat du point. Une telle terminologie n’avait de sens que si ce salaire de
référence suivait bien la dynamique des salaires, et le terme a été progressivement abandonné au
fur et à mesure qu’on s’est écarté de cette logique fondatrice.
106
Simulation de réformes structurelles
Y L’autre système applique l’indexation sur les salaires à la fois pour la valeur
de service à la liquidation et pour la valeur de service en cours de retraite,
toujours modulo le même principe de correction démographique. Néanmoins,
redonner de la dynamique aux pensions en cours de service est coûteux. Pour
retomber sur des enveloppes à peu près comparables, on doit prolonger la
période de sous indexation par rapport au salaire, au delà de la phase de
vieillissement rapide découlant du baby-boom, avec une sous indexation de
0,5 % courant de 2035 jusqu’en fin de projection.
Les principaux résultats sont fournis sur les figures 3.6 à 3.9, suivant la même
logique que pour la présentation des comptes notionnels, avec les mêmes variantes
de taux de croissance correspondant aux scénarios A’, B et C’ du COR. Ces résultats
sont comme attendus, à quelques points près appelant expertise complémentaire.
Le scénario intermédiaire réduit lsa sensibilité à la croissance mais cette sensibilité
reste significative, puisque subsiste l’impact de la divergence retraites/salaires
après liquidation. L’écart de ratio pensions/masse salariale entre les scénarios macroéconomiques
haut et bas est réduit à environ 3 points, soit 1,5 point de PIB, contre
plus de six points sous le statu quo. Toujours sous ce scénario, l’examen des pensions
par âge en 2060 fait apparaître le resserrement attendu des ratios pensions/-
salaire courant pour les liquidants (figure 3.8), alors qu’ils dépendent sensiblement
de la croissance dans le scénario sans nouvelle réforme. Mais, à partir de ce point
de départ commun, les courbes par âge continuent ensuite de partir en éventail
selon le taux de croissance économique retenu. On n’a donc pas la compensation
partielle par les niveaux de taux de remplacement initiaux observé en comptes notionnels.
Tous ces phénomènes disparaissent dans le scénario de réforme complète,
avec convergence parfaite des trajectoires et un redressement presque complet du
profil de la pension relative par âge en 2060, au prix évidemment de la plus forte
baisse du taux de remplacement initial qu’on a introduite dans le scénario.
107
Réforme structurelle du système de retraite
FIGURE 3.6 – Transition vers deux formes de régime par point : Impact sur le
ratio retraites/masse salariale.
LECTURE : de gauche à droite, : (a) maintien du système actuel, (b) transition
vers un régime par points maintenant l’indexation des pensions sur les prix
après liquidation, et (c) indexation complète des valeurs d’achat et de service
des points sur les salaires. Sur chaque graphique, la courbe en bleu correspond
au scénario macroéconomique médian (croissance des salaires de 1,5 % par
an) et les courbes noires en traits fins et épais correspondent aux hypothèses
macroéconomiques resp. défavorable (1 % par an) et favorable (2 % par an).
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
FIGURE 3.7 – Transition vers deux formes de régime par point : Impact sur le
ratio pension moyenne/salaire moyen.
LECTURE : voir figure 3.6.
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
108
Simulation de réformes structurelles
FIGURE 3.8 – Transition vers deux formes de régime en comptes notionnels :
Impact sur le profil par âge du ratio pension moyenne/salaire moyen courant
en 2060.
LECTURE : voir figure 3.6.
SOURCE : Modèle PENSIPP 0.0.
FIGURE 3.9 – Profil par période et âge quinquennal du ratio pension/salaire
moyen courant dans le régime en compte notionnel avec réduction des droits
acquis (scénario économique médian.
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
109
Réforme structurelle du système de retraite
Comme pour les simulations des comptes notionnels, la figure 3.9 donne une
seconde illustration des effets sur les niveaux de pension relatifs, selon la date
et l’âge. Le profil initialement décroissant selon l’âge avec point de départ élevé
qui figure à l’arrière plan du dessin cède cette fois-ci la place à un profil presque
complètement plat et partant entre 60 et 65 ans d’un niveau initial plus faible.
Évidemment, c’est un problème de choix social que de décider lequel des deux types
de profils on souhaite préférable, ou éventuellement des profils intermédiaires.
3.5 Une variante à cotisations croissantes
Ce point d’arbitrage entre le niveau initial de la retraite et sa pente après liquidation
ayant été rappelé, il faut également rappeler que le principe de stabilisation
du taux de cotisation n’est en rien inscrit dans la logique ni de l’un ni de l’autre des
deux systèmes.
On a indiqué plus haut les types de hausses qui auraient pu être simulées dans
le cas des comptes notionnels, avec le distinguo entre des hausses de cotisation génératrices
de droits supplémentaires, donc destinées à accroître sa taille aussi bien
en termes de recettes que de dépense, et hausses de cotisations non génératrices de
droits du type hausse du taux d’appel, visant à ajuster l’équilibre instantané du système
sans engendrer de nouvelles dépenses. Les deux types d’ajustement peuvent
d’ailleurs être combinés. Typiquement, une hausse de cotisation visant à augmenter
les droits futurs, si elle est appliquée seule, va conduire à court terme à des
excédents comme ceux qui générerait un système par capitalisation, puisque ceci
veut dire davantage de recettes immédiates pour des dépenses additionnelles ultérieures.
On peut alors choisir de les capitaliser dans une logique de répartition
provisionnée, ou considérer qu’on peut temporairement laisser ces suppléments de
cotisations virtuels, en ne les appelant pas dans leur totalité.
110
Simulation de réformes structurelles
Si ce qui était à gérer était une bosse démographique – mais on a vu que tel n’est
pas exactement le cas – on pourrait aussi choisir une solution combinant hausse
du taux contractuel et du taux d’appel, les deux servant à générer des rentrées
supplémentaires durant le passage de la bosse mais dont une partie serait ensuite
retournée aux cotisants sous forme de pensions supplémentaires, en ne faisant pas
intégralement redescendre le niveau global de cotisation d’après bosse à sa valeur
d’avant bosse.
