Nora ANSELL-SALLES

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mardi 5 avril 2016

Un monde sans paludisme...



« Un monde sans paludisme » 

 Aperçu du programme stratégique de la fondation Bill et Melinda Gates 

Sophie Allauzen

 Senior Program Officer Integrated Development, Global Health,

Bill & Melinda Gates Foundation, Seattle, USA


Par le biais d’une série de nouvelles stratégies et le développement d’outils innovants, la fondation Bill & Melinda Gates s’est lancée dans un programme important dédié à l’éradication du paludisme dans les 20 prochaines années, objectif extrêmement ambitieux mais considéré possible avec un engagement international suffisant. Ce programme se focalise autour de trois axes stratégiques majeurs : « Eliminate, Prevent et Mobilize ».

L’objectif de l’axe « Eliminate » est de démontrer qu’une accélération sur la voie de l’élimination  est   possible en ajoutant  de nouvelles stratégies aux interventions existantes et/ou en utilisant les outils actuels de façon différente, combinés avec une concentration des ressources sur les approches considérées les plus efficaces.  Ces efforts se focalisent sur l’identification et le traitement de touts les sujets infectés en utilisant la surveillance comme rôle central, en collaborant au niveau régional tout en s’adaptant  aux échecs  émergents et en intégrant le programme d’élimination dans  les systèmes de santé avec un fort engagement des pouvoir publics. Les régions majeures ciblées aujourd’hui et en priorité sont l’Asie du  sud-est, l’Hispaniola et l’Afrique sub-saharienne.

L’axe « Prevent » s’efforce de déployer rapidement de nouveaux outils en facilitant leur autorisation réglementaire , essayant d’éliminer les obstacles de mise sur le marché et en investissant dans la Recherche & Développement (R&D). Ses efforts soutiennent les innovations à court terme telle que la recherche de vaccins plus efficaces, l’analyse du potentiel des médicaments actuels à obtenir  une guérison totale au niveau individuel et au niveau des populations et sur le développement de méthodes de contrôle des vecteurs par transformations génétiques .  Au niveau diagnostique, un effort important est déployé afin de  développer des tests plus sensibles permettant la détection d’individus asymptomatiques potentiellement responsables de transmission.

Enfin, l‘axe « Mobilize » se focalise sur l’aspect financier et l’installation  de nouvelles méthodes de financement. Son objectif principal est d’obtenir un doublement les fonds mondiaux  dans les 8 prochaines années de façon à assurer que le paludisme occupe une place de choix à l’ordre du jour mondial et rassemble le soutien et les ressources politiques nécessaires pour une éradication future. Le travail dans ce domaine est dédié au déploiement de méthodes de communication efficaces visant non seulement à maintenir le support des donateurs actuels mais à plaider en faveur d’une augmentation des investissements des pays affectés.

La fondation Gates investit en moyenne $200 millions par an dans le programme du paludisme, soit au total dans les 10 dernières années, $1,12 milliard, dont 50% dédié à la R&D seulement pour le développement de nouveaux outils. Le nombre total de subventions à projets est aujourd’hui de 150.



Résistance de l’agent du paludisme Plasmodium falciparum

aux combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (ACTs)



Craintes d’une chimiorésistance généralisée




Françoise BENOIT-VICAL*, Lucie PALOQUE, Jean-Michel AUGEREAU

*Laboratoire de Chimie de Coordination du CNRS 

 Equipe “Nouvelles molécules antipaludiques et approches pharmacologiques” - Toulouse


FBV déclare être co-auteur des brevets #US61/904651 et # US62/062439 déposés par l’Institut Pasteur


L’utilisation, depuis plus de 15 ans, dans le traitement du paludisme de combinaisons thérapeutiques associant un dérivé de l'artémisinine avec une molécule partenaire (dénommées ACTs pour Artemisinin-based Combination Therapies), a permis une diminution notable de la mortalité dans les régions tropicales et subtropicales. Cependant ces progrès sont gravement menacés par la diminution de l'efficacité clinique des artémisinines caractérisée par une clairance parasitaire retardée et un taux de recrudescence élevé, et rapportée dès 2008 dans l’Ouest du Cambodge. Cette résistance de Plasmodium aux artémisinines s’est déjà étendue à plusieurs pays du Sud-est Asiatique. Cependant, les ACTs restent efficaces tant que la molécule partenaire garde son activité, mais de plus en plus d’échecs cliniques sont aujourd’hui corrélés à la résistance du parasite à la fois à l’artémisinine et à la molécule associée. Une des craintes majeures est la diffusion de ces parasites aux multiples résistances en Afrique subsaharienne, continent le plus touché par le paludisme, comme cela fut le cas par le passé avec d’autres traitements antipaludiques. Il est donc indispensable de mieux comprendre, d’un point de vue phénotypique et génotypique, la résistance du parasite Plasmodium falciparum à l'artémisinine et à ses dérivés afin de proposer de nouveaux outils thérapeutiques.


INTRODUCTION
Le paludisme causé par des parasites du genre Plasmodium est transmis par les moustiques femelles infectés du genre Anopheles. Le paludisme, géo-localisé aux zones tropicales et subtropicales, est un problème de santé majeur pour plus de 3,2 milliards de personnes mais il représente également un risque important pour des millions de voyageurs. Au cours des 15 dernières années, des progrès considérables ont été accomplis dans la lutte contre le paludisme menant à une réduction de 60 % du nombre des décès au niveau mondial [1]. Cette diminution notable est due, particulièrement en Afrique sub-saharienne, à la distribution massive de moustiquaires imprégnées d'insecticide, aux stratégies de lutte anti-vectorielle, à l’utilisation des tests de diagnostic rapide et aux traitements curatifs par des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine dont l’abréviation ACTs correspond au terme anglais Artemisinin-based Combination Therapies [1]. Cependant, le fardeau que représente cette maladie parasitaire reste très élevé avec environ 214 millions de nouveaux cas en 2015 et un tribut inacceptable de plus de 438 000 morts en 2014 dont plus de 300 000 sont des enfants de moins de 5 ans [1]. Par ailleurs, ces avancées considérables risquent d’être annihilées par l’émergence et la diffusion de parasites résistants aux ACTs. De plus, cette résistance basée sur un mécanisme de quiescence ne peut être détectée par les tests in vitro habituellement utilisés pour surveiller la sensibilité du parasite Plasmodium aux médicaments utilisés sur le terrain.


