mercredi 5 novembre 2014

Libres propos signés Olivier Mariotte

Le 21 février dernier, nous faisions paraître sur http://loeildenile.eu/2014/02/21/pression-positive-a-qui-profite-larret/ un article qui faisait le point sur la situation déclenchée par un arrêt du Conseil d’État paru le 14 février 2014, suspendant l’arrêté du 22 octobre 2013. Celui-ci modifiait les modalités d'inscription et de prise en charge de la pression positive continue pour le traitement de l'apnée obstructive du sommeil en raison d’un doute sérieux quant à sa légalité.


Le Conseil d’Etat devant se prononcer sur le fond dans les prochains jours, il nous semble important de revenir sur les faits, après en avoir discuté avec un juriste.


Depuis 1998, remboursement et observance sont liés
Beaucoup plaident depuis la publication de l’arrêté du 9 janvier 2013 sur le sujet1 que, pour la première fois en France, le remboursement d’une prestation est soumis à l’observance du traitement par le patient. En fait, ceci n’est pas une nouveauté puisque, pour ce même traitement, l’arrêté du 23 décembre 1998 (JO du 30 décembre 1998) disposait : « La prise en charge est assurée pendant une période de 5 mois, puis par période d’un an, sur la base d’un forfait hebdomadaire. Le maintien et le renouvellement de la prise en charge sont subordonnés à la constatation : d’une observance minimale de trois heures minimales chaque nuit, sur une période de 24 heures ; et de l’efficacité clinique du traitement ». Donc, depuis 1999, un relevé d’observance du patient doit être joint à l’appui de la demande d’entente préalable pour le renouvellement de la prestation de PPC. Cette définition de l’observance était confuse puisqu’une lecture stricte pouvait conduire à estimer que le patient n’était pas observant s’il n’avait pas utilisé son appareil à PPC un jour au cours de la période considérée.



Depuis l’origine de la Sécurité Sociale, certaines règles fondamentales s’appliquent

§ un médecin ne peut prescrire un traitement, un produit ou une prestation que si le patient souffre lui-même de la pathologie traitée (on ne peut pas prescrire à un assuré social un traitement destiné à un tiers)

§ la prescription est toujours limitée dans le temps par les règles du remboursement quelle que soit la pathologie (un patient atteint d’une maladie chronique à vie devra à intervalles réguliers obtenir une nouvelle prescription pour que son traitement soit pris en charge par l’Assurance maladie obligatoire - AMO)

§ le déclenchement de la prise en charge est toujours initial. Ceci revient à dire qu’une fois la prise en charge acquise, elle s’applique sans faillir jusqu’à la fin de la période déterminée, quelle que soit l’utilisation de cette prise en charge par le patient (sauf s’il décède ou si de sa propre initiative, il décide d’arrêter ou de suspendre son traitement, ce qui entraîne l’arrêt immédiat de la prise en charge). Dans ces conditions, le patient est toujours sûr de son remboursement

§ en principe, le prescripteur s’assure auprès du patient qu’il prend ou utilise le traitement avant de renouveler la prescription (bien sûr, le patient peut ne pas appréhender l’ensemble de la situation, mais certains symptômes peuvent fréquemment éclairer le prescripteur).




L’arrêté du 22 octobre 2013 est-il en contradiction avec ces règles fondamentales ? Non
Dans les faits, c’est bien une prescription initiale faite par un médecin pour un patient souffrant d’apnée obstructive qui déclenche la prise en charge de la prestation par l’AMO. Celle-ci est limitée dans le temps, non de manière fixe mais de façon dynamique puisqu’elle se renouvelle à l’issue de chaque période pendant laquelle le patient a eu une observance conforme aux règles fixées. Enfin, à aucun moment, le patient est en risque de se voir opposer un refus de remboursement pendant la période de prise en charge, quelle que soit son observance.



Comment s’organise la prise en charge ?
Au départ, après l’obtention de l’accord préalable, le patient dispose de 13 + 20 semaines (soit plus 7 mois et demi) pendant lesquelles, quelle que soit son observance, la prestation de PPC sera prise en charge par l’AMO2 :
§ les 13 premières semaines doivent permettre au patient de s’habituer au traitement et à remplir les critères d’observance requis

§ puis il dispose d’un « capital » de prise en charge de 20 semaines pendant lesquelles son traitement est pris en charge par l’AMO quelle que soit son observance pendant cette période.


Ensuite, il peut exister trois situations :
§ soit le patient est observant : chaque période de 28 jours (4 semaines) pendant laquelle il remplit les critères de l’observance lui assure un maintien de son « capital » de prise en charge de 20 semaines à venir (qui peut ainsi se renouveler continuellement sous réserve du renouvellement annuel de la prescription par son médecin)

§ soit il ne remplit pas les critères de l’observance pendant une période de 28 jours : son « capital » de prise en charge est alors amputé de 4 semaines (il en reste 16). S’il persiste, à la cinquième période consécutive, il y a arrêt de sa prise en charge. Il aura été prévenu par écrit à la fin de chaque période, ainsi que son médecin prescripteur. Donc, c’est en pleine connaissance de cause qu’il aura été jusqu’à l’arrêt de la prise en charge

§ soit, il ne remplit pas les critères de l’observance pendant une période de 28 jours (voire plusieurs mais moins de quatre consécutives) : son « capital » de prise en charge est alors amputé de 4 semaines à chaque fois, mais si, lors de la période suivante, il remplit les critères de l’observance, il reconstitue immédiatement son « capital » de 20 semaines3.


