Nora ANSELL-SALLES

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lundi 2 décembre 2013

La bataille contre les caries de l’enfant n’est pas gagnée


D’après un entretien avec le Dr Patrick Rouas/ Maître de Conférences à l’Université Bordeaux Ségalen, Praticien Hospitalier au CHU de Bordeaux, chercheur permanent, au laboratoire PACEA, UMR5199, Université de Bordeaux

 

L’augmentation de la fréquence des caries, et tout particulièrement de la dégradation des premières molaires, est due à celle de la précarité, du surpoids et de l’obésité dont la prévalence chez les enfants de 3 à 17 ans s’élève à près de 18%. La bataille contre les caries de l’enfant n’est donc pas gagnée. Outre les conséquences des problématiques sociales, le mode d’alimentation, le grignotage et les boissons sucrées sont les pires ennemis des dents des enfants. C’est la raison pour laquelle la lutte contre les caries doit se faire dès le plus jeune âge. Celle-ci se prépare pendant la grossesse par une bonne information des mamans, s’entretient avec les doses de fluor adéquates et se gagne avec de bonnes habitudes d’hygiène et une alimentation équilibrée.

 

Décryptage de l’état des connaissances de la femme enceinte sur la santé bucco-dentaire de son futur enfant

 

80% des caries sont constatées chez 20% des enfants ! Ces enfants polycariés sont parfois très jeunes. Leurs caries sont agressives et les traitements sont difficiles. La précarité, l’isolement social, l’éclatement des familles en sont les causes les plus évidentes. Celles-ci ont des conséquences négatives sur l’hygiène bucco-dentaire et l’alimentation. Cette distribution inégale de la maladie carieuse augmente insidieusement année après année malgré les actions sanitaires, les campagnes d’information et d’éducation à la santé buccodentaire conduites de concert par les autorités de santé et la profession dentaire. D’autres facteurs peuvent être responsables des caries de l’enfant notamment la contamination précoce, entre 6 et 18 mois, de la mère à l’enfant qui est le plus souvent méconnue et sur laquelle les chirurgiens -dentistes peuvent agir par une sensibilisation soutenue des femmes pendant leur grossesse.

 

En effet, la grossesse est une période où les femmes peuvent être plus réceptives aux messages d’hygiène bucco-dentaire. Elles sont attentives à tout ce qui va dans le sens d’une meilleure protection de leur futur enfant. Mais que savent-elles vraiment sur ce sujet ?

 

Un décryptage de l’état des connaissances de la femme enceinte sur la santé bucco-dentaire de son futur enfant a été réalisé par les chirurgiens-dentistes. Deux études réalisées entre 2012 et 2013, en collaboration avec le service de maternité du CHU de Bordeaux (en cours de publication dans la presse scientifique internationale) chez la femme enceinte permettent de faire le point sur les connaissances de ces dernières concernant l’éducation à la santé bucco-dentaire de leur futur enfant et de tester le bénéfice d’une plaquette d’information qui serait délivrée à la maternité. Ces études ont été élaborées à partir de questionnaires distribués aux femmes enceintes. Ceux-ci, abordant les différents éléments de la santé bucco-dentaire, ont permis de mettre en évidence les connaissances ainsi que les lacunes. « Ce sont ces lacunes qu’il nous faut combattre en informant ces femmes. Se pose ensuite la question du meilleur moment pour transmettre l’information… en début de grossesse, l’impact serait faible… la fin de grossesse apparait comme le moment idéal » explique le Dr Rouas.

 

 

Que révèlent ces deux études ?

 

A partir des 614 questionnaires analysés :

- 23% des femmes donneront un biberon contenant une substance sucrée pour favoriser l’endormissement de l’enfant (ce comportement se retrouve significativement chez les jeunes mamans et chez les non actives).

- Seulement 33% des femmes enceintes débuteront le brossage des dents de leur enfant à l’âge de 6 mois.

