|
Alerte : la santé générale des séniors doit passer par leur santé bucco-dentaire ! |
D’après un entretien avec le Professeur Claire Lassauzay – Professeur en prothèses,
UFR d’odontologie, Université de Nice Sophia Antipolis
Près de 11 millions de Français ont plus de 65 ans aujourd’hui ; ils seront 25 millions en 2050.
Si vieillir n’est pas une maladie, avec l’avancée en âge, l’état bucco-dentaire peut se détériorer :
apparition de maladies parodontales, édentation partielle ou totale, risque accru de caries,
assèchement de la bouche (souvent lié à la consommation de certains médicaments)…
Chez les plus de 65 ans, les conséquences des pathologies liées au vieillissement bucco-dentaire sont
multiples : dénutrition, isolement, perte de l’estime de soi, aggravation de la dépendance...
Pour accompagner dans les meilleures conditions les plus de 65 ans, le chirurgien-dentiste a donc un
rôle capital à jouer : la santé bucco-dentaire est en effet essentielle au bien-être et à la dignité des
personnes âgées. Elle est un facteur majeur de qualité de vie, un déterminant de la capacité à se
nourrir et du lien social (sourire, rire, parler).
Une demande grandissante en soins bucco-dentaires
Le nombre de personnes âgées est en constante augmentation dans les pays industrialisés et, d’ici
2050, l’effectif de sujets de plus de 65 ans aura triplé pour dépasser les 35% de la population. La
proportion de personnes âgées ayant recours aux soins dentaires est de ce fait grandissante. Ainsi,
les protocoles de soins doivent être adaptés à cette population. Ils seront également plus complexes
pour cette tranche d’âge. L’exercice de la profession de chirurgien-dentiste doit tenir compte de
cette évolution.
Les manifestations du vieillissement dentaire
Le vieillissement physiologique dentaire concerne l’ensemble des tissus constituant les dents :
l’émail, la dentine, la pulpe (tissu situé dans la racine dentaire) et le cément (tissu recouvrant la
racine de la dent).
Au niveau de l’émail, bien qu’on observe une diminution de la sensibilité à la carie, des fêlures ou
une usure favorisent le dépôt de bactéries cariogènes. De même la pulpe présente une fibrose et un
rétrécissement de la cavité pulpaire. Enfin, le déchaussement des dents expose les racines dentaires
et donc le cément aux caries.
Au-delà du vieillissement physiologique des dents elles-mêmes, de nombreux autres facteurs entrent
en jeu dans la détérioration de la bonne santé bucco-dentaire des personnes âgées : une
alimentation plus riche en sucres, de consistance molle et adhérant à la dent ; un
hypofonctionnement des glandes salivaires consécutif à la présence de maladies systémiques
(diabète, maladie d’Alzheimer), à des désordres immunologiques ou encore aux effets secondaires
des traitements médicamenteux ; un brossage moins efficace… La difficulté d’accès aux soins buccodentaires
est également un facteur aggravant du phénomène à prendre en compte.
Le vieillissement au niveau buccal se traduit par diverses manifestations : augmentation de la
saturation de la couleur des dents par amincissement de l‘émail et épaississement de la dentine,
récession gingivale, usure de l’émail modifiant la morphologie initiale de la dent. De plus, lorsque le
vieillissement est accompagné de pathologies générales, il est courant d’observer une diminution du
flux salivaire entraînant des sensations de brûlures, l’apparition d’une pathologie parodontale
pouvant entraîner des douleurs à la mastication et pendant les gestes d’hygiène, et de lésions
carieuses pouvant conduire à la perte des dents, du goût et du plaisir de manger, la peur de sourire,
d’avoir une mauvaise haleine…
Maintenir une bonne santé bucco-dentaire apparaît donc essentiel pour préserver la santé générale
et la dignité des personnes âgées plus sensibles aux pathologies infectieuses du parodonte et de la
muqueuse buccale. Leurs suivi bucco-dentaire doit être effectué plus fréquemment.
