ET SI ON ARRÊTAIT DE
VACCINER !
François
BRICAIRE
Chef du service Maladies infectieuses et
tropicales Hôpital
Pitié-Salpêtrière - Paris
Membre
de l'Académie nationale de médecine
|
Sous
divers prétextes la vaccination se voit contestée notamment en France, et ce de
façon croissante. Ceci constitue un réel problème de santé publique. Le doute
qui s’installe dans la population devient source de risque potentiel grave dans
la lutte contre les maladies infectieuses. Or, plus on tente de combattre ce
phénomène plus les anti-vaccinaux réagissent aidés en cela par les moyens
modernes de communication. Aussi, dans un pays où le plaisir de contester
l’action publique est grand, pourquoi ne pas réagir de façon provocante sur le
même registre et poser la question d’un arrêt de vacciner pour en montrer les
conséquences et ainsi tenter de sensibiliser les citoyens pour les mettre en
face de leurs responsabilités vis-à-vis de l’ensemble de la population quant
aux vaccinations.
Depuis plusieurs années déjà, la
tendance à contester le bien-fondé de la vaccination ne fait que s’accentuer.
Certes, les imperfections qui ont pu exister en 2009 lors de la campagne de
vaccination contre la grippe pandémique AH1N1 a conforté les anti-vaccinaux,
mais, cette tendance à vouloir combattre l’intérêt des vaccins existait déjà
auparavant.
Répandus dans un certain nombre
de pays les mouvements et associations anti-vaccinales s’expriment fortement(1) en France, mais
également aux Etats-Unis, beaucoup moins dans des régions comme l’Europe du
Nord. Les anti-vaccinaux représentent un danger majeur pour la santé publique
dans la mesure où ils sèment le doute parmi les vaccinés et plus encore parmi
les indécis. Or, pour ne représenter que 2% environ de la population, ils
disposent de moyens suffisamment importants pour se faire largement
entendre ! Un certain nombre de médecins, notamment, participe à ce
courant d’opinion(2),
transmettant ainsi leurs propres doutes à leurs patients, et de plus en plus
d'universitaires(3) se
joignent à ce concert de protestataires, ce qui explique en grande partie les
réticences ou les refus de vaccinations dans la population française avec
toutes ses conséquences(4).
Sur Internet et les réseaux
sociaux circulent sans le moindre contrôle des « informations » et et
autres rumeurs qui se propagent d'autant plus vite qu'elles alimentent la
contestation. Sur la base
d'arguments le plus souvent gratuits, sinon de mauvaise foi, non
scientifiquement démontrés ou vérifiés, les anti-vaccinaux jouent d'autant plus
facilement sur le registre de l'émotion et de la peur que la vaccination, sujet
de tous temps sensible, apparaît souvent dans l'opinion comme complexe et donc
suspect... On en arrive ainsi à ce paradoxe que, plus forte est la réaction de
ceux qui croient aux vaccinations, plus la polémique rebondit, enfle et
bénéficie aux anti-vaccinaux, au détriment de la santé publique !
Par exemple :
-
Le
déclin des maladies infectieuses ne serait pas dû aux vaccins, mais à
l’hygiène ; il est donc inutile de vacciner contre des
maladies que l’on ne voit plus et que les épidémies ont disparu ; mieux
vaut faire une maladie assurant une immunisation naturelle plutôt que de
recourir à des injections de produits potentiellement toxiques. Laissons faire
la nature(5) ! C’est
pourtant bien grâce aux vaccins que ces terribles épidémies et certaines de ces
maladies ont régressé et ne sont parfois plus observées en France (tétanos, diphtérie).
Mais, les germes qui en étaient responsables sont toujours présents dans notre
environnement(6), il ne
faudrait pas l'oublier, car ils peuvent réapparaître très rapidement si la
protection de la population n'est plus assurée...par les vaccins !