LES MOLÉCULES DE LA FAMILLE DES ARTÉMISININES
L’artémisinine (ART) est une molécule isolée d’une armoise commune Artemisia annua, utilisée traditionnellement dans le traitement des fièvres, notamment palustres, en Chine depuis plus de 2000 ans. L’identification de cette substance active a été récompensée en 2015 par l’attribution du Prix Nobel de Médecine au Pr Y. Tu [2].
Les molécules de la famille des artémisinines (ARTs) sont une composante clé des récents succès dans la lutte contre le paludisme. Les ARTs permettent une diminution plus rapide de la parasitémie et de la fièvre que les médicaments antipaludiques conventionnels [3]. Au cours des deux dernières décennies, les combinaisons à base d'artémisinine (ACTs) ont remplacé les quinoléines et les antifolates comme médicaments de première intention dans le traitement du paludisme simple dans la plupart des pays d’endémie. L’usage des ACTs est massif avec 337 millions de doses de traitements utilisés en 2014 [1].
Les ARTs agissant sur les parasites au stade le plus jeune, dit « anneau », ces derniers sont rapidement éliminés des globules rouges et de la circulation sanguine [4] ce qui empêche donc leur maturation et leur séquestration. Ces propriétés confèrent aux ARTs une efficacité supérieure à la quinine dans le traitement du paludisme grave et compliqué au point d’être devenus le traitement de première ligne pour les patients qui en sont atteints [5]. Le traitement précoce avec des ARTs est également associé à une diminution du nombre de gamétocytes et donc à une diminution de la transmission [3].
Pour réduire le risque de chimiorésistance, la recommandation est d'utiliser les ARTs en combinaison avec d'autres agents antipaludiques. Cependant en décembre 2014, huit pays, principalement en Afrique (Angola, Cap-Vert, Colombie, Guinée équatoriale, Gambie, Sao Tomé-et-Principe, Somalie, Swaziland) proposaient toujours dans leur politique de santé des ARTs en monothérapies en dépit de leur interdiction préconisée par l'OMS, augmentant ainsi le risque de sélection de résistance à cette classe de molécules [6].

LA RÉSISTANCE AUX ACTs SUR LE TERRAIN
La définition
D’après la définition de l’OMS, la résistance à l'artémisinine (artémisinine se réfère ici à l'artémisinine et à ses dérivés) correspond à une clairance parasitaire retardée après un traitement par artésunate en monothérapie, ou après un traitement avec une thérapie combinée à base d'artémisinine (ACT) [7]. Le délai de clairance parasitaire ne conduit pas nécessairement à l'échec thérapeutique mais la résistance à l'artémisinine pourrait faciliter la sélection de la résistance au médicament partenaire. Par ailleurs, dans certaines zones de la région du Grand Mékong, la résistance concomittante à l'artémisinine et au médicament partenaire (méfloquine, pipéraquine) entraine de réels échecs thérapeutiques aux traitements par ACT [7].

L’épicentre
La région située le long de la frontière thaïlando-cambodgienne, et plus particulièrement la province de Pailin, a toujours été l'épicentre des résistances développées par P. falciparum suivie d’une propagation vers les autres continents d’endémie palustre [8], comme ce fut le cas, dès 1957, avec la résistance à la chloroquine. Cette spécificité régionale peut s’expliquer par: i) le faible accès aux médicaments qui génère un trafic de médicaments contrefaits, de mauvaise qualité, et contenant des doses sub-thérapeutiques, ii) l'utilisation de monothérapies, iii) une forte population de migrants qui ont peu ou pas accès au système de santé [9, 10]. D’un point de vue moléculaire, aucune corrélation entre la chimiorésistance et un taux de mutations accru du génome parasitaire n'a été trouvée dans ces régions, invalidant l'hypothèse d'un parasite "hypermutant" [11]. La résistance aux ARTs est héréditaire et repose donc sur une base génétique[12, 13] qui semble avoir été sélectionnée parmi une population de parasites prédisposés présentant un polymorphisme des gènes fd (ferrodoxin), arps10 (apicoplast ribosomal protein S10), mdr2 (multidrug resistance protein 2) et crt (chloroquine resistance transporter). Ces travaux indiquent que le risque d’émergence de nouvelles mutations causant la résistance aux ARTs est favorisé par des facteurs génétiques spécifiques au sein d’une population parasitaire [14].

