Nora ANSELL-SALLES

mercredi 15 novembre 2023

🟥EXCLUSIF : Interview du Pr José Sahel "ponte" de l'ophtalmologie🟥

AVANT PROPOS 
Né le 12 juillet 1955 à Tlemcen (en Algérie française), José  Sahel est un médecin ophtalmologiste, universitaire et créateur d'entreprise français.
Il est membre de l'Académie des Sciences, lauréat de la médaille de l'innovation du CNRS 2012...
 ... et depuis juin dernier de la médaille Ambroise Paré remise lors d'un événement organisé par l'Académie de Chirurgie.

Jusqu'en 2021, il fut le directeur de l'Institut de la vision, un centre de recherche associé à l'hôpital des Quinze-Vingts, à l'INSERM et à l'Université Pierre-et-Marie-Curie  (désormais Sorbonne Université). C'est un pionnier dans le domaine de la rétine artificielle et des thérapies régénératrices de l'œil.

         🎬 Clip tiktok

José-Alain SAHEL 
PORTRAIT 
d'un leader charismatique,
d'un bâtisseur,
d'un visionnaire, d'un homme généreux, attentif aux autres...
doté d'une modestie légendaire. 

👉 Bonjour  Professeur  Sahel. les lecteurs de "Mine d'infos" vous connaissent  en tant qu'ancienne figure emblématique du Téléthon. 
Les militants mutualistes suivent  de près depuis des années vos travaux, mais l'homme public est plus connu que l'homme privé... 
Si vous deviez faire votre autoportrait...

Un médecin insatisfait, doutant de tout, en quête de réponses qui puissent aider ses patients, mais qui a eu la chance de rencontrer de nombreux êtres qui l’ont accompagné sur un chemin cahoteux, infini et merveilleux.
  

👉 Vous souvenez-vous  de votre 1er acte de médecin?  ... de votre1er patient ?

Je me souviens de mes premiers stages d’externe, à Paris (Lariboisière) où une excellente Chef de Clinique m’a expliqué que si je continuais à vouloir tout comprendre de ce qui arrivait à nos patients, je ne pourrais pas pratiquer ce métier. J’y pense souvent, avec gratitude.


👉 Votre 1er combat personnel ? 

Créer un laboratoire de recherche à partir de rien


 👉 À quelle carrière  vous destiniez-vous à  15 ans ?

Tout et rien : aviateur comme Mermoz et Saint-Exupéry pour ouvrir de nouvelles lignes ; médecin comme Albert Schweitzer pionnier de l’humanitaire, musicologue, théologien ou chirurgien pour tous comme Ambroise Paré ; mathématicien et philosophe comme Pascal et Descartes, et j’en passe. Vaste programme ! En réalité, je voulais surtout rassurer mes parents qui avaient traversé tant d’épreuves et avaient fait de l’éducation leur priorité professionnelle et familiale.


👉 À quelle époque et dans quelle      circonstance le monde de la médecine a t-il croisé votre route ?

La veille de la rentrée en classe de Mathématiques Supérieures au Lycée Louis-le Grand, j’ai été soudainement sensible à l’illusion que la médecine pouvait me permettre de concilier ma soif de connaissances et un exercice au service de l’humain. J’ai longtemps cru que j’avais fait le mauvais choix mais en persévérant…


👉 Par quel chemin  détourné, ou pas, devient-on chirurgien?

Quand j’ai découvert, par hasard, l’ophtalmologie, il était évident que les dimensions multiples de cette discipline médico-chirurgicale, technologique, scientifique, esthétique ne pouvaient être amputées. Et la chirurgie procure une joie intense, par la concentration, la précision, le perfectionnisme, le respect du corps humain...


👉 Comment  est né l'Institut de la vision ?

Je partage bien  volontiers avec vos lecteurs  mon éditorial 
✒️"Chemin faisant" publié dans "Médecine Sciences" qui débute par une  sitation  de Marcel  Pagnol
 "Tout le monde savait que c'était impossible... Un ignare ne le savait pas. Il l'avait". (texte de l'édito ci-dessous)



👉 Quels sont vos projets pour  l'Institut de la vision dans les 5 ans à venir ?

