mardi 8 octobre 2013

RETRAITE: synthèse La réforme structurelle par points : le compromis*

Conférence du 2 octobre 2013 Pour une réforme systémique


Antoine Delarue (Servac/ Chaire TDTE), David Skrzynski (Servac), Jean Baptiste Cassé (Servac)




*Le rapport est disponible sur demande, et les focus renvoient au rapport



Les enjeux d’une réforme systémique


Son objectif est d’adapter notre système de retraite à un monde plus fluide où les parcours professionnels et familiaux sont discontinus. Le système actuel est organisé en silos professionnels avec une détermination des droits privilégiant la fidélisation dans l’emploi et donc finalement peu contributive du fait de l’interférence de critères d’ancienneté, d’âge et de revenus. Cet ensemble est peu lisible, notamment pour les jeunes générations qui se savent engagées dans les nouveaux parcours. Elles ne voient plus en outre la contrepartie des cotisations élevées qui leur sont demandées, directement ou via les cotisations patronales.


La multiplicité des régimes existants est toutefois à préserver. Pour deux raisons principales : d’abord car les legs du passé ont des adhérences sociales et économiques profondes ; ensuite car elle manifeste des solidarités professionnelles très fortes qui fondent souvent le courage et l’efficacité des régimes autonomes quand ceux-ci sont pilotables. 1



1 Cf. Focus 1 : De quelques mythes sur la réforme systémique


Architecture d’ensemble : le découplage


L’architecture à bâtir s’appuie sur un découplage des droits contributifs et non contributifs qui sont aujourd’hui mélangés au sein des différents régimes et qui relèvent de logiques distinctes :

- Les avantages contributifs sont à la base du pacte intergénérationnel qui fonde la répartition.


- Les avantages non contributifs visent à remédier à des situations économiques et sociales particulières au nom d’une solidarité qui n’est pas forcément intergénérationnelle. Les droits correspondant peuvent être octroyés ex ante c’est-à-dire pendant la vie professionnelle ou ex post au vu du total des pensions contributives obtenues. Avec la discontinuité des parcours professionnels, l’approche ex post devient plus simple et plus efficace.



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L’architecture proposée tient compte de ce constat. Les droits non contributifs attribués ex post seraient gérés par un régime transversal de solidarité (RTS), selon le schéma ci-dessous :

Les régimes existant pourraient alors se recentrer sur la gestion et le pilotage des seuls avantages contributifs2. La gestion se ferait en points, cette technique permettant la projection d’équilibre à moyen et long terme de façon à fournir aux jeunes générations des perspectives soutenables à moyen terme.

2 Cf. Focus 2 : La dilution est l’opacité de la contributivité dans le système actuel

3 Cf. Focus 3 : L’hétérogénéité inter-régimes des avantages non-contributifs



Précisions 1 :


- Le RTS effectuerait un suivi des durées cotisées dans les différents régimes de façon à servir les droits non contributifs3 qui s’additionneront aux retraites contributives servies par les différents régimes de retraite traversés.



- Il regrouperait dans un premier temps les droits non contributifs qui ne relèvent à l’évidence pas d’un régime particulier comme


o les majorations pour carrière longue,

o la couverture des interruptions de carrières (chômage, maternité et congé parental ou congé formation, etc.),

o les minima qui seront mieux ciblés par la prise en compte ex post de l’ensemble du parcours professionnel de l’intéressé.



- Pour ce qui concerne les autres avantages de types multiplicatifs tels que les bonus enfants, ils pourront être conservés provisoirement par les régimes ou transférés au RTS auquel cas ils deviendraient forfaitaires et seraient calculés sur une pension moyenne.

- La réversion pourrait progressivement être remplacée par un mécanisme de partage des droits entre conjoints, mécanisme beaucoup plus simple à gérer pour des situations


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familiales plus mouvantes et se traduisant par une diversité de régimes juridiques enfin reconnues (mariage, PACS, concubinage). 4


4 Cf. Focus 6 : Le traitement des nouveaux parcours conjugaux

5 Cf. Focus 7 : Aperçu sur les données mobilisées


Précisions 2 :

- Les régimes contributifs fonctionneraient en points avec une présentation des droits harmonisée, fonction d’un âge pivot de liquidation autour duquel des coefficients actuariellement neutres seraient appliqués pour calculer les pensions effectives.

- La technique des points permettra une grande flexibilité dans la gestion des régimes, comme le choix de l’âge de départ, la retraite progressive, le partage des droits, etc.

