Discours d’accueil du Premier Ministre ce matin NDLR: à lire l'interview accordé par Étienne Caniard à Couleurs MGEFI |
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Premier Ministre, votre présence parmi
nous, avant l’ouverture de notre Assemblée Générale, témoigne du rôle essentiel
que joue la Mutualité dans l’accès aux soins et au-delà comme acteur de santé
publique. C’est aussi la marque de votre attachement au mouvement mutualiste,
nous vous en remercions.
Mais, votre présence est surtout l'occasion, pour les responsables de notre mouvement, qui
militent quotidiennement au sein de leurs mutuelles, de vous faire part de
leurs inquiétudes, de leur déception parfois, devant les réponses qui ont été apportées
à leurs interrogations, à leurs propositions.
Nous vivons une période de considérables progrès,
diagnostics, thérapeutiques. Nous connaissons aussi une profonde transformation
démographique. Mais l’organisation de l’offre de soins, l’architecture de la
protection sociale restent étrangement figées sous le poids de l’inertie des
acteurs et des pesanteurs
institutionnelles. Cela nous inquiète
parce-que les véritables sujets sont souvent évités, contournés, comme
l’augmentation de certains restes à charge sous l’effet de la déconnexion entre
les bases de remboursement et les prix réels ou le rôle et la place des
complémentaires, les difficultés d’accès aux mutuelles.
Je voudrais à ce propos éviter tout malentendu. Lorsque
nous dénonçons les conséquences de certaines évolutions pour nos mutuelles,
qu'il s'agisse du poids des taxes, de notre rôle trop limité dans la
régulation, d'une concurrence qui porte plus sur les prix que sur le contenu
des contrats, ce sont les intérêts des 38 millions de nos concitoyens que nous défendons, qui ont fait le choix de confier leur santé à des
mutuelles, c’est la lutte contre le renoncement aux soins qui nous guide. Pour
nous, défendre le modèle mutualiste, c’est défendre une pratique de la solidarité qui est
fragilisée par un modèle économique qui la met aujourd’hui en péril.
Ces inquiétudes ne nous font pas oublier les efforts
qui ont été accomplis pour mettre fin aux transferts de dépenses des régimes
obligatoires vers les mutuelles. Madame la Ministre de la santé a raison de
rappeler que jamais les remboursements de la Sécurité Sociale n'ont été aussi
importants.
Mais ce qui est vrai pour les soins les plus lourds,
pour l'hôpital, ne l'est plus pour les soins courants. Il est aujourd'hui de
plus en plus difficile de se soigner sans mutuelle, celles et ceux qui en sont
privés renoncent deux fois plus aux soins que le reste de la population.
Les mutuelles sont devenues indispensables, la
Sécurité Sociale ne suffit plus, c'est une réalité, même si beaucoup le
regrettent, dans cette salle comme ailleurs, dans cette salle peut-être plus
qu’ailleurs.
Mais nous n'en avons malheureusement pas tiré toutes
les conséquences.
Depuis de longues années nous mettons en garde devant les
risques d’augmentation des exclusions, d’augmentation du renoncement aux soins.
Nous ne sommes pas toujours entendus... Nous ne prétendons pas détenir la
vérité mais nous voulons que s'ouvre enfin le débat sur le rôle et la place des
complémentaires, la valeur ajoutée des différents acteurs, les modalités d’accès aux
différents dispositifs.
Vous connaissez Monsieur le Premier Ministre nos
positions. Je ne vais pas les rappeler devant vous.
Mais deux rapports, l'un de l'IGAS l'autre de la DREES
me permettent d’illustrer parfaitement les paradoxes au milieu desquels nous
nous débattons.
La finalité de toute activité d'assurance est la
répartition des risques, entre malades et bien portants, entre générations, en
un mot la mutualisation.
