Nora ANSELL-SALLES

mardi 19 juillet 2016

Les discriminations dans l’accès à l’emploi public


Les discriminations dans l’accès à l’emploi public
Mission confiée à Yannick L’Horty
Le 12 juillet 2016


• LES DISCRIMINATIONS DANS L’ACCÈS A L’EMPLOI PUBLIC •

Avoir un regard scientifique, objectif et impartial sur ces questions sensibles…
La fonction publique ne peut pas incarner les valeurs de la République si les fonctionnaires ne reflètent pas la société française dans son ensemble. Il est important d’avoir un regard scientifique, objectif et impartial sur ces questions sensibles pour éviter de dire n’importe quoi. Ce type d’enquête sera désormais rendu public chaque année. Le Premier ministre l’a souhaité. C’est indispensable pour sensibiliser et comparer les progrès réalisés.
Les discriminations dans l’accès à l’emploi sont souvent dues à des clichés enracinés dans l’esprit des recruteurs. Ceci n’excuse rien : la fonction publique se doit d’être exemplaire en matière d’ouverture. La discrimination est un délit.
Il n’y a pas de recette miracle : il faut agir à plusieurs niveaux : sensibiliser, mieux informer, former les cadres et multiplier les dispositifs. Ce Gouvernement a fait du combat pour l’égalité une priorité. La volonté politique est le préalable à toute action dans ce domaine.
D’une façon ou d’une autre, les discriminations concernent la grande majorité de la population. Comme le dit Yannick L’Horty, « les discriminés sont des minorités dont l’addition constitue la grande majorité de la population ».
Annick Girardin, ministre de la Fonction publique


 Dans la continuité du comité interministériel « Egalité et Citoyenneté » du 6 mars 2015, le gouvernement s’est engagé sur des actions fortes en faveur de l’égalité d’accès aux métiers de la fonction publique et d’une plus grande diversité des profils et des parcours. Le principe de l’égal accès aux emplois revêt une importance fondamentale pour la fonction publique qui a vocation à être exemplaire dans le recrutement des femmes et des hommes selon « leurs capacités et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents » conformément à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
 La mission confiée par le Premier ministre à M. Yannick L’Horty, Professeur à l’Université Paris-Est Marne-La-Vallée, est sans équivalent jusqu’à présent en France s’agissant de l’évaluation des risques de discriminations des recrutements dans les trois versants de la fonction publique.
 Les résultats de la mission confiée à M. L’Horty offrent au gouvernement un point de situation et d’attention qui permet de renforcer les mesures existantes et de mesurer l’ambition des mesures adoptées récemment pour que la fonction publique reflète mieux la société qu’elle a vocation à servir.


I - Une évaluation fine et complète des risques de discriminations dans la fonction publique
La mission de M. L’HORTY a permis d’évaluer les risques de discriminations des différentes voies de recrutement dans la fonction publique :
 dans les trois versants de la fonction publique (concours, recrutement sans concours, voie contractuelle)
 par catégorie hiérarchique (A, B, C)
 par grande filière professionnelle
Pour cette mission, M. L’Horty s’est appuyé sur des équipes de recherche de toutes disciplines, juridique, sociologique, statistique ou économique. Par ailleurs, les travaux ont couvert trois axes :
 Analyse des études existantes en France comme à l’étranger
 Exploitation des données statistiques fournies par les candidats auprès des services chargés des recrutements et de l’organisation des concours
 Campagne de test de discrimination (« testing ») sur la base de deux CV similaires sauf sur la caractéristique dont on souhaite mesurer l’effet sur le recrutement (sexe, origine, lieu de résidence, situation de famille).
II - Le rapport met en exergue plusieurs constatations générales sur les risques discriminatoires dans le recrutement de la fonction publique

CONSTATATIONS GÉNÉRALES

Les risques de discriminations doivent être évalués au regard des différentes voies de recrutement dans la fonction publique. La fonction publique effectue chaque année près de 500 000 recrutements, pour tous types de contrats et pour toutes durées confondues.
Le concours constitue la voie normale d’accès à la fonction publique, en particulier pour les emplois permanents dans les administrations. Mais les recrutements d’agents titulaires sont minoritaires. En 2014, sur l’ensemble de la fonction publique, on dénombre 77 000 entrées de fonctionnaires pour 253 000 entrées de

contractuels. Les recrutements de titulaires représentent moins d’une entrée sur quatre.
Par ailleurs, les voies de recrutement dérogatoires autorisées par la loi se sont développées : emplois réservés, contractuels, PACTE, recrutement sans concours.
A noter que les fonctionnaires se trouvent dans leurs parcours professionnels en situation de candidater sur des emplois à l’occasion d’une mobilité ou d’une mutation.
Dès lors, le droit commun des concours n’est pas « un rempart efficace » aux risques de discriminations.

