lundi 15 octobre 2012

Les dépenses de santé au programme de l'Académie


LES DEPENSES DE SANTE

MOTS-CLES : DEPENSES DE SANTE. ASSURANCE MALDIE

 

Health expenditures 

KEY-WORDS : HEALTH EXPENDITURES. NATIONAL HEALTH INSURANCE.

 

M. Huguier*[1]

 

Résumé

Les dépenses de santé peuvent être assimilées aux dépenses de soins et biens médicaux. Leur montant s’élève à 175 milliards d’euros, financés  par l’assurance maladie (77%), les mutuelles ou les assurances complémentaires (14%), et directement par les ménages (9%). Ces dépenses, sont constituées par les hospitalisations (44%), les soins extrahospitaliers médicaux, dentaires et para-médicaux (28%), les médicaments (20%) et quelques autres prestations (8%). Leurs augmentations ont comme principales raisons le progrès médical et le vieillissement de la population. D’autres facteurs sont plus maîtrisables : l’offre de soins, le coût pour les patients, la formation et l’information du public, la formation des médecins prescripteurs. La France est le pays d’Europe qui consacre le plus fort pourcentage de son PIB aux dépenses de soins (9,2%) alors qu’il se situe entre 7% et 8% en Suède, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, ce qui représente un différentiel d’environ 18 milliards. L’augmentation du coût des soins et biens médicaux est particulièrement marquée en France, même si elle s’est un peu atténuée en 2011. Il existe surtout un déséquilibre chronique entre le financement et les dépenses aboutissant à un déficit  cumulé qui n’est pas loin d’atteindre 100 milliards.

Dans un premier temps nous pouvons et nous devons gagner beaucoup en efficience. Ensuite, ou bien nous voulons préserver notre système de protection sociale et il sera nécessaire d’en réformer le financement, ou bien la priorité sera de maintenir son mode de financement et la protection sociale s’altérera peu à peu.

 

Summary

Health expenditures are care and health goods. Total cost adds up to 175 billions of euros,  financed by public health insurance (77%), friendly or insurance companies (14%) and individuals (9%) These expenditures are made up of  cost of hospitalisation (44%), out hospital medical, dental and paramedical cares (28%), drugs 20%) and some other deliveries (8%). The main factors of increasing costs are medical progress and  ageing process. Other factors are more easily controlable : health supply, costs for patients, public education and information, and training of physicians. Among European countries, France dedicates the higest percentage of gross national product to health expenditures (9,2%)  while they amount to 7% to 8% in Sweeden, in Germany or in Great-Britain, that account a difference of about 18 billions. Increasing cost of care and health goods have specially great effect in Fance. There is almost a chronic imbalance between ressources and expenditures leading to a cumulated budget deficit of  100 billlions.

For now, we have and we must to get greater efficience. Afterwards, either we want to  preserve our care protection system and it will be necessary to                                              reform financial supplies, or priority will be to maintain financial system and care protection will graduallly deteriorate.

 

  Tous les pays du monde sont confrontés aux problèmes posés par l’augmentation des dépenses de santé que les économistes appellent « de soins et de biens médicaux » [1]. Il convient de les différencier des « dépenses totales de santé » qui incluent, en plus, les soins en établissement des personnes âgées, les dépenses de recherche et de formation, les indemnités journalières en cas d’arrêt de travail pour maladie ou maternité. 

Les objectifs de cette information sont de rappeler 1) comment ces dépenses sont financées, 2) comment se répartissent les principaux postes de dépenses (tableau 1), 3) quels sont les facteurs qui influencent la consommation médicale.

Nous évoquerons ensuite quelques comparaisons avec d’autres pays et les déficits abyssaux de l’assurance maladie, qui nous paraissent obérer lourdement l’avenir.

Nous rappellerons enfin quelques propositions de la commission Assurance maladie de l’Académie pour gagner en efficience [2].

