L'art
et la chirurgie esthétique
Par
le docteur Vladimir Mitz
Chirurgien
esthétique à Paris
On parle souvent
du caractère artistique du chirurgien esthétique, comparant son adresse
chirurgicale à la virtuosité que manifeste le peintre ou le sculpteur, maniant habilement
son pinceau ou son burin.
C'est vrai que (comme
dans une activité artistique), l'expérience du chirurgien conduit à une forme
de plénitude du rendu chirurgical, comparable à un tableau de la Renaissance
aux belles formes harmonieuses, et aux
couleurs chatoyantes.
Tableau de Chaïm Soutine
Réussir l'opération du premier coup sans
erreur!
Contrairement à
l'artiste le chirurgien n'a pas le droit à l'erreur, bien que dans certains cas,
il lui faille faire des retouches pour arriver à un résultat aussi parfait que
possible; bien sûr; l'opération peut se prolonger, des petites retailles,
reprises, modifications des tissus sont parfois nécessaires pendant l'acte, mais
une seule opération définitive est souhaitée par le patient super informé de
nos jours, tolérant mal l'approximation et le retour au bloc pour reprise sous
anesthésie.
Toutefois, comme
dans l'art, le chirurgien esthétique connait l'inspiration du moment, ce qui
rend son opération non pas aléatoire mais comportant un certain nombre de coups
de bistouri variables dont le but final est d'arriver au résultat souhaité, non
pas par un esprit chirurgical artistique, mais bien dans l'optique et le désir
du patient demandeur d'une réparation d'un complexe.
C'est pourquoi on
parle beaucoup plus d'une technique chirurgicale que d'un art de la chirurgie,
bien que beaucoup de praticiens dans cette discipline se souhaitent
intérieurement dignes d'un artiste et non point d'un moindre exécutant! Artisan
plus qu'artiste, c'est ainsi que se voit la majorité des collègues en exercice.
Tableau de Jacques Le Pesteur
Pourtant,
à la différence fondamentale d'un artiste, le travail idéal du chirurgien
esthétique est un rendu qui demeure INVISIBLE, Naturel, NON RETOUCHE!
Pas de félicitations
glorieuses à attendre de ceux qui voient, remarquent ou critiquent un nez opéré
d'évidence, ou un lifting si tendu que les oreilles se rapprochent du nez ou la
bouche soit fendue en gueule de vieille carpe...
Tableau de Vladimir Mitz
Une prédisposition génétique? Un certain nombre de mes collègues sont issus de familles où il y avait un parent peintre ou sculpteur, designer ou publicitaire.
Ce n'était pas du tout mon cas;
Mon premier rapport à l'art est apparu bien tard quand j'étais étudiant en médecine, à la Faculté de
Médecine des Saints-Pères à Paris.
Ce bâtiment hiératique, au fronton orné de sculptures célébrant la médecine antique, est situé en plein milieu des galeries parisiennes dévolu à l'art le plus moderne; c'est en me promenant dans ce quartier que j'ai
découvert la beauté d'un tableau de Soutine, représentant la lune peinte à grandes flaques de blanc de zinc, en pleine nuit tourmentée parsemée de nuages éventés, tableau bien au-delà de mes moyens financiers à cette époque d'indigence pour moi; ce tableau qui m'a toujours fait rêver,
était vendu dans une galerie spécialisée dans l'école de Paris dont la propriétaire, maligne, l'exposait en ayant changé le nom du peintre, pour éviter que l'œuvre ne soit volée par un amateur malhonnête!
Petit à petit, et dès que mes moyens me l'ont permis, j'ai acquis des œuvres de certains de mes patients qui, en tant qu'artistes me consultant par hasard, ont ressenti en moi une fibre artistique naissante, comme amateur d'art et non comme pratiquant.
Pratiquer un art pour éduquer l'œil et la main
Je me suis rendu compte au cours de ces années que seule la pratique du dessin, et à moindre
degré, de la peinture me permettait de mieux comprendre la qualité d'une œuvre artistique, et l'importance de la lumière reflétée par le corps humain ou par un objet: Cette constatation fondamentale a d'ailleurs beaucoup
influé sur mes techniques de rajeunissement du visage chez les patients âgés, notamment en augmentant des volumes disparus au niveau des pommettes des joues ou des tempes;
C'est surtout la pratique de la sculpture sur le marbre ou sur des calcaires qui représente ma source de joie
artistique la plus féconde, suivi par le dessin sous toutes ses formes; bien sûr la beauté de la femme et la volupté qu'elle dégage restent une source d'inspiration fondamentale, ce qui m'évite des pulsions disparates et plus ambiguës.
Finalement je ne considère pas les actes chirurgicaux comme une pratique artistique, mais la formation et l'exercice de l'art sont par contre un moteur fondamental dans mon analyse de chaque patient à opérer, et dans la prévision en 3D des
volumes à améliorer à restituer ou à diminuer; l'exemple le plus frappant en est la plastie de réduction ou d'augmentation mammaire: Là où beaucoup de mes collègues ont besoin des ordinateurs ultra
sophistiqués pour se représenter l'objectif final de leur intervention, j'ai développé une sorte d'instinct pour imaginer
les surfaces et les volumes à modifier pour parvenir au résultat idéal sans trop de perte de temps ni d'erreurs .
Par contre bien que j'apprécie l'art abstrait, celui-ci me semble plus difficile à intégrer en tant que substrat de pensée pour mon exercice de chirurgie au quotidien; je reconnais que la trouvaille de l'équilibre dans un tableau de Kandinsky,
de Paul Klee ou des primitivistes russes est toujours une émotion forte, mais ne comporte pas d'arc-en-ciel d'inspiration pour la conception d'un acte opératoire, du moins en ce qui me concerne.
Chirurgien esthétique aimant l'art mais pas artiste total!
Je pense qu'il faut se méfier des chirurgiens esthétiques qui se considèrent comme des artistes; il y en a eu qui ont réussi cette double vocation, qui ont voulu faire des expositions
et VENDRE leurs œuvres comme tout peintre ou sculpteur en quête de renommée-en même temps qu'ils menaient une carrière chirurgicale; ce fut le cas du Suisse Rudi Meyer;
mais on ne peut pas être grand en personnage dédoublé; beaucoup de mes collègues ont des talents de dessinateur ou d'artiste, comme feu mon ami Jacques le Pesteur,
peintre de grand talent sous le nom de Boroffe; mais lui qui était un peintre extraordinaire, ayant étudié aux Beaux-Arts, ne voulait pas porter le même nom que le magnifique chirurgien qu'il était. Pourquoi?
Sans doute par une sorte de pudeur et par un instinct qui lui disait de bien séparer son activité professionnelle brillante, et sa pulsion artistique- pour laquelle il réservait une grande partie de son temps secret,
s'ouvrant à des amitiés avec d'autres créateurs bien en dehors du monde du bistouri.
Mais l'art nourrit notre esprit scientifique, car être chirurgien, c'est être homme de technique, de raison, de cartésianisme auquel une bonne pincée d'instinct, de talent, d'inspiration, de doutes vient apporter son pesant d'or
d'humanité et d'empathie.
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