L’ensemble des combinaisons possibles pour ces deux formes de gestion des
cotisations devrait faire l’objet d’études supplémentaires, et leur effets intergénérationnels
analysés dans l’esprit de ce qui était proposé dans la section 2.3. On s’est
ici limité à une seule simulation, dans le cadre du système par points, celle d’une
hausse du taux de cotisation qui le porterait de 27 à 32 %, d’ici à 2030, donc d’ici
la fin de la phase de vieillissement accéléré, cette hausse étant utilisée à freiner
la baisse du ratio pension moyenne/salaire moyen qui était montrée sur la figure
3.7. On s’est donc placé dans le cas où la hausse des cotisations est immédiatement
utilisée à augmenter les droits, y compris ceux des individus en cours de retraite,
et non pas une hausse du type hausse du taux d’appel, ici rendue quasiment inutile
par le fait que notre scénario de base est quasiment équilibré.
Dans le système en points, la façon de reverser immédiatement aux retraités
les bénéfices de cette hausse est de majorer d’autant le facteur d’évolution de la
valeur de service du point. Le bénéfice de la hausse est distribué du même coup à
l’ensemble des retraités du moment, anciens et nouveaux, dans la même proportion.
Il s’agit en fait de transcrire dans la logique des points la totalité de l’équation
d’équilibre comptable du système : indexer les retraites sur les salaires moins la
croissance du ratio retraités/actifs est la règle à appliquer uniquement quand le
taux de cotisation est fixe ; s’il est variable, il faut rajouter à cette règle le taux de
croissance du taux de cotisation (voir encadré 3.3).
111
Réforme structurelle du système de retraite
FIGURE 3.10 – Transition un régime par point à cotisations croissantes :
LECTURE : de gauche à droite, : (a) taux de cotisation par année, (b) évolution du
ratio entre masse des pensions et masse des salaires, et (c) évolution du rapport entre
pension moyenne et salaire moyen
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
FIGURE 3.11 – Profil par période et âge quinquennal du ratio pension/salaire
moyen courant dans le régime en compte notionnel avec réduction des droits
acquis (scénario économique médian.
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
112
Simulation de réformes structurelles
Les résultats sont fournis sur les figures 3.10 et 3.11. Avec cette façon de procéder,
la décroissance du ratio retraite moyenne/salaire moyenne est évitée pour
une large partie. Ceci revient donc à mettre en oeuvre la stratégie d’ajustement ne
reposant que sur l’âge de liquidation et le taux d’effort, donc, dans les termes de
l’abaque du COR, le type de trajectoire qui était illustré plus haut par la figure 1.4B.
mais, avec la différence que cette trajectoire découle cette fois d’un choix de pilotage
délibéré, qui produit à peu près les mêmes effets quelle que soit la croissance
économique, au lieu d’être la conséquence non contrôlée d’une trajectoire de croissance
économique particulière, celle d’une croissance à rythme ralenti. Le système
va donc bien dans le sens de redonner du contrôle au gestionnaire, sans présager a
priori de la façon dont il doit utiliser cette marge de contrôle : il peut avoir un pilotage
par le taux de cotisation ou par la cible de taux de remplacement. Le système
se prête à l’une comme à l’autre des deux politiques.
3.6 Principales conclusions
Les principaux messages de ces premières simulations peuvent se résumer de la
façon suivante. Les deux systèmes répondent chacun à leur manière à la question
posée, celle d’avoir des systèmes dans lesquels ce n’est pas le taux de croissance de
l’économie mais l’arbitrage des responsables du système de retraite qui décide de
l’évolution du ratio retraites/PIB ou du niveau de vie relatif des retraités. Ils le font
néanmoins de manières différentes et plus ou moins rapides, ceci valant aussi pour
leurs réponses aux modifications des facteurs démographiques.
Dans le cas des points, l’ajustement peut-être assez rapide. Il est quasi intégral
si on applique à la lettre l’indexation de la valeur de service du point sur les salaires
compensée par l’application d’un correcteur démographique prenant en compte les
variations courantes du ratio actifs/retraités. Si on ne veut mettre en oeuvre que
partiellement cette politique, en conservant l’indexation prix après liquidation, on
113
Réforme structurelle du système de retraite
retrouve une sensibilité à la croissance. Il y a un débat à avoir sur les limites et
avantages des différentes formules. L’indexation prix protège les retraités en cas de
croissance très lente combinée à la détérioration du ratio démographique, mais elle
conduit à les priver de partage des fruits de la croissance si elle repart et les fait de
ce fait régresser dans l’échelle des niveaux de vie courants, au fur et à mesure qu’ils
avancent en âge.
Dans le cas du régime en comptes notionnels, on s’est limité à ce stade à simuler
ce cas de l’indexation sur les prix après liquidation. Ceci n’empêche pas le
système de s’ajuster aux variations du rythme de croissance économique, le canal
étant la modification du coefficient de conversion : une indexation prix en situation
de croissance ralentie conduit à une compensation par une plus forte baisse de ces
coefficients de conversion à la liquidation. Le fait que l’ajustement porte sur les flux
contribue à rendre la réaction du système un peu moins rapide. De façon générale,
les canaux de réaction des comptes notionnels à des variations de contexte tant
économique que démographique sont plus progressifs. Ceci n’est pas en soi dirimant
: un système de retraite n’a pas non plus besoin d’être parfaitement équilibré
année après année. Ceci ne devient problématique que lorsque les désajustements
s’étalent sur une plus longue période ce qui peut imposer au gestionnaire ou au
politique de reprendre la main.
Cet inconvénient doit évidemment être mis en balance avec les autres avantages
qu’on peut voir à ce système, notamment le fait que des comptes en euros
constituent une réalité plus tangible pour l’assuré que ne le sont des comptes en
points. Notons toutefois que, sous l’hypothèse d’indexation de la valeur d’achat des
points sur les salaires, on peut aussi donner aux points une lisibilité bien plus forte
que celle qu’ils ont actuellement : si la valeur d’achat équivaut par exemple à la
cotisation versée sur le salaire moyen courant, la notion de point équivaut à celle
d’annuité pour tous les individus situés à ce salaire moyen. Pour les autres individus,
le point équivaut à une annuité corrigée de la position relative instantanée dans la
114
Simulation de réformes structurelles
hiérarchie des salaires. Il y a tout à gagner à faire ressortir ces équivalences entre
régimes, pour rappeler qu’une réforme structurelle ne signifie pas nécessairement
un changement complet de système. En fait, le mode de gestion des points qui a
été simulé ici peut-être reproduit assez fidèlement dans un système en annuités, en
repassant à une revalorisation des salaires portés aux comptes sur les salaires plutôt
que sur les prix, compensée à nouveau par la mise en place d’un correcteur démographique,
conformément à l’une des pistes qui avait été avancée dans le rapport
Moreau.
