lundi 15 octobre 2012

Troubles limites et Personnalité « Border-line » :Comment les reconnaitre et les traiter ?


Proposition de Communication pour l’Académie Nationale de Médecine 2012 (v3)

Professeur Jean-François ALLILAIRE (CHU Pitié-Salpêtrière Paris)

Troubles limites et Personnalité « Border-line » :Comment les reconnaitre et les traiter ?

Résumé anglais: Border-line disorders are complex clinical states which combine permanent pathological personnality traits with high polymorphism in clinical pictures inducing difficulties and delay for diagnosis and treatment. International classifications emphazise several clinical criteria suchnas a specific instability in identity and affective relationships,feelings of emptyness or boring,and pathological impulsivity. Prevalence reaches 2% with 2 or 3 females for 1 male as sex-ratio, involving adolescents as well as adults with a high rate of suicidality,addictive behaviors, and forensic  risks. Personal history and antecedents show fréquent trauma in early childhood or during development , such as separation, loss, agressions or sexual abuse, maltreatance and affective carences or deficiencies. Subjective signs and symptoms are particularly important for clinical evaluation and therapeutical alliance with these patients, requiring  high capacities and training for learning more empathy and  subtile clinical investigation . Standardized and semi-structured interviews help for complete evaluation and identification of comorbidities such as Thymic, anxious, addictive and food disorders, and sometimes psychotic symptoms which can occur during evolution. Psychiatric bio-psycho-social model is appropriate for taking in count the multiple pathogenic factors such as exposition to trauma in early development ,temperamental dispositions or other emotional dysregulations, as well as psycho-social, neurobiological (namely 5HT),or genetical  vulnerability factors or defects. Treatment impose the best integration of both psychotherapy and pharmacotherapy approaches ,strongly supported by emergency capacities of interventions to prevent acting and severe behavioral distorsions, and give brief but decisive framework when clinical aggravations or suicidal crisis require hospitalisation.

Résumé français: les troubles limites ou “border-line” correspondent à des états cliniques complexes qui combinent les traits de la personnalité border-line proprement dite avec des symptômes d’un très grand polymorphisme aboutissant à des tableaux cliniques intriqués qui induisent de très grandes difficultés diagnostiques et le plus souvent un très grand retard au diagnostic et à la mise en route du traitement. Toutes les classifications internationales s’accordent sur la présence de critères tels que : instabilité de l’identité et des relations affectives, présence envahissante de sentiments de vide et d’ennui, impulsivité pathologique. Leur prévalence est de 2% avec un sex-ratio de 2 à 3 femmes pour 1 homme, incluant aussi bien les adolescents que les adultes avec un taux élevé de suicidalité, de risque addictif et de trouble du comportement alimentaire , et de passages à l’acte médico-légaux. L’histoire personnelle et les antécédents retrouvent fréquemment des traumas précoces au cours du développement, tels que séparations, pertes, agressions voire abus sexuels, maltraitance et carence affective. Les symptômes et signes subjectifs ont une importance toute particulière pour le diagnostic et pour la mise en place de l’alliance thérapeutique, ce qui exige une habileté et un entrainement particuliers pour développer les capacités d’empathie et une plus grande subtilité clinique. Les examens standardisés et semi-structurés sont utiles pour une évaluation complète et la détection de toutes les nombreuses comorbidités thymiques, anxieuses, addictives, voire la présence de symptômes psychotiques qui émaillent souvent l’évolution. Le modèle bio-psycho-social utilisé en psychiatrie permet de prendre en compte les multiples facteurs pathogéniques tels que trauma précoces, particularités tempéramentales voire dérégulations émotionnelles diverses, aussi bien que les facteurs de vulnérabilité psycho-sociale, neurobiologique (en particulier 5HT), ou encore d’origine génétique. Le traitement exige la meilleure coordination et combinaison possible entre les approches psychothérapiques et pharmacologiques tout en s’appuyant sur des possibilités d’intervention en urgence voire d’hospitalisation lors de situations critiques avec risque suicidaire ou décompensation d’allure délirante. L’évolution est souvent longue et chaotique mais le pronostic peut être assez favorable à condition d’avoir pu  gérer correctement les principales complications de ces troubles au premier chef desquelles le suicide.

