Nora ANSELL-SALLES

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vendredi 19 octobre 2012

Lettre ouverte des trois praticiens hospitaliers du service de médecine interne de Saint-Antoine qui démissionnent de l'AP-HP


 

 

Lettre ouverte à la directrice générale de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris des trois praticiens hospitaliers du service de médecine interne de l’hôpital Saint-Antoine ayant décidé de démissionner de leurs fonctions et de quitter l’AP-HP.

 

 Il suffit de se rendre dans leur service pour comprendre : il est dans un état de vétusté inadmissible.

 

Les causes de cette démission collective sont multiples et bien expliquées dans cette lettre. C’est un exemple supplémentaire des dysfonctionnements qui touchent notre institution depuis trop longtemps et des conséquences qui en résultent pour les patients et les soignants.

 

 

Lettre ouverte à madame Mireille Faugère, directrice générale de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris

Madame la directrice générale,

 

Suite à la constatation subie sans accord de notre part, du relais médiatique donné à notre démission de l’hôpital Saint Antoine, hôpital de l’Assistance Publique- hôpitaux de Paris, nous ressentons l’obligation de vous en exprimer publiquement les raisons, espérant que notre attitude pourrait permettre de réfléchir à des modifications qui nous apparaissent comme salutaires et indispensables dans le mode de fonctionnement actuel de l’hôpital public.

 

Nous sommes trois praticiens hospitaliers dans le service de Médecine Interne de l'Hôpital Saint-Antoine, ayant toujours exercé au sein de l’hôpital public auquel nous avons toujours été très attachés et que nous n'avons jamais quitté depuis le début de notre internat il y a plus de 20 ans. Nous exerçons dans des conditions difficiles que les restrictions budgétaires liées au déficit financier chronique et les décisions prises sans concertation n’ont fait qu’accentuer.

Nous travaillons au quotidien en Médecine Interne, médecine globalisante s’intéressant au malade dans son intégralité à l’heure de l’hyperspécialisation nécessaire par ailleurs pour faire face aux progrès médicaux. Aussi nous nous sommes attachés à développer une médecine de proximité privilégiant les relations directes avec les médecins de ville auxquels nous essayons d'apporter notre expertise et, de par notre spécialité, nous recevons en priorité des malades des Urgences toutes pathologies confondues.  Mais ce projet de service public hospitalier s'est heurté à de nombreuses difficultés, en particulier deux majeures, qui n'ont pas trouvé de solution en dépit des nombreuses alertes que nous avons exprimées tout au long des années au travers de la voie hiérarchique habituelle.

 

1) Augmentation de l'activité et dérive de notre prise en charge du médical vers le social exclusif sans moyens adéquats

 

Nous sommes, de par la polyvalence de notre spécialité, en première ligne, en aval des Urgences pour l'accueil des patients ayant une polypathologie, une maladie rare ou ceux pour lesquels un diagnostic difficile doit être posé. Au cours des dernières années, nous avons vu changer le profil des patients qui nous étaient adressés, dans un contexte de pression croissante sur notre service corollaire de l'augmentation progressive et continue de l'activité et d'une exigence de rentabilité. Ainsi nous accueillons de plus en plus de personnes relevant presque exclusivement d'une prise en charge sociale ou sociétale, auxquelles nous avons le sentiment d'avoir bien peu de choses à apporter avec pour résultat une démotivation grandissante. Notre activité quotidienne se bornant alors à effectuer des heures durant avec le service social, les démarches nécessaires pour les diriger sur une autre structure bien loin de notre cœur de métier à tous dans le service. Inutile de préciser que cette augmentation de l'activité n'a pas été accompagnée d'une augmentation des moyens humains et matériels qui nous aurait permis de faire face tout en continuant à réaliser le projet auquel notre vocation nous destinait.

 

2) Des locaux inadaptés et vétustes

 

Nous exerçons dans le plus ancien des bâtiments de l'hôpital. Le chauffage est souvent défaillant ou excessif. Les dégâts sont fréquents lorsque les intempéries sont de la partie et que la pluie traverse notre toiture. Les ascenseurs sont fréquemment en panne. La ventilation (VMC) est inadaptée et les désodorisants sont une arme dérisoire face à l'inconfort résultant de cette situation. Nous disposons d’une douche pour 12 lits dans un couloir sordide et 2 douches pour 36 lits dans un couloir où seule l’intervention du CHSCT a permis de cimenter quelques-uns des nombreux et périlleux trous du linoléum alors que ce dernier méritait purement et simplement d’être changé depuis 10 ans. Le bricolage n'a pas tenu et les mêmes trous sont réapparus depuis....