Comme on l’avait expliquée en introduction, le but de ce rapport n’est pas de
conclure définitivement sur ce qui est le meilleur système, mais de contribuer à
mettre leurs propriétés sur la table.
Néanmoins, à ce stade, ceci n’a été fait que dans des versions mettant en oeuvre
une contributivité stricte au niveau intragénérationnel. L’autre question abordée
dans ce rapport est de savoir comment y réintroduire les avantages non contributifs
dont les raisons d’être ont été discutées au chapitre 2. C’est l’objet du chapitre 4 qui
suit.
115
Réforme structurelle du système de retraite
116
CHAPITRE 4
INTRODUCTION DE MÉCANISMES NON
CONTRIBUTIFS
Les simulations du chapitre 3 se sont placées dans le cadre des versions pures
des systèmes en comptes notionnels ou en points, sans avantages non-contributifs
(ANC). Mais, comme on en avait prévenu, ceci ne se justifie que comme étape
préalable dans le cadre d’une analyse progressive des propriétés des deux systèmes.
L’étape suivante est d’y adjoindre des mécanismes non contributifs, en partant du
principe que ces avantages non contributifs n’ont rien d’antinomique à la réforme
structurelle.
Au contraire, on peut arguer qu’une réforme structurelle possède au moins trois
avantages du point de vue des avantages non-contributifs : premièrement, étant
donné que le bénéfice d’un droit non contributif donne toujours lieu à un versement
de cotisations, l’impact redistributif de ces mécanismes est plus transparent,
et également plus facilement maîtrisé par les décideurs politiques ; deuxièmement,
les dispositifs peuvent être unifiés pour l’ensemble des régimes ; troisièmement, une
possibilité de refonte des dispositifs non contributifs est envisageable, permettant
une meilleure adéquation entre les dispositifs et les objectifs qu’ils cherchent à atteindre.
117
Réforme structurelle du système de retraite
Cette partie propose un essai d’introduction d’ANC dans le cadre d’un système
en comptes notionnels. On s’est limité à ce cas d’une part parce que des résultats
assez équivalents seraient a priori envisageables en points, et aussi parce que c’est
le système des comptes notionnels qui est en général réputé le moins compatible
avec l’introduction d’ANC. Il était donc normal de plutôt se focaliser sur ce cas de
figure.
On aurait pu le faire en s’attaquant d’entrée de jeu à proposer une nouvelle
gamme d’ANC se démarquant très nettement de ceux qui existent actuellement.
Mais, toujours dans l’esprit de montrer la compatibilité entre réforme structurelle
et un degré substantiel de redistributivité, on a plutôt cherché à coller au mieux à la
gamme d’ANC actuellement existants, à l’exclusion de la réversion et du minimum
vieillesse qui sont des sujets à part entière et qui auraient supposé une version
plus aboutie du modèle PENSipp _
^
, intégrant la dimension couple. Hormis l’absence
de ces deux composantes, le seul point qui nous éloignera fortement du système
actuel est l’introduction d’ANC universels, c’est-à-dire similaires pour l’ensemble du
système de retraite.
On présente d’abord la traduction des droits non-contributifs actuels en droits
du système en comptes notionnels, puis on détaille leur impact sur l’équilibre macroéconomique
de long-terme.
4.1 Traduire les avantages non contributifs dans la
logique des comptes notionnels
Dans le système actuel, un certain nombre de dispositifs accordent des droits à
pension, sous forme de majoration de pension ou de majoration de durée d’assurance.
Les principaux dispositifs non-contributifs pour les pensions de droits directs
sont les minima de pension, les droits familiaux (bonifications pour enfants, majora-
118
Les avantages non-contributifs
tion de durée d’assurance (MDA) et AVPF), et les périodes assimilées pour chômage,
invalidité, maladie ou maternité. Dans le modèle PENSipp _
^
, l’ensemble des avantages
non contributifs sont intégrés au calcul des droits à pension, même si certains
éléments de la législation ne sont pas modélisés pour le moment (par exemple, la
MDA ne peut bénéficier qu’aux femmes, et les périodes assimilées concernent seulement
les périodes de chômage, et n’intègrent pas les périodes de maternité et de
maladie).
Nous avons donc traduit les mécanismes non contributifs actuels dans un système
en comptes notionnels. L’objectif n’est pas ici de modifier les dispositifs actuels
pour les rapprocher de leurs objectifs affichés – ce qui pourrait être en pratique
un objectif d’une réforme structurelle – mais de mettre en évidence comment
ils pourraient être maintenus dans le cadre d’un système en comptes notionnels.
Néanmoins, nous avons fait le choix d’harmoniser les dispositifs non contributifs
à l’ensemble du nouveau régime, ce qui revient à une convergence des dispositifs
existants dans les différents régimes. Ce choix est non seulement le reflet d’une
contrainte pratique de simulation, mais reflète aussi la logique d’un régime unifié
dans lequel les différences des mécanismes de solidarité sont difficilement justifiables
1.
Quatre dispositifs ont pu être simulés d’une façon collant de très près aux règles
actuelles :
Y Pour la bonification des montants de pension nous avons fait le choix d’harmoniser
les différents taux existants, en alignant les dispositifs existants sur
celui du régime général, à savoir une majoration de la pension finale de 10 %
pour les parents de trois enfants ou plus.
Y Pour la MDA, au moment de la naissance de l’enfant, des cotisations gratuites
sont versées au compte sur la base du dernier salaire et du taux de cotisation
1. A la différence du taux de cotisation dont on a vu plus haut, qu’il pourrait être possible d’en
maintenir une certaine hétérogénéité, reflétant les choix de différentes professions entre rémunération
immédiate et rémunération différée.
119
Réforme structurelle du système de retraite
de l’année en question.