Introduction : Dans la traduction de son livre Fragments (Seuil,2010) Marilyn Monroe dévoile ses doutes et sa fragilité dans ses lettres, notes et poèmes. Elle griffonne en 1955 à New-York sur le papier à en-tête d’un grand Hôtel : « en tant que border-line, je ne peux m’intéresser qu’à d’autres border-line ! » Sa célébrité mondiale de star d’Hollywood a rendu publiques sa grande instabilité émotionnelle associée à de fortes angoisses d’abandon associés à un fond de dépression avec une forte addiction aux psychotropes émaillée de multiples tentatives de suicide. Chacun connait maintenant tous les détails concernant ses tribulations médicales, sa curieuse psychothérapie psychanalytique et surtout sa fin tragique.

Les termes « border-line » et « état limite » font partie du le vocabulaire psychiatrique depuis le début du XX ème  siècle pour désigner des patients présentant des tableaux cliniques qui défient la nosographie classique car associant pêle-mêle des signes cliniques d’allure névrotique, psychotique et thymique ce qui rend impossible la description d’une vignette clinique typique rendant compte de la complexité d’une organisation pathologique qui  s’exprime sous les masques les plus divers et parfois les plus déroutants. Toutefois, à l’instar de Marilyn, on pensera à ce diagnostic devant ces sujets souvent brillants et doués, passant pour des personnalités originales, mais dont la fragilité d’écorchés vifs gâche l’existence et angoisse l’entourage tant leur instabilité teintée d’immaturité les soumettent à une fuite en avant impressionnante voire tragique. Le terme personnalité désigne classiquement l’ensemble des traits durables voire permanents dans le fonctionnement psychologique d’un individu. La définition proposée par Jean Delay et Pierre Pichot (1) précise qu’il s’agit d’une intégration dynamique des caractéristiques affectives et cognitives du sujet. Les personnalités pathologiques correspondent à des déviations individuelles repérables dans des manières d’être et de se conduire, à un certain style de vie plus ou moins stable et stéréotypé, avec des attitudes et des comportements déviants, à la fois source et conséquence de souffrance pour l’individu et son entourage.

Rappel historique : C’est Eugen Bleuler qui isole en 1926 un concept de Schizophrénie latente puis Henri Ey en 1951 celui de Schizonévroses, suivis par d’autres auteurs avec la Schizophrénie Pseudo-névrotique, dénominations qui ne feront jamais qu’approcher une des facettes de la réalité clinique puisque l’évolution se distingue radicalement de la pathologie schizophrénique. De son côté le psychanalyste E. Stern décrit en 1936 des patients présentant une « psychose de transfert » au cours de cures de psychanalyse. A partir des années 60 et 70, Otto Kernberg (1bis ) isole une structure de personnalité  border-line et s’oppose à  Jean Bergeret (1ter) qui décrit l’évolution d’une lignée intermédiaire  ni névrotique ni psychotique ,caractérisée précisément par son défaut de structuration psychique depuis l’enfance jusqu’à l’adolescence . Plus tard, D.  Widlocher (2), A. Green (2bis), J.G. Gunderson (3) préciseront les différentes formes cliniques de ces désorganisations avec leurs aspects caractériels ou pervers qui aboutissent à ces tableaux d’instabilité relationnelle et émotionnelle, avec tendance marquée à l’impulsivité, l’agressivité, les passages à l’acte, la dépression et les conduites addictives, autant de présentations qui rendent difficile toute description typique.

Classifications nosographiques : La validité nosographique des troubles limites et de la personnalité border-line est restée trop longtemps discutée , tantôt entre la structure névrotique et la structure psychotique, tantôt considérée comme une forme grave d’Hystérie ou pour certains état évolutif et fluctuant ,à la fois cause et conséquence d’un trouble thymique ou tempéramental , avec la question difficiles des frontières avec les personnalités originales et/ou les personnalités pathologiques diverses quelle que soit leur tonalité dominante. Les classifications internationales, DSM IV(4) et CIM 10 (5) précisent les critères de ces troubles. La classification de l’OMS (5) distingue deux sous-types de personnalités dites émotionnellement labiles : un sous type dit « impulsif »  et un sous-type « borderline » quasiment identique à celui du DSM par l’instabilité spécifique de l’identité, des relations affectives avec les sentiments de vide et d’ennui ainsi qu’une impulsivité pathologique.