L’émergence et la diffusion (Figure 1)
Des signes alarmants de résistance aux ARTs ont émergé en 2006, le long de la frontière thaïlando-cambodgienne, le Cambodge étant le premier pays à avoir adopté les ACTs comme traitement de première ligne dans leur politique nationale (artésunate / méfloquine et dihydroartémisinine/pipéraquine). Selon des analyses rétrospectives, la résistance aux ARTs a probablement émergé en 2001 [7]. En 2008, Noedl et al. a rapporté une résistance à l'artésunate corrélée à une clairance parasitaire retardée en Thaïlande et au Cambodge[15]. Dondorp et al. [16] a confirmé cette réduction de l’efficacité de l'artésunate en monothérapie à Pailin (ouest du Cambodge) caractérisée par un temps de clairance parasitaire lent (72-84 h versus 48-54 h) et des taux plus élevés d'échecs cliniques dus à une recrudescence parasitaire comparativement à Wang Pha (NO de la Thaïlande). La résistance à l'artésunate en monothérapie est maintenant installée non seulement en Thaïlande et au Cambodge mais aussi au Myanmar, au Vietnam et au Laos [7].
Aucune résistance aux ACTs n’est encore rapportée en Afrique, mais la menace est d'autant plus grande qu'il vient d'être démontré que les parasites résistants aux artémisinines originaires d’Asie semblent à même d'infecter et d’être transmis par un large panel d'espèces d'anophèles, dont la principale espèce africaine Anopheles gambiae [17]. Sachant que 80% des décès dus au paludisme sont concentrés dans 15 pays, essentiellement en Afrique [1], la détection précoce de la résistance aux ACTs y devient une priorité majeure. Dans les zones où la transmission est élevée, comme en Afrique, les niveaux accrus d’immunité face au parasite Plasmodium des populations contribuent à une clairance parasitaire rapide. Ainsi, une étude récente préconise l’utilisation en Afrique d’un seuil d’alerte de 5% de cas présentant une parasitémie détectable au 3ème jour après traitement par ACTs, au lieu des 10% préconisés par l'OMS en Asie [18].

L’impasse thérapeutique
Année après année, le nombre de morts et de cas de paludisme sévère diminuent mais ces avancées sont fragiles [19] et l'OMS ne peut que constater l’augmentation significative des cas de résistance [7].
Dans les ACTs, le choix de la molécule partenaire des ARTs est basé sur l’absence de résistance des parasites, mais aussi sur les propriétés pharmacocinétiques de cette molécule qui possède une demi-vie de plusieurs jours à plusieurs semaines alors que celle des ARTs est limitée à quelques heures. De ce fait, les parasites restants, à la suite de l’action de l’ART, se retrouvent rapidement face à la seule molécule partenaire augmentant ainsi le risque de générer une nouvelle résistance. La résistance des parasites aux ARTs amplifie ce phénomène qui se traduit déjà sur le terrain par des échecs de traitement aux ACTs. Ces derniers ont seulement été observés pour l’instant en Asie du sud-est où, en plus de la résistance aux ARTs, les parasites peuvent être  aussi résistants à la molécule partenaire (comme la méfloquine [20] ou la pipéraquine [21, 22]). Dans de tels cas, le traitement par l’ACT déficient est remplacé par un autre dont l’efficacité thérapeutique est évaluée tous les deux ans afin d’adapter le traitement au plus vite [1].
Ces résistances mettent en péril les progrès accomplis pour contrôler et éliminer le paludisme et sont donc une préoccupation majeure de santé publique. Cette situation est d’autant plus critique qu’il n'existe actuellement aucun médicament susceptible de remplacer les ACTs [7]. Parmi les candidats-médicaments en cours d’étude, nombreux sont des peroxydes au mécanisme d’action proche des ARTs faisant craindre des résistances croisées. D’autres composés chimiquement différents sont en phase II d’étude clinique (ferroquine, spiroindolones, imidazolopiperazines,…) [23] et leur utilisation est prévue, pour la plupart, en association avec un dérivé de l’ART [24].

LA QUIESCENCE : Un nouveau mécanisme de résistance développé par P. falciparum
Première mise en évidence
La demi-vie de clairance parasitaire chez un patient est définie comme le temps nécessaire pour que la parasitémie soit réduite de moitié consécutivement à un traitement antiparasitaire. Son allongement est associé à un risque accru de recrudescence parasitaire et fait donc l’objet de suivis épidémiologiques. Ce sont ces retards de clairances parasitaires après traitement qui ont permis la mise en évidence de la résistance clinique aux ARTs.
Etonnamment, il n’est pas possible de corréler cette résistance clinique aux ARTs et aux ACTs avec une perte de la chimiosensibilité des parasites à ces molécules, déterminée in vitro avec le test standard de l'OMS [16] et basé sur la mesure du taux de multiplication des plasmodies soumises à des concentrations croissantes de ces composés. Si ce test permet de révéler facilement la résistance aux antipaludiques conventionnels comme les quinoléines et antifolates, il ne parvient pas pour autant à mettre en évidence une sensibilité réduite aux ARTs, ce qui conduit à envisager un mécanisme de résistance fondamentalement différent. Les retards de clairance et les taux de recrudescence in vivo ont suggéré que certains parasites peuvent survivre au traitement et sont ensuite capables de reprendre leur cycle de maturation cellulaire, une fois l’artémisinine éliminée. Ces parasites étaient suspectés présenter un métabolisme réduit telles des « belles au bois dormant » [4] sur lesquelles le traitement n’avait plus d’effet. La résistance aux ARTs apparait donc liée à un nouveau mécanisme cellulaire tout à fait distinct de ceux décrits pour les autres antipaludiques et qui impliquent des mutations soit de transporteurs soit de la cible.

