« Un monde sans paludisme »
Aperçu du programme stratégique de la
fondation Bill et Melinda Gates
Sophie Allauzen
Senior Program Officer
Integrated Development, Global Health,
Bill & Melinda Gates Foundation, Seattle, USA
Par le biais d’une série de nouvelles stratégies et le
développement d’outils innovants, la fondation Bill & Melinda Gates s’est
lancée dans un programme important dédié à l’éradication du paludisme dans les
20 prochaines années, objectif extrêmement ambitieux mais considéré possible
avec un engagement international suffisant. Ce programme se focalise autour de
trois axes stratégiques majeurs : « Eliminate, Prevent et
Mobilize ».
L’objectif de l’axe « Eliminate » est de
démontrer qu’une accélération sur la voie de l’élimination est
possible en ajoutant de nouvelles
stratégies aux interventions existantes et/ou en utilisant les outils actuels
de façon différente, combinés avec une concentration des ressources sur les
approches considérées les plus efficaces.
Ces efforts se focalisent sur l’identification et le traitement de touts
les sujets infectés en utilisant la surveillance comme rôle central, en
collaborant au niveau régional tout en s’adaptant aux échecs
émergents et en intégrant le programme d’élimination dans les systèmes de santé avec un fort engagement
des pouvoir publics. Les régions majeures ciblées aujourd’hui et en priorité
sont l’Asie du sud-est, l’Hispaniola et
l’Afrique sub-saharienne.
L’axe « Prevent » s’efforce de déployer
rapidement de nouveaux outils en facilitant leur autorisation réglementaire ,
essayant d’éliminer les obstacles de mise sur le marché et en investissant dans
la Recherche & Développement (R&D). Ses efforts soutiennent les
innovations à court terme telle que la recherche de vaccins plus efficaces,
l’analyse du potentiel des médicaments actuels à obtenir une guérison totale au niveau individuel et
au niveau des populations et sur le développement de méthodes de contrôle des
vecteurs par transformations génétiques .
Au niveau diagnostique, un effort important est déployé afin de développer des tests plus sensibles
permettant la détection d’individus asymptomatiques potentiellement
responsables de transmission.
Enfin, l‘axe « Mobilize » se focalise sur
l’aspect financier et l’installation de
nouvelles méthodes de financement. Son objectif principal est d’obtenir un
doublement les fonds mondiaux dans les 8
prochaines années de façon à assurer que le paludisme occupe une place de choix
à l’ordre du jour mondial et rassemble le soutien et les ressources politiques
nécessaires pour une éradication future. Le travail dans ce domaine est dédié
au déploiement de méthodes de communication efficaces visant non seulement à
maintenir le support des donateurs actuels mais à plaider en faveur d’une augmentation
des investissements des pays affectés.
La fondation Gates investit en moyenne $200 millions par
an dans le programme du paludisme, soit au total dans les 10 dernières années,
$1,12 milliard, dont 50% dédié à la R&D seulement pour le développement de
nouveaux outils. Le nombre total de subventions à projets est aujourd’hui de
150.
aux combinaisons thérapeutiques à base
d’artémisinine (ACTs)
Craintes d’une
chimiorésistance généralisée
Françoise BENOIT-VICAL*,
Lucie PALOQUE, Jean-Michel AUGEREAU
*Laboratoire de Chimie de Coordination
du CNRS
Equipe
“Nouvelles molécules antipaludiques et
approches pharmacologiques” - Toulouse
FBV déclare être co-auteur des
brevets #US61/904651 et # US62/062439 déposés par l’Institut Pasteur
L’utilisation, depuis plus de 15
ans, dans le traitement du paludisme de combinaisons thérapeutiques associant
un dérivé de l'artémisinine avec une molécule partenaire (dénommées ACTs pour
Artemisinin-based Combination Therapies), a permis une diminution notable de la
mortalité dans les régions tropicales et subtropicales. Cependant ces progrès
sont gravement menacés par la diminution de l'efficacité clinique des
artémisinines caractérisée par une clairance parasitaire retardée et un taux de
recrudescence élevé, et rapportée dès 2008 dans l’Ouest du Cambodge. Cette
résistance de Plasmodium
aux artémisinines s’est déjà étendue à plusieurs pays du Sud-est Asiatique.
Cependant, les ACTs restent efficaces tant que la molécule partenaire garde son
activité, mais de plus en plus d’échecs cliniques sont aujourd’hui corrélés à
la résistance du parasite à la fois à l’artémisinine et à la molécule associée.
Une des craintes majeures est la diffusion de ces parasites aux multiples
résistances en Afrique subsaharienne, continent le plus touché par le
paludisme, comme cela fut le cas par le passé avec d’autres traitements
antipaludiques. Il est donc indispensable de mieux comprendre, d’un point de
vue phénotypique et génotypique, la résistance du parasite Plasmodium
falciparum à l'artémisinine et à ses dérivés afin de proposer de nouveaux
outils thérapeutiques.
INTRODUCTION
Le paludisme causé par des
parasites du genre Plasmodium est
transmis par les moustiques femelles infectés du genre Anopheles. Le paludisme, géo-localisé aux zones tropicales et
subtropicales, est un problème de santé majeur pour plus de 3,2 milliards de
personnes mais il représente également un risque important pour des millions de
voyageurs. Au cours des 15 dernières années, des progrès considérables ont été
accomplis dans la lutte contre le paludisme menant à une réduction de 60 %
du nombre des décès au niveau mondial [1]. Cette
diminution notable est due, particulièrement en Afrique sub-saharienne, à la
distribution massive de moustiquaires imprégnées d'insecticide, aux stratégies
de lutte anti-vectorielle, à l’utilisation des tests de diagnostic rapide et
aux traitements curatifs par des combinaisons thérapeutiques à base
d’artémisinine dont l’abréviation ACTs correspond au terme
anglais Artemisinin-based Combination Therapies [1]. Cependant, le fardeau que représente cette maladie
parasitaire reste très élevé avec environ 214 millions de nouveaux cas en 2015
et un tribut inacceptable de plus de 438 000 morts en 2014 dont plus de
300 000 sont des enfants de moins de 5 ans [1]. Par ailleurs, ces avancées considérables risquent d’être annihilées par
l’émergence et la diffusion de parasites résistants aux ACTs. De plus, cette
résistance basée sur un mécanisme de quiescence ne peut être détectée par les
tests in vitro habituellement
utilisés pour surveiller la sensibilité du parasite Plasmodium aux médicaments utilisés sur le terrain.