 

C'est ainsi que semble se constituer un véritable cercle vicieux entre la vétusté et l'inadéquation des locaux toujours croissantes et une réduction de notre champ d'intervention à la prise en charge des patients qui n'ont pas d'autre choix, ceux qui sont les plus fragiles ou dépendants pour lesquels le véritable motif d'hospitalisation est essentiellement social, au prétexte de raisons médicales secondaires voire inexistantes. L'accueil d'un plus grand nombre de patients des Urgences ayant des troubles cognitifs, agités, incontinents ou en fin de vie, ainsi que les procédures d'isolement, progrès notable vis-à vis du risque nosocomial, requièrent de disposer de plus en plus de chambres seules en nombre insuffisant dans notre service (16 sur 48 lits). Bien que les conditions d’accueil de notre service se soient dégradées d’année en année, nous avons toujours accompli avec les membres de l’équipe paramédicale les soins sans discrimination à l’ensemble de la population. Hiver comme été depuis plusieurs années, le maintien de la totalité des lits du service ouverts pour l’aval des Urgences ne fait qu’accélérer la dégradation des locaux occupés qui ne peuvent être jamais lessivés de ce fait. Notre service, abandonné à ce cercle vicieux de dégradation inéluctable, est devenu un tel repoussoir que l’ensemble de l’équipe médicale et paramédicale a honte des conditions d’accueil que nous proposons. Depuis ces deux dernières années, il arrive régulièrement que des malades refusent l'hospitalisation après avoir vu nos locaux. Il arrive également que des malades ayant accepté l'hospitalisation demandent la sortie après plusieurs nuits sans sommeil, ayant partagé la chambre avec l'un de ces patients que nous n'avions pu isoler faute de chambre seule adéquate. Il est également arrivé que certains de nos correspondants de ville se soient excusés d'avoir eu à adresser des malades dans d’autres structures d’hospitalisation, au même motif.  Des travaux que nous demandons depuis des années seraient enfin entrepris ? Nous en sommes heureux mais le projet semble encore une fois bien modeste au regard de la situation.  Et sa mise en œuvre est déjà sacrifiée sur l'autel de la sacro-sainte « activité » : au prétexte qu’on ne peut pas fermer des chambres pour créer des douches, où qu'il est impossible de fermer un secteur le temps d'y réaliser les travaux.

 

Nous comprenons parfaitement les difficultés que traverse l'Assistance Publique ainsi que les contraintes auxquelles elle est soumise pour répondre à la demande de la population. Les moyens sont donc faibles mais leur allocation ne semble pas reposer assez sur les besoins des patients ou répondre à un réel souci d'efficacité. Le regroupement pyramidal de nos services en pôles puis de nos hôpitaux en Groupes Hospitaliers, ont multiplié les degrés décisionnels si bien que le rôle de nos interlocuteurs directs, chef de service et chef de pôle, semble de plus en plus se limiter à la seule transmission des doléances assortie d'un aveu d'impuissance sans capacité opérative à mettre en œuvre des solutions. Plutôt que prendre en considération les besoins réels des malades, l'habileté à naviguer dans les méandres de cette gouvernance serait-elle le principal déterminant de l'arbitrage des budgets ? Au vu de la situation vécue dans  notre service, nous avons le sentiment que la politique mise en œuvre a déjà pour effet une différentiation des conditions de prise en charge pour certains malades parmi l’ensemble des patients accueillis au sein d'un même hôpital.

 

Nous estimons que les conditions minimales ne sont plus réunies pour que nous puissions continuer à prendre en charge nos patients, tous, sans discrimination, dans la dignité.  Nous fondons néanmoins l'espoir que ce courrier puisse témoigner en faveur de ceux parmi nos collègues qui resteront dans le bâtiment de l'Horloge afin qu'ils puissent enfin bénéficier d'un renouveau légitime.

 

Veuillez agréer Madame l'expression de nos sentiments respectueux.

 

 

Adrien Kettaneh        Kiet Phong Tiev         Cécile Tolédano