La règle primordiale (un patient qui compte sur une prise en charge de sa pathologie est certain de voir ses frais pris en charge) est donc totalement respectée. La seule différence est dans son application : au lieu d’être limitée de manière fixe (comme c’est généralement le cas et comme c’était le cas sous l’emprise de l’arrêté de 1998) cette perspective de prise en charge est dynamique. Par ailleurs, il n’y a plus qu’un accord préalable au début du traitement ce qui allège les procédures par rapport à 1998. Il suffit donc au médecin, après s’être assuré de l’efficacité du traitement, de renouveler sa prescription.



Que deviennent les données ?
Ce point suscite interrogation dans le contexte d’open data que nous défendons. En effet, les données recueillies chez le patient sont transmises au prestataire via le fabricant du dispositif de téléobservance avant qu’elles ne servent à l’information du médecin prescripteur et à l’AMO.

Ce choix a été fait pour préserver les prestataires ayant peu de patients (certains n’en ont que quelques dizaines : ils n’auraient jamais pu obtenir des prix intéressants de télécommunications et il y aurait eu distorsion de concurrence). Il était souhaitable de conserver une trace neutre des données recueillies pour un éventuel contrôle de l’AMO.

Le fabricant du dispositif n’a aucune possibilité de connaître le patient concerné puisque :
§ le texte prévoit qu’il ne connait que le numéro du dispositif et le prestataire

§ il doit recueillir les données chez un hébergeur de données à caractère personnel agréé par le ministre de la Santé : il ne peut donc pas accéder aux données directement

§ à la demande de la CNIL, le texte précise qu’il lui est totalement interdit de faire de la géolocalisation, cette dernière étant, quoiqu’il en soit impossible compte tenu de l’infrastructure décrite.


Le prestataire est soumis à des règles strictes de sécurité, de traçabilité et de conservation des données qui sont précisées dans le cadre de l’Autorisation unique délivrée par la CNIL4 et à laquelle il devra s’engager à se conformer. Au fur et à mesure de la mise en œuvre de cette autorisation unique5, l’amélioration sera incontestable pour la sécurité des données des patients qui, aujourd’hui, sont conservées et transportées de manière très peu, voire pas du tout, encadrée.

L’information du médecin prescripteur, si elle est faite sur support papier, est dans les mêmes conditions de sécurité qu’aujourd’hui. En revanche, s’il y a transmission de données numérisées, celle-ci ne sera possible que s’il y a garantie de conservation des données par le médecin de manière sécurisée.

En ce qui concerne la transmission des données de l’observance à l’AMO, afin de limiter au maximum les envois physiques, il est prévu que la majorité des prestataires de soins à domicile ouvrent aux médecins conseils des caisses d’AMO des accès sécurisés et tracés dans leurs bases de données pour pouvoir qu’ils puissent exercer leurs contrôles.



La téléobservance garante d’un meilleur suivi des patients
En définitive, la téléobservance permet :
§ la transmission quotidienne d’alertes sur l’observance (au lieu d’un relevé une fois tous les six mois)

§ la possibilité à court terme, d’un télésuivi6 de données cliniques complémentaires pour les patients consentants

§ une gestion plus rigoureuse pour l’AMO : ce sont près de 700 000 patients concernés aujourd’hui dont le coût est de l’ordre de 500 M€ pour l’AMO et environs 200 M€ pour les organismes complémentaires.



Il n’est plus possible, en 2014, de se priver de cet outil moderne de communication et d’enregistrement des données pour prendre en charge une telle population de patients équipés d’un dispositif médical coûteux. Surtout quand on a l’assurance que les données patient seront transmises et conservées dans des conditions de confidentialité et de sécurité infiniment plus sécurisées…



1L’arrêté du 22 octobre 2013 n’est que la reprise, avec quelques modifications mineures, de l’arrêté du 9 janvier après avis de la CNIL (19 septembre 2013)


2A titre d’information la base de remboursement est de 21 x 21,00 € + 8 x 10,50 € = 525,00 € dans l’hypothèse où le patient ne remplirait jamais les critères de l’observance (84 h au minimum et au moins 3 h par 24 h pendant au moins 20 jours par période de 28 jours)


3Sous réserve que, sur une période de 12 mois, le patient ait respecté au moins 7 périodes de 28 jours pendant lesquelles il a rempli les critères prévus de l’observance


4Autorisation unique publiée au Journal officiel du 9 février 2014. Délibération n° 2014-046 du 30 janvier 2014 portant autorisation unique de traitements de données à caractère personnel mis en œuvre par les prestataires de santé à domicile pour la téléobservance, en application de l’arrêté du 22 octobre 2013 relatif aux dispositifs médicaux à pression positive continue


5La suspension de l’arrêté du 22 octobre 2014 n’a pas permis sa mise en œuvre pour le moment


6Des études cliniques et médico-économiques sont déjà en cours dont les résultats permettront d’éclairer la HAS pour que la CNEDiMTS émette un avis circonstancié pour sa généralisation

 
 
 
Olivier Mariotte
 
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