 

Le financement des dépenses de santé

En France, les dépenses de santé en 2010 se sont montées à 175 milliards d’euros, soit près de 2 700 euros par personne. Leur financement se répartissait ainsi : assurance maladie 77%, mutuelles ou assurances complémentaires 14%, et directement les ménages 9%. Ceci ne représente qu’une moyenne. Les affections de longue durée, par exemple, sont prises en charge à 100% par l’assurance maladie[2]. Il en est de même de la plupart des hospitalisations en dehors du forfait hospitalier, ce qui explique que, si l’hospitalisation constitue 44% des dépenses de santé, elle représente près de 50% des dépenses de l’assurance maladie. A l’inverse, certains médicaments à service rendu faible, les soins dentaires, l’optique, sont peu remboursés par l’assurance maladie, mais plus ou moins par les mutuelles ou les assurances selon les termes du contrat qui a été souscrit. Quoi qu’il en soit, des pays de l’OCDE, la France est celui dans lequel le niveau de prise en charge publique des dépenses de santé est le plus élevé.   

 

Les principaux postes de dépenses

Ces dépenses, sont constituées par les dépenses d’hospitalisation (44%), les soins extrahospitaliers médicaux, dentaires et para-médicaux (28%), les médicaments (20%) et quelques autres prestations (8%).

 

Les facteurs qui déterminent les coûts de la « consommation médicale »

Dans l’évolution des dépenses deux facteurs ont un rôle majeur: le progrès médical et l’âge.

Le progrès médical est le facteur qui influence le plus la progression des coûts. Il a plusieurs composantes.

1) Les innovations diagnostiques et thérapeutiques élèvent le coût unitaire de traitement des maladies. Ainsi les chimiothérapies plus efficaces et mieux supportées dans le traitement des cancers sont de plus en plus onéreuses[3]. De façon générale, les industries biomédicales et pharmaceutiques développent des offres technologiques toujours plus sophistiquées, mieux diffusées et plus coûteuses. Mais les coûts unitaires des nouveaux traitements a tendance à diminuer avec le temps comme le montre l’exemple des médicaments génériques.

2) L’amélioration du pronostic des maladies prolonge la durée de leurs traitements et des coûts qu’elle suscite[4].

3) Les progrès médicaux sont de mieux en mieux connus et, de ce fait, l’ensemble de la population y a de plus en plus largement recours. Par exemple, en Grande-Bretagne, de 1990 à 2006 les opérations pour cataracte pour 100 000 habitants sont passées de 200 à 600. La même évolution a été observée en France sur une période très limitée, ce qui prouve que le phénomène n’est pas seulement lié au vieillissement de la population.

En effet, l’âge est un second facteur d’augmentation de la consommation médicale, surtout au-delà de 60 ans. Cela s’explique par le cumul des affections avec les ans. A un problème cardiaque, vient s’ajouter un trouble endocrinien ou respiratoire, puis une affection neurologique, maladie d’Alzheimer ou accident vasculaire cérébral, etc. En 2 000, les dépenses de santé annuelles étaient de l’ordre de 1 000 euros entre 10 ans et 40 ans, de 1 500 euros vers 50 ans, de  2 500 à 60 ans, pour s’élever à 3 500 euros à 70 ans [3]. 

Age et progrès médical se conjuguent souvent[5].

 

D’autres facteurs jouent un rôle sur le volume et le coût des soins, et sont mieux contrôlables.

L’offre. Plus l’offre est importante, plus la consommation médicale s’élève. Une étude de la Caisse nationale d’assurance-maladie, publiée en 2009, comparant les régions en France, a montré que, dans les régions où les densités médicales étaient les plus fortes, les consommations de soins y étaient également les plus élevées, mais sans que l’état de santé de la population y soit meilleur. Cela est aussi vrai pour les examens biologiques ou radiologiques : une offre importante favorise la surconsommation.

Les coûts et le financement. Les modalités de financement jouent, elles aussi, un rôle déterminant dans la consommation médicale. Deux exemples sont démonstratifs à cet égard : 1) Une mutuelle a comparé, à âge et sexe similaires, deux sous-groupes, l’un remboursé à 70%, l’autre à 100%. Le nombre d’actes médicaux a été supérieur dans ce dernier, de 17% par rapport au premier. 2) Un deuxième exemple est plus récent. En 2003, l’augmentation du tarif de consultation à domicile a fait baisser leur nombre de 22,5%.

Enfin, la formation et l’information du public sont essentielles. Elles rendent compte des attentes de la population. Le rôle des médias (presse, télévision, internet), informant des progrès médicaux développe la demande des patients. Les articles qui vantent l’apport de tel ou tel examen biologique, radiologique, ou de telle nouvelle technique de soins sont inflationnistes. Si nos concitoyens sont aujourd’hui beaucoup plus informés que par le passé, c’est un fait heureux. Néanmoins ils sont souvent mal informés, voire désinformés.  