- La
vaccination serait une atteinte au respect de la liberté individuelle (7) : « mon corps m’appartient, personne ne
peut exiger que je me protège contre telle ou telle infection », et le
principe même d'une obligation vaccinale est devenu pour certains
intolérable... C’est oublier que la
vaccination est certes un geste individuel de protection mais aussi et surtout
une action collective permettant d’assurer la protection de toute une
population. L’obligation vaccinale est aujourd’hui discutée et décriée en
France parce que, à la différence de ce qui se passe dans les pays du nord de
l'Europe, qu'on nous cite en exemple, on considère chez nous qu’une vaccination
« recommandée » serait donc facultative et qu'un calendrier vaccinal
est toujours trop compliqué tout simplement parce qu'il est contraignant8-9)... C'est pourquoi il
suffirait peut-être de parler, par
exemple, de vaccin « indispensable » pour rendre la vaccination plus
acceptable et plus incitative.
-
enfin
– et ce n'est pas le moindre des arguments des anti-vaccinaux –, les vaccins seraient
d'abord une manne pour une industrie pharmaceutique avide et égoïste contre
laquelle il faut mener un combat sans relâche, et les scientifiques et autres
experts dans ce domaines seraient forcément corrompus et discrédités par leurs
conflits d’intérêts.
Mais, c'est à cette même industrie, qui produirait des vaccins pour surcharger
notre système immunitaire avec des adjuvants ou des conservateurs toxiques et
pour provoquer impunément des effets indésirables graves pour une efficacité
incertaine, qu'on en appelle pour rechercher une protection (vaccinale) en cas
d'épidémie (Ebola) ou de maladie encore incurable (sida, cancer...)
Suffirait-il
donc, pour inverser la tendance, de flatter cet esprit individualiste bien
français qui l’emporte sur l’intérêt collectif, et d'aller dans le sens de
l’esprit de contestation et de contradiction qui l’emporte toujours chez nous
sur le bon sens et la raison(10) ?
Les cavaliers
savent que pour arrêter un cheval emballé, s'il ne suffit pas de tirer
normalement sur les rennes, il est une autre méthode, plus risquée et
apparemment paradoxale, mais qui peut réussir : enfoncer les deux éperons
dans le ventre de son cheval qui, ne comprenant plus qu’on exige qu’il accélère
d’avantage, s’arrête !... Eh bien oui, arrêtons de vacciner et
voyons-en les conséquences. Puisque vous ne voulez pas du vaccin ; essayez
la maladie .
Que donnerait
l'abstention vaccinale ?
Est-il besoin de
rappeler que la vaccination antivariolique a fait disparaître le virus de la
surface du globe, que la diphtérie a régressé complètement partout où la
vaccination a été introduite et respectée, que la poliomyélite n'était qu'un
mauvais souvenir dans toutes les régions du monde où des campagnes
internationales de vaccination étaient conduites, que la rougeole devait être
éliminée ?... Jusqu’à ce que la vaccination contre la polio soit
violemment interrompue, jusqu'à ce la rougeole refasse son apparition en force,
jusqu'à ce que le tétanos et la diphtérie, qu'on croyait éradiqués, fasse
ressurgir en Europe le spectre des grandes épidémies...
-
N'oublions
jamais l’apport considérable(11)
des vaccins à la Santé Publique en France comme dans le monde. On estime à environ 3 millions le
nombre de vies sauvées chaque année grâce aux vaccins et, a contrario,
le nombre de personnes qui décèdent dans le monde faute de pouvoir recevoir des
vaccins existants. L’analyse de la mortalité entre les années 50 et la fin du
XXe siècle montre très clairement une disparition des cas de diphtérie en
France, une baisse des décès par tétanos de 20-50 à 0,25 par million
d’habitants, une disparition de la poliomyélite, une régression des décès de
coqueluche de 20-50 à 0,1 cas par million d’habitants. Ces chiffres objectifs
sont dus ou ont pour corollaire une efficacité des vaccins contre ces
infections tout à fait majeures. En France toujours, 2500 décès par grippe sont
évités chaque année grâce à la vaccination. A contrario, l’OMS déclare
que 5 millions d'enfants de moins de cinq ans décèdent et surtout survivent
avec des séquelles de maladies infectieuses dans le monde par absence d’accès à
la vaccination. On estime à 30 000 le nombre de décès annuel faute de
vaccination anti-fièvre jaune dans le monde. Qu'elles qu'en aient été les raisons,
partout dans le monde, un arrêt ou un relâchement de la protection vaccinale a
toujours été suivi de reprise de cas. On peut imaginer pour chaque maladie
donc le scénario suivant :
A
– Diphtérie
Le cas de l’URSS
en 1994 est emblématique(12).
