mercredi 31 juillet 2019

COTE D'IVOIRE : C'est à lire: Le bal des invisibles

Côte d'Ivoire, le bal des invisibles : un voyage à Bruxelles.
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Lundi 29 juillet 2019, Henri Konan Bédié, le président du Parti Démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) a rendu une visite de courtoisie au président du Front Populaire Ivoirien (FPI), Laurent Gbagbo, en liberté conditionnelle en Belgique dans l'attente d'un verdict définitif de son procès devant la Cour Pénale Internationale.
On peut dans ce contexte s'interroger sur les enjeux et les conséquences de cette rencontre  pour l'avenir immédiat.

De la symbolique

1- Au-delà des civilités d'usages et du lieu-commun de la symbolique de la réconciliation des chefs, la rencontre entre Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo revêt un important caractère politique. Les deux ex-présidents de la République, soulignent et affichent leur comprehension mutuelle d'un impératif de concorde nationale, pour sortir le pays de la crise de maturation démocratique dans laquelle il s'est enfermé depuis 1990 et le retour au multipartisme.
Pour les militants et sympathisants de leurs formations (Le Parti Démocratique de Côte d'Ivoire et le Front Populaire Ivoirien), c'est un signal encourageant. C'est le signe d'un possible nouveau départ, d'un cheminement inexorable de la défiance vers la confiance. Dans un contexte de recomposition de la carte politique tous espèrent le solde de tous comptes, la sortie du cycle des ressentiments et de la revanche.

Du rapport de force

2-  Présent en Côte d'Ivoire ou contraint à demeurer à l'extérieur du pays, nul ne peut aujourd'hui imaginer que la voix du président Laurent Gbagbo ne porte pas !
L'épilogue de son procès devant la Chambre de première instance de la Cour Pénale Internationale, laquelle a tranché en sa faveur, en l'acquitant sans qu'il n'ait recours à ses témoins à décharge, l'a replacé au centre de l'échiquier. Ces années de procédures ont fait progresser un sentiment victimaire auquel l'opinion n'est pas insensible...
La marque Gbagbo est devenue la marque d'endossement de ses partisans face aux divisions internes au FPI et à la fragmentation des autres formations sous la pression soutenue de l'exécutif. Il y a même une tendance à l'hégémonie culturelle de ses idées relayées par ses partisans qui dominent le débat dans la diaspora ivoirienne et sur les réseaux sociaux. Un avantage non négligeable, dans un champ politique qui tend vers une dés-ideologisation.
Cela ne signifie cependant pas qu'il puisse mécaniquement en escompter un bénéfice électoral direct. D'où l'utilité du rapprochement des appareils qui ont tout intérêt au pragmatisme plutôt qu'aux anciens dogmes. Le PDCI et le FPI doivent dans ce contexte éviter l'écueil d'une lecture simpliste du jeu politique au prisme de la fracture géographique et ethnoculturelle Nord-Sud.
Le PDCI qui est un parti de gouvernement, comprend bien de son côté depuis les élections locales de la fin de l'année 2018, quel parti il peut tirer en établissant des " convergences parallèles ", pour reprendre une formule célèbre de l'ancien leader démocrate chrétien italien Aldo Moro, parlant de son rapprochement avec la sociale démocratie et de son choix manifeste pour  un " compromis historique" réunissant toutes les formations d'inspiration marxistes.
Il y a désormais une possibilité de constitution d'une "alliance naturelle", selon le mot de Laurent Gbagbo lui-même, celle des progressistes et des démocrates ivoiriens.  Pour être viable cette coalition devra réinvestir le discours sur la défense de l'équité républicaine, l'engagement en faveur d'une meilleure répartition des richesses, la promotion de la justice sociale. Il lui faudra clarifier sa compréhension du répertoire de la souveraineté. Cela passe on l'aura compris, par les cases réconciliation et revitalisation.

Du RHDP

3- Pour ce qui est de la volonté d'uniformisation de l'espace politique ivoirien, chacun constate les limites d'un phénomène classique que Maurice Duverger avait identifié dans un ouvrage indémodable sur les Partis politiques, comme relevant de la mécanique des "partis attrapent-tout". Le RHDP apparaît comme la superposition d'une structure managériale dirigiste issue du RDR, d'un réseau clientéliste communautariste captif, renforcé par des entrepreneurs politiques volatils et d'une extrême plasticité. Il peine encore à convaincre sur sa capacité à fédérer durablement au delà de ces cercles. Ses ressources politiques sont aisément identifiables puisqu'elles se juxtaposent au domaine régalien. Ses trois principaux leviers sont : une administration fiscale, une administration judiciaire et un appareil sécuritaire et répressif qui donnent au fil du temps l'inquiétante impression d'être aux ordres.
L'exode, au demeurant modeste, de cadres dirigeants du PDCI vers ses anciens alliés du RHDP peut paradoxalement constituer un effet d'aubaine pour le renouvellement générationnel attendu, avec la montée en première ligne d'un front qui s'est dégarni, des quinquagénaires et quadragénaires. L'ancrage de ces derniers à la ruralité reste à mesurer, même s'ils ont de précieux intermédiaires sur le terrain. La ville, le quartier et la sociabilité urbaine, deviennent des marqueurs prépondérants.

De la réforme électorale.

4- Si l'on veut raisonner électoralement, la refonte de la Commission Électorale Indépendante (CEI) est une condition nécessaire à la crédibilité du scrutin. N'oublions pas qu'en 2010-2011 les élections ont débouché sur une guerre, du fait de la contestation des résultats du vote et de la logique radicale de blocs antagonistes.
Des clivages communautaires se redessinent et les indices de risques liés à la tension sont en hausse.
Le Chef de l'État, Alassane Ouattara, devra quant à lui se départir de la posture de chef de parti pour offrir au pays des garanties de stabilité dont cette réforme ne représente qu'un aspect. Le toilettage des listes électorales et l'établissement équitable des cartes nationales d'identité, ainsi qu'un climat social apaisé au nord, en zone forestière et dans l'ouest montagneux, ainsi que dans les grands centres urbains, sont pour lui des fils du même noeud gordien.

Franck Hermann Ekra
Lab'nesdem (Laboratoire d'innovation et d'action publique, nouvelle espérance sociale et démocratique).

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