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Politique
Pour tenir le déficit public, l'été sera studieux à Bercy
Par David Bensoussan (Lire tous ses articles) et Gaëlle Macke (Lire tous ses articles)
Publié le 02.07.2017 à 12h00
Mettre en oeuvre les réformes voulues par Emmanuel Macron, tout en tenant l’engagement des 3 % de déficit public. La tâche est lourde pour les responsables de la politique économique. D’autant qu’ils ne sont que trois.
Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, à l’Elysée, le 18 mai.Les deux ministres de droite, l’un chargé des Comptes publics, l’autre de l’Economie, forment l’équipe la plus resserrée de la V e République à Bercy. Même avec le renfort d’un secrétaire d’Etat macroniste, Benjamin Griveaux.
PHILIPPE LOPEZ/AFP
Changement d’ère à Bercy. Alors que, sous le mandat de François Hollande, jusqu’à trois ministres et quatre secrétaires d’Etat se partageaient la tâche - non sans chocs d’ego et couacs de com -, les nouveaux responsables de la politique économique de la France se sentent moins à l’étroit. Le tandem de droite, nommé au lendemain de la présidentielle, a de très larges attributions. L’économie, les finances, l’industrie, les PME, le commerce et l’artisanat pour Bruno Le Maire, installé au 6e étage de la citadelle. Le budget, la réforme de l’Etat et, en plus, la fonction publique (sans ministère propre) pour son collègue Gérald Darmanin, qui a pris ses quartiers au 5e.
Dix conseillers pas plus
Une répartition similaire à celle de 2007, du temps de Christine Lagarde et Eric Woerth. Sauf que le nouveau duo a beaucoup moins de collaborateurs à disposition. L’Elysée et Matignon ont donné une consigne stricte : pas plus de dix conseillers par ministre quand leurs prédécesseurs en comptaient jusqu’à trente. Et, après le remaniement postlégislatives, un seul secrétaire d’Etat a été attribué au ministère de l’Économie, Benjamin Griveaux, un proche d’Emmanuel Macron (dont il a repris l’ex-bureau, au 3eétage). Sans portefeuille, il aura pour tâche de seconder le ministre dans tous les domaines et sera doté d’un cabinet (cinq conseillers au maximum), permettant d’étoffer les effectifs. Au final, il n’y a jamais eu, dans l’histoire de la Ve République, une gouvernance aussi resserrée à Bercy.
Ce n’est pas le travail qui manque. A peine nommé, Le Maire était déjà débordé par des dossiers industriels brûlants laissés en souffrance. Certes, le sauvetage financier du verrier Arc International était déjà en cours, de même que les procédures pour la reprise de l’usine d’électroménager Whirlpool promise à la fermeture. Mais le nouveau ministre de l’Économie a dû se démener pour trouver un repreneur pour l’équipementier automobile creusois GM&S. Et il est allé voir à Rome son homologue Carlo Calenda pour démêler les conditions du rachat des chantiers navals STX par le constructeur italien Fincantieri, qui devrait être bouclé mi-juillet. Au-delà des urgences, Le Maire a aussi enchaîné les rendez-vous avec les grands patrons d’entreprises publiques (Orange, EDF, Areva, La Poste) pour faire le tour de leur actualité, alors qu’il est prévu de vendre certaines participations de l’État pour financer le grand plan d’investissement de 50 milliards d’euros dans la transition énergétique et les filières d’avenir.
Agenda européen ambitieux
Le Maire est aussi mobilisé sur les dossiers internationaux. Ainsi, Macron lui a demandé de jouer les VRP de l’attractivité de la France, notamment pour tirer profit de l’effet du Brexit. Du coup, le nouveau ministre devait s’envoler pour New York les 28 et 29 juin pour y rencontrer des banquiers et autres dirigeants de la finance américaine afin de les inciter à relocaliser leurs activités européennes dans la capitale française.
