EXCLUSIF: un pape africain est-il possible ?

 

Avril 2025

 

Un pape africain est-il possible ?

Par Denis Deschamps, membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer

 

A la mort d’un pape, chacun d’entre nous peut prendre la mesure de l’universalité de l’Eglise. Rien de vraiment surprenant à cela, quand on connaît le sens exact (grec) de l’adjectif Catholique (universel). Mais on n’en est pas moins surpris par la portée apostolique du magistère d’un PONTIFEX, quel qu’il soit, dont on peine un peu aujourd’hui à percevoir le caractère de MAXIMUS, dans un monde troublé par des personnalités aussi détonantes que le dernier POTUS (Président Of the United States) en date.

En vérité, le CREDO catholique est partagé par un peu plus de 1,4 milliard d’humains (si on se réfère à l’Annuarium Statisticum Ecclesiae 2023), ce qui en fait la première religion dans le monde, avec des fidèles qui sont présents sur tout le globe. Soit exactement le nombre estimé aujourd’hui pour la population totale du continent africain. Aussi, si tous les continents semblent enregistrer une hausse du nombre de catholiques, on relèvera qu’il existe une dynamique de croissance sensiblement plus forte en Afrique.

De ce fait, on peut être tenté de croire que la double brèche ouverte par le pontificat de François devrait s’élargir.

D’une part, par l’élection d’un nouveau pape qui, comme il l’a été, ne sera pas issu du « fait historique européen » (avec 217 papes venant d’Italie, 16 de France, 6 d’Allemagne… bien loin devant le Proche-Orient et l’Afrique du nord). Le choix du nouveau pape pourrait ainsi ne pas nécessairement relever du « white privilège » et se porter, pourquoi pas, sur un cardinal africain (sub-saharien) ou bien d’origine asiatique… sachant toutefois que sur les 235 cardinaux électeurs (moins de 80 ans) qui participeront au prochain conclave, 135 viendront d’Europe (Italie, France, Espagne) et d’Amérique (Etats-Unis, Canada, Mexique et Amérique du Sud). Le reste du monde, c’est-à-dire essentiellement le Sud, soit l’Afrique, l’Asie et l’Océanie, reste ainsi largement minoritaire.

D’autre part, par la poursuite d’une évolution de l’Eglise du « peuple » vers le difficile chemin de la prise en compte de l’environnement et des conséquences du dérèglement climatique sur les populations. De ce point de vue, on ne saurait nier les détours casuistiques de François le Jésuite, alors qu’il parcourait les Amériques, l’Asie, l’Afrique et l’Europe dans le cadre des nombreux voyages de son pontificat, mais on peut espérer que cet effort tout à fait notable depuis François d’Assise se poursuivra.

Sur le premier point, on peut penser que l’Eglise catholique n’étant plus seulement une affaire européenne, il serait concevable que, comme cela a été le cas en 2015 avec François l’argentin, le continent qui est aujourd’hui le plus porteur, tant du point de vue de l’augmentation de la population que du nombre de catéchumènes, soit celui d’origine du futur berger du peuple des chrétiens dans le monde. Bien évidemment, on ne saurait affirmer que cela ira de soi, sachant qu’il existe, d’un côté, de fortes réticences -pour ne pas simplement parler de racisme[1]- chez des cardinaux du nord et, de l’autre, un décalage certain entre un haut clergé africain particulièrement conservateur et une Eglise romaine qui a récemment engagé une discussion avec l’Islam sunnite, en même temps que François le politique a pris des initiatives courageuses vis-à-vis des homosexuels.

Rien de permet ainsi d’affirmer que le choix d’un pape africain (soulignons-le : sub-saharien) serait une évidence, sachant en outre que cette hypothèse a priori sympathique revêt en fait le caractère d’un pari, car on ne peut pas savoir s’il s’agirait du meilleur choix pour l’Eglise comme pour le continent. Mais, à dire vrai, cela vaut pour les papes, dont la désignation dans le secret d’un conclave romain tient de subtilités qui nous sont largement impénétrables, et qui pourraient aboutir à la désignation d’un cardinal américain ou philippin, dont les convictions paraissent moins arrêtées que celles qui prévalent chez les cardinaux africains.