Nous venons de prendre connaissance de la contribution
de l'IGAS au rapport au Parlement sur les aides fiscales et sociales à
l'acquisition d'une complémentaire santé que nous attendions depuis longtemps. Si
l’IGAS souligne le rôle joué par les différents dispositifs d'accès aux
complémentaires dans l'extension de la couverture, elle rappelle néanmoins
plusieurs éléments moins positifs :
-
l'inégalité selon
les populations,
-
la complexité,
pas moins de douze dispositifs, d’accès
-
et en conséquence
des taux de recours faibles.
Mais surtout ce rapport pointe les risques liés à
l'accentuation de la segmentation du fait des récentes réformes, l'ANI et
"les contrats seniors", comme nous le répétons inlassablement,
souvent écoutés avec attention mais rarement entendus.
Le rapport a écarté l'idée d'une "remise à
plat" globale, souhaitant préserver les dispositifs existants comme la CMU. Nous comprenons cette position
mais elle n’interdit pas de tracer des perspectives pour nous rapprocher d'un objectif, qui nous
semble-t-il devrait être partagé, permettre au plus grand nombre de bénéficier
des dispositifs de droit commun plutôt que multiplier les filets de sécurité,
coûteux et stigmatisants.
Isoler les plus fragiles en tentant d'agir artificiellement
sur les prix de leur contrat est inopérant à terme puisque cet isolement fait
mécaniquement monter le coût du risque. Ce ne sont pas des dispositifs qui
agissent artificiellement sur les prix, prix déconnectés des réalités, qui
permettront d’offrir des réponses satisfaisantes et durables aux retraités. Nous
n’y parviendrons qu’en renforçant la
mutualisation. C’est ce que font encore aujourd’hui les mutuelles, malgré les
contraintes économiques, malgré une concurrence non régulée. Les mutuelles
continuent de faire vivre la solidarité intergénérationnelle comme le rappelle
le second rapport auquel je faisais allusion, celui de la DREES sur la
complémentaire santé. Il décrit les pratiques, opposées au regard la de
solidarité, des différents acteurs de la complémentaire santé en matière de
tarification en fonction de l’âge. .. Plus de la moitié des mutuelles ont une
tarification qui ralentit après 60 ans,
c'est le cas de 4% des sociétés d'assurance. 92% des contrats de ces dernières
ont une tarification qui augmente plus que proportionnellement à l'âge,
excluant de fait les plus âgés, seules 19% des mutuelles ont de telles
pratiques. Le résultat est évident, les mutuelles couvrent 53% de la population
générale, les deux tiers des retraités, les mêmes constats peuvent être faits
pour l'ACS ou la CMU complémentaire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, les
mutuelles sont les acteurs les plus solidaires, pas seulement dans le discours,
mais dans les faits.
Je ne veux pas Monsieur le Premier Ministre vous
présenter les mutuelles sous un jour idyllique. Je voulais simplement par cet
exemple, sur la tarification, qui n'est anecdotique ni par le nombre de
personnes concernées ni par l'ampleur des différences de pratiques, mettre en
garde sur des évolutions inévitables si rien ne change. Nous sommes encore
solidaires, le serons-nous encore demain ?
J'aimerais être sûr que mon successeur, qui sera élu
dans quelques heures, puisse présenter de tels résultats dans quelques années.
Aucun acteur, aussi vertueux soit-il, ne peut durablement tenir de telles
positions s'il est économiquement pénalisé. Or, c'est aujourd'hui le cas. Nous
n'accepterons jamais que les mutuelles n’aient le choix que de disparaître ou
de se banaliser en renonçant à la solidarité. Ce n’est pas encore le cas, les
chiffres de la DREES le démontrent mais les évolutions peuvent être rapides, il
faut profiter des travaux de l’IGAS pour ouvrir ce débat et faire émerger des
solutions.
Sous l'apparence d'un sujet technique la segmentation
porte en elle le germe d'un affaiblissement de la solidarité car elle contribue
à « chasser le mauvais risque », terme technique qui cache tout simplement les plus fragiles,
ceux qui précisément ne peuvent se passer de la solidarité.