LES MOLÉCULES DE LA FAMILLE DES ARTÉMISININES
L’artémisinine (ART) est une molécule isolée d’une armoise commune Artemisia annua, utilisée
traditionnellement dans le traitement des fièvres, notamment palustres, en
Chine depuis plus de 2000 ans. L’identification de cette substance active a été
récompensée en 2015 par l’attribution du Prix Nobel de Médecine au Pr Y. Tu
[2].
Les molécules de la famille des artémisinines (ARTs) sont une composante clé des récents succès dans la lutte
contre le paludisme. Les ARTs permettent une diminution plus rapide de la
parasitémie et de la fièvre que les médicaments antipaludiques conventionnels
[3]. Au cours des deux dernières décennies, les combinaisons à base
d'artémisinine (ACTs) ont remplacé les quinoléines et les antifolates comme
médicaments de première intention dans le traitement du paludisme simple dans la
plupart des pays d’endémie. L’usage des ACTs est massif avec 337 millions de
doses de traitements utilisés en 2014 [1].
Les ARTs agissant sur les parasites au stade le plus jeune, dit
« anneau », ces derniers sont
rapidement éliminés des globules rouges et de la circulation sanguine [4] ce qui empêche donc leur maturation
et leur séquestration. Ces propriétés
confèrent aux ARTs une efficacité
supérieure à la quinine dans le traitement du paludisme grave et compliqué au
point d’être devenus le traitement de première ligne pour les patients qui en
sont atteints [5]. Le traitement précoce avec des ARTs est également associé à
une diminution du nombre de gamétocytes et donc à une diminution de la
transmission [3].
Pour réduire le risque de
chimiorésistance, la recommandation est d'utiliser les ARTs en combinaison avec
d'autres agents antipaludiques. Cependant en décembre 2014, huit pays,
principalement en Afrique (Angola, Cap-Vert, Colombie, Guinée équatoriale,
Gambie, Sao Tomé-et-Principe, Somalie, Swaziland) proposaient toujours dans
leur politique de santé des ARTs en monothérapies en dépit de leur interdiction
préconisée par l'OMS, augmentant ainsi le risque de sélection de résistance à
cette classe de molécules [6].
LA RÉSISTANCE AUX ACTs SUR LE TERRAIN
La
définition
D’après la définition de l’OMS, la résistance à l'artémisinine
(artémisinine se réfère ici à l'artémisinine et à ses dérivés) correspond à une
clairance parasitaire retardée après un traitement par artésunate en
monothérapie, ou après un traitement avec une thérapie combinée à base
d'artémisinine (ACT) [7]. Le délai de clairance parasitaire ne conduit pas
nécessairement à l'échec thérapeutique mais la résistance à l'artémisinine
pourrait faciliter la sélection de la résistance au médicament partenaire. Par
ailleurs, dans certaines zones de la région du Grand Mékong, la résistance
concomittante à l'artémisinine et au médicament partenaire (méfloquine,
pipéraquine) entraine de réels échecs thérapeutiques aux traitements par ACT
[7].
L’épicentre
La région
située le long de la frontière thaïlando-cambodgienne,
et plus particulièrement la province de Pailin, a
toujours été l'épicentre des résistances développées par P. falciparum suivie d’une propagation vers les autres continents
d’endémie palustre [8],
comme ce fut le cas, dès 1957, avec la résistance à la chloroquine. Cette
spécificité régionale peut s’expliquer par: i) le faible accès aux médicaments
qui génère un trafic de médicaments contrefaits, de mauvaise qualité, et
contenant des doses sub-thérapeutiques, ii) l'utilisation de monothérapies,
iii) une forte population de migrants qui ont peu ou pas accès au système de
santé [9, 10]. D’un point de vue moléculaire, aucune corrélation entre la
chimiorésistance et un taux de mutations accru du génome parasitaire n'a été
trouvée dans ces régions, invalidant l'hypothèse d'un parasite
"hypermutant" [11]. La résistance aux ARTs est héréditaire et repose
donc sur une base génétique[12, 13] qui semble avoir été sélectionnée parmi une
population de parasites prédisposés présentant un polymorphisme des gènes fd (ferrodoxin), arps10 (apicoplast ribosomal protein S10), mdr2 (multidrug resistance protein 2) et crt (chloroquine resistance transporter). Ces travaux indiquent que
le risque d’émergence de nouvelles mutations causant la résistance aux ARTs est
favorisé par des facteurs génétiques spécifiques au sein d’une population
parasitaire [14].
L’émergence
et la diffusion (Figure 1)
Des signes
alarmants de résistance aux ARTs ont émergé en 2006, le long de la frontière thaïlando-cambodgienne, le Cambodge étant le premier pays
à avoir adopté les ACTs comme traitement de première ligne dans leur politique
nationale (artésunate / méfloquine et dihydroartémisinine/pipéraquine). Selon
des analyses rétrospectives, la résistance aux ARTs a probablement émergé en
2001 [7]. En 2008, Noedl et al. a rapporté une résistance à
l'artésunate corrélée à une clairance parasitaire retardée en Thaïlande et au
Cambodge[15]. Dondorp et al. [16] a
confirmé cette réduction de l’efficacité de l'artésunate en monothérapie à
Pailin (ouest du Cambodge) caractérisée par un temps de clairance parasitaire
lent (72-84 h versus 48-54 h) et des
taux plus élevés d'échecs cliniques dus à une recrudescence parasitaire
comparativement à Wang Pha (NO de la Thaïlande). La
résistance à l'artésunate en monothérapie est maintenant installée non
seulement en Thaïlande et au Cambodge mais aussi au Myanmar, au Vietnam et au
Laos [7].