Y Le principe est le même pour l’AVPF : pour les années d’AVPF, on verse des
cotisations au compte individuel sur la base du Smic.
Y Pour les périodes assimilées (pour le moment, uniquement pour les périodes
de chômage dans PENSIPP), nous créditons les comptes individuels de cotisations
sur la base du dernier salaire.
Pour ces quatre dispositifs, nous avons tenté de reproduire le plus fidèlement possible
les niveaux actuels, en calibrant les assiettes de cotisations pour obtenir des
masses de pensions non contributives équivalentes dans les deux systèmes.
En revanche pour les minima de pension, les dispositifs existants (minimum
contributif et minimum garanti) sont trop difficiles à transcrire tels quels dans un
régime en comptes notionnels (référence à une durée validée et cotisée, condition
de taux plein) sans garder dans le nouveau système un calcul des trimestres d’assurance
que nous voulions éviter. Dans ce cas, la simulation tend donc davantage vers
la logique de remise à plat. Nous avons refondu ces minima de la manière suivante :
pour les périodes travaillées (hors périodes assimilées) donnant lieu à des cotisations
basses (en-dessous du Smic), les cotisations versées au compte sont majorées
au moment du fait générateur. Le taux de la majoration dépend du niveau de cotisation
comme présenté sur la figure 4.1. Les variables d’ajustement de ce nouveau
dispositif sont le taux de cotisation de base, et les valeurs du seuil à partir duquel le
taux diminue et du plafond pour lequel le taux s’annule. Nous avons appliqué une
majoration de 10 % pour des cotisations en dessous du minimum vieillesse, puis
qui diminue progressivement jusqu’à atteindre 0 % pour les cotisations au-dessus
du Smic. Le dispositif est ainsi ciblé pour les individus qui travaillent mais portent
à leur compte des cotisations peu élevées.
Pour comparer l’importance des dispositifs non contributifs dans le système actuel
et dans le système en comptes notionnels, nous considérons les masses que
120
Les avantages non-contributifs
FIGURE 4.1 – Le minimum contributif dans le nouveau système.
LECTURE : Les cotisations portées au compte sont majorées par le minimum contributif,
le taux de majoration est maximal entre 0 et le seuil de cotisation choisi, puis
décroît de manière linéaire jusqu’à atteindre 0 % une fois le plafond atteint.
représentent les droits non contributifs dans les différents systèmes. Pour ce faire,
nous neutralisons un à un les dispositifs non contributifs, et nous comparons les
masses de pensions obtenues.
Pour le système actuel, nous obtenons des masses de droits non contributifs
proches des masses observées. Notons toutefois que l’impact des minima de pension
est nettement inférieur aux niveaux observés (1,5 contre 5 milliards). Ceci
s’explique sans doute en partie par une sous estimation du poids des bas salaires
dans l’échantillon, qui se traduit par un pourcentage de bénéficiaires des minima
de pension plus faible qu’en réalité.
Mais il faut aussi souligner que l’importance relative des avantages non contributifs
dans le scénario de référence dépend de l’ordre de neutralisation des dispositifs
(Aubert et Bachelet (2012)). Pour les avantages non contributifs dans le système
en comptes notionnels, chaque avantage donnant lieu à un versement de cotisation
propre, il n’y a pas d’effets de composition et de superposition dans la neutralisation
successives des dispositifs. Compte tenu de cette dépendance des montants obtenus
121
Réforme structurelle du système de retraite
FIGURE 4.2 – Masse des avantages non contributifs (flux de liquidants
2025).
NOTE : en milliards d’euros
LECTURE :dans la masse totale des pensions à liquidation à l’année 2025, dans le
scénario de référence, les avantages contributifs représentent 2,6 milliards, dont
pour les 0,1 minima de pension, 1,3 pour les droits familiaux et 1,3 pour les périodes
assimilées.
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
à l’ordre de neutralisation, nous avons avant tout cherché à égaliser la masse globale
des droits non-contributifs, sans que l’importance relative de chaque dispositif,
telle que mesurée dans nos simulations, soit parfaitement reproduite dans le nouveau
système.
La figure 4.2 présente ainsi la masse des avantages non contributifs dans les pensions
à liquidations, pour le flux des individus liquidants en 2025. Ce chiffre est obtenu
par différence entre la masse totale des pensions à liquidation avec avantages
non contributifs et la masse avec neutralisation des avantages non contributifs.
Cependant, il est difficile de calibrer les droits non contributifs pour qu’ils soient
égaux dans les deux systèmes tout au long de la projection. En effet, comme souligné
précédemment, la différence fondamentale entre les droits non contributifs
dans un régime de type comptes notionnels est que les droits non contributifs sont
122
Les avantages non-contributifs
toujours utiles, et se traduisent dans tous les cas par un surcroît de pension, ce qui
n’est pas le cas pour les droits non contributifs du régime actuel. Cette différence
fondamentale a des conséquences sur les évolutions comparées de la masse des
dispositifs non contributifs au cours du temps, comme illustré à la figure 4.3.
FIGURE 4.3 – Évolution de la composition des ANC (pension à liquidation)
NOTE : MC, PA et DF signifient respectivement minima de pension, périodes assimilées
et droits familiaux.
LECTURE :Entre 2010 et 2040, le masse des droits familiaux pour le flux de liquidants
passe de 0,8 à 1,6 milliards
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
Si l’évolution de la masse totale des droits non contributifs pour le flux de liquidants
est globalement similaire dans les deux scénarios de simulations, nous
pouvons noter des différences dans la structure des avantages non-contributifs. Le
premier point est la grande différence que l’on observe pour les minima de pension
: alors que, dans le régime actuel, le dispositif n’a presque plus d’impact en
fin de projection, avec le système en comptes notionnels la masse est croissante au
cours du temps. Une première explication renvoie à la sous-estimation des bénéficiaires
des minima de pensions dans le modèle PENSipp _
^
. Mais plus profondément,
123
Réforme structurelle du système de retraite
cette différence de tendance est l’effet à l’absence de revalorisation des minima de
pension (qui sont indexés sur les prix, supposés constant dans le modèle) alors que
la version du minimum contributif proposé, dont le seuil (le minimum vieillesse) et
le plafond (le SMIC) sont indexés sur les salaires dans nos projections. L’effet croissant
du minimum contributif en comptes notionnels est donc l’effet d’un meilleur
ciblage du dispositif, qui suit l’évolution des salaires au cours du temps. La différence
observée dans nos simulations au niveau des minima de pension est compensée
par un effet plus important, dans le régime actuel, des droits familiaux en fin
de projection (lié à la baisse des pensions dans le système en comptes notionnels).