Un autre facteur de consommation ou de surconsommation médicale est, dans le domaine médicamenteux, l’abaissement du seuil de tolérance des patients (douleurs peu intenses, troubles du sommeil etc.). C’est ce qui a été appelé, de façon générale, les non-maladies (non-diseases : ennui, lassitude, tristesse etc.) [4]. Ainsi, le recours aux soins s’est peu à peu transformé en consommation médicale, le patient en usager et le médecin en prestataire de service.

Les médecins prescripteurs ne sont pas toujours assez conscients de leurs responsabilités. Ils prescrivent largement en raison d’une demande de plus en plus exigeante des patients pour se faire faire des examens biologiques ou radiologiques au moindre symptôme [5]. Ils le font encore pour ne pas passer à coté de quelque chose de grave en oubliant parfois que, derrière chaque acte, il y a un coût.

Le surdiagnostic et la non-qualité contribuent aussi à l’escalade des dépenses de santé. C’est le cas, par exemple chez des malades âgés, de petits cancers de la prostate qui ne mettent pas en jeu le pronostic vital.  Mais si la qualité a un coût, la non-qualité coûte encore plus cher sous le double aspect humain et économique : par ses errances diagnostiques et le déploiement aveugle d’examens inutiles, coûteux, parfois dangereux [6] ; mais aussi par le fait de traitements inappropriés et d’accidents thérapeutiques évitables.  

 

Les aspects positifs du coût des soins et biens médicaux

Il ne faut cependant pas perdre de vue les aspects positifs des dépenses de santé. Elles contribuent largement, dans les pays qui ne sont pas en conflits et qui ont atteint un certain niveau d’hygiène et d’alimentation, à augmenter l’espérance de vie. Cette espérance de vie en bonne santé, est de 75 ans au Japon, de 73 ans en France et en Australie, de 70 ans aux USA.

Par ailleurs, les dépenses de santé participent à l’activité économique. En France, elles rémunèrent 350 000 médecins, pharmaciens, dentistes, sages-femmes, 500 000 infirmières, 70 000 kinésithérapeutes, 100 000 personnes dans l’industrie pharmaceutique.   

 

Quelques comparaisons internationales

La France est, en Europe, le pays qui consacre le plus fort pourcentage de son PIB aux dépenses de soins (9,2%), devant la Suède (8%), l’Allemagne,  la Grande-Bretagne (7,7%), l’Italie (6,5%), et l’Espagne (6%). Si l’on parle dépenses totales de santé, la France vient au 3ème rang mondial (11,8% du PIB), après les Etats-Unis (17,4%), les Pays-Bas (12%), et devant  11,8% en France, suivis de l’Allemagne, du Danemark et du Canada (entre 10% et 11%), alors qu’elles sont de 8% au Japon. En 2006, cela représentait par habitant 4 300 euros aux Etats-Unis, 3 610 euros en France et 1 570 euros au Japon.

L’augmentation du coût des soins et biens médicaux est particulièrement marquée en France, en moyenne de 4,4% par an de 1999 à 2004, alors qu’elle n’était que de 2,7% au Japon et de 1,9% en Allemagne. De 2005 à 2009, elle a encore progressé de 3,7% par an. 

 

Des déficits abyssaux

Les dépenses de santé augmentent proportionnellement plus vite que les ressources de l’assurance maladie, principal financeur, ressources basées sur l’évolution des salaires et de la richesse nationale. Ainsi, le déséquilibre est d’autant plus marqué en période de chômage et de stagnation économique. 

Cela explique qu’en 2006, la dette cumulée de l’assurance maladie se soit montée à 76 milliards auxquels s’ajoutent près de 20 milliards pour les trois années suivantes et autour de 15 milliards par an pour les deux dernières années.

Un éditorialiste économique a pu écrire « la rétrospective est atterrante, la prospective est terrifiante »[6]. 

 

Que faire ?

Le fait que nous consacrions aux dépenses de santé au moins 1% de PIB (environ 18 milliards) de plus que nos voisins, qui ne se portent sensiblement pas plus mal que nous, prouve que nous pouvons beaucoup gagner en efficience. Cela a fait l’objet des propositions concrètes de la commission Assurance maladie de l’Académie[7]. Elles concernaient essentiellement les affections de longue durée, l’hospitalisation, le médicament, le service médical des caisses, l’institution d’un ticket modérateur modulé d’ordre public, le contrôle des moyens affectés à la santé, et la santé publique [2].  Le bon usage des explorations et des traitements a fait l’objet de propositions[8] dont la portée est limitée, notamment par le fait qu’elles ne soient pas opposables.