Aucune résistance aux ACTs n’est encore
rapportée en Afrique, mais la menace est d'autant plus grande qu'il vient
d'être démontré que les parasites résistants aux artémisinines originaires
d’Asie semblent à même d'infecter et d’être transmis par un large panel
d'espèces d'anophèles, dont la principale espèce africaine Anopheles gambiae [17]. Sachant que 80% des décès dus au paludisme
sont concentrés dans 15 pays, essentiellement en Afrique [1], la détection
précoce de la résistance aux ACTs y devient une priorité majeure. Dans les
zones où la transmission est élevée, comme en Afrique, les niveaux accrus
d’immunité face au parasite Plasmodium des
populations contribuent à une clairance parasitaire rapide. Ainsi, une étude
récente préconise l’utilisation en Afrique d’un seuil d’alerte de 5% de cas
présentant une parasitémie détectable au 3ème jour après traitement
par ACTs, au lieu des 10% préconisés par l'OMS en Asie [18].
L’impasse
thérapeutique
Année après année, le
nombre de morts et de cas de
paludisme sévère diminuent mais ces avancées sont fragiles [19] et l'OMS ne peut
que constater l’augmentation significative des cas de résistance [7].
Dans les ACTs, le choix de la
molécule partenaire des ARTs est basé sur l’absence de résistance des
parasites, mais aussi sur les propriétés pharmacocinétiques de cette molécule
qui possède une demi-vie de plusieurs jours à plusieurs semaines alors que
celle des ARTs est limitée à quelques heures. De ce fait, les parasites
restants, à la suite de l’action de l’ART, se retrouvent rapidement face à la seule molécule
partenaire augmentant
ainsi le risque de générer une nouvelle résistance.
La résistance des parasites aux ARTs amplifie ce phénomène qui se traduit déjà
sur le terrain par des échecs de traitement aux ACTs. Ces derniers ont
seulement été
observés pour
l’instant en
Asie du sud-est où, en plus de la résistance aux ARTs, les parasites peuvent
être aussi résistants à la molécule
partenaire (comme la méfloquine [20] ou la pipéraquine [21, 22]). Dans de tels
cas, le traitement par l’ACT déficient est remplacé par un autre dont l’efficacité
thérapeutique est évaluée tous les deux ans afin d’adapter le traitement au
plus vite [1].
Ces
résistances mettent en péril les progrès accomplis pour contrôler et éliminer
le paludisme et sont donc une préoccupation majeure de santé publique. Cette situation
est d’autant plus critique qu’il n'existe actuellement aucun médicament
susceptible de remplacer les ACTs [7]. Parmi les
candidats-médicaments en cours d’étude, nombreux sont des peroxydes au
mécanisme d’action proche des ARTs faisant craindre des résistances croisées.
D’autres composés chimiquement différents sont en phase II d’étude clinique
(ferroquine, spiroindolones, imidazolopiperazines,…) [23] et leur utilisation
est prévue, pour la plupart, en association avec un dérivé de l’ART [24].
LA QUIESCENCE :
Un nouveau mécanisme de résistance
développé par P. falciparum
Première
mise en évidence
La demi-vie de clairance parasitaire chez un patient
est définie comme le temps nécessaire pour que la parasitémie soit réduite de
moitié consécutivement à un traitement antiparasitaire. Son allongement est
associé à un risque accru de recrudescence parasitaire et fait donc l’objet de
suivis épidémiologiques. Ce sont ces retards de clairances parasitaires après
traitement qui ont permis la mise en évidence de la résistance clinique aux
ARTs.
Etonnamment, il n’est pas
possible de corréler cette résistance clinique aux ARTs et aux ACTs avec une perte de la chimiosensibilité des parasites à ces
molécules,
déterminée in vitro avec le test standard de l'OMS
[16]
et basé sur la mesure du taux de multiplication des plasmodies
soumises à des concentrations croissantes de ces composés. Si ce test permet de
révéler facilement la résistance aux antipaludiques conventionnels comme les
quinoléines et antifolates, il ne parvient pas pour autant à mettre en évidence
une sensibilité réduite aux ARTs, ce qui conduit à envisager un mécanisme de
résistance fondamentalement différent.
Les retards de clairance et les taux
de recrudescence in vivo ont suggéré
que certains parasites peuvent survivre au traitement et sont ensuite capables
de reprendre leur cycle de maturation cellulaire, une fois l’artémisinine
éliminée. Ces parasites étaient suspectés présenter un métabolisme réduit
telles des « belles au bois dormant » [4] sur lesquelles le
traitement n’avait plus d’effet. La résistance aux ARTs apparait
donc liée à un nouveau mécanisme cellulaire tout à fait distinct de ceux
décrits pour les autres antipaludiques et qui impliquent des mutations soit de
transporteurs soit de la cible.
Quiescence /
dormance
Il a été démontré grâce aux
études menées sur la lignée F32-ART (une lignée établie in vitro et hautement résistante à l’ART, capable de
survivre à
des
doses élevées d’ART correspondant à 7000 fois la valeur de la CI50 observée avec la
lignée
parentale F32-Tanzania)
puis confirmé sur des isolats du Cambodge, que la résistance de P. falciparum aux ARTs est médiée par un
mécanisme de type quiescence/dormance, c’est-à-dire un arrêt du cycle
cellulaire, expliquant ainsi que les parasites apparaissent toujours sensibles
dans les tests standards de chimio-sensibilité in vitro [25-28]. Ces parasites quiescents sont à l’origine des
clairances retardées ainsi que des recrudescences parasitaires observées une
fois que les concentrations plasmatiques en antipaludiques chez le patient sont
descendues en dessous de leur seuil d’efficacité. Les études cinétiques de prolifération des parasites in vitro ont par la suite montré que
seul un faible nombre de parasites survivent au traitement complet et sont
ensuite capables de se développer à nouveau une fois le médicament éliminé.