4.2 Impacts macroéconomiques
L’introduction d’ANC est susceptible de modifier l’évolution macroéconomique
du système. En effet, cela implique de réduire le taux de cotisation contributif et de
mettre en place un impôt retraite, ne donnant pas lieu à des droits dans le système.
Nous ne détaillons pas les formes que pourrait prendre cet impôt – elles sont au
demeurant multiples – mais nous présentons simplement l’effet sur l’équilibre du
système.
Pour calculer le taux de cotisation contributif dans un scénario avec ANC, nous
calculons la masse des pensions en 2015 en supprimant tous les ANC, que nous
rapportons à la masse des salaires. On obtient ainsi 23 % de cotisation contributive
et un impôt retraite d’un montant de 4 %2. Le graphique 4.4 présente, dans le
cadre du scénario de croissance médian, l’évolution du système en comptes notionnels
avec avantages non-contributifs et le système actuel et le système en comptes
notionnels sans avantages non-contributifs décrit précédemment (avec un taux de
cotisation de 27 %).
2. Si l’impôt prend la même assiette que les cotisations vieillesse, ce qui n’a rien d’évident. On
pourrait très bien envisager une assiette plus large.
124
Les avantages non-contributifs
FIGURE 4.4 – Introduction des avantages non-contributifs : Impact sur
le ratio retraites/masse salarial
LECTURE :Est présentée l’évolution du ratio entre masse des pension et masse
salariale pour le régime actuel(courbe noire), le régime en CN avec un taux de
27 % sans ANC (courbe vert clair) et pour le régime CN avec ANC et un taux de
23 %. Le scénario macroéconomique suppose un taux de croissance de 1,5 %.
SOURCE : Modèle PENSIPP 0.0.
Il apparait à la figure 4.4 qu’avec l’introduction des avantages non contributifs,
le ratio entre pensions et masse salariale évolue de manière à peu près similaire
par rapport au scénario sans avantages contributifs et un taux de cotisation à
27 %. Cependant, une analyse plus poussée des effets redistributifs d’une transition
en comptes notionnels et de l’introduction des avantages non contributifs dans ce
nouveau système est nécessaire. Cela sera l’objet de travaux futurs.
Pour compléter l’analyse le graphique 4.5 présente l’effet des différents scénarios
macroéconomiques dans le système actuel et dans le système en CN avec ANC.
Si les deux systèmes sont très proches dans le scénario médian, ils s’éloignent plus
fortement dans les scénarios de forte ou faible croissance. En cas de faible croissance,
le ratio pension/PIB s’envole dans le système actuel alors qu’il reste à un
niveau stable en cas de forte croissance. Le système en CN présente des scénarios
beaucoup plus ramassés mais dans tous l’effet du vieillissement accéléré dû au
baby-boom reste bien visible.
125
Réforme structurelle du système de retraite
FIGURE 4.5 – Introduction des avantages non-contributifs : Impact des
variantes de croissance sur le ratio retraites/masse salarial
LECTURE :De gauche à droite :(a) maintien du système actuel, (b) transition vers
un régime en comptes notionnels avec un taux de cotisation retroprospectif et
prospectif de 27 % (c) transition vers un régime en comptes notionnels avec un
taux de cotisation retroprospectif et prospectif de 23 % et introduction d’avantages
non-contributifs. Sur chaque graphique, la courbe en bleu correspond au scénario
macroéconomique médian (croissance des salaires de 1,5 % par an) et les courbes
noires en traits fins et épais correspondent aux hypothèses macroéconomiques
resp. défavorable (1 % par an) et favorable (2 % par an).
SOURCE : Modèle PENSIPP 0.0.
L’introduction des avantages non-contributifs ne remet pas en cause l’une des
principales caractéristiques du système en comptes notionnels : une dépendance
à la croissance bien moins importante que dans le système actuel. Cela s’explique
par la forme que l’on a donné aux avantages non-contributifs dans le nouveau système.
En effet, les mécanismes actuels sont traduits sous la forme d’un versement
sur les comptes individuels d’une contribution dont le montant est basé sur les salaires
passés. Ainsi, le montant des droits non-contributifs accumulés dépend de
la croissance, et le mécanisme d’ajustement des montants de pension à la croissance
observé pour les droits propres est également à l’oeuvre pour les droits noncontributifs.
126
CONCLUSION ET PROLONGEMENTS
Comme annoncé en introduction, le but de ce travail n’était aucunement d’exposer
une réforme clefs en main, réalisable de manière réaliste à courte échéance
et qui aurait donc pu constituer une alternative crédible au processus de réforme
engagé pour l’année 2013. A cet égard, le fait que les scénarios simulés dans la
seconde partie de ce travail soient des scénarios de transition rapide ne doit pas
prêter à ambiguïté : cette façon de procéder découle uniquement du souhait d’observer
les effets des réformes une fois arrivées à maturité, sous la contrainte d’un
outil de projection qui ne dépasse pas l’année 2060.
Dans la réalité, si de telles réformes devraient se faire, ceci ne serait pas sans
un long travail de préparation et avec un calendrier de montée en charge surement
plus progressif, à contrebalancer par des mesures d’accompagnement durant toute
leur phase de montée en régime.
C’est précisément à ce travail de préparation que ce rapport souhaitait contribuer.
Qu’une réforme structurelle se fasse ou non, il est nécessaire que ses apports
et les problèmes qu’elle pose aient été instruits et l’aient été suffisamment à l’avance
car ces travaux sont nécessairement de longue haleine et ne peuvent se faire dans
l’urgence au moment où la nécessité d’une réforme structurelle finirait par s’imposer.
A cet égard, les éléments qu’on a essayé d’apporter ont été les suivants.
D’une part un retour sur les arguments pouvant plaider pour un telle réforme et
aidant à en suggérer les contours, c’est-à-dire en gros le cahier des charges qu’on
127
Réforme structurelle du système de retraite
peut lui assigner.