Le Maire va surtout être accaparé par l’agenda européen : il sera le négociateur en chef du président pour la mise en oeuvre de son ambitieuse feuille de route d’une plus forte intégration économique de la zone euro. Il a déjà eu l’opportunité de faire ses preuves sur le délicat dossier de la Grèce. En un mois, il a rencontré la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, le président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem, s’est déplacé à Berlin, pour négocier avec le ministre des Finances Wolfgang Schäuble, et à Athènes, pour s’entretenir avec le Premier ministre Alexis Tsipras. A l’arrivée, le nouveau ministre a réussi à faire bouger les lignes, poussant les Allemands et le FMI à des concessions. Ainsi, l’Eurogroupe s’est montré moins inflexible, s’engageant «si nécessaire» à des allégements de l’énorme dette grecque, considérant même l’idée française d’indexer à l’avenir les remboursements sur la croissance du pays. Et le FMI a enfin consenti à participer au plan d’aide, envoyant là un signal positif aux marchés financiers.
C’est un premier exemple de la relance du moteur franco-allemand. Au-delà, Le Maire, germanophone et reconnu outre-Rhin, s’emploie à discuter avec Schäuble d’une coopération économique renforcée, d’une convergence fiscale, d’investissements en commun. Ils discutent même de doter la zone euro d’une gouvernance (Parlement et ministre des Finances) et d’un budget propres. Les deux ont initié, il y a un mois, un groupe de travail ad hoc, qui doit présenter des propositions concrètes pour le Conseil des ministres franco-allemand prévu le 13 juillet.
Maîtrise des comptes publics
Mais pour être écouté à Berlin, Paris doit pouvoir parler d’égal à égal... et donc respecter sa promesse de passer sous les 3% de déficit public cette année. «La maîtrise des comptes publics est une condition de notre souveraineté, elle est donc impérative», a d’ailleurs assuré Bruno Le Maire, dans un entretien au Figaro le 24 juin, qui dit faire des 3% «un symbole de notre crédibilité retrouvée auprès de nos partenaires européens». Le précédent gouvernement avait prévu d’atteindre 2,8 % fin 2017, mais l’audit des finances publiques de la Cour des comptes, qui doit être publié le 29 juin, devrait réserver de mauvaises surprises. Le Premier ministre Edouard Philippe a déjà anticipé, parlant d’un « risque de dérapage extrêmement fort». «Selon mes calculs, il manque 5 à 6 milliards d’euros pour tenir l’objectif de 3%», confirme François Ecalle, ex-magistrat de la Cour, fondateur du site spécialisé Fipéco.
C’est là qu’entre en scène Gérald Darmanin, maître d’oeuvre du budget, qui a lui aussi du pain sur la planche. Le gouvernement n’a pas prévu (comme c’est souvent l’usage lors d’un changement de majorité) de budget rectificatif à l’été, car il ne veut pas combler l’écart par des hausses d’impôts. Pour cette année, Darmanin n’aura donc d’autre option que d’«annuler des dépenses qui devaient être engagées, comme sur les équipements militaires, et espérer que la charge de la dette soit plus faible que prévue», estime Ecalle. Le grand argentier a déjà demandé aux ministres, dans les lettres de cadrage qu’il leur a envoyées début juin, de réfléchir à des gels de crédit.
Équation budgétaire complexe
Mais le ministre des Comptes publics phosphore surtout sur l’élaboration, pour fin septembre, du budget 2018, car c’est là que les économies sérieuses devront entrer en vigueur. Dans son programme, Emmanuel Macron avait fixé la barre à 60 milliards sur le quinquennat, mais sans trop donner de détails. De premières pistes concrètes seront listées lors d’un séminaire gouvernemental organisé à Nancy les 30 juin et 1er juillet. Le tenant des cordons de la bourse rencontrera ensuite les ministres un par un. Néophyte en matière de finances publiques, Darmanin devra faire un apprentissage accéléré tant l’équation budgétaire s’annonce complexe.
Il va falloir d’abord financer les engagements de campagne du candidat Macron. D’un côté, le président a promis plusieurs baisses d’impôts dès 2018: la suppression de la taxe d’habitation pour 80% des ménages (10 milliards d’euros), l’abrogation des cotisations salariales maladie et chômage, compensée par une hausse d’1,7 point de la CSG, la taxation forfaitaire à 30% des revenus du capital. L’application de l’ISF aux seuls actifs immobiliers pourrait, elle, attendre 2019 et la baisse de l’impôt sur les sociétés à 25% sera étalée tout au long du mandat.