Précisions 3

- Cette architecture maintient la pluralité formelle des différents régimes

- Toutefois, elle sera de nature à favoriser des convergences entre les différents régimes contributifs qui, soumis à un fonctionnement harmonisé, deviendront comparables.


- Pour ce qui concerne les avantages non contributifs, leur mise à plat et leur traitement ex post permettra d’avancer dans l’égalité des règles d’attribution.



La réforme systémique comporte de nombreux chantiers. La suite de cette note se concentre sur la mise en place des points au Régime Général et à la Fonction Publique, souvent présentée comme un obstacle rédhibitoire !


La transformation en points du Régime Général et de la Fonction Publique


L’exercice a été mené sur la base de deux échantillons statistiques constitués par la DREES, qui fournissent des données détaillées sur un échantillon représentatif de pensionnés et de cotisants.5



La réforme systémique proposée s’appuie donc sur un régime en points. Chaque cotisation versée par les assurés est transformée en droits retraite, des points, via un coefficient de conversion qui est la valeur d’achat. Au moment de la liquidation, le stock de points est à son tour converti en pension par une valeur de liquidation.

Le régime en points ici proposé s’appuie sur les règles d’acquisition et de liquidation suivantes :


- Chaque année, la valeur d’achat est définie de telle sorte qu’un salaire égal au PASS permette d’obtenir 1 point par an au RG et 1,5 point par an à la FP pour compenser l’absence de régime complémentaire dans la FP.



- L’acquisition de points au RG pour les salariés du privé est limitée à un point, l’acquisition de points pour les fonctionnaires n’est pas limitée sur l’année.

- La majoration pour minimum contributif à la liquidation est remplacée en partie par une acquisition minimale de 0,2 point par an, l’autre partie étant transférée au RTS.


- La valeur de liquidation est calculée de telle sorte qu’une carrière complète au RG que nous appellerons durée de carrière étalon, cotisée au PASS rapporte 50% du PASS si liquidée à l’âge pivot retenu.



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- Cette valeur de liquidation est déterminée pour un départ à l’âge pivot, sans préjuger de l’âge de départ effectif. Il y aurait simplement une minoration ou majoration actuariellement neutre pour les départs antérieurs ou postérieurs à cet âge.

Ces nouvelles règles reprennent l’esprit de la promesse fondatrice du Régime Général (remplacement à 50% pour une retraite à taux plein) en l’ajustant aux paramètres récents. Le choix de l’âge pivot ne signifie pas une condition d’âge minimum car les cotisants auront toute latitude de partir plus tôt ou plus tard selon des coefficients de minoration ou majoration connus de tous.

Le choix de cet âge pivot matérialisera un compromis sur une plus ou moins grande générosité du régime.


Reconstitution des droits du passé6


6 Cf. Focus 5 : La reconstitution des droits du passé


Les droits déjà liquidés seront convertis à parité sur la base de la valeur de liquidation précitée au jour de la conversion.

La reconstitution des droits acquis et non liquidés par les actifs a été longtemps avancée comme constituant un obstacle majeur à tout basculement intégral dans un fonctionnement en points eu égard à la charge administrative ou à la disponibilité des données nécessaires au calcul détaillé pour les régimes.

Cet argument est à relativiser car le calcul pourrait être réalisé progressivement, mais il importe d’en arrêter des principes et d’en tester les modalités, ce que nous nous sommes attachés à faire à partir des données des échantillons inter-régimes de la DREES. La réforme structurelle par points : le compromis Page 5

Il existe deux méthodes de reconstitution des droits du passé des actifs : la rétropolation des droits et la cristallisation des droits. La première consiste à recalculer les droits avec les règles du nouveau régime sur la base des historiques de revenus des assurés. La seconde reprend les formules fondatrices du système actuel (annuité/salaire moyen pour le RG et annuité/salaire terminal pour la FP) pour évaluer les droits acquis non liquidés et les convertir en points dans le nouveau système.



Pour le Régime Général, les deux méthodes s’avèrent donner des résultats en moyenne par génération assez voisins. De plus les reconstitutions individuelles s’avèrent très proches. Cela souligne la pertinence de la règle d’acquisition des droits futurs qui devrait procurer des niveaux de droits analogues à ceux du passé (du moins à l’âge pivot).

Pour la Fonction Publique, la comparaison est plus délicate car l’information sur les salaires du passé n’est pas systématique. Certes la DREES a pu récupérer partiellement ces informations dans les fichiers de la comptabilité publique mais cette information n’est pas explicitement validée par le SRE. Par ailleurs, la cristallisation, qui repose sur le dernier salaire connu est tributaire des variations conjoncturelles de ce dernier.