On a d’abord rappelé que certaines attentes vis-à-vis de la réforme structurelle
sont injustifiées : elle a parfois été comprise comme moyen d’échapper à
la contrainte que la démographie impose aux systèmes par répartition ou encore
comme la seule façon de rétablir une équité intergénérationnelle mise à mal par les
réformes paramétriques passées. On a rappelé que, sur ces deux points, les marges
de manoeuvre sont faibles et, au niveau macro, totalement indépendantes du type
de système par répartition qu’on adopte. La contrainte démographique globale est
la même quel que soit le système : aucun ne dispense de l’ajustement sur tout ou
partie des trois paramètres que sont le taux de contribution, l’âge de la retraite
et le niveau de vie relatif des retraités avec, dans ce dernier cas, le même sousarbitrage
entre taux de remplacement et générosité de l’indexation après liquidation.
En ce qui concerne l’équité intergénérationnelle, à supposer qu’on s’entende
sur une bonne définition de ce concept, ce qu’on peut au mieux faire est de freiner
le processus de convergence du rendement du système vers le taux de croissance
économique, au prix d’une augmentation de la taille du système relativement au
PIB. Savoir si on le fait et à quelle hauteur est un choix social à faire indépendamment
du type exact de système qu’on décide de retenir. Il ne revenait pas au
présent rapport de trancher ce problème de choix social. Il nous a seulement semblé
important d’en rappeler les termes.
Les apports de la réforme structurelle sont ailleurs.
D’une part, si elle s’accompagne d’une uniformisation des règles, elle est un
moyen de dissiper les soupçons d’inéquité intragénérationnelle actuellement alimentés
par la grande diversité des règles entre catégories socio-professionnelles,
que ces soupçons soient fondés ou non. Ensuite, elle permet de rationaliser la liberté
de choix que le système essaye d’offrir aux assurés, qui concerne principalement
l’arbitrage entre âge de liquidation et niveau de pension. Elle peut enfin donner
l’occasion d’une restructuration globale des avantages non contributifs, après
128
Conclusion
avoir statué sur les règles de non contributivité qu’on souhaite maintenir, amplifier
ou au contraire réduire, et pour quels motifs, car les motivations de la noncontributivité
peuvent être de plusieurs ordres. Il peut s’agir de motifs d’assurance
(protéger contre des aléas de carrière), de redistribution (corriger les inégalités
selon la catégories sociales) ou éventuellement d’incitation ou de juste rémunération
de comportements jugés favorables à l’équilibre du système (cas des avantages
familiaux).
Enfin, vis-à-vis de la question plus macroéconomique de l’ajustement à la contrainte
démographique, même si les efforts sont les mêmes quel que soit le système,
l’apport de la réforme structurelle peut-être d’aider à mieux en réguler le partage
entre générations. Dans le système actuel, une partie de la répartition de cet effort
échappe au contrôle du politique ou du gestionnaire : suite à l’adoption au tournant
des années 1990 de règles d’indexation sur les prix, c’est le rythme de croissance
globale qui décide, pour une bonne part, de la façon dont le système évolue au sein
de l’abaque du COR.
L’enjeu du pilotage, c’est de redonner du contrôle sur cette trajectoire. On s’est
ici surtout attaché à imaginer un système qui, par défaut, donne des trajectoires de
dépense et de niveau de vie relatif des retraités non conditionnées par la croissance,
à charge pour les décideurs de rectifier à la main ces trajectoires par défaut si elles
ne leur paraissent pas optimales.
Les simulations présentées dans la deuxième partie ont essayé de montrer comment
il est possible de répondre à ces divers objectifs, mais elles n’ont évidemment
pas pu couvrir l’ensemble de questions que pose une réforme structurelle. Elles ont
même un caractère très préliminaire, car basées sur un modèle encore en cours de
construction.
Quelles sont les questions qu’il conviendrait d’approfondir sur la base du même
modèle une fois stabilisé ?
Dans la perspective d’une réforme plus réaliste, il serait d’abord nécessaire de se
129
Réforme structurelle du système de retraite
poser plus précisément la question de la validation des droits acquis dans l’ancien
système. On a exposé les difficultés techniques de cette prise en compte et c’est ce
qui a poussé à plutôt simuler l’hypothèse forte d’une remise à zéro des compteurs,
de type big bang. Mais des solutions intermédiaires peuvent être à trouver.
La question de la réversion a également été laissée de côté alors qu’elle est
une source importante d’inéquités entre personnes de catégories professionnelles
ou ayant fait des choix de vie différents. Sa prise en compte aurait nécessité une
réflexion à part sur les fondements même du système. On a préféré la laisser de
côté d’autant que, en l’état, l’outil PENSipp _
^
n’en permettait pas la simulation, mais
ce sujet devra nécessairement être réintégré à la problématique de la réforme structurelle.
La question des différentiels d’espérance de vie est une autre question qui n’a
pas été abordée, du moins pas explicitement. On l’a seulement gérée implicitement
selon l’une des manières dont le fait le système actuel, c’est-à-dire en compensant
une partie de l’antiredistributivité due aux écarts d’espérance de vie par des avantages
non contributifs au profit des individus à durée de vie plus courte. Une remise
à plat de cette question est particulièrement nécessaire. Les effets potentiellement
antiredistributifs des inégalités d’espérance de vie ont pu rester un point aveugle
de la réflexion sur la retraite tant qu’on était dans une dynamique d’augmentation
des droits : les inégalités sont mieux supportées lorsque les droits vont en s’accroissant.
Mais le sujet ressort lorsque les droits sont revus à la baisse et, d’autant plus
légitimement que le durcissement des règles se fait au nom de la croissance de l’espérance
de vie. Si on présente comme juste que les variations intergénérationnelles
d’espérance de vie moyenne se répercutent sur les âges de départ en retraite, on
peut utiliser le même argument pour les années de vie en plus ou en moins qui
résultent du fait d’appartenir à un milieu social plus ou moins favorisé. Imposer les
mêmes ajustements d’âge de la retraite pour des individus dont l’espérance de vie
est structurellement plus faible pose question.
