LIBRES PROPOS signés Jacques Draussin

Fabrique de malades [et de lieux communs]

Quel est l'avantage concurrentiel de l'ouvrage du Dr Boukris sur celui des Pr Debré et Even, tous deux parus à quelques mois d'intervalle aux Editions Le Cherche-Midi ?

Son prix [17 € vs 23,80 €].

Sinon, « La Fabrique de malades » et le « Guide des 4.000 médicaments inutiles ou dangereux » reposent sur un même pré-requis : la méchante industrie pharmaceutique est le Grand Satan qui se repaît du sang de notre société de gogos, entièrement soumise à son joug, décérébrée par le marketing depuis le sommet de l'Etat jusqu'à la pharmacie de quartier.

On peut, à juste titre, s'inquiéter de la montée de l'hypocondrie, constater la surmédicalisation, fustiger la dictature du principe de précaution, dénoncer les gaspillages, mettre en cause le système de soins et tout le saint-frusquin économico-sanitaire… et ne pas céder à la facilité tellement tendance du politiquement incorrect à la sauce éthique.

La mise au pilori systématique et à tout propos des laboratoires commence à ressembler à l'arbre - d'accord, un sacré gros arbre - qui cache la forêt des difficultés de notre univers de santé [faut-il que nous  soyons malades nous-mêmes pour défendre ici les entreprises du médicament…].

Dans ce qu'il voudrait tant être un brûlot, Sauveur Boukris appelle à « lutter contre le conformisme ambiant »… et s'y vautre avec délices en se gaussant de l'évolution du niveau des taux de glycémie annonciateurs de diabète, des chiffres d'hypertension ou de cholestérol précurseurs d'accidents vasculaires, en mettant dans le même sac les campagnes de vaccination contre des épidémies de grippe fantômes et le dépistage des cancers du sein, du col de l'utérus ou de l'intestin, toutes actions de prévention pilotées selon lui par le puissant lobby « pharmaceutico-industriel »…

Ce n'est pourtant pas ce lobby qui plaide pour que les enfants soient mal vaccinés contre la rougeole sous prétexte de renforcer leurs défenses naturelles, que des milliers de femmes se privent aujourd'hui de contraceptifs par peur phobique d'une phlébite, que des millions d'autres refusent le dépistage du cancer du sein pour cause de risque de sur-diagnostic !

Sauveur Boukris se présente modestement comme un médecin qui « ne prétend pas être exceptionnel ». « Je suis médecin, écrit-il dans son introduction, je prescris des médicaments et des examens de laboratoire, je fais du dépistage, je tente de faire en sorte que mes patients bénéficient de toutes les innovations thérapeutiques. ».

Etait-il vraiment utile alors d'écrire 270 pages pour nous expliquer que ses confrères ont tort de faire comme lui ?

Jacques DRAUSSIN