La conservation d’un nombre minimum de 20 dents semble nécessaire au maintien d’une
fonction masticatoire correcte et d’une bonne nutrition. Cependant chez le sujet âgé, ce nombre est
rarement atteint. Chez les personnes présentant un état dentaire défectueux, on observe un risque
de malnutrition, des déficits en fer, en vitamine A, vitamine C, acide folique, protéines ainsi qu’un
risque accru de morbidité et mortalité.
Des traitements bucco-dentaires au cas par cas
Il y a autant de différence entre une personne de 65 ans et une de 90 ans, qu'entre un ado de 15 ans
et un adulte de 40 ! Pour une prise en charge bucco-dentaire optimale, il est donc nécessaire
d'évaluer le vieillissement au cas par cas :
Pour les patients âgés « en forme » (vieillissement réussi), les différents types de
réhabilitations prothétiques sont possibles : la prothèse fixée, les attachements, l'implantologie, le
tout-céramique,…
Cependant, celles-ci doivent être envisagées en fonction des possibilités de ré-intervention au cours
du temps et du projet de vie du patient.
Pour des personnes plus fragiles (gériatriques) qui souhaitent être « à l’aise/confortables
au niveau buccal », des traitements limitant le nombre de séances ou les phases chirurgicales
pourront être retenus : couronnes, prothèse amovible, mini implants...
La perte de l'autonomie, les modifications physiologiques et les troubles d'adaptation liés au
vieillissement diminuent les possibilités de réhabilitation esthétique. Dans ce cadre, la prothèse
adjointe partielle (PAP) est toujours une alternative thérapeutique intéressante. Cependant, certains
des éléments prothétiques sont parfois visibles, ce qui est un frein à l'obtention d'un résultat
esthétique. Il est certes possible, par des modifications de conception, d'améliorer l'intégration
esthétique de la prothèse. Les progrès des biomatériaux (dents prothétiques), un choix optimum de
la forme, de la couleur, associés à des réalisations prothétiques fixées comportant des systèmes de
rétention (attachements remplaçant les crochets), sont également des facteurs prédictifs d'un succès
esthétique.
Dans tous les cas la maintenance bucco-dentaire garantira le plus longtemps possible la sante buccodento-
prothétique des patients.
Le groupe « des aînés » est hétérogène et chaque personne le constituant est un cas particulier qu’il
conviendra de traiter et de prendre en charge différemment. En conséquence, les soins dentaires et
les réhabilitations doivent être intégrés dans le plan de traitement global des patients âgés, avec une
concertation entre les équipes soignantes médicales, toutes les disciplines de l’odontologie et les
aidants de la personne.
Il est nécessaire de souligner l'importance capitale de la remise en état fonctionnel et esthétique de
la cavité buccale avant les prémices de la dépendance : il est primordial de motiver les patients à se
préparer à leur avancée en âge en bonne santé.
A noter : l’équilibre nutritionnel est un élément majeur du vieillissement réussi.
Dès 70 ans une dénutrition protéino-énergétique peut apparaitre et sa prévalence augmente avec
l’âge. Les soins bucco-dentaires peuvent se révéler invasifs ou mutilants et modifier provisoirement
les prises alimentaires induisant un risque de déséquilibre nutritionnel. Même si l’objectif des soins
est la réhabilitation des fonctions perdues (mastication, phonation, esthétique), ils sont réalisés chez
des patients présentant une vulnérabilité : la période des soins, par l’inconfort qu’elle engendre,
peut induire une perte de poids. Il est donc indispensable de mettre en place des actions au niveau
nutritionnel (adaptation des menus et des textures, augmentation de la ration) et inciter le patient à
faire une activité physique régulière afin de limiter cette perte de poids.
Les troubles bucco-dentaires sont largement impliqués dans la dénutrition chez les personnes âgées,
de même que les traitements médicamenteux responsables de sécheresse buccale, de dysgueusie
(altération du goût), de dysphagie (sensation de gêne ou de blocage ressentie lors du passage
des aliments dans la bouche) et de douleurs mettant le chirurgien-dentiste au coeur de cette
problématique.