Au total, sur les populations renseignées, la cristallisation donne de résultats moyens par génération plutôt meilleurs que la rétropolation. Au sein d’une génération, les écarts individuels tant positifs que négatifs entre les deux méthodes sont importants.

Ceci suggère que la règle de cristallisation est préférable car moins potentiellement critiquable que la rétropolation car plus généreuse et comportant moins de risques de discontinuité de traitement pour les générations proches de la retraite.

Par ailleurs, la règle envisagée (1,5 point au PASS) conduirait à des acquisitions futures en deçà des actuelles.

Il convient probablement d’ajouter un étage supplémentaire (assis sur TB) à un niveau à calibrer

Les paramètres clefs décrits ci-après pourront alors être arrêtés au vu des projections de points obtenues


Un compromis inter générationnel à quatre paramètres clefs


Au-delà des méthodes, la reconstitution des droits du passé procédera d’un compromis. D’un côté les actifs présents et notamment ceux proches de la retraite devront percevoir la reconstitution comme équitable, d’où une tentation de générosité qu’il faudra arbitrer avec l’attractivité future du régime pour les jeunes générations.


Ce compromis pourrait se matérialiser par le choix d’un âge pivot éventuellement différent de celui des droits du futur. Ce paramètre impactera directement le niveau et donc la générosité des reconstitutions des droits du passé non liquidés. La réforme structurelle par points : le compromis Page 6



La projection en points mesure la soutenabilité du compromis


Le graphique ci-dessous illustre l’évolution des points servis après le basculement. On y distingue :

Les droits déjà liquidés à la date du basculement, qui restent prépondérant pendant les 15 premières années,

- Les droits cristallisés au titre du passé qui seront eux prépondérant d’ici 20 ans,

- Les nouveaux droits acquis par les cotisations après basculement dont la montée en charge est la plus lente.


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A la projection des droits servis (qui représentent les pensions) peut être associée une projection des acquisitions annuelles de points (qui correspondent aux cotisations). Cela permet de calculer le rendement d’équilibre du régime qui rapporte année après année le volume de points acquis au volume de points servis ainsi qu’il est illustré ci-dessous7.

7 Remarque : par convention la valeur de service annuelle des points déjà servis est ici égale à la valeur de liquidation de l’année. Mais l’indexation des pensions servies pourra être différente de de celle de la valeur de liquidation. Ce sont des paramètres de pilotage.

Le rendement d’équilibre est un indicateur essentiel de la soutenabilité du régime.



Il correspond au rapport de la valeur de service sur la valeur d’achat du point qui assure chaque année l’équilibre technique du régime. Plus il est élevé, plus le régime est attractif pour les cotisants. Le rendement d’équilibre est à comparer au rendement effectivement pratiqué par le régime. Si le rendement d’équilibre est supérieur alors le régime est en excédent, s’il est inférieur le régime est en déficit.

Sachant que le rendement pratiqué ne pourra pas s’écarter durablement du rendement d’équilibre, on obtient une relation d’interdépendance entre les paramètres clefs du compromis qui est illustrée ci-dessous : (taux de cotisation ; âge pivot ; durée de carrière de référence)


Comme attendu, le taux de cotisation contributif nécessaire diminue avec l'âge pivot et avec la durée étalon. Moins attendu, le graphique montre qu’une variation de 1 an de l'âge pivot est équivalente à une variation de 2 années de la durée étalon.

Ainsi choisir un couple (âge pivot ; durée étalon) égal à (65 ans ; 43 années) requiert le même niveau de cotisation nécessaire que de choisir les couples (64 ans ; 45 années) ou (63 ans ; 47 années). La réforme structurelle par points : le compromis Page 8



Le suivi du rendement d'équilibre par rapport au rendement pratiqué pointe les déficits ou excédents techniques prévisionnels et les corrections à apporter aux paramètres clef choisis. Ainsi, pour neutraliser la dégradation du rendement d'équilibre induite par une cristallisation de 10% plus généreuse, il faudrait rapidement augmenter les cotisations jusqu'à 6%. De tels outils propres aux points pourront nourrir une vision anticipatrice des difficultés à venir.


La comparaison rendement pratiqué/rendement d’équilibre, permet d’anticiper les conséquences à moyen terme des décisions de pilotage n’ayant pas d’impact technique à court terme. Le système en points fournit par conséquent des outils simples et lisibles pour la gouvernance à long terme du régime. La réforme structurelle par points : le compromis Page 9



Vers une gouvernance d’anticipation


La réforme systémique a souvent été présentée comme utopique parce que nécessitant une très longue durée d’incubation et de réalisation. Sans nier l’ampleur des travaux restant à réaliser, cette note vise à montrer que la réforme est au contraire à notre portée.