Données épidémiologiques : La prévalence  en population générale est estimée autour de 2% pour ces troubles, soit deux fois plus que la Schizophrénie ; dans les études le sex-ratio est compris entre 2 à 3 femmes pour 1 homme. Le trouble borderline semble donc très fréquent en population générale et encore plus dans les populations suivies en psychiatrie (15 à 50% suivant les études en ambulatoire ou en institution) . Enfin, il s’agit  d’un problème de santé publique difficile à aborder car il concerne non seulement les adultes  mais aussi les adolescents avec un haut risque de  passage à l’acte suicidaire , et nous verrons plus loin que le traitement requiert une  très forte coordination de l’offre de soins pour organiser des prises en charge adaptées tout aussi complexes que l’est le diagnostic.

Description clinique et démarche diagnostique : Il s’agit de patients souffrant d’un mode général d’instabilité des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des émotions, avec une impulsivité marquée apparaissant au début de l’âge adulte et se manifestant par plusieurs des manifestations suivantes : 1)efforts douloureux  pour éviter les abandons réels ou supposés-2)mode de relations instables et intenses oscillant entre idéalisation et dévalorisation de soi ou d’autrui-3)perturbation de l’identité avec instabilité marquée et durable de l’image et la notion de soi-4)impulsivité dommageable sur 2 domaines, tels que dépenses, sexe, drogue, boulimie, conduite d’engins-5)comportements de menace et gestes répétitifs de suicide ou d’automutilation-6)instabilité affective et labilité de l’humeur avec dysphorie, irritabilité ou anxiété fugaces-7)sentiments chroniques de vide et d’ennui-8)colères intenses, incontrôlables et incongrues -9)phases d’ idéation persécutive ou dissociative plus ou moins transitoires dans les situations de stress. Le tableau clinique se caractérise donc par sa très grande variabilité symptomatique, pouvant emprunter le masque de tous les grands syndromes psychiatriques, de la dépression, du délire, de la décompensation anxieuse avec risque de passage à l’acte suicidaire, toxicomaniaque ou autre, jusqu’à la crise d’hystérie avec la dissociation psychique que décrivait P. Janet. En fait, c’est cette variabilité et  ce polymorphisme du tableau clinique dans lequel  peuvent s’intriquer tous les symptômes  psychiatriques, qui  rendent le diagnostic difficile, incertain et tardif chez des patients souvent hospitalisés en urgence avec un tableau de détresse cataclysmique, et que l’on retrouve asymptomatiques ou «  hyper-normaux » dès le lendemain de leur admission. C’est justement la raison pour laquelle on s’attachera à repérer par un examen clinique minutieux les  grands critères du diagnostic chez ces patients souvent réticents et drapés dans des attitudes défensives et dénégatrices. Parmi les symptômes thymiques  et les perturbations  affectives ,on trouve souvent au premier plan les fluctuations de l’humeur et l’instabilité avec dysphorie labile, irritabilité, anxiété plus ou moins teintée d’agressivité , mais aussi des colères intenses avec incapacité à contrôler ses manifestations bruyantes qui dégénèrent fréquemment en bagarres. Soulignons aussi la particularité de ces patients qui se plaignent souvent de sensations inquiétantes d’ennui, de vide, de lassitude, d’incomplétude avec une sorte de tension intérieure teintée de sentiments de colère voire de rage pouvant devenir permanents voire chroniques. Parmi les symptômes plus inquiétants, on sera particulièrement attentifs aux troubles de l’identité et de l’image de soi, que ces patients vivent comme vagues, variables, oscillant entre une surestimation extrême de soi et des idées de dévalorisation pénibles. On observera parfois  des moments psychotiques aigus en particulier dans les situations stressantes avec des idées de dépersonnalisation et de déréalisation transitoires accompagnées d’un sentiment d’hostilité et de méfiance voire des idées de référence et de centralité qui feront évoquer une schizophrénie. Toutes ces perturbations induisent et expliquent des relations interpersonnelles instables, conflictuelles et chaotiques alternant rapprochements excessifs avec autrui et rejets avec suspicion, méfiance et hostilité teintées d’idées de référence. Ces patients éprouvent de sérieuses difficultés à sentir leurs limites et à se situer par rapport à autrui vis-à-vis desquels ils éprouvent des sentiments de dépendance, de crainte d’ abandon, ou encore d’attente avide d’attention, de soins et de gratifications qu’ils nient par des réactions paradoxales de rejet, de fuite voire d’agression. Enfin l’impulsivité doublée d’agressivité est un maitre-symptôme , que celle-ci  se manifeste par des gestes auto-agressifs (conduites à risque , automutilations , tentatives de suicide ,prise de toxiques ,abus de substances telles l’alcool ou d’autres drogues presque chez tous,…) ou des gestes hétéro-agressifs (pugilats, bagarres, agressions diverses , harcèlement…) ou encore d’autres conduites déviantes tels que vols, délits, destruction de biens et d’objets, plus rarement conduites criminelles de type passionnel. Soulignons ici que la dangerosité est globalement plus tournée vers le sujet lui-même que vers autrui. On recherchera particulièrement à l’interrogatoire et dans l’anamnèse de ces patients, des antécédents de traumatismes précoces subis au cours du développement tels que séparations, carences affectives, pertes précoces, maltraitance, abus sexuels, …).                                    Ce n’est parfois que très tardivement, après plusieurs entretiens de mise en confiance, et à distance des décompensations aigues, que la relation médecin-malade et l’alliance thérapeutique pourront s’établir et permettre le recueil complet des différentes facettes symptomatiques en particulier les signes subjectifs qui ont ici une importance particulière, ainsi que les informations biographiques qui pourront être complétées et permettre une évaluation diagnostique solide et pertinente. Toutes ces caractéristiques font de ce diagnostic l’un des plus complexes de la psychiatrie, sachant que c’est souvent l’évolution qui tranchera et permettra d’écarter une forme masquée de Schizophrénie ou encore un trouble faisant partie du spectre de la maladie Bipolaire. On pourra s’appuyer dans certains cas, pour certaines recherches surtout, sur des instruments ou techniques telles que les entretiens semi-structurés ou interviews standardisés spécifiques comme l’interview diagnostic révisé Borderline (DIB-R) de M.C. Zanarini (6) qui nécessite environ une heure d’interview pour explorer et coter tous les  critères cliniques du diagnostic avec une bonne validité et fidélité inter-juges.

