Bonjour Éric Chenut, les lecteurs de "Mine d'Infos" vous connaissent en tant que président de la Mutualité Française. Les militants mutualistes suivent le parcours du citoyen engagé que vous êtes depuis des années... mais l'homme public est plus connu que l'homme privé... Si vous deviez faire votre auto portrait...
Ce fut probablement d’être apprécié et appréhendé à l’aune de ce que je fais, et non de l’image que je peux renvoyer, étant déficient visuel, noir et gay.
Certains veulent nous enfermer dans une case, oubliant que l’on est complexe, multiple, empli de contradictions quelquefois. Je me suis toujours battu pour être libre, libre de mes choix d’études, ne voulant pas me restreindre du fait de mon handicap visuel, être libre dans mes choix ou mes engagements à l’aune de mes valeurs et de mes convictions, et pas forcément là où certains voulaient conditionner ma légitimité.
A qu'elle carrière vous destiniez-vous à 20 ans ?
Je me suis engagé dans les études de droit pour être avocat. Très vite à la fin de ma première année, ayant eu la chance de travailler en job d’été dans un cabinet comme secrétaire administratif, je me suis rendu compte que ce métier ne me correspondrait pas. Pour autant le droit me passionnant dans sa rigueur conceptuelle, dans l’aspiration à la justice que sous-tendait une utilisation volontariste du droit, j’ai décidé de continuer, sans savoir précisément ce que j’en ferai.
A 20 ans, je n’imaginais pas ce que je fais aujourd’hui cela est certain.
A vrai dire j’avais une forme d’insouciance, convaincu que par mon droit je parviendrai à exercer comme juriste au sein de la fonction publique d’état, sinon dans le secteur privé, sans plus de certitude, sinon que le droit conduisait à tout, et à même à ce que l’on n’imaginait pas…
Je ne connaissais pas l’engagement mutualiste.
A vingt ans, en 1993, à l’occasion d’une action d’information prévention sida, à laquelle mon syndicat s’est associé pour sensibiliser les étudiants, j’ai donné un coup de main et j’ai découvert qu’il y avait des femmes et des hommes élus à la MNEF.
Les sujets sur lesquels ils et elles s’engageaient, le mode d’entreprendre participatif, m’ont immédiatement plu, car très concret, permettant de mettre les mains dans le cambouis, même à l’échelon local.
J’y ai mis un doigt, puis le bras, et j’ai été aspiré par cet engagement, que j’ai poursuivi sous différente forme, dans différentes mutuelles et groupes mutualistes jusqu’à la Mutualité Française aujourd’hui.
Un des éléments qui m’a énormément plu, dès le début c’était que nous pouvions nous retrouver issus d’horizons différents ; je pouvais travailler sur le fonds avec des personnes qui étaient syndicalement engagées dans d’autres organisations que la mienne, et là au sein de la mutuelle, nous parvenions à fabriquer du consensus, à œuvrer ensemble dans l’intérêt des étudiants nous enrichissant les uns les autres.
Cette spécificité de la mutualité comme maison commune me semble être un élément que l’on ne met pas suffisamment en avant, quant à notre contribution à faire société en œuvrant aux communs de notre République.
Un an avant je n’y avait pas pensé. Si Thierry ne devient pas Président du CESE, la question ne se serait surement pas posée. Au début du printemps 2021, la succession de Thierry commence à être envisagée.
Aussi je m’interroge à savoir si j’en ai les qualités, si j’en ai envie, car je sais la fonction très exigeante et complexe, l’ayant perçu au contact de Jean-Pierre*, Etienne ou Thierry. Je commence alors à consulter, pour savoir si mes pairs estiment que je peux être utile au mouvement.
L’état du système de santé était connu, nous le disions depuis des années. Je me souviens avoir participer avec Etienne Caniard, alors président de la Mutualité Française, à une réunion à Bourges où nous faisions l’analyse commune des enjeux induits par la transition démographique et l’inadéquation de la démographie médicale, de l’organisation des missions des différentes parties prenantes du système de santé pour y faire face.
Le manque d’anticipation des pouvoirs publics est inexplicable, car tout était écrit, décrit.