Cette capacité à entrer en
quiescence n’est pas une exclusivité des parasites résistants aux ARTs. Elle se
retrouve également chez plusieurs souches de parasites de laboratoire sensibles
après une exposition aux dérivés de l'ART [29, 30] et se traduit par des cinétiques de prolifération parasitaire et des taux de
recrudescence variables. Cela suggère que la capacité de quiescence induite par
les ARTs est une propriété intrinsèque de P.
falciparum [29, 31]. Cependant la capacité de quiescence et de
recrudescence des parasites résistants aux ARTs après exposition à la DHA
(dihydroartémisinine) est 10 à 1000 fois plus élevée que celle des souches
sensibles [25-27]. Par ailleurs, des phases de repos/quiescence sont également
connues chez d’autres espèces de Plasmodium,
tels les hypnozoïtes hépatiques de P.
vivax et de P. ovale,
responsables de rechutes plusieurs semaines ou mois après la guérison du
patient, mais ces formes spécifiques sont absentes chez P. falciparum.
Les stades
concernés
La quiescence se met en place, en
présence d’ARTs, au tout premier stade du cycle érythrocytaire du parasite,
appelé « anneau » en raison de sa forme caractéristique. Cependant ce
phénomène ne concerne qu'une infime partie des parasites au stade
« anneau », ce qui lui confère un caractère très particulier
comparativement aux autres mécanismes de résistance connus qui affectent
généralement tous les individus d’une population clonale [26, 29]. Par ailleurs,
les parasites résistants aux ARTs ont un développement ralenti au stade anneau
[32], ce qui pourrait favoriser leur mise en quiescence lors d’un traitement
par ARTs. Au sein même de cette population de parasites au stade anneau, il a
été démontré que l’âge des parasites après invasion du globule rouge est un
facteur important dans leur capacité à résister. Ainsi, après un traitement de
6 heures en présence de 700 nM de DHA, les parasites au stade anneau, âgés de 0
à 3 heures post-invasion (test RSA0-3h ; Ring-stage Survival
Assay), ont une capacité de quiescence plus de cinq fois supérieure à celle des
stades âgés de 9 à 12 heures [33]. Cette capacité d’entrer en quiescence a été
également rapportée au stade suivant (trophozoïte ; 13-16 heures post-invasion)
pour les parasites hautement résistants aux ARTs de la lignée F32-ART5 [27].
Quiescence
et chimiorésistance
Le phénomène de quiescence en
relation avec un traitement médicamenteux est bien connu en bactériologie et en
oncologie. Les cellules cancéreuses humaines, par exemple, peuvent survivre à
une chimiothérapie en arrêtant leur cycle cellulaire en phase G1 [34]. Par
ailleurs, des dérivés
synthétiques
de
l'ART
induisent
un
arrêt
du cycle
cellulaire en G0 / G1 dans les lignées
cellulaires
cancéreuses et diminuent le
nombre de
cellules entrant en phase
S
[35]. Chez Plasmodium, le stade anneau impliqué
dans la quiescence, correspondrait à la phase G1 du cycle cellulaire [36]. Des
parallèles peuvent être ainsi établis entre les parasites résistants aux ARTs
comme ceux de la lignée F32-ART et les cellules souches cancéreuses : i)
arrêt de leur cycle cellulaire en phase G1 ; ii) capacité à résister à la
chimiothérapie; iii) faible proportion de la population cellulaire capable
d’échapper au traitement en entrant en quiescence; iv) implication de protéines
CDK (cycline-dependent kinases) [26, 37].
LE GÈNE Pfk13,
MARQUEUR MOLÉCULAIRE LIÉ
A LA RÉSISTANCE à
L’ARTÉMISININE
Sans marqueur
moléculaire,
il
était impossible de déterminer si de nouveaux
foyers
émergents de résistance aux
ARTs
étaient
le résultat de
la
propagation
de
parasites résistants ou si la résistance apparaissait de
novo.
De plus, la
diffusion de la résistance aux ARTs était
difficile à appréhender. En effet, les modèles de résistance
existants, établis sur la résistance aux antifolates, aux
4-amino-quinoléines et aux aryl-amino-alcools, étaient inadaptés à ce nouveau
mécanisme développé par le parasite face aux ARTs. Seule une approche originale associant
la biologie, la génomique, la clinique et l’épidémiologie a permis
l’identification d’un marqueur moléculaire associé à la résistance aux ARTs .
La comparaison du génome complet séquencé de la souche de laboratoire
résistante F32-ART à celui de sa souche jumelle restée sensible a conduit à l’identification
chez F32-ART d’une mutation ponctuelle dans la région en
hélice de la protéine Kelch dont le gène est porté par le
chromosome 13 [25].
L’étude du polymorphisme du gène Pfk13
dans des isolats résistants du Cambodge a démontré l’étroite corrélation entre
la présence de ce gène muté et la résistance des parasites chez les patients. Le rôle central du
locus k13 dans la résistance de P. falciparum
aux ARTs a été confirmé par des modifications du
génome d’isolats cliniques cambodgiens
et de diverses souches de laboratoire soit en introduisant la
mutation dans des parasites sensibles, soit en restaurant le caractère sauvage
dans des parasites résistants [38].
L'analyse spatio-temporelle de
nombreuses souches recueillies au Cambodge au cours de la dernière décennie a
montré une augmentation progressive de la fréquence des parasites mutants K13
dans les provinces affectées par la résistance [25].
Cette résistance associée à la mutation du gène Pfk13 est maintenant étendue à la région
du Grand Mékong [7].