La prise en charge du patient âgé doit prévenir ce risque à travers :
- des conseils de nutrition et d'hydratation
- des solutions thérapeutiques permettant le maintien des conditions de mastication, l’adaptation
de prothèses usées instables, l’équilibration de l’occlusion des dents, l’éradication des causes
douloureuses et l’évitement du préjudice esthétique
- la réalisation de prothèses de temporisation ou transitoires adaptées et confortables
- le maintien ou la restauration de la fonction masticatoire en compensant les édentements
Le chirurgien-dentiste réhabilite un « outil » de mastication favorisant : goût, appétit et plaisir de
s'alimenter pour maintenir la qualité de vie et la vie de nos ainés.
Les avancées technologiques pour des soins plus confortables
Les réhabilitations orales des sujets âgés doivent concilier confort, fonctionnalité et esthétique.
Depuis quelques années, la Conception Fabrication Assistée par Ordinateur (CFAO) offre des
perspectives intéressantes. Celle-ci permet de faire des simulations de réhabilitations fonctionnelles
guidant le praticien dans l’élaboration de son projet thérapeutique. Comme la CFAO s’effectue en
directe « tout au fauteuil », les séances sont moins nombreuses, moins fatigantes et moins
coûteuses.
L’utilisation de l’empreinte optique (par l’intermédiaire d’un capteur de taille comparable à un gros
stylo) pour obtenir le modèle de travail est aussi moins pénible que l’empreinte conventionnelle
(avec porte-empreinte rempli de matériau inséré en bouche jusqu’à la prise), souvent rapportée
comme difficile notamment pour les patients âgés peu coopérants, anxieux ou insuffisants
respiratoires.
La santé bucco-dentaire des personnes âgées en établissement de soins : un constat
alarmant !
Les personnes atteintes par les maladies neurologiques liées au vieillissement présentent
généralement des troubles cognitifs et comportementaux qui impliquent leur
institutionnalisation en EHPAD (Etablissement Hospitalier pour Personnes Agées
Dépendantes) ou dans une Unité de Soin de Longue Durée des hôpitaux (USLD). A l’entrée
en institution, le patient bénéficie d’un bilan général dans lequel aucun élément relatif à la
santé orale n’est recherché bien que des liens forts aient été mis en évidence entre les
affections orales et les infections pulmonaires, les pathologies cardiaques, et les troubles
immunitaires.
Plusieurs études menées en France ont révélé la présence de troubles infectieux et
fonctionnels liés à la santé bucco-dentaire pour des personnes âgées vivant en institution.
En particulier, la présence des indicateurs de risque infectieux (plaque dentaire,
inflammation gingivale, lésions carieuses et foyers infectieux d’origine dentaire) concernent
plus de 80 % des résidents !
Nombre de résidents en EHPAD ou USLD présentant :
- Aucune occlusion fonctionnelle (dents en contact) : 37%
- Un édentement total non remplacé : 28% maxillaire, 40% mandibule
- Un édentement partiel non remplacé : 44% maxillaire, 43% mandibule
- Un ou plusieurs foyers infectieux d’origine dentaire : 57%
- Une ou plusieurs dents porteuses de lésions carieuses avec exposition dentinaire :
25%
- Le besoin d’au moins un acte de soin bucco-dentaire : 58%
Source : COHEN C, TABARLY P, HOURCADE S, KIRCHNER-BIANCHI C, HENNEQUIN M. Quelles réponses aux besoins en santé bucco-dentaire des
personnes âgées en institution ? Presse med 2006 ; 35:1639-48.
Dans les EHPAD, la sécurité sociale finance les soins médicaux et les soins dentaires mais la
prise en charge des soins prothétiques est très insuffisante ! Un plan de prévention bucco-dentaire
avait été envisagé par le Ministère de la santé prévoyant la généralisation d’un bilan bucco-dentaire
à toutes personnes atteignant 60 ans afin de préparer les conditions d’un vieillissement réussi. Ce
plan ambitionnait également d’améliorer les soins des personnes âgées hébergées dans les EHPAD
ou hospitalisées dans les services de long séjour.
