Nora ANSELL-SALLES

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mardi 25 février 2025

Nicolas Gomart (Matmut) : « Il est essentiel de renforcer notre activité d'épargne retraite »

Nicolas Gomart, en poste depuis 2015, a officialisé le projet de rachat de HSBC Assurances Vie le 20 décembre. 
La transaction devrait se concrétiser au second semestre 2025.


Ndlr : Félicitations  à  la rédaction de L'Argus de l'assurance  pour cette interview particulièrement complète aux réponses "cash" de Nicolas Gomart. 


L'Argus de l'assurance. À peine un an après le lancement de votre plan stratégique, vous annoncez le projet de rachat de HSBC Assurances Vie. Pourquoi cette acquisition ?

Nicolas Gomart Nous assistons à des évolutions profondes dans le domaine de l'assurance de biens et de responsabilité. Je pense notamment aux questions autour de la mobilité, avec une utilisation de l'automobile potentiellement plus réduite, le développement des véhicules électriques… Le contexte en matière de sinistralité climatique a aussi des impacts sur l'assurance habitation et automobile. La volatilité dans les résultats de l'assurance dommages s'est fortement accrue. Et le désengagement des réassureurs a été une réalité pendant deux ans, même si cela s'améliore. Avec cette acquisition, il nous a donc paru essentiel de renforcer significativement notre activité d'épargne retraite.

Quels avantages présente l'épargne retraite ?

N. G. Cette activité a des cycles différents de ceux de l'assurance IARD. Elle permet de bénéficier de revenus récurrents. De ce fait, nous avions cette volonté stratégique de renforcer notre position sur ce secteur, avec l'objectif à moyen terme d'équilibrer les activités du groupe entre, d'une part, les assurances de personnes et, d'autre part, les assurances de biens. Il se trouve qu'avec cette acquisition, qui doit se faire dans le respect du calendrier de la consultation des instances représentatives du personnel et sous réserve de la validation par les autorités externes compétentes, nous allons atteindre cet objectif. C’est une vraie satisfaction !

La concurrence a-t-elle été vive pour remporter cette affaire ?

N. G. Oui, nous faisions face à une concurrence nombreuse et sérieuse. Nous étions les plus petits parmi les candidats. Nous avons su l’emporter à force d’agilité, de réactivité, que ce soit en termes d’équipes opérationnelles, mais aussi de gouvernance du groupe. J’ai notamment travaillé sur ce sujet en étroite concertation avec Christophe Bourret, le président de la Matmut, avec le soutien unanime du conseil d’administration du groupe.

Le rachat est évalué à 925 M€. Est-ce le rôle d'un acteur mutualiste de procéder à de telles acquisitions ?

N. G. Je ne vois pas ce qui empêche une entité mutualiste de faire ce type d'opération. Je crois que, dès lors qu'il y a une démarche stratégique cohérente, c'est une manière d'assurer la stabilité, la pérennité de l'entreprise, ce qui est forcément positif pour nos sociétaires. Tout comme le fait de pouvoir proposer l'ensemble de la palette des services d'assurance les plus classiques, via notre groupe complet d'assurance. Ainsi, je ne vois pas du tout d'antinomie avec le concept mutualiste. Au contraire, j'ai le sentiment que les idées du mutualisme, avec les différentes opérations récentes, ont tendance à gagner du terrain progressivement, et c'est une bonne chose.

Qu'est-ce qui vous a intéressé chez HSBC Assurances Vie ?

N. G. Déjà, la taille : un peu plus de 20 Md€ de provisions mathématiques. Cela nous positionne d'emblée à un bon niveau, tout en restant à la mesure de notre capacité d'achat. De plus, nous avions un apriori très favorable sur le sérieux de la maison. Quand nous avons regardé de manière très approfondie la société, cette impression de départ nous a été confirmée, avec notamment le grand professionnalisme et l’engagement des équipes en place. Une cible de transaction assez simple, claire. Un grand sérieux, pas de mauvaise surprise à redouter à première vue. Enfin, une capacité de distribution forte avec le CCF, qui s'inscrit dans une durée longue et qui a été reconfirmée à cette occasion.

Il y a quand même un plan social en cours au sein de CCF…

N. G. Regardant cela de l’extérieur et n’étant pas dans le détail des opérations du CCF, je n’ai pas spécialement de commentaire à faire. Vu de l’extérieur, ma perception est que le CCF développe une stratégie très orientée gestion patrimoniale, favorable de facto à l’activité d’assurance-vie, ce qui ne peut que nous encourager.

L’épargne devient refuge dans le secteur. Est-ce une des conséquences du réchauffement climatique qui engendre une tension sur le coût de la sinistralité ?

N. G. Deux phénomènes se conjuguent. Celui que j’ai précédemment cité en effet, ainsi que les taux d’intérêt qui ont remonté, ce qui donne plus d’air à l’activité d’épargne ne serait-ce que sur le fonds euros. Ces deux phénomènes conjugués expliquent l’engouement de certains acteurs IARD pour l’épargne. S’ajoute une grande incertitude globale : politique, économique, et géostratégique. Dès qu’il y a de l’instabilité politique, un manque de visibilité, les flux vers l’assurance vie augmentent. Ce phénomène-là joue également. Nous espérons d’ailleurs qu’il soit davantage conjoncturel que structurel.

Vous vous êtes développés en santé, notamment avec la Mutuelle Ociane Matmut. Comment percevez-vous les différents épisodes de transferts de charges vers les complémentaires santé dans le cadre du PLFSS ?

