Nora ANSELL-SALLES

mercredi 26 février 2014

Discours de Jean-Marc Ayrault, Premier ministre - Débat sur l'intervention des forces françaises en République centrafricaine



Discours de Monsieur Jean-Marc Ayrault, Premier ministre,



à l’occasion du débat sur l'intervention des forces françaises

en République centrafricaine

mardi 25 février 2014

Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les députés,

Le 5 décembre dernier, le Président de la République décidait d’envoyer nos soldats en République centrafricaine afin d’éviter à ce pays de sombrer dans le chaos.

La Centrafrique était, en effet, en proie à une violence généralisée et à une dérive confessionnelle. Les « Séléka », ces milices à dominante musulmane qui avaient déposé quelques mois auparavant le Président Bozize, multipliaient exactions et pillages. Les « anti-balaka », recrutés parmi les populations chrétiennes, commençaient à s’en prendre aux civils musulmans, par esprit de vengeance, comme pour des motifs crapuleux.

Sur la base d’un mandat des Nations Unies et en appui à la force de l’Union africaine, l’opération Sangaris avait deux objectifs : rétablir la sécurité en République centrafricaine et permettre le retour des organisations humanitaires ; favoriser la montée en puissance de la force africaine, la MISCA, et son déploiement opérationnel.

Cette intervention répondait à l’urgence. Il n’y avait plus, en Centrafrique, ni armée, ni police, ni justice. Les écoles et les hôpitaux avaient cessé de fonctionner. A la tête d’un Etat failli, l’équipe de transition avait perdu tout contrôle et la spirale de la violence prenait brutalement une ampleur nouvelle. A la veille de notre intervention, les massacres avaient fait pas moins de 1.000 victimes dans la capitale.

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, ce qu’était la réalité centrafricaine !
La France, par la voix du Président de la République à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies, avait dès septembre 2013, je le rappelle, alerté la communauté internationale. Mais, à l’exception des Etats voisins, de l’Union africaine et des acteurs humanitaires, notre mise en garde n’avait pas permis de surmonter une coupable indifférence et la République centrafricaine se trouvait au bord du gouffre. Hôtel de Matignon - 57, rue de Varenne - 75007 PARIS



Fallait-il que la France qui était, grâce à ses forces pré-positionnées, la seule à pouvoir intervenir sans délai en appui à la MISCA laisse se perpétuer ces atrocités et le pays s’enfoncer dans une situation que certains, à l’ONU, ont qualifiée de « pré-génocidaire » ?

Fallait-il abandonner ce pays en plein coeur de l’Afrique, dans une région déjà très fragilisée par les conflits dans les Grands Lacs ou au Soudan.

Fallait-il prendre le risque de laisser se créer une zone de non-droit à la merci de tous les trafics et du terrorisme ?

Fallait-il rester sourd à l’appel au secours désespéré de la population centrafricaine et à la demande de soutien des Africains ?

A l’évidence, non ! Je sais que, comme moi, ce n’est pas l’idée que vous vous faites de la France et de ses valeurs. Ce n’est pas la conception que nous avons du rôle de notre pays dans le monde. C’est d’ailleurs ce que vous aviez tous exprimé, lors du débat précédent.

Bien au contraire, la France devait prendre ses responsabilités. Et, c’est parce que nous avons agi que des massacres de masse ont été évités, que chaque jour des vies sont sauvées et que la République centrafricaine a une chance de pouvoir reprendre son destin en main.

C’est aussi parce que nous avons été capables d’ouvrir la voie que, peu à peu, avec nos amis africains, nous entraînons nos autres partenaires internationaux.

En peu de temps, la MISCA est passée d’environ 2.500 hommes au début de notre intervention à 6.000 aujourd’hui. Elle accomplit un travail de grande qualité, en bonne coordination avec Sangaris.

De nombreux pays contribuent aux opérations en cours par un soutien logistique indispensable. C’est le cas des Etats-Unis et de nos partenaires européens. L’Union européenne apporte aussi un soutien financier à hauteur de 50 M€.

Au-delà de ce soutien, l’Union européenne a décidé d’engager directement des troupes sur le terrain en établissant, à l’unanimité, le 10 février dernier, l’opération EUFOR-RCA. Elle a pris cette décision plus vite qu’elle ne l’avait jamais fait et, dans les prochains jours, un premier échelon devrait arriver sur le terrain.

