vendredi 25 mars 2022

Exclusif.: Réconciliation ivoirienne

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Réconciliation ivoirienne : le Grand Orient prêt à apporter ses lumières
Pascal Airault 

Le Grand maître de l’obédience était à Abidjan les 23 et 24 mars pour une série de rencontres fraternelles et politiques.

Le Grand maître du Grand Orient (GODF), Georges Sérignac, terminait jeudi, un voyage de deux jours à Abidjan qui l’a vu participer au Rencontres humanistes et fraternelles africaines et malgaches (Rehfram) qui se déroule dans la métropole ivoirienne. Il s’est aussi penché sur le processus de réconciliation ivoirienne.
Dans le restaurant du Grand hôtel à Abidjan, les frères et les sœurs d’Afrique saluent Georges Sérignac. Ils ont repéré le Grand maître français du Grand Orient (GODF) dont la venue a été annoncée aux initiés. Porté à la tête de l’obédience en janvier 2021, ce valdoisien de 68 ans, initié à la loge de Conflans-Sainte-Honorine et vétérinaire de profession, n’est pas un fin connaisseur du continent et de son village franco-africain. La franc-maçonnerie constitue pourtant un lien entre les hommes et les femmes des deux rives de la Méditerranée. Mais, le Grand maître se montre curieux d’apprendre.

Il s’est déjà rendu fin février au Bénin et au Togo pour des visites bilatérales. Le GODF y parraine plusieurs loges. Pourquoi un nouveau déplacement à Abidjan ?

Il est accompagné de Frédéric Naud, conseiller de l’ordre et grand secrétaire des Affaires étrangères du GODF. Officiellement, Georges Sérignac participe aux Rencontres humanistes et fraternelles africaines et malgaches (Rehfram, réunion annuelle des loges des différentes obédiences). Plusieurs loges ont adressé des demandes de reconnaissance au GODF.

Il vient également voir ses frères de la Grande Eburnie, née en 1990 sous le couvert du GODF. Entre l’obédience mère et la loge, il existe un vieux différent immobilier concernant la propriété du Temple Chardy à Abidjan. Le GODF considère toujours que ce lieu lui appartient. La loge estime, quant à elle, qu’il a fait l’objet d’une donation.

La Grande Eburnie a perdu beaucoup de ses frères ces dernières années. Elle compte une cinquantaine d’actifs dont de nombreux enseignants, soit une poignée de membres face au millier de la Grande Loge de Cote d’Ivoire (GLCI, affiliée à la Grande Loge Nationale de France). Il n’y a pas comparaison possible en terme influence. Mais les évolutions en cours à la GLCI, à la suite du décès rapproché de ses deux derniers grands maîtres, sont une occasion de se repositionner sur la scène ivoirienne.

La franc-maçonnerie est arrivée en Côte d’Ivoire dans les malles des colons français en 1930. Des membres du GODF vont alors favoriser la création d’une loge affiliée, Fraternité africaine. La plupart des membres de cette loge étaient des administrateurs, commerçants et militaires, rappelle le professeur Francis Akindès dans un entretien réalisé par la chercheuse Marie Miran-Guyon dans Afrique contemporaine en 2017. Seuls des Européens peuvent alors être initiés avant que la franc-maçonnerie ivoirienne commence à s’africaniser progressivement, les décennies suivantes. Nombre de ses membres ont constitué ensuite l’ossature des cadres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) qui a conduit le pays à l’indépendance.

Félix Houphouet-Boigny, alors chef de l’Etat, se méfie d’eux. Dès 1963, il fait arrêter des figures maçonniques comme Jean-Baptiste Mockey, Jean Konan Banny, Charles Donwahi et Amadou Thiam, accusés d’avoir complotés contre lui.

Dans la foulée, il interdit la franc-maçonnerie avant de l’autoriser de nouveau. « En 1972, Fred Zeller, Grand Maître du Grand Orient de France, fit le déplacement à Abidjan pour rencontrer Houphouët-Boigny, explique Francis Akindès. Il négocia directement avec lui l’autorisation de réouverture de la loge (affilié au GODF).»

Ce professeur pointe encore la responsabilité de caciques francs-maçons du PDCI, au milieu des années 1990, dans l’avènement et l’instrumentalisation de l’ivoirité, un concept culturel qui serait à la source des divisions de la nation. La guerre de succession à la mort d’Houphouët-Boigny, en 1993, entre l’actuel chef de l’État, Alassane Ouattara, et ses deux prédécesseurs, Henri Konan Bédié, et Laurent Gbagbo, a abouti à la guerre post-électorale de 2011. Bilan : 3000 morts. Pendant toute cette période, les franc-maçons français et africains du GODF, de la GNLF et de la GLDF sont en complets désaccords sur les tenants de cette crise et les leviers à activer pour apaiser les tensions.

Alain Bauer, un ante prédécesseur de Georges Sérignac à la tête de la GODF, en a été le témoin direct. Comme l’a rapporté l’Express, la scène s’est passée le 22 octobre 2000. Le criminologue reçoit alors un appel téléphonique urgent d’un colonel ivoirien de la gendarmerie mobile. Ce dernier veut avoir l’avis de son aîné en maçonnerie car il a reçu l’instruction d’aller marcher sur le siège du Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo, vainqueur annoncé d’un scrutin présidentiel qui vient de se tenir. Entre obéissance et conscience maçonnique, le militaire est tiraillé. Alain Bauer lui demande alors d'écouter sa conscience, allant même jusqu'à le menacer de le radier. Il découvrira le lendemain dans Libération qu’un convoi lancé sur le QG de Gbagbo a mystérieusement changé de direction.

Plus récemment, des initiés au GODF ont joué en coulisse pour accélérer la libération de Laurent Gbagbo quand d’autres membres de l’obédience faisaient tout pour le maintenir en prison.

A Abidjan, Georges Sérignac s’est replongé dans cette longue et complexe crise ivoirienne. Il a déjeuné mercredi avec l’analyste politique et critique d’art, Franck Hermann Ekra, ancien conseiller de la Commission dialogue, vérité et réconciliation ivoirienne. « Nous avons discuté des questions de réconciliation, des attentes de la jeunesse et de l’environnement politique, confie ce dernier. Georges Sérignac et Frédéric Naud sont dans une phase exploratoire afin de comprendre comment ils pourraient intervenir pour resserrer les liens entre les acteurs politiques en se fondant sur les rapports fraternels »

Déjà l’année dernière, en mars, le grand maître du GODF avait reçu à Paris une délégation composée d’opposants ivoiriens dont Noël Akossi Bendjo, vice président du PDCI et conseiller spécial du président du parti chargé de la réconciliation et de la cohésion sociale. Une preuve de son intérêt pour l'évolution socio-politique du pays. Il a aussi fait savoir aux trois poids lourds rivaux de la scène politique nationale, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié, et Laurent Gbagbo, sa disponibilité à les rencontrer.

On prête au premier d’avoir été membre d’une loge américaine, le second aurait été initié au GODF en janvier 1994 (*) et le troisième a recruté plusieurs francs-maçons lors de son passage à la présidence. Le temps serait-il venu pour les frères de lumière de poser la pierre angulaire de la réconciliation ?

(*) Selon Ces Messieurs d’Afrique, le livre Ces messieurs d’Afrique des journalistes Stephen Smith et Antoine Glaser.

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