Simone Veil au Panthéon : trois choses à savoir sur cette liturgie républicaine
05.07.2017
Chaque nouveau casting raconte une histoire collective en train de s'écrire, tout comme les rares évictions. Sous la Révolution, le Panthéon devient nécropole des grands hommes et temple de la République. Avec Simone Veil, Emmanuel Macron fait un choix consensuel et rapide à peine arrivé à l'Elysée.
Installation du plasticien JR au Panthéon, en 2014•Crédits : Yann Caradec via Flickr CC
La mort de Simone Veil n'était pas annoncée depuis plus de quelques heures que, déjà, circulaient plusieurs pétitions réclamant son entrée au Panthéon. Après que la famille a répondu que Simone Veil avait exigé être inhumée aux côtés de son époux, Antoine, l'ardeur était retombée. Et puis Emmanuel Macron a finalement publiquement annoncé, ce mercredi matin, au terme de son discours aux obsèques de Simone Veil, que cette dernière rejoindrait bien la coupole de la montagne Sainte-Geneviève, ainsi que son mari. La famille ne s'y opposait plus.
1. Qui décide des heureux élus ?
C'est aujourd'hui au Président de la République, seul, de décider qui rejoint la nécropole des "Grands hommes". Dans l'usage en tout cas, car la Constitution ne mentionne pas cette prérogative explicitement. Patrick Garcia, professeur à l’université de Cergy-Pontoise et chercheur à l’Institut d’histoire du temps présent, explique que "rien n’est codifié, le président seul choisit et la décision est mise en œuvre par le ministère de la Culture". A travers les choix que fera un Président de la République, se dessine aussi son empreinte.
Avant la Cinquième République, le droit de choisir qui méritait les honneurs de la République et la gloire perpétuelle revenait plutôt au Parlement. En 1791 c’est ainsi l’Assemblée constituante qui décide d'envoyer Voltaire (mort depuis 1778) et Mirabeau au Panthéon. En 1794, c'est la Convention qui prend le relais, et choisira Jean-Jacques Rousseau. Après un intermède durant l'Empire où Napoléon Ier rompt avec cette tradition parlementariste, les députés retrouveront cette prérogative en 1885 sous la Troisième République.
En 1958, la présidentialisation du régime passe aussi par le fait de décider des hiérarchies symboliques. Des hiérarchies évidemment fluctuantes, comme en témoigne par exemple l'éviction de Mirabeau, remplacé par Marat... avant que celui-ci ne soit à son tour éjecté du Panthéon pour divergences politiques post mortem avec les Assemblées successives sous la Révolution française. Au total, quatre personnalités seront évincées du temple de la République à l'époque de la Révolution française. Autant d'évictions qui racontent une histoire en train de s'écrire.
2. Un casting masculin : 72 hommes pour 4 femmes
Avant les pétitions réclamant la "panthéonisation" de Simone Veil, des collectifs plébiscitaient par exemple de longue date celle d'Olympe de Gouges. Quand François Hollande est arrivé à l'Elysée, en 2012, les féministes pétitionnaires y ont cru. Las, ce sera finalement quatre résistants, dont bien deux femmes (Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz) que François Hollande décidera de faire entrer au Panthéon. Mais pas Olympe de Gouges.
à réécouter Olympe de Gouges : "Je meurs, mon cher fils, victime de mon idolâtrie pour la patrie et pour le peuple"
Avant de faire ce choix, François Hollande avait commandé à Philippe Bélaval, conseiller d'Etat, Président du Centre des monuments nationaux, un rapport sur le rôle du Panthéon. Dans ces travaux remis au chef de l'Etat en octobre 2013, Bélaval proposait plusieurs pistes pour rendre plus populaire le rituel de la panthéonisation et, au passage, permettre à François Hollande un coup médiatique. Ses recommandations convergeaient vers le choix d'une figure féminine, et aussi une préférence pour personnalités du XXe siècle :
Le XXe siècle est encore suffisamment proche de nous pour que les personnalités qui en ont été les acteurs et les actrices continuent de nous marquer.
Dans le détail, Philippe Bélaval préconisait des personnalités qui, "après avoir montré pendant une voire deux guerres toute l'étendue de leur courage, ont également su tirer de ces expériences souvent douloureuses – puisqu'elles ont pu être torturées ou déportées – les ressorts d'un nouvel engagement, en faveur de la paix, de la justice sociale ou encore du savoir. [...] Les femmes auxquelles nous suggérons de rendre hommage incarnent toutes des combats universels, et non exclusivement féministes."
à réécouter La Panthéonisation en démocratie
L'année suivante, Philippe Bélaval était invité par Alain Finkielkraut pour dialoguer avec l'historienne Mona Ozouf dans "Répliques" :
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En 1985, Mona Ozouf avait publié un article dans l'ouvrage collectif Les lieux de mémoire, dirigé par Pierre Nora, consacré au Panthéon. Au micro de "Répliques", elle disait ceci du choix des personnalités sanctuarisées par François Hollande :
Pour bien commémorer il faut être dans un état de proximité affective avec l'événement commémoré. On a de cela quantité d'exemples. Et donc le choix de François Hollande de choisir ces panthéonisés dans une période de l'Histoire qui nous parle à tous était une des conditions de cette proximité affective. Nous vivons toujours, les uns et les autres, dans l'ordre de la Seconde guerre mondiale, et c'était tout à fait judicieux.
De même qu'avoir pris ces quatre panthéonisés avait un souci de cohérence. Des attelages un peu surprenants avaient été proposés à François Hollande. Par exemple, panthéoniser en même temps Olympe de Gouges et Pierre Brossolette. Je plaindrais celui qui serait en charge du discours si cela avait été le choix retenu.