Mais en tout état de cause, les coûts des soins et des biens médicaux continueront à augmenter plus vite que les ressources de l’assurance maladie, essentiellement du fait des progrès de la médecine et du vieillissement de la population. Le dilemme sera alors le suivant : ou bien nous tenons à préserver notre système de protection sociale auquel nous sommes, à juste raison, très attachés et il sera nécessaire d’en réformer le financement ; ou bien la priorité sera de maintenir son mode de financement et la protection sociale s’altérera peu à peu. La part des mutuelles et des assurances complémentaires s’amplifiera progressivement. Cela entraînera, de façon bien compréhensible, à la fois des contraintes pour les usagers comme en Grande-Bretagne et des exigences de rentabilité pour les assureurs comme aux Etats-Unis. 

 

Références

 

1. Prieur C. Financer nos dépenses de santé. Que faire ? Paris : L’Harmattan, 2011:283 pages.

2. Milhaud G, Huguier M, Rossignol C, Tillement JP, Ambroise-Thomas P, Lagrave M, Denoix de Saint Marc R. Propositions pour une réforme de l’Assurance maladie. Bull Acad Natle Med 2011;195:1121-32.

3.Dormont B, Grignon M, Huber H. Health expenditure growth : reassessing the threat of ageing. Health Economics 2006;15:947-63.

4. Carli P, Graffin B, Gisserot O, Landais C, Paris JF. Les non-maladies : un autre domaine de l’interniste. Rev Med Int 2008;29:122-8.

5. Palfrey S. Daring to practice low-cost medicine in a high-tech era. New England J Med ; 2 mars 2011.

6. Mornex R. Pour une stratégie des examens paracliniques. Nouv Presse Med 1977;6:1725-8.


Tableau 1. Financement et répartition des dépenses de santé (175 milliards en 2010).

 

 

Financement des soins et biens médicaux
            Assurance maladie *           76%
            Mutuelles, assurances         14%
            Ménages                              10%
 
* Ce financement par l’assurance maladie est une moyenne. Il va de 100% pour les affections de longue durée à 55% pour les soins de ville et à 0% pour certains médicaments.
 
Financement de l’assurance maladie
Cotisations sociales 63 %
CSG                         37 %
Taxes                       10 %      
 
Prestations
            Hospitalisation        44  %
            Soins ambulatoires  28 %
            Médicaments           20 %
            Divers                       8 %
 
 
 

 



[1] Membre de l’Académie nationale de médecine.
 
[2] Sauf les franchises instituées en 2008 sur les boîtes de médicament, les actes para-médicaux, et les transports sanitaires
[3] Par exemple, Une étude de l’Institut Curie a montré que, pour les cancers du sein dans les années 80, le coût de six mois de traitements était d’environ 150 euros ; au début des années 90, il était estimé à 760 euros ; et en 2002, avec les traitements par un anticorps monoclonal, il s’élevait en moyenne à 18 000 euros, toujours pour une durée de six mois.
[4] Par exemple, après un infarctus du myocarde la diminution de la mortalité a pour conséquence l’institution de traitements à vie de type divers : antiagrégant plaquettaire, bétabloquant, inhibiteur calcique, antagoniste des récepteurs de l’angiotensine, hypocholestérolémiant et l’association des uns et des autres.
[5] Un exemple caractéristique est celui de la dégénérescence maculaire de la rétine. Elle atteint un million de Français. Liée à l’âge, ce chiffre devrait doubler d’ici 2030. Il n’y avait aucun traitement il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, une injection intra-orbitaire d’anti-VEGF coûte près de 2 300 euros. Mais, autre conséquence du progrès, des traitements moins onéreux sont sur le point d’apparaître.
 
[6] Jean-François Pécresse, « Les Echos », 2010.
[7] Rappelons que ces propositions ont résulté de 32 séances de travail et de l’audition, inter alii, de deux anciens premiers ministres et de cinq anciens ministres de la santé.
[8] Par trois structures successives, mises en place depuis 1980 : l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM), l’Agence nationale d’accrédiation et d’évaluation en santé (ANES), et la Haute autorité de santé (HAS).

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