Je ne suis plus en position de direction, ayant transmis le relais à des collaborateurs et collègues exceptionnels. Serge Picaud m’a succédé à la tête de l’Institut de la Vision, Christophe Baudouin pour l’Institut Hospitalo-Universitaire FOReSIGHT, Isabelle Audo,  pour le Centre de Références Maladies Rares, Michel Pâques pour mon ancien service hospitalier des Quinze-Vingts et le Centre d’Investigation Clinique, Ramin Tadayoni pour le service de pathologies vitréo-rétiniennes que j’ai créé avec Yannick Le Mer à l’Hôpital Fondation A. de Rothschild. Mon rôle n’est plus exécutif mais j’essaie d’aider le développement de nouveaux projets comme l’Institut de Réhabilitation Visuelle Saint-Louis aux Quinze-Vingts dont j’assure la Direction Scientifique, l’Institut de la Myopie à la Fondation Rothschild. De beaux projets continuent avec Isabelle Audo, Michel Pâques, Serge Picaud, Deniz Dalkara, Olivier Goureau, Angelo Arleo, Valentina Emiliani, 
Florian Sennlaub, sur les maladies génétiques, la thérapie génique, l’imagerie, l’optogénétique, la neurostimulation. Nous venons d’obtenir la création du BioCluster Brain and Mind avec nos partenaires académiques et industriels (Institut du Cerveau, Fondation Fondamental en particulier).
Ces projets sont conduits en parfaite synergie avec l’Institut que je dirige maintenant à Pittsburgh (Pennsylvanie, USA), clinique et translationnel.
Et puis le transfert de nos travaux vers la clinique se poursuit avec nos partenaires industriels.


👉 Quel regard portez-vous sur les derniers progrès de la médecine ? 

Extraordinaires, quasiment infinis, ce qui contraste tant malheureusement avec la violence et l’intolérance qui nous entourent.


C'EST A LIRE:
Le regard du "patient" Gérard  Muller, de l' "ami" Gilbert  Montagné, des "lecteurs de Mine d'Infos" et du "nouveau directeur" de l'Institut de la vision Serge Picaud. 

Avant propos
"Gérard a été un des moteurs de la réussite de José Sahel car il a levé de l’argent via son association pour soutenir notre laboratoire à Strasbourg. Sa motivation a permis de lever plusieurs millions de francs à l’époque et par exemple de payer mon salaire quand revenant des USA, j’étais postdoc au laboratoire avant d’obtenir un poste INSERM".
🔹️Dr Serge  Picaud 

"Ma rencontre avec José Sahel, avec les chercheurs m'a permis de "revoir", et pour moi ça a été une thérapie absolument extraordinaire.

Je me suis senti utile de me mobiliser à côté d'eux.

Cette thérapie m'a permis de m'aimer de m'accepter tel que je suis, ce qui est une chose extrêmement difficile quand on a un handicap c'est de s'accepter tel que l'on est.
Ma rencontre avec les chercheurs m'a permis de faire un grand pas.

J'ai un message à faire passer: les patients doivent tisser des liens avec les chercheurs. 
La relation entre le patient et les chercheurs est importante."


🔹️Gérard Muller* 


📷 Christian  Kerf 
 🎬 Clip tiktok

"Le professeur José Sahel est aussi humble que brillant. 
C’est un sachant, chassant toutes incertitudes qui pourraient habiter des esprits sans fondement. 
J’ai l’honneur de conserver l'amitié de José depuis plus de vingt ans et bien que ne venant pas du même univers ; j’ose prétendre que nous nous apprécions mutuellement.

D'ailleurs, ce qui nous rassemble c’est certainement le mélange de notre terrestre et céleste.
Les reconnaissances honorifiques dont il ne cesse d'être gratifié n'ont jamais été un obstacle pour cet homme au grand coeur qui
 irradie d'une vraie gentillesse, doté d'une qualité d'écoute sans pareil.
Le professeur Sahel est un puits de savoir doublé de ce sens de l'innovation et donc du Possible.

C’est pourquoi aujourd’hui je veux le remercier pour tout ce qu’il apporte à ceux qui sont dans les ténèbres tintés de solitude.
Merci à toi mon José !"

🔹️Gilbert Montagné 

👉 On vous décrit  comme un homme remarquable, profondément humain, 
charismatique, attachant, cultivé, très professionnel, d'une grande clairvoyance, mais aussi un battant,  qui sait  ce qu'il veut et qui ne lâche rien... 
Vous reconnaissez-vous dans ce portrait ?

 J’aimerais que ce soit vrai.


👉 Il n'y a pas qu'une vie  dans la vie... À quoi pensez-vous  en vous rasant  le matin? 

Aux êtres que j’aime ; à la foi précaire des matins


👉 Vos fonctions  actuelles vous laissent-elles du temps pour une vie privée ?

Pas assez mais nous jouissons de moments partagés, intenses et confiants.


👉 L'homme  que vous êtes aujourd'hui a-t-il réalisé ses rêves d'enfant ?

L’enfant n’est plus là pour répondre. Il n’avait pas une grande confiance dans son avenir.


👉 Si vous aviez la possibilité de faire vous-même les questions/réponses laquelle vous seriez-vous posée et quelle réponse y auriez-vous apportée ?