Jusqu’à
présent, et malgré la présence de souches de parasites présentant également des
mutations du gène Pfk13 en Afrique, aucune corrélation n’a
pu être établie avec une perte de sensibilité du parasite sur ce continent [39,
40]. Cela pourrait refléter l’importance des fonds génétiques des parasites
dans lesquels les mutations émergent. Des études de modifications du génome ont
en effet montré que l’impact des diverses mutations de Pfk13 sur la clairance parasitaire et sur le taux de survie des
parasites au stade anneau était dépendant du fond génétique des parasites [25,
38].
LA MULTI-RÉSISTANCE PEUT ETRE INDUITE APRÈS
UNE SIMPLE PRESSION MÉDICAMENTEUSE PAR L’ARTÉMISININE
Dans
un contexte
de pression prolongée exercée par les ARTs sur le terrain, seules ou en
combinaison,
une étude a été conduite in vitro
afin d’en évaluer l’impact sur les parasites. La souche F32-ART5, lignée clonale
sélectionnée après 5
ans
de pressions séquentielles à doses croissantes d'ART, est apparue
sensible à tous les antipaludiques y compris les ARTs dans le test standard de
chimiosensibilité basé sur la prolifération cellulaire. Cependant, ces
parasites ont montré in vitro des
taux de recrudescence élevés par rapport à la souche sensible après un
traitement de 48 heures non seulement aux différents dérivés de l’ART mais
également à d’autres antipaludiques telles que les quinoléines (amodiaquine,
méfloquine, chloroquine, quinine) ou la pyriméthamine [27].
Une
résistance généralisée à la plupart des autres médicaments antipaludiques a
donc été acquise après une
simple pression au long cours d’ART. Ce nouveau
profil de résistance est cependant différent des multi-résistances classiques
puisque les parasites ne se multiplient pas en présence du médicament et qu’ils
ne portent pas les stigmates génotypiques classiquement associés à la
résistance à la pyriméthamine ou aux quinoléines. Parmi les mutations
identifiées dans le génome des parasites F32-ART5 multi-tolérants [27], apparaît
la mutation non-sens de PF3D7_1115700 codant pour la falcipaïne 2a, une
cystéine protéase impliquée dans l'hydrolyse de l'hémoglobine [41]. L’absence
de cette enzyme fonctionnelle pourrait expliquer la diminution de l’efficacité
des quinoléines et des endopéroxydes basée sur l’interaction de ces molécules
avec les produits issus de la digestion de l’hémoglobine par le parasite [42]
ainsi que la baisse de sensibilité des stades trophozoïtes aux ARTs [43] mais
elle n’explique pas la diminution de l’efficacité de la pyriméthamine dont
l’activité n’est pas liée au métabolisme de l’hémoglobine.
Ce
modèle in vitro a donc révélé que P. falciparum peut acquérir la capacité
de survivre à divers antipaludiques après une pression médicamenteuse prolongée avec la
seule ART. Ainsi P. falciparum est
capable d’entrer en quiescence non seulement en présence d’ART [26, 28] mais
aussi d’autres antipaludiques [27], puis de reprendre son cycle
cellulaire après élimination de ces molécules. Seule l'atovaquone échappe à
cette multi-tolérance en restant efficace sur la lignée F32-ART5 [27]. Cela
s’explique par son mode d’action basé sur l’inhibition du transfert d'électrons
de la chaîne respiratoire au niveau mitochondrial maintenue active chez les
parasites quiescents [44].
Malheureusement, la résistance à
l'atovaquone est facilement et rapidement sélectionnée sur le terrain, et ce de
manière indépendante de l’ART. Néanmoins, ces données indiquent que le mode
d’action des molécules à intégrer dans de nouvelles combinaisons thérapeutiques
devra être pris en considération afin de cibler les parasites quiescents et
ainsi lutter efficacement contre la résistance aux ACT en zones d’endémie
palustre. Enfin, il faut intégrer que les tests standards de chimiosensibilité in vitro prédisent une bonne sensibilité des parasites et donc une efficacité du
traitement, alors que les parasites sont en fait résistants parce qu'ils sont
quiescents. Il est donc indispensable de rechercher avec des tests pertinents
si le phénomène de multi-résistance identifié in vitro est également
présent sur le terrain afin de pouvoir adapter les politiques thérapeutiques en
conséquence.
CONCLUSION
La résistance de Plasmodium aux ARTs est corrélée au
nombre accru de formes intra-érythrocytaires jeunes (stade anneau) entrant en
quiescence lors d’une exposition aux ARTs. Ce mode de survie leur permet ainsi
de reprendre rapidement leur croissance une fois le traitement éliminé. Cette
capacité de résistance aux ARTs est conférée par des mutations du gène Pfk13. Le polymorphisme du gène Pfk13 est actuellement considéré comme
la signature moléculaire fiable
de la résistance aux dérivés de l’ART et est utilisé selon
les recommandations de l'OMS pour le suivi épidémiologique de cette résistance.
L’émergence de parasites résistants à la fois aux ARTs et aux molécules
partenaires ainsi que l’absence d’antipaludiques de remplacement disponibles à
court terme sont des éléments particulièrement inquiétants dans la lutte contre
le paludisme. Par ailleurs, la possibilité que sur le terrain, le parasite
puisse devenir multi-tolérant, comme cela a été montré in vitro après une pression médicamenteuse de plusieurs années avec de l’ART uniquement,
devrait être une préoccupation majeure des instances gouvernementales et
internationales qui basent leurs politiques
thérapeutiques sur l’utilisation massive des ACTs. La
compréhension fine des voies biochimiques impliquées dans ce mécanisme original
de résistance pourra conduire à l’identification de nouvelles cibles
thérapeutiques permettant soit de découvrir de nouveaux antipaludiques, soit à
travers le contrôle de la quiescence de sauvegarder l’efficacité des ACTs
actuellement utilisés.
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FIG. 1. - Emergence et diffusion de la résistance de P. falciparum aux artémisinines.
