Docteur Giovannini, vous avez récemment rejoint l’IRCAD pour développer les activités de recherche et d’enseignement dans le domaine de l’endoscopie digestive. Quelles sont vos motivations et vos priorités ? Dr Marc Giovannini : L’IRCAD est un pionnier du domaine de la chirurgie mini-invasive et de la chirurgie robotique et a acquis au fil des années une expérience unique en termes de mise en place des enseignements. L’endoscopie digestive nécessitant un apprentissage aussi exigeant, l'intérêt est de suivre le même schéma. Par le passé, quelques cours ont été dédiés à l’endoscopie digestive mais de façon très ponctuelle et portant sur des sujets spécifiques comme la résection des tumeurs superficielles. Ma mission est de construire un programme de formation structuré et pérenne, notamment sur l’endoscopie thérapeutique qui est en plein essor car elle apporte beaucoup de bénéfices aux patients. Pour 2025, 4 sessions sont déjà organisées, qui vont des apprentissages basiques plutôt destinés aux internes (manipuler un endoscope, reconnaître et interpréter les images, effectuer des biopsies...) jusqu’à des cours plus avancés, par exemple sur l'écho-endoscopie. De plus, l’IRCAD dispose d’instituts miroirs à travers le monde entier, ce qui va permettre d’exporter à d’autres régions du globe les cours que nous développons, notamment en Afrique où il y a un vrai retard dans la prise en charge des patients par endoscopie digestive. Nous allons très prochainement à l’IRCAD Africa (Rwanda) pour assurer le premier cours d'endoscopie digestive et nous sommes en contact avec l’IRCAD Taiwan pour débuter la formation. La demande d’enseignement en gastro-entérologie et endoscopie flexible est très importante en provenance de tous les pays et aider à y répondre me motive tout particulièrement. L’IRCAD mène aussi une activité de recherche de haut niveau et le Professeur Marescaux m’a proposé de travailler sur des projets tels que l'association de l'endoscopie avec l'intelligence artificielle ou l'introduction de la robotique, ce qui m’intéresse beaucoup. Je vais aussi pouvoir travailler sur une priorité à laquelle je tiens personnellement, la mise au point de modèles d'apprentissage non animaux et réutilisables, reproduisant la texture des organes humains. Nous allons commencer par les gestes de drainage biliaire sous écho-endoscopie, qui ne disposent pour l’instant d’aucun modèle proche de la réalité puisque même le recours au modèle animal n’est pas satisfaisant. Disposer de modèles permettant d’effectuer plusieurs fois le même geste, afin que les spécialistes puissent le répéter jusqu’à le maîtriser, sera un progrès assez révolutionnaire, d’autant que ces modèles pourront être exportés à d’autres disciplines que l’endoscopie digestive. Pouvez-vous nous parler de la pratique de l’endoscopie en France et à l’international ? Y a-t-il des différences d’organisation entre les pays et, si oui, nécessitent-elles une adaptation de l’enseignement dispensé par l’IRCAD en endoscopie digestive ? Dr M. G. : Dans la plupart des pays, l’endoscopie digestive et la chirurgie digestive sont pratiquées par un même intervenant. Par exemple, au Brésil, la prise en charge des affections digestives est organisée par organe, un spécialiste du côlon assure par coloscopie le dépistage et la résection des polypes, tout en pouvant opérer son patient par chirurgie classique en cas de cancer avancé. Dans certains pays nordiques, ce sont également des chirurgiens qui pratiquent l'endoscopie. En France, la prise en charge est séparée entre les chirurgiens digestifs et les gastro-entérologues endoscopistes, principalement en raison de leur formation. Le cursus d'un chirurgien digestif français ne comporte pas de session de formation à l'endoscopie alors que celui du gastro-entérologue inclut des sessions sur les techniques endoscopiques mais sans formation à la chirurgie. Les deux activités peuvent se rejoindre en cas de besoin. Par exemple, dans la gestion des complications opératoires, le chirurgien fera appel au gastro-entérologue en cas d’hémorragie ou de collection (accumulation de liquide) à drainer et le gastro-entérologue fera appel au chirurgien en cas de perforation ou de nécessité d’effectuer un geste chirurgical pour