130
Conclusion
Dire cela ne signifie en rien qu’on veut étendre ce raisonnement à l’ensemble des
inégalités d’espérance de vie. Ce qui semble légitime pour les inégalités verticales
par catégorie sociale n’a pas à être transcrit tel quel sur les écarts d’espérance de
vie par genre, entre autres. Ce qui compte est d’être au clair sur les catégories d’inégalités
qu’on souhaite ou non contrecarrer. S’agissant des inégalités d’espérance
de vie selon la classe sociale, deux options sont alors ouvertes pour les compenser,
dès lors qu’on renonce à l’instrument indirect de la durée de cotisation dont on a vu
les limites : soit se rapprocher encore davantage de la vraie neutralité actuarielle
en calculant des coefficients de conversion sur la base d’espérances de vie différenciées,
mais ceci pose des problèmes techniques ; soit gérer ces écarts indirectement
en accentuant la redistributivité verticale du système, donc selon les lignes adoptées
dans le chapitre 4. Il s’agit là encore d’un débat ouvert.
Enfin, vis-à-vis du pilotage, on s’est borné ici à explorer les réactions des deux
systèmes face aux variantes extrêmes des projections du COR. Une exploration complète
doit aussi inclure l’analyse des réactions à des variations inattendues de la
démographie et à une variété plus grande de chocs économiques.
Toutes ces questions pourront faire l’objet de travaux ultérieurs, qu’il s’agisse de
préparer la voie pour une véritable réforme structurelle, ou pour servir de boite à
idées aidant à mieux orienter une politique de rationalisation progressive du système
de retraites, par successions de nouvelles réformes paramétriques à portées
plus réduites.
131
Réforme structurelle du système de retraite
132
ANNEXE :
VARIANTES DE DATE DE TRANSITION
Comme indiqué à plusieurs reprises dans le texte, avoir opté pour la simulation
de transitions rapides visait uniquement à offrir une fenêtre d’observation suffisamment
longue pour la montée en régime des nouveaux systèmes. Un tel calendrier
ne prétend pas au réalisme. Pour commencer à envisager des calendriers de transition
plus plausibles, on a reproduit ces simulations sous des hypothèses d’entrée en
vigueur en 2020 ou 2025, au lieu de 2015.
Nous avons donc reproduit les simulations pour la transition en comptes notionnels
pour le scénario le plus basique, une transition sans introduction d’avantages
non contributifs ni de réduction des droits acquis. Les résultats en termes de ratio
pensions/masse salariale et pension moyenne/salaire moyen sont donnés sur les
figures A.6 et A.7. Comme attendu, les résultats sont à peu près similaires mais
un recul de la date de transition conduit à une convergence plus lente en fonction
des hypothèses de croissance. La dépendance à la croissance s’atténue dès 2040
avec une transition en 2015, et aux alentours de 2045 (2050) pour une transition
débutée en 2020 (2025).
133
Réforme structurelle du système de retraite
FIGURE A.6 – Transition vers le régime en comptes notionnels, selon date de
mise en route : Impact sur le ratio retraites/masse salariale.
LECTURE : de gauche à droite, maintien du système actuel puis démarrages du
nouveau système en respectivement 2015, 2020 et 2025. Les courbes en bleu
correspondent au scénario macroéconomique médian (croissance des salaires
de 1,5 % par an) et les courbes noires en traits fins et épais correspondent aux
hypothèses macroéconomiques resp. défavorable (1 % par an) et favorable
(2 % par an).
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
FIGURE A.7 – Transition vers le régime en comptes notionnels, selon date de
mise en route : Impact sur le ratio pension moyenne/salaire moyen.
LECTURE : voir figure A.6.
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
134
Références
Dans le cas du système par points, ces variantes de date de démarrage ont été
produites sous l’hypothèse d’indexation sur les salaires à la fois à la liquidation et
durant l’ensemble de la retraite, toujours compensée par la prise en compte du
correcteur démographique prolongée par la correction additionnelle de -0,5 % par
an entre 2035 et 2060 servant à compenser le redressement du profil de la pension
par âge. Les résultats en termes de ratio pensions/masse salariale et pension
moyenne/salaire moyen sont donnés sur les figures A.8 et A.9. La mise en route
plus tardive n’empêche pas d’observer la convergence avant la fin de la projection.
Avec le démarrage en 2015, la convergence était quasiment effective dès 2040, elle
intervient respectivement 5 et 10 ans plus tard avec les démarrages en 2020 et
2025. Le fait que cette convergence s’opère sur des niveaux plus élevés s’explique
par le fait de faire démarrer le nouveau système avec le même taux de remplacement
initial moyen de 55 %, quelle que soit la date de départ : dans le scénario
de démarrage plus tardif, on gomme ainsi cinq ou dix années d’ajustement à la
contrainte démographique.
135
Réforme structurelle du système de retraite
FIGURE A.8 – Transition vers le régime par points, selon date de mise en route :
Impact sur le ratio retraites/masse salariale.
LECTURE : de gauche à droite, maintien du système actuel puis démarrages du
nouveau système en respectivement 2015, 2020 et 2025. Les courbes en bleu
correspondent au scénario macroéconomique médian (croissance des salaires
de 1,5 % par an) et les courbes noires en traits fins et épais correspondent aux
hypothèses macroéconomiques resp. défavorable (1 % par an) et favorable
(2 % par an).
SOURCE : Modèle PENSipp
_
^
0.0.
FIGURE A.9 – Transition vers le régime par points, selon date de mise en
route : Impact sur le ratio pension moyenne/salaire moyen.
LECTURE : voir figure A.8.
SOURCE : Modèle PENSIPP 0.0.
136
RÉFÉRENCES
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cnav, des effets du passage du calcul des pensions au régime général à un système
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Références.
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Blanchet, D. (2009a). Equité et redistribution intergénérationnelle dans le domaines
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obligatoires entre générations et la question de l’équité intergénérationnelle,
Rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires, la documentation française.
Blanchet, D. (2009b). Transition vers un système en comptes notionnels : quelques
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d’orientation des retraites.
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Blanchet, D. et F. Le Gallo (2013). Baby-boom et allongement de la durée de vie :
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Secrétariat Général du COR (2009). Pilotage de systèmes de retraite en annuités, en
points ou en comptes notionnels : comparaisons à partir d’une maquette stylisée du
système de retraite. Conseil d’orientation des retraites. Séance du 16 décembre
2009.