Qu’apportent les études au long cours et sur les pathologies associées ? Il existe peu d’études de suivi pour ces malades particulièrement souvent en rupture thérapeutique. Il ressort néanmoins qu’ils  ont un niveau de fonctionnement social altéré en raison même de leur instabilité , avec des interruptions dans leurs études, des ruptures professionnelles qui aboutissent à une incapacité fonctionnelle plus ou moins marquée sur le plan social .Leur instabilité relationnelle est aussi un facteur de célibat, ou d’isolement du fait de leur incapacité à nouer des relations affectives stables et durables. On observe aussi leur tendance à la surconsommation de médicaments en particulier les psychotropes, mais aussi la surconsommation des soins, qu’il s’agisse de consultations répétées ou d’hospitalisations dans un contexte d’urgence ne débouchant que rarement sur un suivi cohérent.

Une grande étude de 500 patients suivis pendant 20 ans réalisée par M .Stone (7) démontre la très grande variabilité évolutive de ces troubles. Elle souligne le risque de décès par suicide estimé à environ 10% des cas, voire plus lorsque s’associe un trouble de l’humeur ou une addiction (alcool ou drogue) ou encore un trouble du comportement alimentaire.  En effet, plus de 80% des patients présentent un trouble associé de l’humeur, qu’il s’agisse d’une dépression sévère unique ou récurrente, d’une dysthymie ou d’un trouble bipolaire. Dans tous ces cas, la prise en charge du patient se trouve encore bien plus compliquée et le pronostic sera d’autant plus réservé en termes de morbi-mortalité. Enfin, signalons que les traits de personnalité de ces patients peuvent eux aussi revêtir un degré de complexité supplémentaire lorsque s’associent des traits cliniques faisant évoquer une personnalité histrionique, narcissique ou antisociale ou encore d’allure schizotypique, venant colorer le tableau clinique et compliquer la prise en charge.