débloquer la situation. Autre exemple, certaines lésions digestives peuvent nécessiter de recourir en même temps à l'endoscopie et à la coelioscopie, le chirurgien et l’endoscopiste travaillant alors ensemble lors de l’intervention. Cette hétérogénéité des pratiques à l’échelle internationale n’a pas d’incidence sur l’enseignement que nous dispensons, le programme développé par l’IRCAD est adapté à tous, sans distinction. L’Institut accueille à Strasbourg des praticiens du monde entier et la demande ne cesse d’augmenter. L’IRCAD dispose, pour l’endoscopie digestive, d’un plateau technique unique au monde, comprenant 20 colonnes d'endoscopie et 3 colonnes d'écho-endoscopie ainsi que d’autres équipements de pointe. C’est une formidable opportunité de formation pour l’ensemble des intervenants, ils peuvent non seulement acquérir la maîtrise des gestes les plus basiques comme les plus avancés mais aussi s’entrainer sur les différentes marques dont les établissements peuvent être équipés Vous êtes un expert reconnu de l’echo-endoscopie digestive, qui est une technique très performante mais qui est associée à un apprentissage exigeant. Pouvez-vous nous parler de cette approche pour laquelle l’IRCAD a mis en place une session de formation particulièrement complète ? L’écho-endoscopie reprend le principe de l’endoscopie en y associant l’échographie, qui analyse par ultrasons la structure de la paroi digestive et des organes à proximité. L’écho-endoscopie est l’examen le plus performant pour rechercher des tumeurs du tube digestif (œsophage, estomac, duodénum…) et des organes avoisinants (vésicule et voies biliaires, pancréas, foie, rate, reins…) ainsi que les kystes et calculs. Elle permet aussi d’effectuer des biopsies en prélevant du tissu par une aiguille qui passe à l’intérieur de l’endoscope. En plus de sa grande précision diagnostique, elle ne présente aucun risque d’irradiation, contrairement aux rayons X. Les ultrasons sont inoffensifs pour l’anatomie humaine et peuvent être utilisés sans limitation de dose et de durée d’exposition. Il suffit donc d'une prise de courant pour brancher l'échographe, sans besoin de salle plombée ou autre mesure de radioprotection. Outil diagnostique à ses débuts, l’écho-endoscopie est en plein développement thérapeutique grâce au progrès technologique. Elle joue un rôle essentiel dans le drainage des collections pancréatiques tels que kystes et abcès ou lorsqu’il faut désobstruer des canaux biliaires ou pancréatiques. Elle permet aussi de détruire des petites tumeurs, par exemple en y conduisant un courant de radiofréquence. Elle a le potentiel, dans les années à venir, de faciliter des interventions plus complexes, comme la destruction ciblée de certaines tumeurs du pancréas. La pratique de l’écho-endoscopie doit être accompagnée d’une formation très rigoureuse. Les gestes doivent s’apprendre soigneusement, d’autant que nous allons vers des gestes de plus en plus thérapeutiques, forcément plus invasifs. Avant de pouvoir les maitriser, il faut plusieurs essais pour être vraiment sûr de ce qu'on doit faire, non seulement pour le praticien mais aussi pour le personnel infirmier qui va l’assister et aura des gestes précis à accomplir. Par exemple, savoir où placer le fil guide, quel instrument passer à quel moment etc. Il est très important de former toute l’équipe, endoscopiste et personnel infirmier. A l’IRCAD, nous avons développé une session de formation très complète sur l’écho-endoscopie, qui reprend les fondamentaux et inclut également l’apprentissage des gestes et l’approche thérapeutique. Il est impératif de bien apprendre à faire les prélèvements car les biopsies conditionnent la décision thérapeutique. L’écho-endoscopie permet d’aller prélever à des endroits que nous ne pouvions pas atteindre auparavant et elle peut minimiser les risques pour le patient. Par exemple, une très belle étude a comparé, dans le cancer du pancréas, les résultats des biopsies faites sous scanner et sous écho-endoscopie. Le suivi des patients montre sous scanner un risque augmenté de dissémination des cellules cancéreuses du fait d’avoir à traverser plusieurs organes (peau, estomac...) alors que l’endoscope chemine par les voies naturelles, de la bouche au duodenum, pour