Nora ANSELL-SALLES

lundi 5 septembre 2016

Fonction publique : discours de ANNICK GIRARDIN à l' ENA

Discours d’Annick Girardin à Strasbourg
Ecole Nationale d’Administration
Le 1er septembre 2016
Madame la directrice de l’Ecole nationale d’administration, chère Nathalie Loiseau,
Mesdames et messieurs les élèves,
Bonjour à tous,
C’est pour moi un grand plaisir d’être devant vous à Strasbourg dans les murs de l’Ecole nationale d’administration, quelques mois après avoir croisé quelques-uns d’entre vous à l’occasion de la remise des diplômes aux étudiants étrangers de la promotion Orwell au quai d’Orsay.
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En déplacement à Strasbourg pour le lancement de la consultation « Ma fonction publique se réinvente » dans le cadre de nos travaux sur l’innovation managériale mais aussi pour l’inauguration de nouveaux locaux de l’institut National des études territoriales (INET), j’ai souhaité venir à votre rencontre afin d’avoir un temps d’échange qui sera, j’en suis sûre, fructueux comme toujours avec les élèves de vos deux prestigieuses écoles.
Ainsi, je place cette rencontre sous le sceau du dialogue. De mon côté, je souhaite pouvoir vous faire partager ma vision de la Fonction publique et plus particulièrement de la Haute fonction publique et de vos deux écoles qui forment les hauts fonctionnaires de l’Etat et des collectivités territoriales.
Je vous propose que nous ayons ensuite un temps d’échange sur ces sujets, qui vous tiennent très certainement à coeur.
Tout d’abord permettez-moi de dire un mot sur le lancement officiel de la consultation « Ma fonction publique se réinvente ».
Depuis ma prise de fonction, je n’ai de cesse de promouvoir l’innovation en matière de ressources humaines dans la fonction publique.
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J’ai la conviction que l’innovation est appelée à relever de nombreux défis si elle permet de confronter l’action publique à l’exigence croissante des citoyens. C’est d’ailleurs l’orientation donnée par le Premier ministre en novembre 2015 en matière de modernisation des ressources humaines : celle de faire de l’innovation RH l’une des priorités stratégiques de mon ministère.
J’ai décidé de lancer une consultation auprès des agents des trois fonctions publiques afin de m’appuyer sur leur capacité d’innovation pour concevoir des projets crédibles et susceptibles d’être expérimentés sur le terrain. Cette consultation réunira une centaine d’agents d’environnements professionnels différents désireux de s’investir dans l’innovation et aura pour objectif central de libérer leur créativité.
Trois thèmes seront soumis à échanges lors de cette consultation : l’innovation managériale, le bien-être au travail, le numérique et son impact dans l’organisation des services. Ces travaux ne doivent pas être un coup d’épée dans l’eau mais suivis d’expérimentations concrètes. Et je serai attentive à ce que les meilleures initiatives soient traduites en actes.
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L’atelier inaugural associant des élèves de l’ENA et de l’INET qui a eu lieu hier et qui m’a été restitué tout à l’heure me confirme l’intérêt de cette démarche.
Cette consultation se déroulera dans plusieurs villes au cours du dernier trimestre de cette année.
Et c’est là l’un des messages que j’aimerais vous faire passer : la fonction publique n’est pas un monolithe ni un monstre froid immobile. Elle est ce que les décideurs en font. Elle est donc ce que vous en ferez demain. Au long de votre carrière, vous occuperez sans aucun doute des postes à fort enjeu managérial. A vous de vous saisir de ces problématiques et de les intégrer très tôt.
La carrière de hauts fonctionnaires, ce n’est pas réussir brillamment un concours et se mettre en pilote automatique jusqu’à la retraite.
Être haut fonctionnaire, c’est être en mesure d’apporter des solutions. Être haut fonctionnaire, c’est avoir conscience d’une responsabilité de taille. Celle de faire vivre la fonction publique et ses valeurs à l’heure où celle-ci ne cesse d’être attaquée, à l’heure où des discours caricaturaux ne cessent de prendre le statut pour cible, à l’heure où sa légitimité n’a jamais été autant remise en cause.
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Je trouve même cocasse qu’un de vos « camarades » veuille aller jusqu’à la suppression de l’ENA. C’est une mesure démagogique plutôt qu’une proposition réfléchie. Bruno Le Maire semble oublier une chose : il n’a pas fait l’ENA, c’est l’ENA qui l’a fait.
En tant qu’élèves de l’ENA ou de l’INET, vous n’êtes pas là par hasard. Déjà parce que vous avez décidé de vous investir pleinement pour préparer, passer et réussir un concours d’entrée difficile.
Mais aussi parce que chacun d’entre vous, à votre manière, portez dans votre engagement la défense du service public. Vous avez fait le choix du service public en étant conscient de tout ce que cela implique.
La fonction publique, ce sont des droits mais aussi des devoirs et notamment celui de consacrer sa carrière à la collectivité et à l’intérêt général.
Il est vrai que certaines situations posent question et que les Français s’interrogent sur le sens du service public de certains hauts fonctionnaires. C’est l’objet de la loi du 20 avril 2016 de répondre à certaines préoccupations légitimes.
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Je pense, en particulier, à la question de la déclaration des conflits d’intérêts. Je pense également à la question du pantouflage. Sur ces sujets, nous travaillons sur les décrets d’application de la loi. Car l’exemplarité de la fonction publique, et de la haute fonction publique au premier chef, est une exigence. Une exigence pour la démocratie, cette exemplarité est une composante du statut.
Plus que les autres fonctionnaires, vous devez garder à l’esprit la nature même de votre mission : celui de porter l’action publique au service des Français. De la porter avec passion, avec efficacité mais surtout, et c’est je crois le plus important, avec inventivité. Les méthodes de management de la fonction publique sont aujourd’hui souvent encore en décalage par rapport aux demandes des agents. Faire évoluer ces méthodes, c’est aujourd’hui une des conditions de l’efficacité.