Pour des raisons économiques, l’arrêt de la vaccination antidiphtérique s’y est
soldé par 47 000 cas et 2500 décès en 5 ans(13). Mais, l’insuffisance vaccinale contre cette
maladie a aussi provoqué une recrudescence de la maladies ailleurs dans le
monde(14) /
Équateur : plus de 500 cas en
1994 : Indonésie : 600 cas en
1995 ; Nigéria : 6000 cas en 1996 ; Inde : 2500 cas la même
année. Le cas d’un enfant espagnol décédé en 2015 non vacciné sur les
conseils d’une association anti-vaccinale a encore relancé la polémique anti-vaccinale(15).
B
– Tétanos(16)
De nombreux cas
sont malheureusement à déplorer chaque année dans plusieurs pays en
développement faute d'une couverture vaccinale suffisante. En France, les rares
cas encore observés résultent toujours d'un défaut de vaccination. Le cas
d’un enfant de Tours hospitalisé en réanimation en 2015 était dû à une non
vaccination volontaire appuyée vraisemblablement par un faux certificat médical
attestant d’une vaccination antitétanique(17).
C
– Coqueluche(18)
Chaque relâchement
dans la vaccination s’est suivi d’une reprise de la maladie en Grande-Bretagne
en 1974, au Japon en 1979 avec 13 000 cas et 41 décès et aux USA, en
Californie, en 2015, où les associations anti-vaccinales sont particulièrement
puissantes. Ce n’est que grâce à un soutien indéfectible à la vaccination
anticoquelucheuse que la France a été épargnée.
D
– Poliomyélite
Les pays, comme la
France et les USA, qui ont maintenu une protection de qualité contre cette
infection, ne constatent plus de cas. C'est un constat on ne peut plus
clair...Le refus de vacciner d’une secte au Pays-Bas s’est soldé en 1992 par 67
cas(19). Surtout,
l’éradication de la maladie était possible mais l’OMS, qui l'avait annoncée
pour le début des années 2000, a dû malheureusement être repoussée à 2020,
voire plus tard, à cause de campagnes
anti-vaccinales menées pour des motifs « religieux » au Nigéria, au
Yémen, en Afghanistan, au Pakistan…
E
– Rougeole
Le meilleur
exemple, sans doute, des conséquences, attendues, prévisibles et annoncées d’un
risque épidémique par insuffisance de couverture vaccinale. Pour ne s’en tenir
qu’à l’Europe, la France à insuffisamment assuré sa couverture vaccinale. Pour
avoir une protection suffisante, on sait qu’une couverture de la population
doit être au moins de 95%. C’est dans le Sud-Est que la couverture a été la
plus faible et c'est là que l’épidémie de rougeole a été la plus forte, depuis
2008, avec un pic en 2011 (20).
Plus de 2000 cas ont ainsi été recensés en France devant l’Espagne, autre
mauvais élève de l’Europe.
F
– Hépatite B(21)
Les campagnes
virulentes conduites contre le vaccin hépatite B sur la base de risques
post-vaccinaux hypothétiques de démyélinisation, dont la corrélation n’a pas
jamais été démontrée scientifiquement, se sont soldés par une baisse drastique
de la protection de la population française (29%) en 2004, plaçant de ce fait
la France au dernier rang en Europe de la couverture contre cette infection. Mais, force sera de constater les conséquences
sévères de cette carence : cirrhoses, hépatocarcinomes.
G
– Infection à Papillomavirus
Comme pour
l’hépatite B, la même campagne anti-vaccinale jouant sur la crainte de
réactions auto-immunitaires a été menée. Or, ici encore, les travaux récents
ont clairement démontré l’absence de toute corrélation entre vaccination et
maladies auto-immunes(22),
et, si la protection vaccinale contre le cancer du col a été démontrée, la
faible protection assurée aujourd’hui en France ne pourra malheureusement que
favoriser le nombre de cancers du col chez
la femme jeune(23).