Quiescence / dormance
Il a été démontré grâce aux études menées sur la lignée F32-ART (une lignée établie in vitro et hautement résistante à l’ART, capable de survivre à des doses élevées d’ART correspondant à 7000 fois la valeur de la CI50 observée avec la lignée parentale F32-Tanzania) puis confirmé sur des isolats du Cambodge, que la résistance de P. falciparum aux ARTs est médiée par un mécanisme de type quiescence/dormance, c’est-à-dire un arrêt du cycle cellulaire, expliquant ainsi que les parasites apparaissent toujours sensibles dans les tests standards de chimio-sensibilité in vitro [25-28]. Ces parasites quiescents sont à l’origine des clairances retardées ainsi que des recrudescences parasitaires observées une fois que les concentrations plasmatiques en antipaludiques chez le patient sont descendues en dessous de leur seuil d’efficacité. Les études cinétiques de prolifération des parasites in vitro ont par la suite montré que seul un faible nombre de parasites survivent au traitement complet et sont ensuite capables de se développer à nouveau une fois le médicament éliminé.
Cette capacité à entrer en quiescence n’est pas une exclusivité des parasites résistants aux ARTs. Elle se retrouve également chez plusieurs souches de parasites de laboratoire sensibles après une exposition aux dérivés de l'ART [29, 30] et se traduit par des cinétiques de prolifération parasitaire et des taux de recrudescence variables. Cela suggère que la capacité de quiescence induite par les ARTs est une propriété intrinsèque de P. falciparum [29, 31]. Cependant la capacité de quiescence et de recrudescence des parasites résistants aux ARTs après exposition à la DHA (dihydroartémisinine) est 10 à 1000 fois plus élevée que celle des souches sensibles [25-27]. Par ailleurs, des phases de repos/quiescence sont également connues chez d’autres espèces de Plasmodium, tels les hypnozoïtes hépatiques de P. vivax et de P. ovale, responsables de rechutes plusieurs semaines ou mois après la guérison du patient, mais ces formes spécifiques sont absentes chez P. falciparum.

Les stades concernés
La quiescence se met en place, en présence d’ARTs, au tout premier stade du cycle érythrocytaire du parasite, appelé « anneau » en raison de sa forme caractéristique. Cependant ce phénomène ne concerne qu'une infime partie des parasites au stade « anneau », ce qui lui confère un caractère très particulier comparativement aux autres mécanismes de résistance connus qui affectent généralement tous les individus d’une population clonale [26, 29]. Par ailleurs, les parasites résistants aux ARTs ont un développement ralenti au stade anneau [32], ce qui pourrait favoriser leur mise en quiescence lors d’un traitement par ARTs. Au sein même de cette population de parasites au stade anneau, il a été démontré que l’âge des parasites après invasion du globule rouge est un facteur important dans leur capacité à résister. Ainsi, après un traitement de 6 heures en présence de 700 nM de DHA, les parasites au stade anneau, âgés de 0 à 3 heures post-invasion (test RSA0-3h ; Ring-stage Survival Assay), ont une capacité de quiescence plus de cinq fois supérieure à celle des stades âgés de 9 à 12 heures [33]. Cette capacité d’entrer en quiescence a été également rapportée au stade suivant (trophozoïte ; 13-16 heures post-invasion) pour les parasites hautement résistants aux ARTs de la lignée F32-ART5 [27].
Quiescence et chimiorésistance
Le phénomène de quiescence en relation avec un traitement médicamenteux est bien connu en bactériologie et en oncologie. Les cellules cancéreuses humaines, par exemple, peuvent survivre à une chimiothérapie en arrêtant leur cycle cellulaire en phase G1 [34]. Par ailleurs, des dérivés synthétiques de l'ART induisent un arrêt du cycle cellulaire en G0 / G1 dans les lignées cellulaires cancéreuses et diminuent le nombre de cellules entrant en phase S [35]. Chez Plasmodium, le stade anneau impliqué dans la quiescence, correspondrait à la phase G1 du cycle cellulaire [36]. Des parallèles peuvent être ainsi établis entre les parasites résistants aux ARTs comme ceux de la lignée F32-ART et les cellules souches cancéreuses : i) arrêt de leur cycle cellulaire en phase G1 ; ii) capacité à résister à la chimiothérapie; iii) faible proportion de la population cellulaire capable d’échapper au traitement en entrant en quiescence; iv) implication de protéines CDK (cycline-dependent kinases) [26, 37].

LE GÈNE Pfk13, MARQUEUR MOLÉCULAIRE LIÉ A LA RÉSISTANCE à L’ARTÉMISININE
Sans marqueur moléculaire, il était impossible de déterminer si de nouveaux foyers émergents de résistance aux ARTs étaient le résultat de la propagation de parasites résistants ou si la résistance apparaissait de novo. De plus, la diffusion de la résistance aux ARTs était difficile à appréhender. En effet, les modèles de résistance existants, établis sur la résistance aux antifolates, aux 4-amino-quinoléines et aux aryl-amino-alcools, étaient inadaptés à ce nouveau mécanisme développé par le parasite face aux ARTs. Seule une approche originale associant la biologie, la génomique, la clinique et l’épidémiologie a permis l’identification d’un marqueur moléculaire associé à la résistance aux ARTs . La comparaison du génome complet séquencé de la souche de laboratoire résistante F32-ART à celui de sa souche jumelle restée sensible a conduit à l’identification chez F32-ART d’une mutation ponctuelle dans la région en hélice de la protéine Kelch dont le gène est porté par le chromosome 13 [25]. L’étude du polymorphisme du gène Pfk13 dans des isolats résistants du Cambodge a démontré l’étroite corrélation entre la présence de ce gène muté et la résistance des parasites chez les patients. Le rôle central du locus k13 dans la résistance de P. falciparum aux ARTs a été confirmé par des modifications du génome d’isolats cliniques cambodgiens et de diverses souches de laboratoire soit en introduisant la mutation dans des parasites sensibles, soit en restaurant le caractère sauvage dans des parasites résistants [38]. 
L'analyse spatio-temporelle de nombreuses souches recueillies au Cambodge au cours de la dernière décennie a montré une augmentation progressive de la fréquence des parasites mutants K13 dans les provinces affectées par la résistance [25]. Cette résistance associée à la mutation du gène Pfk13 est maintenant étendue à la région du Grand Mékong [7].
Jusqu’à présent, et malgré la présence de souches de parasites présentant également des mutations du gène Pfk13 en Afrique, aucune corrélation n’a pu être établie avec une perte de sensibilité du parasite sur ce continent [39, 40]. Cela pourrait refléter l’importance des fonds génétiques des parasites dans lesquels les mutations émergent. Des études de modifications du génome ont en effet montré que l’impact des diverses mutations de Pfk13 sur la clairance parasitaire et sur le taux de survie des parasites au stade anneau était dépendant du fond génétique des parasites [25, 38].