Cette force européenne aura pour mission principale d’assurer la sécurité de l’aéroport de Bangui et de certains quartiers. Elle permettra à la MISCA et à Sangaris de continuer à se déployer en province, où leur intervention est attendue.

A ce jour, une dizaine de partenaires européens ont fait part de leur intention d’y contribuer. Le processus de génération de forces se poursuit. Comme l’a annoncé la chancelière Merkel, à l’occasion du conseil des ministres franco-allemand, l’Allemagne devrait, elle-aussi, participer à cet effort par des moyens logistiques.

Il appartient aux Nations Unies de faire davantage et plus vite. C’est le souhait exprimé par le Secrétaire général lui-même. L’ONU doit notamment être en mesure de coordonner l’aide humanitaire, de préparer le désarmement et la réinsertion des combattants, ainsi que d’aider le gouvernement centrafricain à avancer vers les élections.
Les Nations Unies ont un rôle évident à jouer dans la lutte contre l’impunité, grâce au déploiement d’une commission d’enquête internationale, dont le travail complètera celui de la Cour pénale internationale. Hôtel de Matignon - 57, rue de Varenne - 75007 PARIS



Enfin, la préparation d’une opération de maintien de la paix, en partenariat avec l’Union africaine, doit s’accélérer. J’y reviendrai.

Mesdames et Messieurs les députés,

Nos efforts ont commencé à porter leurs fruits. L’embrasement généralisé qui menaçait a été évité. La mobilisation internationale s’organise. Sangaris poursuit avec opiniâtreté les objectifs qui lui sont assignés.

A Bangui même, l’insécurité ne se concentre plus que sur quelques quartiers. La plupart des combattants « ex-Séléka » ont été désarmés et cantonnés sous le contrôle de la MISCA et nombre d’entre eux sont repartis vers le nord. Dans la capitale, la menace vient principalement des « anti-balaka », contre lesquels nous agissons de manière plus vigoureuse.

Dans la moitié occidentale du pays, des affrontements entre communautés ont toujours lieu. En lien étroit avec la MISCA, nos forces font le maximum pour protéger les populations, chrétiennes et musulmanes, avec une totale impartialité.

A l’Est, il convient de veiller à ce que les regroupements « d’ex-Séléka » n’aboutissent pas à une coupure de fait entre cette région et le reste du pays.

Le départ massif de populations musulmanes constitue un sujet de vive inquiétude, dans un pays où les religions ont longtemps vécu en bonne harmonie. Les pays voisins, à commencer par le Tchad et le Cameroun, font preuve de solidarité, en accueillant un nombre important de réfugiés. Ils doivent pouvoir compter sur l’appui de la communauté internationale. Celui de la France leur est acquis.

En matière humanitaire, la situation reste, en effet, très critique, avec 250.000 réfugiés et 825.000 déplacés, dont 400.000 dans la capitale. Un habitant sur deux a besoin de soins médicaux d’urgence, un sur cinq d’aide alimentaire. Le départ de nombreux musulmans, qui animaient le commerce, fragilise l’économie.

Sur place, les agences des Nations Unies s’efforcent de faire face. Le Programme alimentaire mondial a mis en place un pont aérien, qui permet de ravitailler les déplacés, en attendant que la MISCA, soutenue par Sangaris, sécurise totalement l’axe vital entre Bangui et le Cameroun. De nombreuses ONG sont actives, dont Médecins du Monde et Médecins sans frontières, qui gèrent le seul hôpital resté ouvert à Bangui.

Sur le plan politique, la nouvelle présidente de transition, Catherine Samba-Panza, qui est la première femme à diriger un pays d’Afrique francophone, a su créer une dynamique. Je lui renouvelle le soutien de la France

Il faut maintenant que cette dynamique puisse se concrétiser dans la vie quotidienne de la population, que le paiement du salaire des fonctionnaires reprenne afin que les institutions de base recommencent à fonctionner. Les pays de la région ont promis leur aide. Il est important que les institutions financières internationales, elles-aussi, soient au rendez-vous. La France agit en ce sens.