Où en est-on aujourd’hui ? Un certain nombre de CPAM ont mis en place des plans de prévention et
de formation des soignants dans les EHPAD. De même, la Mutualité organise des campagnes de
formation des soignants aux soins bucco-dentaires sur les patients des établissements de santé.
Au sein des CHU, des actions de prévention et de formation sont réalisées auprès du personnel des
services de long séjour par des étudiants en chirurgie dentaire. Dans certains hôpitaux, des
chirurgiens-dentistes praticiens hospitaliers sont dédiés à la prise en charge des patients hospitalisés.
Les préconisations des chirurgiens-dentistes…
Pour les personnes âgées autonomes :
Les chirurgiens-dentistes souhaiteraient une plus grande prise de conscience en amont de la
dépendance. Ils préconisent un examen bucco-dentaire systématique à l’âge de 65 ans. Cette
consultation de prévention permettrait d’identifier les problèmes présents, d’anticiper les
pathologies bucco-dentaires à venir et de lutter contre leurs conséquences, notamment la
dénutrition. Cette proposition est pour l’instant restée lettre morte !!!
Pour les personnes âgées dépendantes :
A l’arrivée de la personne âgée dans la structure de soins, une évaluation de son état bucco-dentaire
et prothétique devrait être systématiquement réalisée afin de planifier ses besoins en soins dentaires
et d’entretien de ses prothèses. Cette évaluation devrait être renouvelée deux fois par an ainsi que
lors de tout changement dans l’état de santé de la personne ou de son degré de dépendance. En
complément, une consultation annuelle chez le chirurgien-dentiste devrait être préconisée.
Modalités de l’évaluation de l’état bucco-dentaire et prothétique de la personne âgée
Cette évaluation est simple et permet de planifier rapidement et efficacement les besoins en soins
dentaires et d’entretien des éventuelles prothèses. Elle porte sur les points suivants :
- L’évaluation de la dépendance
- Le mode d’alimentation (normale, hachée, moulinée, par sonde…)
- L’haleine
- L’aspect des lèvres, de la langue, de la salive
- L’état des gencives et des muqueuses (joues et palais)
- Les dents restantes
- Les prothèses (adaptées ou non)
- Les douleurs éventuelles
- L’hygiène bucco-dentaire globale
Cet examen devrait être réalisé dès l’entrée en institution puis deux fois par an ainsi que lors de tout
changement du degré de dépendance.
Références
Arola D, Reprogel RK. Effects of aging on the mechanical behavior of human dentin. Biomaterials. 2005;26(18):4051-61.
Dupuis, V. (2005). Diététique, édentation et prothèse amovible. Wolters Kluwer France.
Gil-Montoya JA, Subira C, Ramon JM, et al. Oral health-related quality of life and nutritional status. J Public Health Dent 2008; 68: 88-93.
Palmer C. Gerodontic nutrition and dietary counselling for the prosthodontic patients. Dent Clin North Am 2003; 47: 355-71.
Park S, Wang DH, Zhang D, Romberg E, Arola D. Mechanical properties of human enamel as a function of age and location in the tooth. J
Mater Sci Mater Med.2008;19(6):2317-24.
Shah N. Teaching, learning, and assessment in geriatric dentistry: researching models of practice. Journal of Dental Education 2010Jan;
74:1.
Sheiham A, Steele JG, Marcenes W et al. The relationship among dental status, nutrient intake, and nutritional status in older people. J
Dent Res 2001; 80: 408-13.
Singh S.K. et al : Geriatric Endodontics . Journal of Orofacial Research, July-September 2013;3(3):191-196
Walton RE. Endodontic considerations in the geriatric patient. T he Dental Clinic of North America 1997;41(4):795-816.
Cohen C, Tabarly P, Hourcade S, Kirchner-Bianchi C, Hennequin M. Quelles réponses aux besoins en santé bucco-dentaire des personnes
âgées en institution ? Presse med 2006 ; 35:1639-48.
NDLR: MGEFI et prévention dentaire