Dépenses supplémentaires
De l’autre, le président a aussi prévu des dépenses supplémentaires, comme la première tranche du plan d’investissement (5 milliards) ou la montée en charge du budget de la Défense, qui doit atteindre 2% du PIB en 2025 (soit une hausse de 6 milliards). Un point critique reste en suspens : la transformation du crédit d’impôt CICE en allégements de charges va créer un «trou» dans le budget l’année où il faudra à la fois payer 20 milliards de crédit d’impôt au titre de l’année antérieure et le même montant en baisse de charges pour l’année en cours. Cette transition pourrait n’avoir lieu qu’en 2019. Darmanin et Le Maire vont essayer de convaincre Bruxelles de sortir cette dépense exceptionnelle du calcul des 3%.
Le bouclage du budget est, de plus, compliqué par les bombes à retardement laissées par le précédent gouvernement, comme la création de crédits d’impôt pour l’emploi à domicile des retraités (1 milliard) ou en faveur de l’économie sociale (600 millions). Autre mesure «Hollande» dont l’impact financier va grimper en 2018 : la revalorisation des grilles salariales des fonctionnaires.
Négocier avec les fonctionnaires
En charge de la fonction publique, Darmanin a déjà pris soin de recevoir un par un les syndicats. Il doit s’exprimer sur le sujet le 10 juillet à l’occasion d’un conseil commun de la fonction publique. S’il a aussi promis d’organiser un rendez-vous salarial à l’automne, il semble d’ores et déjà exclure une revalorisation du point d’indice. Il s’est aussi engagé à mener une réflexion sur le périmètre des missions de l’administration sans que l’on sache si elle précédera les suppressions de postes, dont 50.000 sont prévues au sein de l’Etat en cinq ans, et 70.000 dans les collectivités locales.
Enfin, le jeune ministre bûche sur une autre promesse de campagne, moins médiatisée mais très attendue du patronat : le droit à l’erreur dans les démarches administratives. Le projet de loi, qui devrait sortir dans les prochaines semaines, se traduirait, par exemple, par la suppression des amendes en cas d’erreur de bonne foi auprès du fisc ou des Urssaf. Autant de chantiers qui ne devraient laisser que peu de vacances à Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et Benjamin Griveaux.
Bercy dans le radar de l’Elysée
C’est la seule nouveauté du remaniement à Bercy: Benjamin Griveaux débarque comme secrétaire d’Etat à l’Economie, sans attribution précise. Alors qu’Édouard Philippe avait exigé d’avoir deux hommes de droite à Bercy, Griveaux fait contrepoids à gauche. Cet ancien élu local strausskahnien avait participé à la campagne de François Hollande avant de conseiller Marisol Touraine à la Santé. C’est surtout l’un des plus fidèles lieutenants de Macron, qu’il a rejoint dès les débuts d’En marche!, dont il est devenu porte-parole.
Sera-t-il l’oeil de Moscou de l’Elysée? L’entourage de Bruno Le Maire assure que c’est lui qui a réclamé un secrétaire d’Etat «polyvalent, pour pouvoir le seconder sur tous les dossiers, car il y a beaucoup de travail et la nécessité d’aller vite».
Il n’empêche, sa nomination montre que Macron ne veut pas trop lâcher la bride à ses ministres de droite. Il a aussi imposé que l’Elysée et Matignon partagent quatre conseillers économiques, dont deux sont des proches, passés par les cabinets Hollande. Cédric O, qui était trésorier d’en Marche!, est chargé des participations de l’Etat et du numérique. Le second, Laurent Martel, très impliqué dans la campagne de Macron, suivra les réformes fiscales. Pour autant, il ne devrait pas y avoir de guéguerres entre les « marcheurs » et les ex-LR. Le plus proche collaborateur du président, le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, très porté sur l’économie, a posé sa patte sur les recrutements des technos, y compris à droite. Emmanuel Moulin, le directeur de cabinet de Bruno Le Maire, est un ami depuis Sciences Po, où ils ont aussi croisé le Premier ministre. Kohler et Moulin ont ensuite travaillé ensemble au Trésor, où ils se sont liés à trois autres collaborateurs clés : Alexis Zajdenweber, conseiller économie, finances, industrie à l’Elysée, Antoine Saintoyant, son homologue à Matignon, et Bertrand Dumont, le dircab adjoint de Bruno Le Maire. Cette petite bande devrait limiter les couacs économiques au sein de l’exécutif.
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