- 22% iront consulter un chirurgien-dentiste au cours de la première année, 53% s’en remettront à l’avis du pédiatre, 21% attendront la première convocation au bilan buccodentaire de la sécurité sociale qui s’effectue seulement à 6 ans, et 4% attendront l’apparition de douleurs…

- 83% des femmes ignorent le caractère transmissible de la maladie carieuse ce qui engendrera des comportements à risque si aisément évitables (gouter la soupe dans la cuillère de l’enfant, nettoyer la tétine de l’enfant avec sa bouche…).

 

« On voit avec ces chiffres qu’il est nécessaire d’informer, de sensibiliser et de motiver les femmes enceintes. Elles ont un rôle essentiel vis à vis de leurs enfants en terme d’hygiène bucco-dentaire. La maternité est le lieu idéal pour atteindre le maximum de femmes et avoir une bonne écoute. Ensuite, il est presque trop tard… Les parents seront occupés par l’arrivée du nouveau-né à la maison et l’aspect bucco-dentaire sera souvent traité de manière secondaire » assure le Dr Rouas.

 

A savoir, quelques informations utiles…aux mamans

_ Dès l’apparition des premières dents, un nettoyage bi-quotidien devrait être réalisé par les parents, d’abord avec des compresses puis au fur et à mesure de l’apparition des molaires de lait, à l’aide d’une petite brosse à dent.

_ La contamination bactérienne précoce par streptocoque se fait le plus souvent selon une transmission mère/enfant appelée transmission verticale. Celle-ci est consécutive à certains comportements comme le partage d’une brosse à dent, d’une cuillère, le rinçage de la tétine avec la bouche…

_ La consommation fréquente de biberons contenant des liquides sucrés tels que les jus de fruits, les sodas ou le lait, y compris le lait naturel qui contient du lactose, ainsi que l’allaitement tardif, dit « à la demande », (l’enfant s’endormant au sein de sa mère) augmentent le risque de développer des caries.

_ Le grignotage et les prises alimentaires ou médicamenteuses fréquentes sous formes de sirops sucrés ou de granules homéopathiques notamment, représentent un danger pour les dents de l’enfant.

 

Apparition d’une nouvelle pathologie sur la dent de 6 ans : la MIH

 

La dent de 6 ans (première molaire permanente), pilier de l’arcade dentaire fait son éruption dans la cavité buccale dans un contexte délicat : elle apparait au fond de la bouche alors qu’aucune dent de lait n’est encore tombée, son émail n’est pas totalement mature et se trouve donc plus vulnérable. Trois années seront nécessaires pour qu’il atteigne sa maturité adulte. Il est donc important de prendre soin de cette première dent définitive par une bonne hygiène bucco-dentaire. Une anomalie de structure de l’émail dentaire, appelée MIH, est constatée de plus en plus fréquemment (3 à 25% d’enfants atteints) sur cette dent de 6 ans de manière plus ou moins sévère, associée parfois à des stigmates sur les incisives permanentes. La cause en est à ce jour inconnu…

 

Ainsi, de plus en plus de premières molaires permanentes abîmées sont observées chez l’enfant. Cela pose des problèmes de stratégies de prise en charge. Extraire ou conserver, d’autant plus si cette pathologie participe à détériorer les autres dents définitives qui feront leur apparition par la suite.

 

L’odontologie pédiatrique, en collaboration avec l’orthodontie, peut alors permettre d’offrir une solution face au délabrement précoce de ces dents de 6 ans. Néanmoins, le diagnostic précoce et la prévention des lésions sont des actions plus efficaces. « Mieux vaut intervenir en amont et éviter les dégâts » explique, le Dr Rouas On le voit à travers cet exemple, la précocité de la prise en charge de l’enfant par le chirurgien-dentiste conditionne son avenir bucco-dentaire. Malheureusement, c’est encore trop tardivement, et dans le contexte d’une urgence, que s’effectue le premier contact !