Enfin, ce sont quatre illustrations du courage. Or le courage est le parfait ressort du mouvement d'admiration chez nous. C'est la chose sur laquelle il est le plus facile d'obtenir l'assentiment de tous, l'assentiment populaire. Même dans une période aussi décadente qu'on prétend que la nôtre l'est, il y a un mouvement d'admiration spontanée, par exemple pour [la figure du] sauveteur.
Avant ces quatre personnalités de la Résistance, les prédécesseurs de François Hollande avaient fait des choix plutôt ancrés dans le XXe siècle, eux aussi : sept des dix personnalités panthéonisées entre 1958 et 2012 avaient vécu au siècle dernier. C'est-à-dire qu'à travers ce rituel se jouait la consécration de héros d'une histoire récente.
C'est Jean Moulin que le Général de Gaulle avait souhaité voir inhumer au Panthéon. Dans la mémoire collective, en restera pour principale trace, historique et solennelle, le discours d'André Malraux, son ministre de la Culture. Vous pouvez le redécouvrir avec cette vidéo du 19 décembre 1964, qui montre De Gaulle et son Premier ministre, Georges Pompidou, assistant à cette cérémonie du transfert des cendres de Jean Moulin :
Entre Jean Moulin, en 1964, et René Cassin, en 1987, personne n'entrera au Panthéon durant vingt-trois ans : ni Georges Pompidou, ni Valery Giscard d'Estaing ne s'inscriront dans le rituel. Et c'est donc François Mitterrand qui le réactualisera avec le Prix Nobel de la paix, juriste, diplomate, ancien résistant et auteur de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Il recommencera au cours de son second septennat, permettant notamment l'arrivée de Marie Curie au Panthéon. En mars 1995, lorsqu'elle rejoint la coupole, Marie Curie n'est que la seconde femme à y entrer. Et encore faut-il rappeler que Sophie Berthelot n'y figure qu'au titre officiel de sa "vertu conjugale" puisque c'est aux côtés de son mari, le chimiste et homme politique Marcelin Berthelot, qu'elle y entre en 1907.
Nous n'avons pas d'information sur l'état de conservation de la dépouille de Sophie Berthelot. En revanche, pour l'anecdote, un administrateur du Panthéon a récemment fait savoir que la dépouille de Marie Curie avait extrêmement bien survécu au temps qui passe. Explication : les radiations dont l'illustre scientifique a fait l'objet pendant ses recherches bénéficient à ses restes.
3. Un lieu politique
L'entrée au Panthéon est un choix politique autant que symbolique. Avec Simone Veil, Emmanuel Macron a agi vite puisqu'il n'est pas Président depuis deux mois qu'il la choisit déjà. Là où ses prédécesseurs attendaient plus avant dans leur mandat. Mais il n'est pas sans savoir que Simone Veil, longtemps parmi les personnalités préférées des Français, est un choix avantageux : rescapée de la Shoah, figure historique de la cause des femmes et grande militante de l'Europe, elle croise plusieurs combats fondamentaux en un seul destin.
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Mais l'instrumentalisation d'une cérémonie flatteuse pour un Président en exercice a pu faire polémique par le passé. En 2009, les héritiers d'Albert Camus s'étaient ainsi opposés au fait que leur aïeul fasse son entrée au Panthéon selon le souhait de Nicolas Sarkozy, alors Président en exercice. La liste des personnalités inhumées au Panthéon raconte aussi "les intermittences de la mémoire nationale", le beau titre d'une émission "Lieux de mémoire" de 1996 (rediffusée en avril 2017, avant l'élection présidentielle, dans le cadre de la Nuit spéciale "Président : la fabrique d’une image") :
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à réécouter Le Panthéon ou les intermittences de la mémoire nationale
Dans cette archive, l'historien Jean-Claude Bonnet revenait sur l'émergence de la notion de "Grand homme" dans notre histoire collective au moment de la Révolution française:
A partir de 1758, on a l'apparition d'un nouveau genre, célébratif. Un genre d'éloge académique qui n'est pas l'éloge des savants, comme cela se faisait traditionnellement, mais un éloge idéologique. Entre 1758 et la Révolution, il y aura tout une série de concours pour choisir les grands hommes de la nation. La presse et l'opinion vont se passionner pour cela.
Officiellement, Charles De Gaulle n'est pas un grand homme : à sa mort, personne n'essaya de l'envoyer au Panthéon. En effet, l'ancien Président et chef de la France libre avait fait savoir, bien plus tôt, qu'il s'y opposait. C'est donc à Colombey-les-deux-Eglises qu'il est enterré, alors que son ministre, le Nobel Malraux, rejoignait, lui, le Panthéon en 1996, sur décision de Jacques Chirac (qui panthéonisera aussi Alexandre Dumas).
Devenu un baromètre de la grandeur de la France et le symbole de la consécration de quelques figures, le Panthéon est un lieu politique. En 1981, c'est au Panthéon que François Mitterrand décidait d'endosser le costume présidentiel. De cette scène historique, en mai 1981, on a beaucoup dit qu'elle avait inspiré Emmanuel Macron pour célébrer sa propre victoire le 7 mai, au Louvre, cette fois. Vous pouvez la revoir par ici :
Avant Simone Veil, seulement quatre femmes au Panthéon.• Crédits :Visactu
archives Radio France - Ina
Chloé Leprince
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Tags : PolitiqueSimone VeilPanthéonHistoireHommage à Simone Veil
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