Le « questionnaire de Proust », sans son génie pour les réponses.
Où une seule question, celle de la Genèse : Où es-tu ? telle que la pose Martin Buber dans « Le chemin de l’homme ».



"Jeune clinicien, le Pr José Sahel, a été très vite confronté à l’évolution inéluctable de certaines pathologies oculaires vers la cécité ou la très forte malvoyance ; cette échéance fatale, tragique pour ses patients le révoltait. Il est devenu inconcevable pour lui de ne pas mobiliser toute son énergie et sa détermination pour le développement de thérapie même et surtout si ce projet tenait du rêve ou de l’utopie. Les patients, tels Gérard Muller ou Jean Kuhn, leurs associations ou Fondations, furent souvent associés à l’aventure pour réunir les conditions nécessaire à la réalisation de cet idéal thérapeutique.
Le Pr Sahel n’ignore pas que la recherche est un travail d’équipe. Il a su communiquer sa passion pour emmener de nombreux chercheurs dans cette grande aventure humaine et scientifique. Convaincu qu’une recherche appliquée ne peut se concevoir que sur la base d’une recherche fondamentale d’exception, il attire les meilleurs de leur discipline : biologistes cellulaires et moléculaires, physiologistes, immunologistes, mais aussi physiciens, mathématiciens, électroniciens. Son charisme fait ensuite le miracle de la conversion pour les embarquer sur des projets de recherche appliquée avec une portée translationnelle. Sa personnalité enthousiaste, sa force de conviction, sa confiance nous ont permis de dépasser nos limites pour nous autoriser à rêver avec lui. 
Visionnaire pour la recherche, le Pr Sahel sait aussi penser en bâtisseur. Il comprend qu’il lui faut une grande maison pour accueillir tous les chercheurs. Après une petite animalerie à Strasbourg, il investit rapidement un étage entier sous les combles d’un bâtiment des hospices civils. Puis il embarque tout son petit monde à Paris où il crée l’institut de la Vision qui accueille maintenant 300 chercheurs (18 équipes sur des sujets très différents). Pour lui, la recherche n’a pas de frontière et il aide à la création d’Instituts frères à Bâle (Suisse) et à Kobé (Japon). Le point culminant est la création de son Institut de la Vision de Pittsburgh (USA) qui regroupe hôpital d’ophtalmologie, centre de réhabilitation et centre de recherche en un bâtiment unique pour faciliter la recherche translationnelle. Pour José Sahel, l’organisation et l’esthétique des espaces doivent créer une dynamique d’équipe entre chercheurs, cliniciens et patients. Que ce soit Paris ou Pittsburgh, il a eu à cœur de structurer les espaces pour faciliter les échanges et que chacun se sente libre de se les approprier. Parfois, la recherche déborde des murs et il sait alors créer de grands consortium Européens ou transatlantiques.
L’innovation scientifique à visée translationnelle ne se limite pas aux Instituts de recherche car le transfert clinique des résultats de la recherche vers le lit du patient exige de faire des produits commerciaux. Cette commercialisation doit passer par des entreprises qui auront la charge du parcours réglementaire et des essais cliniques pour la validation des thérapies. En absence d’entreprises souhaitant s’engager sur ce chemin, José Sahel crée les entreprises. Bernard Gilly sera un partenaire important pour la création de nombreuses sociétés. En 10 ans, 12 sociétés ont vu le jour avec des centaines d’emplois créés. Pour démontrer le bénéfice thérapeutique des traitements, José Sahel a même imaginé et créé StreetLab, la première plateforme dans le monde permettant d’évaluer la vision fonctionnelle et d’établir des programmes de réhabilitation visuelle.
Evidemment, José Sahel a su également convaincre les financiers de matérialiser ses rêves. José Sahel Il sait à merveille saisir toutes les opportunités qui mènent à un financement pour la recherche. Ainsi, l’Institut de la Vision est adossé à la fondation Voir et Entendre d’utilité publique créée en 2007, il contribue à l’Institut Carnot Voir et Entendre pour professionnaliser les partenariats industriels. L’Institut de la Vision a également été labelisé Laboratoire d’Excellence (Labex) en 2009. Enfin collectivement, l’Hôpital de la Vision des XV-XX, l’Institut de la Vision et des services de l’AP-HP obtiennent le label « Institut Hospitalo-Universitaire » (IHU) en 2019. A chaque fois, le Pr Sahel fut porteur du projet et acteur majeur. Cette année, l’Institut de la Vision s’est associé à l’Institut du cerveau et à la fondation fondaMental pour créer le Cluster Brain&Mind dans lequel Le Pr Sahel est très impliqué pour les nouvelles formes d’évaluation clinique.
Tous ces outils forment les différents éléments du puzzle à constituer pour aller vers la réussite des essais cliniques. Au niveau Européen, l’exemple le plus exceptionnel est l’obtention de l’ERC Synergy Helmholtz avec le Pr Fink, physicien, dès les premières années de la création de ce financement. Côté industriel, les levées de fond sont également exceptionnelles comme dernièrement les 75 millions d’Euros pour l’entreprise Sparing Vision. Il ne faudrait pas oublier dans ce palmarès les 500 millions de dollars réunis par la l'university of Pittsburgh Medical Center et la Fondation Américaine Eye and Ear pour la construction et l’aménagement de l’Institut de la Vision de Pittsburgh.
Après 20 années de recherche fondamentale, cet investissement multidirectionnel se concrétise actuellement par différents essais cliniques. Dès 1995, il s’attaque au mystère de la rétinopathie pigmentaire et au défi improbable de la restauration visuelle chez les patients aveugles. Pour la rétinopathie pigmentaire, personne ne comprend pourquoi les photorécepteurs à cône dégénèrent alors que seuls les photorécepteurs à bâtonnet sont mutés. José Sahel découvre avec Thierry Léveillard en 2004 le facteur trophique des cônes libérés par les bâtonnets. 20 ans plus tard, une thérapie génique entre en clinique pour réintroduire ce facteur de survie des cônes et prévenir la cécité dans la rétinopathie pigmentaire avec la spinoff de l’Institut, Sparing Vision.
Restaurer la vue de patients aveugles, le défi est en partie relevé par l’entreprise Américaine 2nd Sight dès les années 2000. En dépit d’une telle compétition, Le Pr Sahel n’hésite pas à se lancer dans la course avec son ami, le Pr Avinoam Safran de Genève. Un peu plus de 24 ans plus tard, nous avons créé ensemble deux entreprises leaders au niveau mondial pour restaurer la vue des aveugles soit par prothèse rétinienne (Pixium Vision), soit par optogénétique (Gensight Biologics). L’optogénétique est une technique révolutionnaire reposant sur une protéine d’algue photosensible qui, exprimée dans la rétine des patients aveugles par thérapie génique, peut resensibiliser leurs neurones à la lumière pour les faire revoir. Même l’agence de l’armée américaine, DARPA, est venue le chercher pour restaurer la vue de personnes perdant le lien œil-cerveau. Nous développons actuellement la sonogénétique pour cette application avec le physicien, Mickael Tanter.
Désolé de ne pouvoir aider l’un de ses patients atteints de Neuropathie optique de Leber, une maladie mitochondriale cécitante, il convainc peu après Marisol Corral-Debrinski, spécialiste des mitochondries, de rejoindre le groupe en 2003. 20 ans plus tard, une thérapie permet de prévenir la cécité pour les patients atteints de mutation sur le gène mitochondrial ND4. Cette thérapie basée sur la stratégie de Marisol est développée par la Start-up de l’Institut de la Vision, Gensight Biologics.
Quand José Sahel a reçu des invitations de Paris et de Londres  en 2000 pour prendre la direction de leur laboratoire de recherche sur la vision, je lui avais immédiatement communiqué mon enthousiasme pour le projet parisien visant à construire un Institut de la Vision. Dans nos discussions régulières, quand il remontait de la clinique ophtalmologique, je découvrais un grand humaniste au sens plein du terme, son érudition et sa culture m’impressionnaient. Il était déjà possible de discerner que nous allions écrire une véritable histoire scientifique. Près de 30 ans après notre rencontre, cette promesse s’est effectivement réalisée et les patients devraient pouvoir bénéficier de ces grandes avancées dans les années à venir. Auprès de ce leader charismatique, généreux et attentif aux autres, nous avons tous grandi et su repousser nos limites, exploiter au mieux nos compétences. Conscient du travail d’équipe, il a toujours su reconnaître la contribution individuelle de chacun dans les projets.
Cette force incroyable, José Sahel semble la puiser dans sa vertigineuse bibliothèque, dans sa foi et dans sa famille." 🔹️Serge Picaud*


Ndlr :
(*) C'est à  lire 📖 


(**)Serge Picaud a pris la direction de l'Institut de la Vision, à la suite du professeur Sahel, au 1er janvier 2021. Né en 1961 à Paris, docteur en pharmacologie et neurosciences et directeur de recherche INSERM, il a commencé sa carrière de chercheur par l'étude de la vision chez la mouche au CNRS à Marseille.


Propos recueillis  par  Nora Ansell-Salles Legrand  auprès du Pr José-Alain Sahel, du Dr Serge Picaud, de Gérard Muller et Gilbert Montagné 




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