LA MULTI-RÉSISTANCE PEUT ETRE INDUITE APRÈS UNE SIMPLE PRESSION MÉDICAMENTEUSE PAR L’ARTÉMISININE
Dans un contexte de pression prolongée exercée par les ARTs sur le terrain, seules ou en combinaison, une étude a été conduite in vitro afin d’en évaluer l’impact sur les parasites. La souche F32-ART5, lignée clonale sélectionnée après 5 ans de pressions séquentielles à doses croissantes d'ART, est apparue sensible à tous les antipaludiques y compris les ARTs dans le test standard de chimiosensibilité basé sur la prolifération cellulaire. Cependant, ces parasites ont montré in vitro des taux de recrudescence élevés par rapport à la souche sensible après un traitement de 48 heures non seulement aux différents dérivés de l’ART mais également à d’autres antipaludiques telles que les quinoléines (amodiaquine, méfloquine, chloroquine, quinine) ou la pyriméthamine [27].
Une résistance généralisée à la plupart des autres médicaments antipaludiques a donc été acquise après une simple pression au long cours d’ART. Ce nouveau profil de résistance est cependant différent des multi-résistances classiques puisque les parasites ne se multiplient pas en présence du médicament et qu’ils ne portent pas les stigmates génotypiques classiquement associés à la résistance à la pyriméthamine ou aux quinoléines. Parmi les mutations identifiées dans le génome des parasites F32-ART5 multi-tolérants [27], apparaît la mutation non-sens de PF3D7_1115700 codant pour la falcipaïne 2a, une cystéine protéase impliquée dans l'hydrolyse de l'hémoglobine [41]. L’absence de cette enzyme fonctionnelle pourrait expliquer la diminution de l’efficacité des quinoléines et des endopéroxydes basée sur l’interaction de ces molécules avec les produits issus de la digestion de l’hémoglobine par le parasite [42] ainsi que la baisse de sensibilité des stades trophozoïtes aux ARTs [43] mais elle n’explique pas la diminution de l’efficacité de la pyriméthamine dont l’activité n’est pas liée au métabolisme de l’hémoglobine.
Ce modèle in vitro a donc révélé que P. falciparum peut acquérir la capacité de survivre à divers antipaludiques après une pression médicamenteuse prolongée avec la seule ART. Ainsi P. falciparum est capable d’entrer en quiescence non seulement en présence d’ART [26, 28] mais aussi d’autres antipaludiques [27], puis de reprendre son cycle cellulaire après élimination de ces molécules. Seule l'atovaquone échappe à cette multi-tolérance en restant efficace sur la lignée F32-ART5 [27]. Cela s’explique par son mode d’action basé sur l’inhibition du transfert d'électrons de la chaîne respiratoire au niveau mitochondrial maintenue active chez les parasites quiescents [44].
Malheureusement, la résistance à l'atovaquone est facilement et rapidement sélectionnée sur le terrain, et ce de manière indépendante de l’ART. Néanmoins, ces données indiquent que le mode d’action des molécules à intégrer dans de nouvelles combinaisons thérapeutiques devra être pris en considération afin de cibler les parasites quiescents et ainsi lutter efficacement contre la résistance aux ACT en zones d’endémie palustre. Enfin, il faut intégrer que les tests standards de chimiosensibilité in vitro prédisent une bonne sensibilité des parasites et donc une efficacité du traitement, alors que les parasites sont en fait résistants parce qu'ils sont quiescents. Il est donc indispensable de rechercher avec des tests pertinents si le phénomène de multi-résistance identifié in vitro est également présent sur le terrain afin de pouvoir adapter les politiques thérapeutiques en conséquence.

CONCLUSION
La résistance de Plasmodium aux ARTs est corrélée au nombre accru de formes intra-érythrocytaires jeunes (stade anneau) entrant en quiescence lors d’une exposition aux ARTs. Ce mode de survie leur permet ainsi de reprendre rapidement leur croissance une fois le traitement éliminé. Cette capacité de résistance aux ARTs est conférée par des mutations du gène Pfk13. Le polymorphisme du gène Pfk13 est actuellement considéré comme la signature moléculaire fiable de la résistance aux dérivés de l’ART et est utilisé selon les recommandations de l'OMS pour le suivi épidémiologique de cette résistance. L’émergence de parasites résistants à la fois aux ARTs et aux molécules partenaires ainsi que l’absence d’antipaludiques de remplacement disponibles à court terme sont des éléments particulièrement inquiétants dans la lutte contre le paludisme. Par ailleurs, la possibilité que sur le terrain, le parasite puisse devenir multi-tolérant, comme cela a été montré in vitro après une pression médicamenteuse de plusieurs années avec de l’ART uniquement, devrait être une préoccupation majeure des instances gouvernementales et internationales qui basent leurs politiques thérapeutiques sur l’utilisation massive des ACTs. La compréhension fine des voies biochimiques impliquées dans ce mécanisme original de résistance pourra conduire à l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques permettant soit de découvrir de nouveaux antipaludiques, soit à travers le contrôle de la quiescence de sauvegarder l’efficacité des ACTs actuellement utilisés.