Adapté d’après [14, 45, 46]
Légende de la Figure 1.
Emergence
et diffusion de la résistance de P. falciparum
aux artémisinines.
Adapté d’après [14, 45, 46]
Moyens médicamenteux
Professeur François Nosten
Shoklo Malaria Research Unit,
Mahidol-Oxford University Research Unit.
L’auteur déclare n’avoir aucun
conflit d’intérêt
La résistance de Plasmodium
falciparum aux dérivés de l’artémisinine qui gagne le Sud-Est Asiatique
menace les progrès récents observés dans la lutte contre le paludisme. Une
véritable course contre la montre est engagée pour éliminer P.falciparum dans cette région avant
qu’il ne devienne résistant à tous les traitements disponibles. Les
antipaludiques occupent une place centrale dans le projet d’élimination en
cours dans l’Est de la Birmanie le long de la frontière thaïlandaise. La
combinaison d’artéméther et de luméfantrine est utilisée dans le traitement
précoce des cas cliniques en association avec la primaquine. La
dihydro-artémisinine en association avec la pipéraquine, d’élimination lente,
est le médicament de choix pour les traitements de masse, dans les foyers de
forte prévalence d’infections sous-microscopiques asymptomatiques. Les premiers
résultats enregistrés après 18 mois d’activités sont très encourageants :
l’acceptabilité par la population a été excellente et une forte diminution de
l’incidence de P.falciparum, sans
aggravation de la résistance, a été observée.
Introduction.
La résistance de Plasmodium
falciparum aux dérivés de l’artémisinine menace les progrès récents dans la
lutte contre le paludisme à l’échelle mondiale. Cette résistance médicamenteuse
a émergé au Cambodge vers 2007 et se manifeste d’abord par une clairance
parasitaire prolongée chez les malades [1]. Puis, dans un deuxième temps, elle
entraine une chute de l’efficacité des combinaisons thérapeutiques à base
d’artémisinine (CTA) [2,3]. Le mécanisme de cette résistance reste en grande
partie inconnu mais les travaux sur le transcriptome parasitaire suggèrent des
modifications du métabolisme des formes en anneau, dans les six premières heures
du cycle endo-érythrocytaire [4].
La découverte par les chercheurs de l’Institut Pasteur
d’un marqueur génétique de cette résistance, des mutations du gène K13 sur le
chromosome 13 [5], a permis de montrer l’étendue du phénomène du Vietnam jusqu’à
la frontière occidentale de la Birmanie, aux portes de l’Inde et du Bangladesh
[6]. Dans les CTA, la diminution de l’efficacité de l’artémisinine compromet
celle du traitement et augmente la probabilité de résistance à la molécule
partenaire (le plus souvent la méfloquine, la luméfantrine ou la pipéraquine).
Des études récentes ont confirmé l’augmentation des échecs thérapeutiques des
associations DHA-pipéraquine au Cambodge [2] et artésunate-méfloquine à la
frontière Thaïlande-Birmanie (Figure). Il est donc urgent d’éliminer leP.falciparum
avant que les résistances aux CTA ne deviennent trop importantes et provoquent
une résurgence de la maladie.
L’élimination et le contrôle du paludisme utilisent des
approches différentes et complémentaires. Le contrôle se concentre sur
l’hôte : prévention par la lutte anti-vectorielle et traitement des cas
cliniques pour diminuer la morbidité et la mortalité. Dans l’élimination la
cible est le parasite : destruction des formes sexuées et asexuées pour
empêcher la transmission. Mais la découverte récente de foyers
sous-microscopiques d’infections asymptomatiques dans cette région, complique
sérieusement la tâche. Par ailleurs, les vecteurs responsables de la
transmission locale sont principalement exophiliques et exophagiques ce qui
réduit l’efficacité des moustiquaires imprégnées d’insecticides, le moyen le
plus souvent utilisé pour la lutte anti-vectorielle, très efficace en Afrique
subsaharienne.
Une stratégie d’élimination de P.falciparum, fondée sur la détection et le traitement précoces des
cas cliniques, la détection des foyers sous-microscopiques et leur élimination
par des traitements de masse (TdM) a été déployée dans une zone de l’état Karen
dans l’Est de la Birmanie le long de la frontière avec la Thaïlande.
Le contexte épidémiologique :
l’Asie de Sud-Est se caractérise par une transmission
hétérogène et généralement basse de P.falciparum.
L’incidence des cas cliniques a considérablement diminué depuis le milieu des
années 1990 sans doute à cause du développement économique, de la déforestation
et de l’utilisation systématique des CTA. En conséquence, les infections à P.vivax fréquentes en Asie sont
maintenant dominantes et représentent 60 à 70% des cas de paludisme. Mais, ce
qui caractérise avant tout l’infection à P.falciparum
dans cette région est la forte chimiorésistance. Ce parasite a développé des
résistances ou des diminutions de sensibilité à tous les antipaludiques connus,
y compris les molécules naturelles comme la quinine et l’artémisinine. La
résistance à la méfloquine est particulièrement forte sur la frontière
Thaïlande-Birmanie et celle à la pipéraquine (ces deux médicaments de synthèse
sont utilisés dans les CTA) est établie au Cambodge voisin [2].
La forte diminution de la transmission de P.falciparum permet d’envisager son
élimination rapide de la sous-région. Mais, la présence de foyers de
parasitémies sous-microscopiques chez des sujets asymptomatiques est un obstacle de taille. En
effet les enquêtes ont montré des prévalences plasmodiales pouvant atteindre 60
à 70% de la population de certains villages, avec une distribution par espèce
plasmodiale (P.falciparum et P.vivax)[7],
et une proportion de souches mutantes pour le gène K13 semblables à celles
retrouvées chez les malades. Comme pour les cas cliniques, des porteurs
asymptomatiques se retrouvent dans tous les groupes d’âge et les deux sexes
mais avec une prédominance chez les hommes jeunes. Compte tenu de ces données
épidémiologiques et en absence d’alternatives
thérapeutiques aux CTA, une stratégie d’élimination reposant sur sept piliers
principaux a été élaborée (Tableau). Les médicaments antipaludiques occupent
une place centrale dans cette approche d’élimination.