Je n’ai donc en rien été surpris ; ce qui m’a surpris c’est la vaine tentative de masquer cette réalité en agitant une ambition technocratique, l’étatisation de la protection sociale, avec cette « Grande sécu ». Masquer les insuffisances du système de santé, l’augmentation des déserts médicaux, les délais de prises en charge qui se rallongent pour accéder à certaines spécialités, des dépassements d’honoraires qui s’accroissent… voilà les questions qui nous étaient posées, les inquiétudes exprimées. Or, on a voulu nous faire croire que le problème c’était le fait que des complémentaires santé, en premier lieu desquels les mutuelles, étaient le problème, passant par pertes et profits la création de valeurs des mutuelles au-delà de la redistribution prestataire, par les millions de personnes bénéficiant d’actions de prévention chaque année, celles et ceux accompagnés, parce qu‘orphelin, en situation de handicap ou de dépendance, les millions de personnes bénéficiant des 2930 établissements et services de soins et d’accompagnement mutualistes, en médecine, en chirurgie, en obstétrique, en soins de suites et réadaptation, en santé mentale, à domicile, ou dans les établissements médico-sociaux, accédant à des soins sans reste à charge en centre de santé médicaux ou dentaires, ou bénéficiant de délivrance de biens médicaux…
Je me suis employé depuis lors à expliquer ce que nous étions et faisions afin de contrer ce mutuelle bashing, et les arguments de nos contempteurs bien souvent de très mauvaise foi, qui nous reprochent ce que l’hyper-concurrence qu’ils ont décidée induit.
Mon ambition est avant tout de convaincre l’opinion et les relais d’opinion de l’intérêt de l’action mutualiste en explicitant, en objectivant l’empreinte solidaire, sanitaire et sociale, des mutuelles, des groupements et des unions mutualistes sur tout le territoire, en proximité.
Ensuite la synthèse permettant de rassembler largement est une force, et non un signe de faiblesse.
Le compromis est essentiel en démocratie, en mutualité nous savons le porter comme un vecteur de rassemblement, non pour procrastiner ou remettre au lendemain les décisions qu’il faut prendre en responsabilité, mais dans la nécessité de fédérer le plus largement possible.
L’enjeu est de favoriser la diversification et le développement de l’action mutualiste dans les différents cadres permis par le code de la mutualité, dans l’intérêt des populations protégées et de faire mieux percevoir la plus-value de l’action mutualiste, partout et pour tous.
Mais au-delà de la boutade, le matin, je pense à ce qu’il y a à faire aujourd’hui, demain, le mois prochain et dans l’année qui vient.
Je suis totalement tourné dans le fait que ce mandat soit utile à l’action mutualiste, pour la valoriser la faire mieux connaître et reconnaitre, renforcer notre légitimité d’acteur du mouvement social, et de syndicat professionnel efficace.
C’est un mandat plus qu’à temps plein, quant à l’intensité des sujets à porter, à instruire, des projets à impulser.
Et quant à l’incarnation qu’une telle fonction induit il faut savoir se démultiplier pour aller sur le terrain, ce que nous faisons avec Dominique Joseph, Secrétaire générale, Béatrice Augier, chargée de mission auprès du Bureau et les équipes de la fédération dirigée par Séverine Salgado.
J’ai décidé de me déplacer au moins deux fois par mois, pour aller à la rencontre des femmes et des hommes qui font la mutualité au quotidien, élus comme salariés, pour me nourrir, comprendre leurs préoccupations, connaître précisément leurs actions, leurs projets pour pouvoir mieux les représenter.
Ce parti pris est donc exigeant, je veille donc à me ménager des temps pour moi, pour me ressourcer, auprès de mes proches, pour lire, écrire, écouter de la musique, aller voir des spectacles vivants…
Mais pas d’inquiétudes néanmoins, je prends énormément de plaisir dans l’exercice de cette responsabilité, quant aux rencontres faites, à la richesse des échanges, malgré la complexité du quotidien et à l’énergie qu’il convient d’y consacrer pour faire vivre sereinement notre communauté mutualiste diverse, vivante et engagée.
Non, je n’ai jamais pu conduire de moto. Je ne suis pas styliste et je n’ai pas retapé une vielle église pour vivre dedans …
Si vous aviez la possibilité de faire vous-même les questions/réponses laquelle vous seriez -vous posée ? et quelle aurait été votre réponse ?
Je ne sais pas encore, mais j’aspire à avoir davantage de temps pour moi pour réfléchir et mettre au service de la puissance publique l’expérience acquise, pour contribuer à ma place à la réflexion collective quant à nos communs et la manière la plus démocratique pour les gouverner.
Je pense par ailleurs quand j’en aurais le temps me réengager dans d’autres organisations portant la question de la laïcité, de l’universalisme et de la manière de faire République ensemble à l’aune des aspirations sociétales, des enjeux sociaux, en ayant toujours au cœur l’émancipation comme fil directeur de mon engagement !