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FIG. 1. - Emergence et diffusion de la résistance de P. falciparum aux artémisinines.
Adapté d’après [14, 45, 46]
Légende de la Figure 1.

Emergence et diffusion de la résistance de P. falciparum aux artémisinines.
Adapté d’après [14, 45, 46]







Élimination du paludisme en Asie du Sud-Est ?

Moyens médicamenteux



Professeur François Nosten

Shoklo Malaria Research Unit, Mahidol-Oxford University Research Unit.



L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt


La résistance de Plasmodium falciparum aux dérivés de l’artémisinine qui gagne le Sud-Est Asiatique menace les progrès récents observés dans la lutte contre le paludisme. Une véritable course contre la montre est engagée pour éliminer P.falciparum dans cette région avant qu’il ne devienne résistant à tous les traitements disponibles. Les antipaludiques occupent une place centrale dans le projet d’élimination en cours dans l’Est de la Birmanie le long de la frontière thaïlandaise. La combinaison d’artéméther et de luméfantrine est utilisée dans le traitement précoce des cas cliniques en association avec la primaquine. La dihydro-artémisinine en association avec la pipéraquine, d’élimination lente, est le médicament de choix pour les traitements de masse, dans les foyers de forte prévalence d’infections sous-microscopiques asymptomatiques. Les premiers résultats enregistrés après 18 mois d’activités sont très encourageants : l’acceptabilité par la population a été excellente et une forte diminution de l’incidence de P.falciparum, sans aggravation de la résistance, a été observée.


Introduction.
La résistance de Plasmodium falciparum aux dérivés de l’artémisinine menace les progrès récents dans la lutte contre le paludisme à l’échelle mondiale. Cette résistance médicamenteuse a émergé au Cambodge vers 2007 et se manifeste d’abord par une clairance parasitaire prolongée chez les malades [1]. Puis, dans un deuxième temps, elle entraine une chute de l’efficacité des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA) [2,3]. Le mécanisme de cette résistance reste en grande partie inconnu mais les travaux sur le transcriptome parasitaire suggèrent des modifications du métabolisme des formes en anneau, dans les six premières heures du cycle endo-érythrocytaire [4]. 

La découverte par les chercheurs de l’Institut Pasteur d’un marqueur génétique de cette résistance, des mutations du gène K13 sur le chromosome 13 [5], a permis de montrer l’étendue du phénomène du Vietnam jusqu’à la frontière occidentale de la Birmanie, aux portes de l’Inde et du Bangladesh [6]. Dans les CTA, la diminution de l’efficacité de l’artémisinine compromet celle du traitement et augmente la probabilité de résistance à la molécule partenaire (le plus souvent la méfloquine, la luméfantrine ou la pipéraquine). Des études récentes ont confirmé l’augmentation des échecs thérapeutiques des associations DHA-pipéraquine au Cambodge [2] et artésunate-méfloquine à la frontière Thaïlande-Birmanie (Figure). Il est donc urgent d’éliminer leP.falciparum avant que les résistances aux CTA ne deviennent trop importantes et provoquent une résurgence de la maladie.

L’élimination et le contrôle du paludisme utilisent des approches différentes et complémentaires. Le contrôle se concentre sur l’hôte : prévention par la lutte anti-vectorielle et traitement des cas cliniques pour diminuer la morbidité et la mortalité. Dans l’élimination la cible est le parasite : destruction des formes sexuées et asexuées pour empêcher la transmission. Mais la découverte récente de foyers sous-microscopiques d’infections asymptomatiques dans cette région, complique sérieusement la tâche. Par ailleurs, les vecteurs responsables de la transmission locale sont principalement exophiliques et exophagiques ce qui réduit l’efficacité des moustiquaires imprégnées d’insecticides, le moyen le plus souvent utilisé pour la lutte anti-vectorielle, très efficace en Afrique subsaharienne.
Une stratégie d’élimination de P.falciparum, fondée sur la détection et le traitement précoces des cas cliniques, la détection des foyers sous-microscopiques et leur élimination par des traitements de masse (TdM) a été déployée dans une zone de l’état Karen dans l’Est de la Birmanie le long de la frontière avec la Thaïlande.

Le contexte épidémiologique :
l’Asie de Sud-Est se caractérise par une transmission hétérogène et généralement basse de P.falciparum. L’incidence des cas cliniques a considérablement diminué depuis le milieu des années 1990 sans doute à cause du développement économique, de la déforestation et de l’utilisation systématique des CTA. En conséquence, les infections à P.vivax fréquentes en Asie sont maintenant dominantes et représentent 60 à 70% des cas de paludisme. Mais, ce qui caractérise avant tout l’infection à P.falciparum dans cette région est la forte chimiorésistance. Ce parasite a développé des résistances ou des diminutions de sensibilité à tous les antipaludiques connus, y compris les molécules naturelles comme la quinine et l’artémisinine. La résistance à la méfloquine est particulièrement forte sur la frontière Thaïlande-Birmanie et celle à la pipéraquine (ces deux médicaments de synthèse sont utilisés dans les CTA) est établie au Cambodge voisin [2].
La forte diminution de la transmission de P.falciparum permet d’envisager son élimination rapide de la sous-région. Mais, la présence de foyers de parasitémies sous-microscopiques chez des sujets  asymptomatiques est un obstacle de taille. En effet les enquêtes ont montré des prévalences plasmodiales pouvant atteindre 60 à 70% de la population de certains villages, avec une distribution par espèce plasmodiale (P.falciparum et P.vivax)[7], et une proportion de souches mutantes pour le gène K13 semblables à celles retrouvées chez les malades. Comme pour les cas cliniques, des porteurs asymptomatiques se retrouvent dans tous les groupes d’âge et les deux sexes mais avec une prédominance chez les hommes jeunes. Compte tenu de ces données épidémiologiques et en  absence d’alternatives thérapeutiques aux CTA, une stratégie d’élimination reposant sur sept piliers principaux a été élaborée (Tableau). Les médicaments antipaludiques occupent une place centrale dans cette approche d’élimination.