ÉTAT ACTUEL DE LA DIVERSITÉ
La part des femmes poursuit sa hausse régulière. Au 31 décembre 2015, on compte 63% de femmes dans la fonction publique (soit une hausse de 2 points depuis 2012).
La part des diplômés augmente également. Le niveau de formation des agents publics reste plus élevé que celui des salariés du secteur privé, malgré un récent rattrapage en faveur de ces derniers.
Les agents de la fonction publique restent en moyenne plus âgés que ceux du secteur privé (42 ans contre 40 ans pour le privé) et l’âge médian demeure plus élevé dans la fonction publique (43 ans contre 41 ans pour le privé).
Les inégalités sociales dans l’accès à l’emploi public se sont développées. En particulier, les enfants d’agent publics sont surreprésentés dans les recrutements publics. Alors que les enfants de cadres du public représentent 2,6% des actifs occupés, ils constituent 10% des cadres de la fonction publique d’État, soit quatre fois plus. Un tiers des agents de la fonction publique d’État sont des enfants de fonctionnaires et cette proportion s’élève à mesure que l’on monte dans la hiérarchie.
Les descendants d’immigrés sont sous-représentés dans la fonction publique. Les descendants d’immigrés ont 8% de chances en moins d’occuper un emploi public que les natifs.

INÉGALITÉS ET DISCRIMINATIONS : DÉFINITIONS
 On peut parler de discriminations lorsque des caractéristiques individuelles des candidats, sans rapport avec leurs capacités professionnelles effectives, sont considérées dans le processus de sélection. Vingt critères sont proscrits par le code pénal, notamment le sexe, l’origine, l’appartenance réelle ou supposée à une race ou le lieu de résidence.
Ainsi définies, les discriminations concernent directement la grande majorité de la population. La population non discriminable des hommes d’âge intermédiaire qui n’habitaient pas une banlieue défavorisée ne représentait que 15,5% de l’ensemble. De façon plus générale, les discriminés sont des minorités dont l’addition constitue la grande majorité de la population.
III - Evaluation des risques discriminatoires
Les discriminations sont proscrites par le code pénal qui prévoit depuis juillet 2016 vingt-et-un critères, dont l’âge, le sexe, l’origine, l’appartenance réelle ou supposée à une race ou le lieu de résidence.
Toutefois, il ressort de nombreux travaux que les comportements discriminatoires reposent autant sur des stéréotypes et les raccourcis cognitifs associant les caractéristiques des candidats à des aptitudes attendues sur les emplois concernés.
 L’exploitation des données des concours dans la fonction publique d’État indique des inégalités fortes pour les candidats
 Les femmes, les personnes nées hors de France métropolitaine, ou celles qui résident dans une ville avec une forte emprise de Zone Urbaine Sensible (ZUS) ont moins de chances de réussir les écrits puis les oraux.
 Les personnes qui habitent Paris ou qui sont en couple ont des chances plus élevées de réussite.

