Les gestes d'ouverture du nouvel
Hôtel-Dieu
12 décembre 2013 |
Par Caroline Coq-Chodorge - Mediapart.fr
Faire coexister
dans un même lieu l’hôpital et la médecine de ville, la recherche et les
patients : une équipe de professionnels de santé dessine ce que pourraient être
les nouveaux contours de l'Hôtel-Dieu. Depuis qu'il a pris la tête de l'AP-HP,
Martin Hirsch démine le dossier et auditionne. Discrètement et sans argent.
Des urgences ou
pas, un hôpital ouvert ou fermé, un avenir ou une mascarade ? Le brouillard
flotte toujours autour de l’Hôtel-Dieu. Ce qui devrait nourrir un débat sur
l’accès aux soins à Paris est en réalité un dialogue de sourds, un feuilleton
aux rebondissements difficiles à suivre, dans le contexte des élections
municipales. Résultats : les urgences ont fermé le 4 novembre, sans surprise,
une consultation ouverte 24 heures sur 24 a pris le relais, en catimini, et
quelques personnes travaillent, au secret, à une préfiguration d’un nouvel
Hôtel-Dieu.
C’est de cette situation confuse que vient d’hériter le nouveau directeur
général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch.
Avant lui, Mireille Faugère a payé
ses relations difficiles avec la majorité socialiste à la mairie de Paris, qui
soutient le projet du nouvel Hôtel-Dieu, mais ne veut pas froisser ses alliés
écologistes et communistes, mobilisés contre la fermeture des urgences. Dès sa
nomination, le 13 novembre, Martin Hirsch a largement consulté avant de se
positionner le 5 décembre. Il abandonne « les arrière-pensées
immobilières » du plan de Mireille Faugère : la vente du siège de l’AP-HP –
un joli pâté de maisons en bord de Seine au centre de Paris – et son
déménagement à l’Hôtel-Dieu. Martin Hirsch a fait une autre concession, de
façade, aux défenseurs du service des urgences : le « service porte » est
rouvert. C’est une salle où les patients sont placés en observation ou en
attente d’une hospitalisation. Elle servira peu, car il n’y a plus
d’hospitalisation possible à l’Hôtel-Dieu. Martin Hirsch a en effet confirmé la
poursuite du transfert des derniers services d’hospitalisation dans d’autres
hôpitaux parisiens : médecine interne, oncologie, diabétologie, etc.
L’Hôtel-Dieu est désormais presque vide.
Jean-Christophe Allo, urgentiste, en charge de la nouvelle consultation
ouverte 24 heures sur 24 à l’Hôtel-Dieu. © DR
Restent des
centres de consultations – pour les jeunes, les populations précaires – et à la
place des urgences, une « consultation 24 heures sur 24 ». La différence, de
taille, c'est que les patients se présentent par leurs propres moyens. Les
pompiers, les ambulances et le Samu n’amènent plus d’urgences graves.
L’anesthésiste-réanimateur Jean-Yves Fagon fait la visite. Il est le
responsable médical du nouvel Hôtel-Dieu. C’est un des professeurs qui compte à
l’AP-HP. Nous
avions visité les urgences en juillet, le service était calme, il
l’est encore un peu plus aujourd’hui. Jean-Yves Fagon estime à « une
soixantaine » le nombre de passages par jour, contre une centaine
auparavant. C’est peu, mais il s’en satisfait pour l’instant, car cette
consultation a été mise en place dans un contexte très polémique. « Nous
avons décidé de ne pas communiquer », explique-t-il. Cela sera bientôt
fait, Martin Hirsch l’a annoncé.
S'il n’y a plus de
possibilité d’hospitalisation à l’Hôtel-Dieu, il reste un plateau technique
important : radiologie, laboratoire d’analyse, scanner, IRM, échographie, etc.
Pour répondre à quel niveau d’urgence ? Comment s’articule-t-il avec les
urgences hospitalières et la médecine de ville ? Pour l’urgentiste Gérald
Kierzek, défenseur de l’ancien Hôtel-Dieu, « c’est de la com, des
demi-urgences, c’est dangereux. Cette consultation est vide quand les autres
services d’urgence saturent ». Autre approche, tout aussi critique, du
syndicat de médecins généralistes libéraux MG Paris : « L’accès dérégulé aux
urgences, c’est plus de fric pour l’hôpital, qui ne fait jamais la promotion de
nos maisons médicales de garde, s’énerve sa présidente Agnès Giannotti.
Cette consultation 24 heures sur 24, c’est une désorganisation supplémentaire.
»
La fréquentation
des urgences progresse de 5 % par an en moyenne. À côté de réels cas graves, se
présentent aussi ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas avancer le prix de
la consultation chez les médecins libéraux, ceux qui n’ont pas de médecin
traitant ou s’orientent mal dans le système de soins. Et cela ne peut pas
s’arranger car, côté médecine de ville, la situation se tend aussi. Paris est
pourtant richement doté en médecins. Les généralistes, qui pour la plupart ne
pratiquent pas de dépassements d’honoraires, sont encore nombreux. Mais l’Ordre
des médecins prévoit une diminution de 30 % de leur nombre d’ici 2018.