Les moyens médicamenteux :
Le traitement précoce des cas cliniques.
Les cas cliniques de P.falciparum représentent une source importante de gamétocytes transmis aux anophèles femelles dans les zones de faible endémie palustre. Il est donc essentiel d’éliminer les gamétocytes avant l’émergence de formes matures dans le sang périphérique. Dans ces zones hypo-endémiques les sujets infectés deviennent symptomatiques lorsque la parasitémie atteint un seuil relativement faible (environ 1500 parasites par microlitre) comparé aux densités pyrogéniques observées dans les zones hyper-endémiques d’Afrique sub-saharienne. Les symptômes apparaissent donc le plus souvent avant l’émergence de gamétocytes infectieux. Le traitement précoce par CTA auquel est ajoutée une dose unique de primaquine, active sur les gamétocytes, permet de réduire considérablement le potentiel de transmission de ces patients. Dans le programme d’élimination en cours, les agents de santé des « postes palu » sont formés à l’utilisation de la combinaison artéméther-luméfantrine à la dose standard administrée à raison de deux prises par jour pendant trois jours. Au premier jour de traitement une dose unique de 0.25 mg/kg de primaquine est ajoutée à la CTA. Les femmes enceintes ne reçoivent pas de primaquine et celles qui sont dans le premier trimestre de grossesse sont traitées par la quinine associée à la clindamycine. Les cas d’infection sévère sont évacués vers une structure de santé où ils reçoivent un traitement par l’artésunate par voie parentérale. L’efficacité de la CTA utilisée doit être supérieure à 90% car les échecs parasitologiques sont une autre source importante de portage de gamétocytes. L’artéméther-luméfantrine reste efficace dans cette région malgré la présence de souches tolérantes aux artémisinines, mais une surveillance étroite s’impose  du fait de la présence de résistances croisées entre la luméfantrine et la méfloquine. La faible dose de primaquine est généralement bien tolérée et ne nécessite pas de dépistage du déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase, fréquent dans cette partie du monde.

Traitements de masse.
Les antipaludiques utilisés pour le traitement de masse (TdM) des populations dans lesquelles un réservoir parasitaire sous-microscopique important a été identifié, sont différents de ceux utilisés dans les « postes palu » pour traiter les malades. L’objectif du TdM étant l’élimination du réservoir et la protection contre une réinfection, une CTA associant l’artémisinine à une molécule d’élimination lente, est préférable. La dihydro-artémisinine-pipéraquine (DHA-P) correspond à ce profile. La dose totale administrée est de 7 mg/kg de DHA et 55 mg/kg de pipéraquine à raison d’une prise par jour pendant trois jours, associée à une dose unique de primaquine (0.25 mg/kg). Ce traitement est répété une fois par mois pendant trois mois consécutifs. La longue demi-vie d’élimination de la DHA entraine un effet prophylactique après  chaque traitement  d’environ un mois. L’objectif des campagnes de TdM est de donner ce traitement à 80% ou plus de la population du village, en excluant les femmes enceintes et les nourrissons.

Résultats préliminaires.
A ce jour, plus de 700 « postes palu » ont été établis dans une partie reculée de l’état Karen située le long de la frontière avec la Thaïlande et sous le contrôle de groupes armés encore récemment en rébellion contre le pouvoir central birman. Dans cette zone d’environ 17 000 km2 on estime la population à 300 000 pour un total de 1200 villages. Entre avril 2014 et novembre 2015, ces postes ont détecté 15 000 cas de paludisme dont un tiers du à P.falciparum dont l’incidence a fortement diminuée contrairement à celle de P.vivax. Cet effet différentiel caractérise l’impact du traitement précoce et confirme les observations antérieures faites du coté thaïlandais de la frontière [8]. Au cours de la même période, 190 enquêtes ont permis de détecter 30 villages où la prévalence du plasmodium sous-microscopique était supérieure à 40% dont 20% était du P.falciparum, les rendant éligibles pour une campagne de TdM. La participation de la population a été très satisfaisante puisque la grande majorité (90%) a reçu au moins une fois le traitement de 3 jours (suffisant pour éliminer le réservoir) et plus de 60% ont reçu les trois doses mensuelles. Les causes principales de  non-participation ont été le refus et la mobilité de la population composée essentiellement de cultivateurs travaillant parfois loin de leurs habitations. Les traitements ont été très bien tolérés et aucun effet indésirable grave n’a été enregistré. Le détail de ces résultats est disponible dans un rapport intermédiaire récemment disponible [9]. 