139
Réforme structurelle du système de retraite
140
LISTE DES FIGURES
1.1 Évolutions relatives du nombre des 60 ans et plus et du nombre des
20-60 ans, telles que projetées en 1995 et 2010, par rapport aux
niveaux observés en année de base (bases 100 en 1990). . . . . . . . 23
1.2 Décomposition indicative des sources du vieillissement (ratio des 60
ans et plus aux 20-59 ans). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
1.3 Projections du ratio retraites/ PIB, selon les rapports successifs du
Conseil d’Orientation des Retraites. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
1.4 Trajectoire des dépenses de retraite dans l’abaque du COR, à l’horizon
2040, selon hypothèses macro-économiques. . . . . . . . . . . . . 32
1.5 Perspectives du ratio pension moyenne nette/salaire moyen net, selon
les hypothèses de croissance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
1.6 L’impact de la réforme de 1993 sur le niveau de la retraite et son
évolution après liquidation (représentation stylisée). . . . . . . . . . . 37
2.1 Taux de remplacement du régime général selon l’âge de liquidation
et selon les législations successives, pour un individu ayant commencé
à cotiser à l’âge de 23 ans. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
2.2 Taux d’activité des 55-64 ans. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
2.3 Age moyen de liquidation à taux plein, suite aux réformes 1993 à
2010. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
141
Réforme structurelle du système de retraite
2.4 Variation de la pension, en pourcentage, en fonction de l’âge de liquidation
et du nombre d’années de cotisation atteint à 62 ans, avec
poursuite de l’activité jusqu’à liquidation. . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
2.5 Variation de la pension, en pourcentage, en fonction de l’âge de liquidation
et du nombre d’années de cotisation atteint à 62 ans, avec
arrêt d’activité à 62 ans. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
2.6 Trajectoires du rendement actuariel des cotisations par génération
sous trois scénarios stylisés d’ajustement au vieillissement démographique.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
3.1 Transition vers deux formes de régime en comptes notionnels : Impact sur
le ratio retraites/masse salariale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
3.2 Transition vers deux formes de régime en comptes notionnels : Impact sur
le ratio pension moyenne/salaire moyen. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
3.3 Transition vers deux formes de régime en comptes notionnels : Impact sur
la pension à liquidation (croissance à 1,5 %). . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
3.4 Transition vers deux formes de régime en comptes notionnels : Impact sur
le profil par âge du ratio pension moyenne/salaire moyen courant en 2060. 97
3.5 Profil par période et âge quinquennal du ratio pension/salaire moyen courant
dans le régime en compte notionnel avec réduction des droits acquis
(scénario économique médian. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
3.6 Transition vers deux formes de régime par point : Impact sur le ratio retraites/
masse salariale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
3.7 Transition vers deux formes de régime par point : Impact sur le ratio pension
moyenne/salaire moyen. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
3.8 Transition vers deux formes de régime en comptes notionnels : Impact sur
le profil par âge du ratio pension moyenne/salaire moyen courant en 2060. 109
142
Liste des figures
3.9 Profil par période et âge quinquennal du ratio pension/salaire moyen courant
dans le régime en compte notionnel avec réduction des droits acquis
(scénario économique médian. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
3.10 Transition un régime par point à cotisations croissantes : . . . . . . . . . . . 112
3.11 Profil par période et âge quinquennal du ratio pension/salaire moyen courant
dans le régime en compte notionnel avec réduction des droits acquis
(scénario économique médian. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
4.1 Le minimum contributif dans le nouveau système. . . . . . . . . . . . 121
4.2 Masse des avantages non contributifs (flux de liquidants 2025). . . . 122
4.3 Évolution de la composition des ANC (pension à liquidation) . . . . . 123
4.4 Introduction des avantages non-contributifs : Impact sur le ratio retraites/
masse salarial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
4.5 Introduction des avantages non-contributifs : Impact des variantes
de croissance sur le ratio retraites/masse salarial . . . . . . . . . . . . 126
A.6 Transition vers le régime en comptes notionnels, selon date de mise en
route : Impact sur le ratio retraites/masse salariale. . . . . . . . . . . . . . . 134
A.7 Transition vers le régime en comptes notionnels, selon date de mise en
route : Impact sur le ratio pension moyenne/salaire moyen. . . . . . . . . . 134
A.8 Transition vers le régime par points, selon date de mise en route : Impact
sur le ratio retraites/masse salariale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
A.9 Transition vers le régime par points, selon date de mise en route : Impact
sur le ratio pension moyenne/salaire moyen. . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
143
L’Institut des politiques publiques (IPP) est développé dans le cadre d’un partenariat
scientifique entre PSE-Ecole d’économie de Paris (PSE) et le Centre de Recherche en
Economie et Statistique (CREST). L’IPP vise à promouvoir l’analyse et l’évaluation
quantitatives des politiques publiques en s’appuyant sur les méthodes les plus
récentes de la recherche en économie.
PSE-Ecole d’économie de Paris regroupe plus de 120 chercheurs,
200 doctorants et 300 étudiants, et constitue un pôle français en
science économique de renommée mondiale. PSE a pour objectif
premier de fédérer, animer et assurer le rayonnement de ses
chercheurs, tout en proposant des formations généralistes et
spécialisées à la pointe de la discipline, du M1 au doctorat. La fondation vise
également à tisser des liens pérennes entre les différents univers « consommateurs »
de savoirs économiques : les acteurs académiques, institutionnels et privés.
www.parisschoolofeconomics.eu
Le CREST est le centre de recherche du GENES (Groupe des Ecoles
Nationales d’Economie et Statistiques) qui est devenu le 1er janvier
2011 un établissement public à caractère scientifique, culturel et
professionnel (EPSCP), sous la tutelle technique de l’INSEE (ministère
de l’Economie, des Finances et de l’Industrie). Le GENES regroupe
quatre établissements : le CREST, le CEPE, l’ENSAE et l’ENSAI. Il a
vocation à conduire des travaux de recherche, des missions d’étude ou d’expertise et
des actions de diffusion. Il est en outre habilité à développer des dispositifs d’accès
aux données, notamment de la statistique publique. www.crest.fr