Les moyens médicamenteux :
Le traitement précoce des cas cliniques.
Les cas cliniques de P.falciparum
représentent une source importante de gamétocytes transmis aux anophèles
femelles dans les zones de faible endémie palustre. Il est donc essentiel
d’éliminer les gamétocytes avant l’émergence de formes matures dans le sang périphérique.
Dans ces zones hypo-endémiques les sujets infectés deviennent symptomatiques
lorsque la parasitémie atteint un seuil relativement faible (environ 1500
parasites par microlitre) comparé aux densités pyrogéniques observées dans les
zones hyper-endémiques d’Afrique sub-saharienne. Les symptômes apparaissent
donc le plus souvent avant l’émergence de gamétocytes infectieux. Le traitement
précoce par CTA auquel est ajoutée une dose unique de primaquine, active sur
les gamétocytes, permet de réduire considérablement le potentiel de
transmission de ces patients. Dans le programme d’élimination en cours, les
agents de santé des « postes palu » sont formés à l’utilisation de la
combinaison artéméther-luméfantrine à la dose standard administrée à raison de
deux prises par jour pendant trois jours. Au premier jour de traitement une
dose unique de 0.25 mg/kg de primaquine est ajoutée à la CTA. Les femmes
enceintes ne reçoivent pas de primaquine et celles qui sont dans le premier
trimestre de grossesse sont traitées par la quinine associée à la clindamycine.
Les cas d’infection sévère sont évacués vers une structure de santé où ils
reçoivent un traitement par l’artésunate par voie parentérale. L’efficacité de
la CTA utilisée doit être supérieure à 90% car les échecs parasitologiques sont
une autre source importante de portage de gamétocytes.
L’artéméther-luméfantrine reste efficace dans cette région malgré la présence
de souches tolérantes aux artémisinines, mais une surveillance étroite s’impose du fait de la présence de résistances
croisées entre la luméfantrine et la méfloquine. La faible dose de primaquine
est généralement bien tolérée et ne nécessite pas de dépistage du déficit en
glucose-6-phosphate déshydrogénase, fréquent dans cette partie du monde.
Traitements de masse.
Les antipaludiques utilisés pour le traitement de masse
(TdM) des populations dans lesquelles un réservoir parasitaire
sous-microscopique important a été identifié, sont différents de ceux utilisés
dans les « postes palu » pour traiter les malades. L’objectif du TdM
étant l’élimination du réservoir et la protection contre une réinfection, une
CTA associant l’artémisinine à une molécule d’élimination lente, est
préférable. La dihydro-artémisinine-pipéraquine (DHA-P) correspond à ce profile.
La dose totale administrée est de 7 mg/kg de DHA et 55 mg/kg de pipéraquine à
raison d’une prise par jour pendant trois jours, associée à une dose unique de
primaquine (0.25 mg/kg). Ce traitement est répété une fois par mois pendant
trois mois consécutifs. La longue demi-vie d’élimination de la DHA entraine un
effet prophylactique après chaque
traitement d’environ un mois. L’objectif
des campagnes de TdM est de donner ce traitement à 80% ou plus de la population
du village, en excluant les femmes enceintes et les nourrissons.
Résultats préliminaires.
A ce jour, plus de 700 « postes palu » ont été
établis dans une partie reculée de l’état Karen située le long de la frontière
avec la Thaïlande et sous le contrôle de groupes armés encore récemment en
rébellion contre le pouvoir central birman. Dans cette zone d’environ 17 000 km2
on estime la population à 300 000 pour un total de 1200 villages. Entre
avril 2014 et novembre 2015, ces postes ont détecté 15 000 cas de paludisme
dont un tiers du à P.falciparum dont
l’incidence a fortement diminuée contrairement à celle de P.vivax. Cet effet différentiel caractérise l’impact du traitement
précoce et confirme les observations antérieures faites du coté thaïlandais de
la frontière [8]. Au cours de la même période, 190 enquêtes ont permis de
détecter 30 villages où la prévalence du plasmodium sous-microscopique était
supérieure à 40% dont 20% était du P.falciparum,
les rendant éligibles pour une campagne de TdM. La participation de la
population a été très satisfaisante puisque la grande majorité (90%) a reçu au
moins une fois le traitement de 3 jours (suffisant pour éliminer le réservoir)
et plus de 60% ont reçu les trois doses mensuelles. Les causes principales
de non-participation ont été le refus et
la mobilité de la population composée essentiellement de cultivateurs
travaillant parfois loin de leurs habitations. Les traitements ont été très
bien tolérés et aucun effet indésirable grave n’a été enregistré. Le détail de
ces résultats est disponible dans un rapport intermédiaire récemment disponible
[9].
Les risques :
Les deux risques principaux d’un tel programme
d’élimination de P.falciparum sont, d’une part un rebond ultérieur de la
transmission associée à la réintroduction du parasite dans une population dont la
prémunition a baissée, et, d’autre part, l’aggravation des résistances.
Un rebond significatif est peu probable pour autant que
le système de détection mis en place est maintenu. Cette affirmation repose sur
l’expérience accumulée dans les camps de réfugiés Karen situés en Thaïlande sur
cette frontière depuis plus de 30 ans. Malgré la présence de vecteurs et une
majorité des réfugiés n’ayant jamais été exposée au paludisme, la transmission
dans les camps a été complètement interrompue. Les rares cas importés sont
détectés et traités rapidement, avant que la transmission aux vecteurs n’ait
lieu. Dans une certaine mesure, la plus grande susceptibilité de la population
peut être considérée comme un avantage car elle signifie que les personnes
infectées, malades, sont rapidement
détectées. Il faut cependant insister ici sur l’importance de maintenir le
dispositif de détection précoce, poursuivre
l’information donnée à la population (consulter rapidement en cas de
fièvre) et ce sans doute pendant des années. Le programme d’élimination de P.vivax qui devrait suivre celui de P.falciparum servira aussi à maintenir
le système en place.