Vous comprendrez pourquoi Monsieur le Premier Ministre,
j'ai davantage insisté sur nos inquiétudes que sur les sujets de satisfaction.
Ils existent cependant.
Le vote intervenu le 9 juin dernier en première
lecture à l'Assemblée Nationale qui
autorise à légiférer par ordonnance pour réformer le code de la
mutualité en fait partie. Cette réforme, promise par le Président de la
République devant notre Congrès il y a juste un an est indispensable pour
permettre aux mutuelles de relever les nouveaux défis de la protection sociale
de demain. Il était essentiel pour nos mutuelles que cette promesse soit tenue
et les délais respectés.
Il n'existe pas de performance sociale durable sans équilibre
économique. Les mutuelles se revendiquent comme des acteurs globaux de santé, à
la fois assureurs solidaires mais aussi, comme je les qualifie parfois,
assureurs paradoxaux. Les premiers à défendre la Sécurité Sociale, les seuls à
protester lorsque leur "marché" augmente. Assureurs solidaires mais
aussi acteurs de la prévention, de l'offre de soins, de l'éducation à la santé.
Nos 2700 établissements et services permettent aux mutuelles de s’impliquer
pleinement dans la qualité et l’accès aux soins. Ils jouent à la fois un rôle dans l'innovation organisationnelle,
je pourrais prendre l'exemple de la télémédecine dans nos Ehpad, dans l'accès
aux soins et la modération tarifaire, c'est le cas de nos centres dentaires
ou des Opticiens mutualistes, ou encore dans
la création de nouveaux services comme les crèches en horaires atypiques ou les
centre de détection et de prévention des troubles sensoriels. A travers nos
établissements et services, nous mesurons l’importance d’adapter les structures
et les organisations aux besoins de santé comme au vieillissement. La loi sur
l’adaptation de la société au vieillissement revêt une grande importance
puisque, pour la première fois, elle cherche à anticiper l’impact du
vieillissement sur l’ensemble des politiques publiques et met l’accent sur la
prévention de la perte d’autonomie. Nous savons que si la solidarité doit
rester le socle du financement, le débat sur la place de la prévoyance n’est
pas achevé. Les mutuelles contribuent largement aux réponses existantes, en
proposant dans le cadre du dispositif actuel du référencement en vigueur dans
la fonction publique des contrats dépendance en inclusion.
Cette réponse ne doit
pas être fragilisée au nom d’une uniformisation qui remettrait en cause la
majorité des contrats dépendance aujourd’hui souscrits par les français.
Les mutualistes sont fiers de ce qu'ils réalisent. Ils
ont su depuis plusieurs années s'adapter, souvent très vite aux changements de
leur environnement. Elles n'y ont jamais sacrifié leurs valeurs.
Le débat sur le rôle des complémentaires et leur
contribution à la régulation n’est toujours pas ouvert. Les complémentaires
sont trop souvent les boucs émissaires d’une situation dont ils ne sont pas
responsables, dont ils subissent les conséquences.
La question de leur valeur ajoutée dans notre système
de protection sociale ne doit pas être éludée.
Nous sommes prêts à en débattre.
Mais ce débat doit s’engager, avec réalisme,
pragmatisme et des objectifs clairs : diminuer le renoncement aux soins,
offrir à chacun l’accès à des soins de qualité à tarifs maîtrisés. Les
mutuelles peuvent y contribuer, nous en sommes persuadés.
Notre histoire a montré les capacités d’adaptation du
mouvement mutualiste. Nous avons beaucoup évolué ces dernières années, nos
mutuelles se sont transformées, offrent de nouveaux services à leurs adhérents
et de nouveaux outils aux professionnels de santé. Elles sont prêtes à relever
le défi, aux côtés de l’assurance maladie obligatoire de l’organisation des
parcours de santé.
Mais elles pourront le faire que si le cadre dans
lequel elles évoluent leur donne les marges de manœuvre nécessaires tout en
favorisant les comportements vertueux et conformes à l’intérêt général.
Monsieur le Premier Ministre, je vous remercie.
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