 

La protection de l’émail par le fluor : les recommandations en 2013

L’utilisation quotidienne et à petites doses du fluor est recommandée. Celui-ci a un effet protecteur vis à vis des caries. Le fluor topique comme le dentifrice, favorise la résistance de l’émail. Ainsi, un dentifrice fluoré peut être utilisé quotidiennement. Mais la quantité de fluor doit être adaptée à l’âge.

 

Avant 7 ans des dentifrices dosés à 500 ppm sont indiqués, entre 7 et 12 ans, à 1000 ppm, et à partir de 12 ans un dentifrice adulte est conseillé. Le fluor par voie systémique sous forme de gouttes ou de comprimés peut s’avérer nécessaire en complément du fluor topique dans les cas de hauts risques carieux. Mais attention, un excès de fluor chez l’enfant peut causer une pathologie appelée la fluorose. Celle-ci détériore l’émail sur lequel apparaissent des colorations plus ou moins disgracieuses. Il ne faut donc pas dépasser 1mg/24h. Pour plus de sécurité, un bilan fluoré doit être réalisé avant toute prescription de produits fluorés.

 

Les acides : les vrais ennemis des dents

La déminéralisation de l’émail génère la carie. Cette déminéralisation produite par des acides survient quand le pH salivaire buccal descend au-dessous de 5,5 (pH critique). Une nourriture trop riche en glucides et des prises alimentaires trop fréquentes dans la journée sont en grande partie responsables de la maladie carieuse. Le grignotage peut prendre diverses formes. Par exemple, l’adolescent qui boit quelques gorgées de cola toutes les heures a son pH buccal en permanence en dessous du seuil critique. Cela a pour effet de rompre l’équilibre entre déminéralisation et reminéralisation au profit de la déminéralisation.

 

« Aujourd’hui, tout est fait pour que nous soyons exposés à de mauvaises habitudes alimentaires. Les canettes de cola sont remplacées par des bouteilles de 50cl que l’on peut refermer et, par conséquent, rouvrir régulièrement. La nourriture rapide est un phénomène de société. Le sucre est omniprésent dans les produits alimentaires. Des distributeurs de nourriture ou de boissons sont installés partout … Conséquences, nous constatons de plus en plus souvent chez des jeunes, les stigmates de l’érosion dentaire »

 

Ce sont les aliments renfermant du saccharose (jus de fruit, sodas…) qui favorisent cette dégradation tissulaire. Les sodas ont un fort potentiel érosif. Ils contiennent des additifs (E338 : acide phosphorique, E330 : acide citrique, E334 : acide tartrique), également présents dans les confiseries. La plupart des sodas et des jus de fruits ont un pH compris entre 2,4 et 3,6, c'est-à-dire très acide. Il en est de même pour les boissons light.

 

Ce qu’il faut savoir pour protéger les dents toutes neuves des enfants

_ Quatre repas par jour suffisent à l’enfant et entre les repas, seule l’eau est bienfaitrice.

_ De nombreux sucres se cachent (le goût d’un aliment ne suffit pas pour dire s’il contient

du sucre ou non). Les céréales, les chips ou le ketchup par exemple contiennent de l’amidon

qui se décompose en sucre.

_ Limiter les apports en sucre et les consommer plutôt au cours des repas.

_ La consistance des aliments est à prendre en compte. Une nourriture molle et collante reste plus longtemps en contact avec les dents, ce qui majore le risque de caries.

_ Le lait contient du lactose : par conséquent, il est cariogène.

_ Consommer des aliments cariostatiques* comme le fromage plutôt en fin de repas.

*Exemples d’aliments cariostatiques : le fromage, le beurre, le cacao, l’eau, les céréales, certains fruits ou légumes comme la pomme ou la carotte, etc.

 

En savoir plus
catherine.gros@prpa.fr / sophie.matos@prpa.fr

 

 

NDLR : MGEFI et dentaire

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