La crainte d’une aggravation de la résistance du
fait de l’utilisation massive
d’antipaludiques est souvent citée comme argument contre les TdM. De façon plus
précise, le risque est que les concentrations sanguines sub-thérapeutiques dans
le mois qui suit le traitement favorisent la sélection et donc la propagation
de souches résistantes de P.falciparum.
Pour cette raison il est essentiel de surveiller la susceptibilité du parasite
aux antipaludiques par tous les moyens disponibles : marqueurs
moléculaires, tests in-vitro et in-vivo. Il faut néanmoins considérer les
points suivants :
Dans ce programme d’élimination, les personnes infectées
recevant la DHA-P ont des densités parasitaires extrêmement basses et une
certaine prémunition (ils sont asymptomatiques). Il est donc très improbable
que certains de ces parasites puissent survivre aux fortes concentrations
médicamenteuses auxquelles ils sont exposés. De fait parmi les centaines
d’individus qui ont étés suivis et testés par une méthode de détection
moléculaire ultra-sensible, aucun n’a présenté de persistance parasitaire dans
les mois suivants, en dépit d’une forte
proportion de souches « résistantes » à l’artémisinine, mais encore
sensibles à la pipéraquine.
La réduction de la transmission se traduit par une
diminution des cas cliniques chez lesquels le nombre de parasites circulants
est considérablement plus élevé que chez les porteurs asymptomatiques et qui
par conséquent sont les principales sources de parasites « de-novo »
résistants. Leur nombre diminuant, le risque de sélection de ces parasites
mutants diminue aussi.
Cependant, cette approche médicamenteuse de l’élimination
repose sur l’utilisation de combinaisons qui restent très efficaces (>90%).
Mais la résistance à la pipéraquine est déjà présente au Cambodge, et la
fenêtre d’opportunité pour éliminer P.falciparum
avec la DHA-P pourrait se refermer bientôt. Il s’agit donc bien ici d’une
course contre la résistance. L’échec de l’élimination est possible mais si ces
efforts permettent de gagner les quelques années qui nous séparent encore des
antipaludiques de nouvelle génération, ou d’un vaccin efficace, et la santé des
populations s’en trouvera grandement améliorée. Par ailleurs si l’approche
adoptée ici se révèle efficace, elle pourra être reprise et adaptée par les
programmes nationaux de lutte contre le paludisme d’Asie du Sud Est avec le
support d’organismes de financement tels que le Fond Mondial.
Conclusion
Il est urgent d’éliminer P.falciparum résistant aux dérivés de l’artémisinine dans les zones
endémiques d’Asie du Sud-Est avant que le parasite ne devienne résistant aux
CTA disponibles. La propagation de souches multi-résistantes à l’Afrique
remettrait en question les acquis récents dans la lutte contre le paludisme, et
ferait planer la menace d’un retour à la situation catastrophique des années
80-90 causée par la résistance à la chloroquine. Le projet en cours dans l’Est
de la Birmanie et qui associe le traitement précoce des cas cliniques et
d’élimination des foyers de parasitémie sous microscopique, semble porter ses
fruits et l’incidence des infections à
P.falciparum a fortement diminué. Mais, la course de vitesse contre la
résistance n’est pas encore gagnée et le chemin à parcourir reste long et
difficile. La participation des populations et le soutien des organisations
locales et des instances nationales et internationales sont indispensables pour
espérer une élimination durable.
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Tableau : les piliers de
la stratégie d’élimination
Les sept piliers de
la stratégie d’élimination de P.falciparum sont indiqués dans la colonne de
gauche, les objectifs à atteindre et une description brève des activités
(colonne du milieu) et les moyens techniques mis en œuvre (colonne de droite).TDR :
test de diagnostic rapide d’antigènes de plasmodium. CTA : combinaison
thérapeutique à base d’artémisinine. qPCR : test quantitatif
d’amplification génique des plasmodium.
Pilier
|
Description et objectifs
|
Moyens techniques
|
Cartographie
|
Géolocalisation précise et régulièrement mise à jour de
tous les villages, avec détails sur leur taille, sur l’accès aux diagnostics
et aux CTA ainsi que sur les moyens de communication.
|
Appareils GPS de localisation et logiciels
informatiques de cartographie.
|
Engagement communautaire
|
Informer la population, comprendre sa situation
économique et politique, expliquer les buts de l’intervention, permettre
l’appropriation du programme par les communautés.
|
Réunions de villages, affiches, messages radio et
enquêtes.
|
Le « poste palu »
|
Dans chaque village un agent de santé choisi par la
communauté est en mesure d’utiliser des TDR et des CTA dans les 24/48 h de
fièvre.
|
Agent de santé rémunéré, TDR, CTA, primaquine, moyens
de communication.
|
Détection des réservoirs sous- microscopiques
|
Détection par méthode moléculaire ultra- sensible des
foyers ou la prévalence de parasitémie sous microscopique est élevée.
|
Prélèvements sanguins, Tests validés de détection
(qPCR).
|
Traitement de masse
|
Elimination des foyers sous microscopiques par TdM
utilisant la DHA-P+primaquine.
|
Equipes spécialisées
|
Recueil des données en temps réel
|
Collecte et analyse des données hebdomadaires de chaque
« poste palu » afin de vérifier leur bon fonctionnement et éviter
les ruptures de stock et de mesurer leur impact.
|
Téléphones portables, applications de saisie des
données, accès au réseau de téléphonie mobile et/ou à internet.
|
Entomologie
|
Connaître les populations vectorielles et leur
comportement et étudier les taux d’infection, adapter les mesures de lutte et
vérifier l’élimination.
|
Captures, identification, détection des moustiques
infectés.
|
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