L'expertise des
malades
La faute à la situation financière fragile des centres de santé – nombre d'entre
eux ont fermé ces dernières années – et au coût de l’immobilier qui freine
l’installation des jeunes. Quant aux médecins spécialistes, leur nombre
progresse, mais le prix de leur consultation aussi. Que choisir a
réalisé l’an dernier une cartographie de la France sans dépassements
d’honoraires : pour l’accès aux spécialistes, Paris est un désert médical.
La carte de la fracture sanitaire du magazine « Que choisir
».
Pour accéder à la
carte, cliquer ici
Pour le repeupler, l’Hôtel-Dieu ambitionne de devenir un « centre de soins
», offrant des consultations de médecine générale et spécialisée, sans
dépassements d’honoraires ni avances de frais. Le projet est encore très ouvert
: « Nous voulons construire une gouvernance partagée, avec les hospitaliers,
les médecins de ville, les universitaires et les usagers », assure
Jean-Yves Fagon.
Thomas Cartier, chargé de mission sur la médecine générale pour le nouvel
Hôtel-Dieu © CCC
Thomas Cartier, jeune médecin généraliste récemment
débauché du gros centre de santé de Gennevilliers, est chargé de piloter le volet
médecine générale. Il fait le tour des centres de santé et des médecins de
ville, pour tenter de les rallier : « C’est la première fois que l’AP-HP
s’ouvre ainsi sur la ville, c’est une révolution culturelle. Mais les
résistances sont fortes. »
Richard Lopez,
président de la Fédération nationale des centres de santé, trouve «
l’approche intéressante », en particulier la réflexion sur une nouvelle
offre de consultations spécialisées : « Aujourd’hui, c’est une galère pour
nos patients, la pratique des dépassements d’honoraires est déraisonnable. »
Alain Beaupin, membre de l’Union syndicale des médecins de centre de santé et
du comité de défense de l’Hôtel-Dieu, qui demande depuis des mois à l’AP-HP
d’abandonner son projet de nouvel Hôtel-Dieu, le reconsidère aujourd’hui : «
Fagon et Lombrail sont prêts à discuter. L’Hôtel-Dieu est une page blanche sur
laquelle il est désormais possible de construire quelque chose de vraiment
nouveau. Il ne faut pas manquer cette occasion. » Agnès Giannotti,
présidente de MG Paris, syndicat qui promeut depuis des années de nouvelles
formes d’exercice de la médecine générale, est de son côté très remontée : «
De la médecine générale d’excellence à l’hôpital ? On rêve ! C’est dans nos
cabinets qu’elle se fait. L’Hôtel-Dieu est en train de saper tous nos efforts.
» Elle n’est pour autant pas totalement fermée au dialogue : « Si on
construit ce projet, on le construit ensemble. On a besoin de l’hôpital, d’un
accès à des consultations spécialisées. »
L’Hôtel-Dieu a une autre ambition encore : devenir un « hôpital
universitaire de santé publique », en lien avec toutes les facultés de médecine
d’Île-de-France. Il servirait de terrain de recherche et de stage pour les
internes en médecine générale. Ce projet viendrait conforter une lente
réhabilitation de cette discipline dans un pays qui a le système de santé le
plus inégalitaire d’Europe : plus de six ans de différence d’espérance de vie entre
un ouvrier et un cadre. Ces inégalités s’expliquent par la faiblesse des «
soins primaires», en France, c’est-à-dire du premier niveau de contact de la
population avec le système de santé.
Thomas Sannié, représentant des usagers à l’AP-HP et membre
de l’équipe de préfiguration du nouvel Hôtel-Dieu © CCC
Un autre volet «
expérimental » du projet du nouvel Hôtel-Dieu est porté par des représentants
des usagers, intégrés à l’équipe de préfiguration, en premier lieu Thomas
Sannié, le président de l’Association française des hémophiles, et représentant
des usagers à l’AP-HP. « Avant, on mourait ou on guérissait d’une maladie,
explique-t-il. C’est terminé. En Île-de-France, 15 personnes sur 100 ont une
maladie chronique. Ils vivent avec leur pathologie, ils travaillent, ils
aiment. » Il veut former à l’Hôtel-Dieu des « patients experts », qui
pourront transmettre leurs connaissances de leur maladie à d’autres patients et
aux professionnels. Aides, l’association de malades du sida, est également
partie prenante : elle veut participer à la construction d’une « offre de
soin potentiellement innovante pour les séropositifs ». « On ne manque pas
d’hôpitaux en France, on a besoin d’une autre approche du soin », poursuit
Thomas Sannié.
À l’intérieur de
l’AP-HP, en déficit de 70 millions d’euros en 2013, c’est le coût de ce projet
qui inquiète. En renonçant à la vente du siège, estimé à 150 millions d’euros,
il s’est privé d’une garantie financière. Le 10 décembre, Martin Hirsch a
expliqué ses choix pour l’Hôtel-Dieu à la commission médicale d’établissement,
qui représente les médecins de l’AP-HP. Son président Loïc Capron raconte : «
Martin Hirsch nous a expliqué qu’il trouverait d’autres sources de revenus, ce
qui nous a fait un peu sourire. Pour l’instant, il n’y a pas de budget pour le
nouvel Hôtel-Dieu. » «
Personnellement », Loïc Capron est « favorable » à ce projet : «
C’est l’occasion de développer un prototype de coopération ville-hôpital. Je
serais très heureux de voir enfin ces deux médecines travailler ensemble. »