Pour cela, une clarification préalable des droits retraite est indispensable. Elle séparera les avantages contributifs et non contributifs car ils relèvent de logiques de financement et de gouvernance différentes. La création d’un régime transversal de solidarité matérialisera cette orientation vers une plus grande égalité de traitement au niveau du non contributif.

Le recentrage des régimes existants sur leurs seuls aspects contributifs permettra d’introduire un fonctionnement en points qui assurera une parfaite équité contributive intra régimes et confortera l’acceptabilité des cotisations futures pour les jeunes générations.

D’un point de vue technique le basculement en points apparait réalisable dans les grands régimes, en particulier le Régime Général et la Fonction Publique, en utilisant la technique de cristallisation des droits pour la détermination des droits acquis dans l’ancien système. Le choix de certains paramètres clés, comme l’âge pivot devra toutefois être arrêté par compromis entre les parties prenantes.

Enfin, le fonctionnement en points fournira des outils simples et lisibles d’appréciation de la soutenabilité des nouveaux régimes, ce qui permet d’espérer une gouvernance véritablement anticipatrice des défis de la retraite.


Les étapes de la réforme structurelle :


- Etape 1 : Acter les objectifs généraux d’une réforme structurelle :


o découplage des aspects contributifs et non contributifs qui feraient à terme l’objet d’une gestion distincte avec additivité des avantages

o recentrage des régimes existants sur leur aspects contributifs qui seraient gérés en points avec des paramètres harmonisés (même âge pivot avec même surcote/décote)



- Etape 2 : Concrétisation de ces principes généraux par la scission administrative de la CNAV en deux régimes avec des structures de gouvernance distinctes :


o Le Régime Transversal de Solidarité (RTS) en charge du suivi des carrières dans les différents régimes contributifs, du chômage et autres périodes assimilées

o Le Régime de base contributif des salariés du privé



- Etape 3 : Travaux préparatoires au basculement en points du régime de base des salariés et de celui de la Fonction Publique : évaluation des volumes de points cristallisés et compromis sur les paramètres clefs à utiliser

- Etape 3 bis : Elaboration d’un compromis sur la détermination future d’un noyau dur d’avantages non contributifs tels que le dispositif carrière longue et le minimum contributif.


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- Etape 4 : Découplage et basculement effectif en points du RG et FP à la même date pour les liquidations futures

- Etape 5 : Pour les régimes fonctionnant déjà en points, harmonisation des paramètres sur l’âge pivot et la durée étalon du RG et de la FP.

- Etape 6 : Basculement par les différents régimes et à leur rythme des autres avantages non contributifs vers le RTS (avantages familiaux, majoration pour personne à charge, bonifications diverses, etc.). Ces avantages seraient repris par le RTS mais calculés sur la base d’une pension moyenne


Conclusion Générale


La réforme systémique proposée ici s’appuie sur une architecture doublement incitatrice à la convergence, du pilotage des aspects contributifs d’un côté, de la détermination des niveaux non contributifs de l’autre.

Dans l’immédiat, la pluralité des régimes est conservée et leur autonomie est même renforcée, ainsi que leur responsabilisation grâce au recentrage sur la gestion des seuls droits contributifs. Leur fonctionnement en points garantira par construction l’équité contributive et éliminera les nombreuses entorses à la neutralité actuarielle que l’enchevêtrement des règles et la confusion des objectifs ont générées, en particulier au Régime Général. Cette clarification est indispensable pour restaurer la confiance des jeunes générations dans l’avenir du système et maintenir leur appétence à cotiser.

Parallèlement, le regroupement des avantages non contributifs dans un régime transversal distinct manifeste d’abord d’une volonté d’aborder lucidement la question du périmètre et de la nature de la solidarité, ainsi que son financement. Il constitue aussi une réponse à l’aspiration à une égalité de traitement intra et inter régimes. Les avantages servis s’appuieront sur la seule connaissance des durées cotisées dans les régimes traversés et de la retraite contributive moyenne servie dans les régimes correspondants. Ceci permettra de s’inscrire dans la continuité des pratiques de solidarité existantes tout en introduisant un premier niveau d’égalité, puisqu’à parcours inter régimes égal, les avantages familiaux, de carrière ou autres seront alors identiques.



  

NDLR : MGEFI et Retraite
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