Les risques :
Les deux risques principaux d’un tel programme d’élimination de P.falciparum sont, d’une part un rebond ultérieur de la transmission associée à la réintroduction du parasite dans une population dont la prémunition a baissée, et, d’autre part, l’aggravation des résistances.
Un rebond significatif est peu probable pour autant que le système de détection mis en place est maintenu. Cette affirmation repose sur l’expérience accumulée dans les camps de réfugiés Karen situés en Thaïlande sur cette frontière depuis plus de 30 ans. Malgré la présence de vecteurs et une majorité des réfugiés n’ayant jamais été exposée au paludisme, la transmission dans les camps a été complètement interrompue. Les rares cas importés sont détectés et traités rapidement, avant que la transmission aux vecteurs n’ait lieu. Dans une certaine mesure, la plus grande susceptibilité de la population peut être considérée comme un avantage car elle signifie que les personnes infectées, malades, sont  rapidement détectées. Il faut cependant insister ici sur l’importance de maintenir le dispositif de détection précoce, poursuivre  l’information donnée à la population (consulter rapidement en cas de fièvre) et ce sans doute pendant des années. Le programme d’élimination de P.vivax qui devrait suivre celui de P.falciparum servira aussi à maintenir le système en place.
La crainte d’une aggravation de la résistance du fait  de l’utilisation massive d’antipaludiques est souvent citée comme argument contre les TdM. De façon plus précise, le risque est que les concentrations sanguines sub-thérapeutiques dans le mois qui suit le traitement favorisent la sélection et donc la propagation de souches résistantes de P.falciparum. Pour cette raison il est essentiel de surveiller la susceptibilité du parasite aux antipaludiques par tous les moyens disponibles : marqueurs moléculaires, tests in-vitro et in-vivo. Il faut néanmoins considérer les points suivants :
Dans ce programme d’élimination, les personnes infectées recevant la DHA-P ont des densités parasitaires extrêmement basses et une certaine prémunition (ils sont asymptomatiques). Il est donc très improbable que certains de ces parasites puissent survivre aux fortes concentrations médicamenteuses auxquelles ils sont exposés. De fait parmi les centaines d’individus qui ont étés suivis et testés par une méthode de détection moléculaire ultra-sensible, aucun n’a présenté de persistance parasitaire dans les mois suivants, en dépit  d’une forte proportion de souches « résistantes » à l’artémisinine, mais encore sensibles à la pipéraquine.
La réduction de la transmission se traduit par une diminution des cas cliniques chez lesquels le nombre de parasites circulants est considérablement plus élevé que chez les porteurs asymptomatiques et qui par conséquent sont les principales sources de parasites « de-novo » résistants. Leur nombre diminuant, le risque de sélection de ces parasites mutants diminue aussi.
Cependant, cette approche médicamenteuse de l’élimination repose sur l’utilisation de combinaisons qui restent très efficaces (>90%). Mais la résistance à la pipéraquine est déjà présente au Cambodge, et la fenêtre d’opportunité pour éliminer P.falciparum avec la DHA-P pourrait se refermer bientôt. Il s’agit donc bien ici d’une course contre la résistance. L’échec de l’élimination est possible mais si ces efforts permettent de gagner les quelques années qui nous séparent encore des antipaludiques de nouvelle génération, ou d’un vaccin efficace, et la santé des populations s’en trouvera grandement améliorée. Par ailleurs si l’approche adoptée ici se révèle efficace, elle pourra être reprise et adaptée par les programmes nationaux de lutte contre le paludisme d’Asie du Sud Est avec le support d’organismes de financement tels que le Fond Mondial.

Conclusion
Il est urgent d’éliminer P.falciparum résistant aux dérivés de l’artémisinine dans les zones endémiques d’Asie du Sud-Est avant que le parasite ne devienne résistant aux CTA disponibles. La propagation de souches multi-résistantes à l’Afrique remettrait en question les acquis récents dans la lutte contre le paludisme, et ferait planer la menace d’un retour à la situation catastrophique des années 80-90 causée par la résistance à la chloroquine. Le projet en cours dans l’Est de la Birmanie et qui associe le traitement précoce des cas cliniques et d’élimination des foyers de parasitémie sous microscopique, semble porter ses fruits et l’incidence des infections à P.falciparum a fortement diminué. Mais, la course de vitesse contre la résistance n’est pas encore gagnée et le chemin à parcourir reste long et difficile. La participation des populations et le soutien des organisations locales et des instances nationales et internationales sont indispensables pour espérer une élimination durable.


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Tableau : les piliers de la stratégie d’élimination

Les sept piliers de la stratégie d’élimination de P.falciparum sont indiqués dans la colonne de gauche, les objectifs à atteindre et une description brève des activités (colonne du milieu) et les moyens techniques mis en œuvre (colonne de droite).TDR : test de diagnostic rapide d’antigènes de plasmodium. CTA : combinaison thérapeutique à base d’artémisinine. qPCR : test quantitatif d’amplification génique des plasmodium.






Pilier
Description et objectifs
Moyens techniques
Cartographie
Géolocalisation précise et régulièrement mise à jour de tous les villages, avec détails sur leur taille, sur l’accès aux diagnostics et aux CTA ainsi que sur les moyens de communication.
Appareils GPS de localisation et logiciels informatiques de cartographie.
Engagement communautaire
Informer la population, comprendre sa situation économique et politique, expliquer les buts de l’intervention, permettre l’appropriation du programme par les communautés.
Réunions de villages, affiches, messages radio et enquêtes.
Le « poste palu »
Dans chaque village un agent de santé choisi par la communauté est en mesure d’utiliser des TDR et des CTA dans les 24/48 h de fièvre.
Agent de santé rémunéré, TDR, CTA, primaquine, moyens de communication.
Détection des réservoirs sous- microscopiques
Détection par méthode moléculaire ultra- sensible des foyers ou la prévalence de parasitémie sous microscopique est élevée.
Prélèvements sanguins, Tests validés de détection (qPCR).
Traitement de masse
Elimination des foyers sous microscopiques par TdM utilisant la DHA-P+primaquine.
Equipes spécialisées
Recueil des données en temps réel
Collecte et analyse des données hebdomadaires de chaque « poste palu » afin de vérifier leur bon fonctionnement et éviter les ruptures de stock et de mesurer leur impact.
Téléphones portables, applications de saisie des données, accès au réseau de téléphonie mobile et/ou à internet.
Entomologie
Connaître les populations vectorielles et leur comportement et étudier les taux d’infection, adapter les mesures de lutte et vérifier l’élimination.
Captures, identification, détection des moustiques infectés.