Mesdames et Messieurs les députés,

La situation en République centrafricaine, je viens de la décrire sans fard. Oui, les difficultés sont considérables. Non, la France ne les sous-estime pas et ne cherche pas à les minimiser.
Pour autant, les premiers progrès sont réels et une perspective se dessine, dans tous les domaines. Hôtel de Matignon - 57, rue de Varenne - 75007 PARIS



Des élections doivent être organisées, d’ici février 2015 et des étapes importantes ont été franchies : le code électoral a été adopté et l’autorité électorale est en place. Il y a urgence à ce que la communauté internationale mette les moyens nécessaires au respect de ce calendrier.

Pour son développement, la République centrafricaine, qui a longtemps fait partie des « orphelins » de l’aide, a besoin de l’assistance internationale. A Bruxelles, le 20 janvier dernier, près d’un demi-milliard de dollars ont été promis pour faire face aux défis humanitaires les plus pressants et engager, dès maintenant, la reconstruction économique et sociale du pays.

La France s’est engagée à hauteur de 35 millions d’euros pour 2014. Notre assistance technique redémarre et nous travaillons à accélérer la remise en marche de l’Etat. Ceci est nécessaire pour permettre le retour des principaux bailleurs, FMI, Banque mondiale, Banque africaine de développement et Union européenne.

Quant à la sécurité, une opération de maintien de la paix sous casque bleu nous paraît seule à même de répondre aux besoins de la Centrafrique. La MISCA effectue un travail indispensable, qui doit être conforté dans la durée. La mise en place d’une OMP permettra de garantir les renforts nécessaires, sur le plan militaire, et d’assurer, sur le plan civil, le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion des combattants, ainsi que l’organisation des élections. Le Secrétaire général des Nations Unies présentera, dans les tout prochains jours, un rapport en ce sens. Nous souhaitons que le Conseil de Sécurité l’examine début mars, afin que l’opération puisse être déployée au plus vite.

D’ici là, Sangaris assurera son rôle de relai, aux côtés de la MISCA et de l’opération EUFOR-RCA. Afin de répondre à la situation et à l’appel du Secrétaire général de l’ONU, le Président de la République a décidé, le 14 février, d’en porter les effectifs à 2.000 hommes. Notre effort supplémentaire comprend le déploiement anticipé de forces de combat et de gendarmes français qui participeront ensuite à l’opération européenne.

Au-delà, la France pourra réduire son effort et maintenir une présence en appui à l’opération des Nations Unies. Mais, elle n’a pas vocation à se substituer aux forces internationales, auxquelles il incombe d’assurer, dans la durée, la sécurisation de la Centrafrique.

Mesdames et Messieurs les députés,

A Bangui et partout en République centrafricaine, nos soldats ont trouvé un pays dévasté. Comme toujours, ils ont fait preuve d’un courage et d’un professionnalisme qui sont l’honneur de la France. Je salue leur engagement et rends hommage à nos trois soldats qui ont perdu la vie lors de missions opérationnelles : les caporaux Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, le 10 décembre dernier, et le caporal Damien Dolet, ce dimanche.

Je salue aussi la mémoire de leurs compagnons d’armes, les soldats de la MISCA tués en opérations.
Dans cette épreuve, la Nation a su se rassembler, dès le déclenchement de notre opération, et j’en remercie tous les parlementaires, de la majorité, comme de l’opposition. Une délégation de parlementaires, conduite par la Présidente de la commission des Affaires étrangères, Elisabeth Guigou, est allée à Bangui, la semaine dernière, pour prendre, par elle-même, toute la mesure de la situation. Le Gouvernement continuera, par ailleurs, à informer la représentation nationale. Hôtel de Matignon - 57, rue de Varenne - 75007 PARIS



Chacun est conscient, ici, que notre action n’est pas terminée. Et, c’est la raison pour laquelle, conformément à l’article 35, alinéa 3, de la Constitution, je suis venu vous demander, aujourd’hui, d’autoriser la prolongation de notre intervention.

Cette intervention a permis d’éviter la destruction totale de la Centrafrique. L’action et le courage de nos soldats forcent l’admiration. Les conditions sont réunies pour qu’un accompagnement international robuste – militaire, humanitaire et politique – permette à la République centrafricaine de retrouver le chemin de la paix. D’ici là, il nous revient de continuer à assumer nos responsabilités. C’est un défi, mais c’est aussi – et j’y insiste – l’honneur de la France.

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