N. G. C'est une orientation qui ne règle rien, et n'est pas à la hauteur des enjeux. C'est de la matière assurable en plus pour les assureurs santé. Mais ces derniers doivent avoir la latitude d'ajuster leurs tarifs en fonction des coûts supplémentaires induits. Plus globalement, cela pose la question de l'assurabilité et de la capacité de nos concitoyens à continuer de s'assurer pour bénéficier des services d'une mutuelle, notamment dans le cadre du contrat responsable. Plus ce contrat est couvrant, plus il coûte cher. À partir d'une bonne idée initiale, il a été dévoyé au fil du temps. Il couvre trop de choses ne revêtant, pour certaines, que très peu d'aléa, pourtant un fondement du principe d'assurance. L'idée est de retrouver les bases d'un contrat responsable qui permettrait une capacité accrue de nos concitoyens à se couvrir. Pas nécessairement sur la totalité du périmètre actuel, mais au moins d'avoir la possibilité d'accéder à une couverture sur les soins essentiels, avec une fiscalité acceptable. Pour les adhérents de nos mutuelles ne pouvant pas se payer le contrat responsable, la seule solution est d'aller sur des contrats dits «non responsables» soumis à une fiscalité à 20,27 % au lieu de 13,27 %.

La pression des coûts concerne aussi l'assurance habitation et auto. Constatez-vous de plus en plus de non-assurance ou de défaut de paiement ?

N. G. Pour l'instant, nous n'observons pas cette évolution sur nos segments. Le sujet n'est pas prégnant chez nous, mais il peut le devenir. Nous avons un rôle mutualiste et sommes vigilants à la situation de nos sociétaires qui pourraient avoir du mal à s'assurer à tel ou tel endroit. Mais à l'impossible, nul n'est tenu. Dans certaines zones, la notion d'aléa n'existe plus. Elles ne sont donc plus assurables de façon classique. Certaines situations sont passées dans un autre champ que celui de l'assurance. À la Matmut, nous sommes volontaires pour trouver collectivement des solutions permettant de maintenir une offre d'assurance pour les zones les plus exposées. Selon nous, ces solutions doivent privilégier l'incitation plutôt que la contrainte. Nous sommes attachés à la liberté d'entreprendre et à la liberté des prix.

Comment faire face à ce risque d'inassurabilité ?

N. G. Avec le concours de toutes les parties prenantes, d'autres mécanismes doivent permettre d'arriver à une solution. Des mécanismes assurantiels, avec l'évolution du régime cat'nat' et notamment la modulation de la quote-part de la CCR (Caisse centrale de réassurance) en fonction des zones. Le mouvement mutualiste y est plutôt favorable.

Mais les tarifs, l'assurance, ne représentent qu'une partie du sujet. Il y a beaucoup d'autres aspects : la prévention - qui est naturellement essentielle -, l'implication du secteur de la construction, des collectivités locales, le rôle des assurés eux-mêmes et de l'État, avec le fonds Barnier, notamment, sans oublier l'investissement sur le long terme pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il faut aussi que la loi Elan évolue. Elle a prévu des normes pour limiter les conséquences de la sécheresse, mais elles sont insuffisamment efficaces pour lutter contre les problématiques de retrait-gonflement des sols argileux (RGA).

Êtes-vous confiant en l'avenir ?

N. G. Je suis assez optimiste. Cela prendra du temps, mais nous y arriverons si l'ensemble des acteurs jouent leur partition. Les choses vont plutôt dans le bon sens. La diversité autour de la table du conseil exécutif de France Assureurs, par exemple, est assez remarquable. Pourtant, nous avons réussi à trouver un modus operandi qui fait consensus. Je vois aussi que nos concitoyens prennent des mesures eux-mêmes pour limiter les dégâts chez eux. Le même niveau d'intensité de sinistre climatique a aujourd'hui moins d'impact sur notre portefeuille qu'il en avait il y a dix ans.

L'instabilité politique, avec la censure du gouvernement et des changements incessants d'interlocuteurs, vous inquiète-t-elle ?

N. G. Je suis assez préoccupé par le contexte. Indéniablement, la grande instabilité politique nationale traduit quelque chose de la société française. C'est une réalité dont il faudra sortir. C'est un élément d'incertitude, de risque. Et cela peut durer, malheureusement.

Comment percevez-vous la situation internationale ?

N. G. Sur l'aspect géostratégique, je suis assez volontariste dans les investissements que peut faire le groupe en matière de défense. Je considère qu'exclure certaines entreprises de la défense des critères ESG est une folie. Il y a des types d'arme qu'il faut bannir, bien sûr mais, globalement je pense que le secteur de la défense est un élément de durabilité.

Quelle est l'action de la Matmut en la matière ?

N. G. Les pays européens, et la France en particulier, doivent absolument se doter d'une défense solide, à la mesure des enjeux d'aujourd'hui. Je suis heureux que la Matmut contribue par ses investissements, et à la mesure de ses moyens, à cet effort en tant qu'investisseur institutionnel. Et j'invite les sociétés de gestion - certaines le font déjà -, à proposer des placements dans le domaine. Nous allons par ailleurs annoncer prochainement un partenariat avec la Garde nationale. L'environnement est incertain, mais cela ne doit surtout pas nous empêcher d'avancer, de construire, de réagir et de faire du mieux possible pour contribuer à désamorcer les raisons de l'instabilité, via l'ensemble de notre politique RSE en faveur de l'inclusion, et plus généralement du bien commun, mais également par diverses actions de financement.

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🔎Zoom  sur le parcours de Nicolas  Gomart :
Diplômé de l'Essec et du Centre des hautes études d'assurances, Nicolas Gomart, 60 ans, a démarré sa carrière dans la finance, avant de rejoindre en 2012 la Matmut. Il en est devenu directeur général en 2015.