 La campagne de testing montre des situations de discriminations dans la fonction publique territoriale et dans la fonction publique hospitalière
Cette campagne est menée pour la première fois dans la fonction publique. Elle concerne cinq professions dans les trois versants de la fonction publique : policier national, infirmier en soins généraux, responsable administratif, technicien de maintenance et aide-soignante.
 Le test n’a pas mis en évidence de discriminations au recrutement en ce qui concerne les policiers de la fonction publique d’État.
 En revanche, dans les hôpitaux publics et la fonction publique territoriale des discriminations apparaissent entre une candidate dont le patronyme est de consonance française supposée et une candidate dont le patronyme est de consonance maghrébine supposée ou encore selon le lieu de résidence.
 Les discriminations ne sont pas systématiquement moins fortes dans le recrutement public. Selon les professions testées, elles sont tantôt plus fortes dans le public que dans le privé, tantôt moins fortes.
IV - Le rapport permet de conforter les mesures adoptées par le gouvernement et de fournir de nouveaux axes pour l’avenir
De nouvelles mesures fortes viennent d’être adoptées en faveur de l’ouverture et de la diversité de la fonction publique dans le cadre du projet de loi égalité et citoyenneté. Elles vont venir renforcer toutes les actions d’ores et déjà engagées :
 Des mesures d’information et d’évaluation de l’ouverture de la fonction publique avec un rapport biannuel sur la lutte contre les discriminations et une collecte des données des candidats aux concours par les services statistiques des administrations,
 Des mesures d’information sur les métiers et les voies d’accès à la fonction publique, en permettant aux collégiens et aux lycéens, particulièrement les bénéficiaires d’une bourse nationale et les élèves des établissements

prioritaires, d’effectuer une période d’observation professionnelle dans les administrations. Désormais, dans l’enseignement supérieur, les services d’orientation devront informer les étudiants sur tous les métiers et les voies d’accès à la fonction publique,
 Des mesures de prévention des discriminations, avec la mention du principe de l’égal accès dans tous les avis des concours ainsi que le rappel dans la loi du principe de respect de l’égalité de traitement par les jurys des concours dans les trois versants de la fonction publique. La présidence des jurys sera, par ailleurs, assurée de façon alternée entre les femmes et les hommes,
 Des mesures de pré-recrutement dans la fonction publique des jeunes sans-emplois avec la création d’un nouveau contrat de droit public en alternance. Il va permettre aux jeunes chômeurs de moins de 28 ans, d’être accompagnés pour passer les concours de catégorie A et B dans la fonction publique d’État. Près de 500 jeunes seront concernés. A noter que les jeunes résidants dans les quartiers prioritaires pour la politique de la ville, les zones de revitalisation rurale, les départements et territoires d’outre-mer seront prioritaires pour l’obtention de ce contrat,
 Des mesures d’ouverture de la fonction publique aux différents parcours et profils, avec l’harmonisation des conditions d’accès au 3e concours et la prise en compte de toute activité professionnelle (associative, privée, apprentissage),
 Des mesures pour élargir les voies d’accès dérogatoires à la fonction publique, avec le renforcement du recrutement par la voie du PACTE C qui permet à des personnes en difficulté d’accéder à la fonction publique, désormais possible jusqu’à 28 ans contre 25 ans jusqu’à présent.
Pour rappel, un grand nombre de mesures ont été prises :
 Le développement de l’apprentissage par les employeurs publics de l’État avec un objectif d’au moins 10 000 apprentis en 2016/2017,
 Le doublement (passage de 500 à 1 000) du nombre de places dans les classes préparatoires intégrées. Cette préparation spécifique aux jeunes bénéficiaires d’une bourse nationale assure un taux de réussite de 52% des candidats préparés aux concours,
 L’ensemble des écoles de service public devront se doter d’un plan d’action en matière de diversité dans le cadre de la mission confiée par le Premier ministre à Olivier ROUSSELLE. Ce plan ne devra négliger aucun aspect du processus de recrutement et abordera : la composition des jurys et des

comités de sélection, la formation et les modalités de titularisation dans les écoles de service public, la diversification des profils accédant au recrutement mais aussi la gouvernance de ces écoles et notamment la composition des conseils d’administration.
 La diversification et la professionnalisation des jurys, avec la présence de personnalités extérieures à l’administration qui recrute et la sensibilisation accrue des membres de jurys à la prévention des préjugés et stéréotypes,
 La procédure de labellisation égalité–diversité engagée par l’ensemble des ministères d’ici la fin 2016 qui est l’occasion de réviser leurs processus de gestion des ressources humaines sur le sujet.
Au-delà, des axes complémentaires d’action viendront compléter ces mesures en s’appuyant sur les travaux de M. L’Horty, en particulier avec :
 La mise en place d’un dossier unique d’inscription aux concours,
 L’organisation d’une campagne annuelle de testing dans la fonction publique,
 L’obligation du suivi d’un module de sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes,
 La mise en place d’un module de formation en ligne pour les managers s’agissant du recrutement et des biais de discriminations possibles.

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