Quelles sont les hypothèses pathogéniques ? Faute de modèle scientifique robuste et validé, la psychiatrie actuelle fonde ses hypothèses pathogéniques sur le modèle dit  « Bio-Psycho-Social » qui permet de donner un cadre d’attente compréhensible pour les multiples données cliniques, psycho-sociales, neurobiologiques et génétiques dont on dispose. Pour les données cliniques, de nombreuses études mettent en évidence la fréquence des traumatismes précoces au cours du développement, qu’il s’agisse d’abus sexuels (50 à 70% des patients), de maltraitances, mais aussi de carence affective ou de négligence émotionnelle, ou encore de pertes ou de séparations précoces. Bien entendu il faut se garder de considérer qu’il s’agit d’un lien spécifique entre pathologie borderline et traumatisme puisqu’on retrouve de nombreux évènements de ce type dans d’autres pathologies. Cependant cette constatation reste frappante et focalise une large part du travail psychothérapique qui s’impose. Il existe par ailleurs d’importants travaux sur les traits et styles tempéramentaux chez les patients borderline, en particulier les tendances aux colères, l’inquiétude voire l’anxiété ou encore la dépressivité et plus globalement, la propension à activer et éprouver des émotions négatives en particulier la rage et la colère. Pour certains auteurs, on pourrait invoquer le rôle pathogène des interactions entre certains mécanismes de dérégulation émotionnelle liés au tempérament avec certains facteurs développementaux invalidants.

Du point de vue neurobiologique, des recherches se focalisent  sur le rôle de certaines aires corticales cérébrales, en particulier limbiques, impliquées dans la dérégulation des émotions et des impulsions, mais aussi sur le rôle du système sérotoninergique dans le système nerveux central.

Malheureusement toutes ces données restent aujourd’hui fragmentaires et largement insuffisantes pour rendre compte de la spécificité de ce trouble, mais elles indiquent des pistes thérapeutiques pharmacologiques ou cognitivo-comportementales utiles pour sa prise en charge.

Traitement : Il est toujours fonction de chaque cas et devra tenir compte des différents aspects et dimensions du tableau clinique. Compte tenu du très grand polymorphisme symptomatique des troubles limites et de l’impulsivité des patients, la prise en charge véritable, multimodale et appuyée sur un solide cadre de soins sera souvent tardive, longtemps après l’apparition des premiers symptômes qui n’auront été soignés que ponctuellement au cours d’un certain nomadisme médical. Plusieurs guides de bonne pratique précisent les principes essentiels du traitement (8).

Abord Pharmacologique : Le premier point à souligner est la difficulté à obtenir de ces patients une observance correcte des traitements médicamenteux : de même qu’ils se montrent très « appétents » vis-à-vis des substances en général et des drogues licites ou illicites en particulier, leur instabilité les pousse pendant longtemps à expérimenter puis stopper aussi vite de très nombreux produits. C’est la raison pour laquelle on ne pourra véritablement prescrire un traitement utile que lorsque l’alliance thérapeutique sera établie et qu’une information ajustée, délivrée dans un climat compréhensif et confiant aura pu être donnée au patient sur les effets attendus et leur cinétique d’apparition, le rationnel qui sous-tend le choix du médicament, les effets secondaires possibles  et la façon de les gérer. Trois types de molécules peuvent apporter des améliorations parfois spectaculaires, rarement durables mais dont l’observance combinée ou séquentielle est toujours partiellement efficiente : il s’agit des antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, des neuroleptiques et plus particulièrement les nouveaux antipsychotiques dits de deuxième génération et enfin des thymorégulateurs. Précisons qu’aucun médicament ne dispose spécifiquement à l’heure actuelle d’une Autorisation de Mise sur le Marché pour ces troubles.  La première cible thérapeutique est constituée par l’ensemble des symptômes dits de dérégulation affective tels que les sentiments de colère, de tension, de rage ,ou bien la tendance à l’hyperréactivité et à la sensitivité , ou encore l’irritabilité et bien sûr la labilité de l’humeur et la dysphorie. C’est l’indication privilégiée des ISRS (sertraline,paroxetine,fluoxetine) et INRS (venlafaxine).Les antipsychotiques (risperidone,olanzapine) mais aussi dans certains cas les neuroleptiques de première génération trouvent leurs meilleures indications dans les désordres comportementaux en particulier les crises de colère et surtout l’impulsivité et la tendance au passage à l’acte. Ce sont ces médications qui permettront le mieux de stabiliser la prise en charge, d’éviter les hospitalisations intempestives et de prévenir les risques d’auto ou d’hétéro-agression, et finalement de rendre possible le travail psychothérapique. Ils ont aussi des effets thérapeutiques très utiles sur les symptômes cognitifs et psychotiques que ceux-ci soient transitoires ou parfois plus installés tels que idées de dépersonnalisation, de déréalisation, de centralité ou de référence. Ils permettent donc de donner au patient un meilleur ajustement relationnel et  une meilleure adaptation sociale. Enfin les thymorégulateurs (lithium, carbamazepine, valproates) ont des effets stabilisateurs et préventifs qui permettent d’atténuer les fluctuations plus ou moins rapides de l’humeur mais aussi d’après plusieurs études de mieux contrôler l’impulsivité.