Il nous faut travailler par exemple sur la question du management à distance, sur le développement du télétravail, sur la prise en compte du rallongement des carrières et j’en passe. Et je pense que sur ce point, il existe des organisations publiques innovantes. Nous devons profiter de leur expérience. Ce sera l’un des enjeux de la DRH de l’Etat que d’impulser cette dynamique dans les différents ministères.
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On ne sert pas l’Etat ou les collectivités territoriales par hasard. On ne choisit pas de se consacrer au service de ses concitoyens, sur un malentendu. C’est d’abord un engagement, une vocation et une fierté !
En premier lieu, je voudrais dire ici qu’il est indispensable de maintenir l’excellence de la haute fonction publique française. La qualité de vos formations n’est plus à prouver. Mais elles doivent sans cesse être améliorées pour prendre en compte l’évolution des techniques, des organisations et des attentes des citoyens.
J’aime rappeler que la haute Fonction publique française est souvent enviée à l’étranger. C’est un modèle qui est reconnu dans le monde entier et à juste titre. Sans doute parce que les principes et les valeurs qui ont fondé la constitution de la haute fonction publique, en 1945, demeurent d’actualité aujourd’hui : l’égalité d’accès par un concours et le mérite.
Je crois qu’il nous faut conforter ces principes. Chaque fois que l’on s’en éloigne trop, on fragilise la haute Fonction Publique mais aussi toute la Fonction publique dans son ensemble. Ce qui ne veut pas dire que l’on doit rester passif.
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L’innovation, je vous le disais en préambule, est un enjeu de la modernisation de la fonction publique. Tous, nous devons nous saisir de ces nouvelles problématiques.
A ce titre, je mets en place un cycle de conférences sur l’innovation au sein de mon ministère. La première aura lieu le 5 septembre prochain sur l’innovation managériale. Vous êtes évidemment les bienvenus.
L’innovation doit pouvoir donner des outils aux fonctionnaires pour s’adapter aux mutations de la société. Des mutations qui touchent la fonction publique mais aussi tous les français.
La rigidité et la verticalité des organisations publiques ne leur permettent que difficilement de s’adapter à ces transformations.
Or l’écart se creuse entre les attentes des individus et les modes d’action publique traditionnels.
Pour autant, le monde actuel et celui vers lequel on souhaite aller a besoin de ce que peut apporter la puissance publique : du long terme pour appuyer, de la réactivité, de la continuité entre échelles, de l’inclusion, des objectifs et des espaces « communs » pour que la concurrence ne débouche pas toujours sur des monopoles…
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Le jeu d’acteurs évolue dans tous les champs de l’action publique. Le numérique par exemple s’affirme aujourd’hui comme un véritable champ d’expérimentation. Il peut nous aider à favoriser le décloisonnement de l’action publique, si son développement est bien accompagné, bien pensé, pour tous, et partout.
J’ajoute que l’une des composantes essentielles de l’innovation est la mobilité fonctionnelle (et/ou géographique) entre ministères, entre les trois versants de la Fonction publique ou bien encore entre le secteur public et le secteur privé. Ce sujet est évidemment important pour les hauts fonctionnaires que vous êtes.
Sur l’inter-ministérialité, nous avons progressé ces dernières années. Le vivier interministériel des cadres dirigeants en est la meilleure illustration.
Pour les élèves de l’ENA, la modification en juillet 2015 des règles de la mobilité statutaire pour l’accès aux emplois fonctionnels va dans le sens d’une plus grande inter-ministérialité puisqu’elle favorise la mobilité statutaire dans un autre département ministériel. De même, les écarts indemnitaires pour les hauts fonctionnaires de l’Etat devront être réduits.
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La mise en place du RIFSEEP (régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel) permet d’améliorer la transparence sur les indemnités et, dans une certaine mesure, de rapprocher les niveaux indemnitaires, par exemple avec des plafonds indemnitaires communs à tous les ministères pour les emplois fonctionnels. Les mobilités entre versants de la Fonction publique, entre ministères et à l’international ne sont sans doute pas assez nombreuses. Il convient donc de les favoriser.
Pour cela, il faut travailler à lever les freins à cette mobilité. Ils sont parfois statutaires, souvent indemnitaires. Mais les obstacles sont souvent culturels et imprègnent les arrières pensées. Les cadres supérieurs n’osent pas toujours quitter leur corps d’origine ni même s’en éloigner.
Je ne saurai trop vous inciter - puisque vous allez développer une longue carrière dans la haute fonction publique - à profiter de celle-ci pour découvrir de nouveaux univers et développer ainsi vos compétences…
Voilà ce que je voulais vous dire. Vous êtes les décideurs de demain alors soyez audacieux.
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C’est vous qui allez penser et mettre en place les réformes qui construiront la fonction publique de demain. Vous aurez la lourde responsabilité de penser et de mettre en oeuvre les mutations de la société.
Et je le répète, en tant que futurs hauts-fonctionnaires, vous devrez faire preuve d’inventivité, tout en restant à l’écoute du terrain. Gardez toujours en tête que l’action publique s’adresse à nos concitoyens. Elle s’adresse à tous et partout.
A la fin de votre cursus, c’est un autre monde qui vous attend. J’ai confiance en vous pour prendre la mesure de la tâche qui vous attend.
Je vous remercie

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