arriver tout près du pancréas et il n’y a alors plus que 5 mm de paroi digestive à traverser. En permettant d’arriver tout près de l’organe et aussi d’accéder à des zones plus profondes, l’echo-endoscopie offre aux patients un vrai progrès diagnostique et thérapeutique, à condition que les intervenants soient bien formés, ce que l’IRCAD s’attache à accomplir. En plus des activités d’enseignement, l’IRCAD est très engagé dans les activités de recherche et développement. Quels sont les projets pouvant bénéficier à l’endoscopie digestive ? La recherche et le développement sont au cœur de l'IRCAD, qui est ouvert à toutes les nouveautés avec la capacité de les développer et de les évaluer. Plusieurs projets tournent autour de la réalité augmentée, pour permettre d’encore mieux cheminer à l’intérieur du corps humain, en écho-endoscopie notamment. Il s’agit de pouvoir fusionner les images d’écho-endoscopie avec des images provenant d’autres examens. Par exemple, le patient a déjà passé un scanner, qui montre la lésion à ponctionner. Avec un système de navigation fusionnant pendant l’intervention les images de l’echo-endoscopie avec celles du scanner, nous pouvons être encore plus sûrs d'aller à la bonne cible. Nous travaillons avec plusieurs entreprises au développement et à l’évaluation de ces systèmes avancés de navigation par fusion d’images. D’autres projets portent sur l’utilisation de l’intelligence artificielle, à visée diagnostique ou thérapeutique. En endoscopie, nous nous en servons déjà régulièrement pour l'interprétation des images des polypes, nous avons suffisamment de données. En écho-endoscopie, il faut que l'intelligence artificielle nous aide au diagnostic des petites lésions, des lésions douteuses, nous montre des zones qu’on ne peut pas voir facilement. Cela semble possible en associant différents types d’images et nous y travaillons. Un autre aspect est d’utiliser l’intelligence artificielle pour s’assurer que l’examen est complet et que le gastro-entérologue a pu tout voir. Par exemple en écho-endoscopie, un système allume des signaux au fur et à mesure de la progression de la visualisation du pancréas (crochet, tête, corps et queue), confirmant que tout l’organe a été vu. D’autres systèmes peuvent vous donner le pourcentage visualisé de l’organe, côlon ou estomac par exemple. Travailler à cette visualisation exhaustive est très important autant pour l’apprentissage que pour le patient, qui peut être sûr d’avoir bénéficié d’un examen complet. Au cas où l’organe n’ait pas été visualisé en entier et qu’il ne soit pas possible de faire mieux, l’avantage est de le savoir et de pouvoir adapter la prise en charge en conséquence. L’intelligence artificielle peut également aider le débutant en écho-endoscopie à vérifier qu’il voit bien l’organe ou à repérer exactement où il se trouve s’il se sent un peu perdu. Par exemple, le système peut faire apparaître le pancréas contouré en jaune. Nous travaillons également sur des projets liés à l’assistance robotique, ce qui implique de modifier l'endoscope car nous n’avons pas aujourd’hui de triangulation et vision 3D. Le développement robotique va être particulièrement lié à la capacité de miniaturiser le matériel car nous ne disposons pas de beaucoup d’espace dans les anatomies où nous travaillons. Dans le rectum et l’estomac, il est envisageable d’utiliser un matériel un peu plus volumineux et de déployer des petits bras pour faire des dissections. Dans l’œsophage, le duodénum et même le côlon, la place manque et cela semble difficile aujourd’hui mais les progrès technologiques sont tels que cela sera peut-être possible demain. Dans tous les projets, nous sommes particulièrement attentifs à évaluer le bénéfice potentiel pour le patient. Il n’est pas rare que des entreprises viennent nous parler d’évolutions certes innovantes sur le plan technologique mais qui ne présentent pas à nos yeux de véritable progrès dans la prise en charge du patient. Il est très important de ne pas se laisser emporter par l’attrait de la nouveauté mais de penser en priorité au patient. Il faut sans cesse se demander ce qui lui rendra vraiment le meilleur service, c’est le cœur de notre métier. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire