Nora ANSELL-SALLES

jeudi 4 novembre 2021

Santé dentaire en Ehpad : et si l’on investissait davantage dans la télémédecine ?

L’ensemble des disciplines médicales a vocation à être concerné par la télémédecine. Pourtant, la profession dentaire semble réservée sur l’usage de cette pratique. Or, la télémédecine en santé bucco-dentaire peut se révéler pertinente en matière de prévention, de diagnostic ou d’alerte notamment chez les résidents d’Ehpad, ces derniers présentant une santé dentaire fragile avec des conséquences potentiellement graves.

  

Durant des décennies, le système de santé français a offert à nos concitoyens une qualité et une sécurité des soins relativement remarquables. Toutefois, ce système présente aujourd’hui des limites et des fragilités : une coordination insuffisante des acteurs, un cloisonnement entre le champ sanitaire et le champ médico-social, une inégale répartition des professionnels de santé sur le territoire doublée d’une pénurie de professionnels de santé, etc. Bref, un accès aux soins parfois difficile accentué notamment dans les champs comme la santé bucco-dentaire. Il convient d’imaginer des solutions à cette situation.

La pandémie de la covid-19 notamment à la suite des confinements imposés par l’Etat est venue lever les freins en matière de télémédecine chez les professionnels et les institutionnels mais aussi chez les patients. Le premier confinement notamment a bouleversé les pratiques et les points de vue des professionnels de santé. Médecins mais aussi chirurgiens-dentistes ont réalisé des « téléconsultations », parfois il est vrai essentiellement téléphoniques, et ont délivré des diagnostics et des ordonnances à distance.

 

La télémédecine déjà intégrée par de nombreuses spécialités dans les Ehpad

On notera que la télémédecine avait déjà investi d’ores depuis plusieurs années de nombreuses spécialités médicales : dermatologie, rhumatologie, diabétologie, neurologie, gériatrie, psychiatrie.

La psychiatrie par exemple avec « la prise en charge » des situations de démence en constitue une illustration intéressante. Dans ces situations, le transport du résident d’un Ehpad par exemple sur le lieu de consultation d’un spécialiste « n’est pas facilement réalisable ni souhaitable ». Souvent, « les téléconsultations permettent de trouver des solutions (médicamenteuses ou non) pour les patients et facilitent les échanges et interactions pluridisciplinaires.

Par analogie, on peut d’ores et déjà comprendre l’intérêt qu’il y à limiter pour certains résidents un déplacement dans un cabinet dentaire ou un centre de soins dentaires notamment lorsqu’il s’agit de démarche de prévention ou d’actes de dépistage n’impliquant pas (dans un premier temps du moins) d’actes invasifs de la part du chirurgien-dentiste.

La télémédecine concerne également des disciplines comme la dermatologie ou d’ophtalmologie. On notera que tout comme la profession dentaire, il existe de nombreux territoires où la densité de dermatologues ou de dermatologues est extrêmement faible au regard des besoins des populations. Les délais d’obtention d’un rendez-vous pour une consultation excédent plusieurs semaines. Face à des difficultés d’accès à des spécialistes à « un haut niveau d’expertise », l’utilisation de la télémédecine peut offrir une réponse adaptée à des patients fragiles ou isolés.

Télémédecine en santé bucco-dentaire : une plus-value limitée mais incontestable

Toutes les études menées au niveau international ont démontré l’efficience de la télémédecine en matière de santé bucco-dentaire en assurant l’amélioration de la prévention et du dépistage précoce des maladies bucco-dentaires, l’accès aux soins, de la qualité de la prise en charge et du suivi du patient en particulier dans les milieux ruraux, la qualité de vie et en matière d’efficience. 

Des études américaines ont mis en évidence que l’exploitation de la téléconsultation constituait une réponse efficace aux problématiques d’accès aux services de santé. Les résultats ont démontré la même efficacité qu’un rendez-vous médical classique et une observance de la prise en charge bucco-dentaire augmentée dans le cas des populations rurales.

Télémédecine en santé bucco-dentaire en Ehpad : « un sillon à creuser »

75% des résidents en Ehpad présenteraient des troubles en matière de santé bucco-dentaire, 81% n’auraient pas bénéficié de consultation depuis cinq ans. Concrètement, on constate qu’un résident sur cinq en Ehpad a une alimentation molle et un résident sur deux a un problème parodontal.

En 2014, une activité de télémédecine plus précisément de téléconsultation en santé bucco-dentaire a été initiée en Languedoc-Roussillon. L’objectif était de simplifier et rendre systématique des consultations bucco-dentaires à destination des résidents. Concrètement, le dispositif s’appuyait sur des infirmiers membres de l’équipe soignante en Ehpad qui recueillaient les informations utiles au chirurgien-dentiste afin d’établir un diagnostic. Un enregistrement vidéo de la bouche des patients était réalisé par l’infirmier.  Les informations collectées étaient envoyées par le biais d’un logiciel de façon sécurisé au praticien. Ce dernier en faisait l’analyse et établissait si nécessaire un plan de traitement.

Autre exemple, L’union française pour la santé bucco-dentaire (Ufsbd) a fait le choix, elle aussi de la télémédecine dans le but d’enclencher et maintenir des programmes de prévention en matière de santé buccodentaire en Ehpad. ORALIEN, nom du programme qu’elle a lancé, est un plan d’action de santé orale à insérer dans le projet de l’établissement. Il a pour ambition de mettre en place des actions de sensibilisation auprès des résidents et de leurs familles, pour détecter le plus tôt possible si une prise en charge au cabinet dentaire s’impose. Il concerne aujourd’hui près de 36 Ehpad et des centres accueillant des personnes en situation de handicap.

 

Pour la Présidente du syndicat des femmes chirurgiens –dentistes SFCD, le Dr Nathalie Delphin nous en sommes « aux débuts pour le dentaire en matière de télémédecine ». « On se rend vite compte que c’est souvent l’antichambre pour un acte technique. Mais soyons clairs, il y a beaucoup d’avantages car cela permet d’orienter un diagnostic mais pas forcément de le poser complètement, parfois de conseiller et de sortir de l’urgence. Le premier confinement été l’occasion d’utiliser cette approche. La télémédecine a permis de rassurer et par conséquent de ne pas engorger les urgences. ». 

 Les problématiques qui demeurent non résolues restent la formation et la rémunération des actes., « Dans les Ehpad, la personne auprès du résident doit être formée par un chirurgien-dentiste pour savoir appréhender les questions dentaires de base mais aussi savoir quoi et pourquoi observer. Une simple camera n’est pas suffisante, il est nécessaire de faire preuve d’un certain professionnalisme et d’un niveau de compétence auprès du résident.  L’idéal serait des assistants dentaires mais il n’y en a pas suffisamment. Un infirmier peut être la solution en termes de ressources humaines sous réserve d’une formation complémentaire adaptée aux spécificités de l’art dentaire. Un encadrement au niveau légal, déontologique et conventionné apparait indispensable dans un délai bref ».

La télémédecine en santé bucco-dentaire en Ehpad semble présenter un potentiel de croissance important. Parmi les avantages notables, on soulignera la possibilité d’assurer un suivi régulier de nombreux patient notamment en abaissant les barrières dues au déplacement sanitaire en cabinet ou en centre dentaire (difficile à assurer en toute sécurité pour les patients fragilisés en plus d’être couteux) mais également de lever les appréhensions et phobies souvent présentes chez les patients s âgés ou en situation de handicap. Il est  temps de se lancer massivement…

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