En Afrique sub-saharienne, on rappellera en effet que le haut clergé semble plus empreint de morale traditionnelle que d’un sentiment qualifié par certains de « wokiste » et qui trouve son origine dans une Amérique du nord, dont le décalage avec le continent africain est plus que patent. L’église catholique africaine est, de fait, confrontée aujourd’hui aux concurrences agressives d’un Islam conquérant, d’une part, et de fondamentalistes protestants, d’autre part. C’est pourquoi, dans ce contexte insécure, on peut comprendre que des cardinaux africains puissent être tentés de se référer à la notion de « guerre juste » évoquée par Saint-Augustin, lui-même issu du continent. Mais cette position datant en fait de l’antiquité romaine, n’est pas celle qui est partagée aujourd’hui par l’ensemble des cardinaux, ni même celle qui est professée par l’Eglise…

             Sur le second point, on doit garder espoir que le nouveau pontife sera suffisamment « conscientisé » par rapport aux questions d’environnement et qu’il pourra alors justement user de son autorité morale universelle pour contrebalancer les aberrations américaines (« Drill, baby, drill ! »). Aussi, dans l’hypothèse de son africanité, sans doute pourra-t-il user de son influence sur les gouvernances des Etats du continent, pour que celles-ci soient moins immédiatement avides, moins enclines aux facilités offertes par l’énergie fossile, avec tous les importants inconvénients que celle-ci comporte pour la biosphère.

Car il y a l‘Energie, moteur obligé du développement économique - à condition cependant qu’elle se fonde sur le solaire pour pouvoir faire de l’Afrique un continent « radieux » -, et il y a également la Biodiversité, dont le premier chantre chrétien a été Saint François d’Assise, déjà évoqué plus haut (altius). Aussi, pour aller plus loin (citius), on peut citer la question de la justice climatique que le Sud en peine de bien-être économique pourrait invoquer plus fort (fortius) par rapport à la dette climatique que les pays du Nord industrialisé ont (ou auraient) à son égard…

L’universalité de l’Eglise catholique et l’indéniable autorité morale de son souverain pontife pourraient ainsi jouer un rôle majeur d’influence sur ces différents sujets, ses 2 000 ans d’histoire (certes, terriblement chahutée, mais, somme toute, l’Eglise est toujours là…) pouvant ajouter du poids aux 10 ans des Accords de Paris dont on perçoit aujourd’hui l’extrême fragilité face aux renoncements américains et aux atermoiements des uns et des autres.

             On ne saurait affirmer aujourd’hui que notre XXIème siècle sera essentiellement religieux. On peut même en douter ou sinon craindre que les fondamentalismes de tout poil (de ce point, il n’y a pas que les religions monothéistes…) ne poursuivent leurs excès dans une voie qui n’est pas nécessairement favorable à l’humanité. C’est pourquoi, sans qu’on porte un jugement sur des convictions qui lui sont propres et constituent en quelque sorte son fonds de commerce, doit pouvoir être conduite par un « berger » convaincu que l’amour du prochain, de l’autre, doit s’étendre à l’ensemble du vivant.

Après le pape François, le prochain PONTIFEX MAXIMUS devra ainsi pouvoir faire entendre le message de François d’Assise dans le vacarme assourdissant de la communication commerciale et politique qui nous submerge. Et pour faire entendre cette voix, pourquoi ne pas espérer de l’Afrique, dont est issue l’Eve préhistorique et qui est aujourd’hui le terreau idéal pour qu’un pape qui en serait originaire puisse affirmer haut et fort ces idées, tant il est vrai que c’est bien là que « difficile est le chemin »[2]

 

 


 

 



[1] Le film « Conclave » est, de ce point de vue, une référence.

[2] Une citation célèbre de Sören Kierkegaard

Commentaires

Articles les plus consultés