H
– Pneumocoque
La baisse
significative des cas d’infection à pneumocoques depuis l’utilisation du
Prevenar démontre l’efficacité de la protection des populations fragiles
vis-à-vis des infections sévères à ce germe(24).
I
– Grippe
De même, l’analyse
des courbes de mortalité chez les personnes âgées, cible numéro1 de la
vaccination antigrippale annuelle, montre clairement que la réduction du nombre
de décès est directement liée à l'amélioration de la couverture vaccinale(25).
On pourrait
poursuivre cette démonstration en évoquant les succès de la vaccination contre
la Méningite à Haemophilus influenzae, la rubéole et les vaccinations dite des
voyageurs…
En
conclusion, Il
est impératif de rappeler qu’au-delà de la protection individuelle essentielle,
la vaccination est un test de protection collective, une action civique.
L’appréciation en matière de bénéfice/risque est à l’évidence en faveur des
vaccins pour toutes les maladies infectieuses, dont la sévérité en termes de
mortalité ou de séquelles, est élevée, et
pour lesquelles la circulation de l’agent infectieux demeure, et ce de
manière importante(6).
Dès lors, que ceux qui veulent s'obstiner dans la négation des faits, surtout
scientifiques, refuser les progrès sanitaires universellement reconnus, rejeter
ce que les pays qui ne les possèdent pas aimeraient tant obtenir, ne pas obéir
à la loi, bref régresser, le fassent en connaissance de cause … et en
prenant leurs responsabilités d'individu, de parent et de citoyen !
Références
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Textes de l'ensemble des interventions
Président de l’académie nationale de médecine
Discours de Mme Marisol Touraine, le 2 février 2016
Madame Marisol
Touraine ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des
femmes a ouvert la séance thématique consacrée aux vaccinations, le
mardi 2 février. Dans son allocution, elle a clairement indiqué son
désir de mettre en place en 2016 une série d’actions dont on attend une
amélioration de la couverture vaccinale en France.
Accueil de Madame Marisol Touraine, ministre de la santé
Madame la Ministre,
Votre venue en ce jour dans notre
Académie porte un symbole fort et nous honore. L’Académie de médecine
fut instituée en 1820 « pour répondre aux demandes du gouvernement sur
tout ce qui intéresse la santé publique et s’occuper de tous les objets
d’étude et de recherche qui peuvent contribuer aux progrès des
différentes branches de l’art de guérir ». Ces termes qui nous
définissent et qui sont repris dans nos récents statuts de 2013
expliquent l’importance de votre présence aujourd’hui en cette enceinte.
Mais le symbole se renforce encore par le thème de cette séance et
celui de votre action : la vaccination. Vous avez résolument porté cette
question au niveau national et vous voici dans cette académie dont une
des missions historiques est la vaccination. Que de moments importants
se déroulèrent ici, depuis la vaccination antivariolique pratiquée
longtemps en ces lieux jusqu’aux discussions sur le vaccin BCG ou sur la
vaccination antipoliomyélitique, sous cette coupole.
C’est avec un grand intérêt et avec
plaisir, Madame, que mes confrères et moi nous vous accueillons et que
nous sommes à l’écoute de vos propos.
Pierre BéguéPrésident de l’académie nationale de médecine
Et si l'on arrêtait de vacciner! Intervention Pr
François Bricaire
L’hésitation vaccinale: une perspective
psychosociologique Intervention Jocelyn RAUDE*
LES ADJUVANTS VACCINAUX Rapport, 26 juin 2012
Pierre Bégué, Marc Girard, Hervé Bazin,
Jean-François Bach. Commission VII (maladies infectieuses et médecine
tropicale)
PHARMACOVIGILANCE DES VACCINS EN FRANCE
Intervention Jean-Louis MONTASTRUC Chef du service de pharmacologie médicale et
clinique du CHU de Toulouse
Estimation de l’impact épidémiologiquedes niveaux
de couverture vaccinale insuffisants en France Intervention Daniel Lévy-Bruhl Institut de Veille
sanitaire
NDLR : MGEFI ET VACCIN |
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