Prise en charge Psychothérapique : C’est le véritable traitement de fond de ces troubles et l’on doit considérer que la prise en charge des patients reste purement ponctuelle et symptomatique tant que le travail psychothérapique n’aura pas pu se mettre en place. Comme toujours, l’indication tiendra compte des attentes du patient, de l’intensité et de la sévérité de ses symptômes, de sa capacité à accepter et à s’adapter à certaines procédures techniques, de son désir de changement et de son potentiel intellectuel, émotionnel et culturel, et plus globalement de l’offre de soins psychothérapiques disponibles. Il faudra dans la mesure du possible passer très vite de la thérapie de soutien indispensable au début et réalisée par le médecin prescripteur, à la proposition d’y adjoindre une psychothérapie plus systématisée associée dans le cadre d’un travail de Co-thérapie (thérapie bi ou multifocale ) permettant de mieux canliser et traiter les aléas cliniques et les situations d’urgence ou de décompensation , sans interférer voire invalider le travail de fond du niveau psychothérapique proprement-dit. Soulignons ici tout l’intérêt de ce partage des rôles qui permet d’anticiper et de mieux contrôler les débordements agressifs sans compromettre l’alliance thérapeutique (9). Cette organisation relativement complexe des soins ne peut évidemment se concevoir qu’avec un malade suffisamment coopérant et dûment informé du rôle de chacun dans le dispositif et acceptant le principe comme dans un véritable contrat de soins. Il peut s’agir d’une thérapie individuelle ou de groupe, mais le plus souvent le malade gagnera à être orienté préférentiellement vers une psychothérapie individuelle de type analytique ou une thérapie cognitive. Ailleurs ce pourra être une thérapie à médiation corporelle ou artistique, une relaxation, un groupe de parole éventuellement complété par un groupe de soutien aux parents et proches pour lesquels ce type de patient constitue un véritable fardeau psychologique. C’est au prix de ce travail thérapeutique multifocal que certains auteurs considèrent qu’après une prise en charge longue et parfois périlleuse il sera possible d’obtenir des améliorations très significatives.

Pour conclure : Ces malades  sont le plus souvent difficiles à soigner mais attachants, souvent intelligents et instruits, la plupart du temps conscients de leur handicap et de leurs potentialités. Beaucoup réussiront à se sortir des plus graves complications dépressives, auto-agressives ou addictives, et pourront, après une tranche de vie chaotique et mouvementée, trouver un fonctionnement plus satisfaisant et socialement acceptable.

Références Bibliographiques :

1)       Delay J, Pichot P.  Abrégé de psychologie à l’usage de l’étudiant .Masson, Paris, 1962

2)       Widlocher D.  les états-limites : discussion nosologique ou réflexion psychopathologique. Perspectives psychiatriques 70,7-11,1979.

2bis) Green André. La folie privée : psychanalyse des cas limites.  Gallimard Coll. Folios essais1990

3)       Gunderson JG.  Borderline personality disorder :a clinical guide. American Psychiatric Press, Washington DC, 2001.

4)       American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition. Washington DC: American Psychiatric Association, 1994.

5)       Organisation Mondiale de la Santé. Dixième Révision de la Classification Internationale des Maladies- CIM-10. Critères diagnostiques. Masson, Paris 1993.

6)       Zanarini MC, Frankenbourg FR, Hennen J, Silk KR.  The longitudinal course of borderline psychopathology : 6 years prospective follow-up of the phenomenology of borderline personality disorder.  Am J Psychiatry 160,274-283, 2003.

7)       Stone M. Borderline and histrionic personalities,In M.Maj,H.Akiskal, J.Mezzich  , A.Okasha(Eds) Personality disorders J.Wiley, 2005,pp201-276

8)       American Psychiatric Association. Work Group on Borderline Personality Disorder. Practice guidelines for the treatment of patients with borderline personality disorder. In Psychiatric disorders, compendium 2004, Washington DC, American Psychiatric Association, 754-833,2001

9)       Allilaire JF. Les Etats-Limites. Encyclopédie Médico-chirurgicale de Psychiatrie , N°37395- A10,2   Elsevier Paris ,1985

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire